Un matin de 1984, c’était le lendemain d’une de mes émissions de radio, j’étais rentré au petit matin, ça tape à la porte, avec insistance. J’émerge, j’enfile une robe de chambre et je vais ouvrir.
À la porte, un homme et une femme que je ne connais pas mais qui ne tardent pas à se présenter après avoir confirmé mon identité. C’est la police. Mon coeur se met à battre, je me demande ce qui se passe.
J’habite seul depuis septembre 1983, c’est la première fois
que j’ai la police qui débarque, comme ça. Ils me demandent ce que je faisais à une certaine date, puis ils me demandent si je connais un certain … (désolé, je ne me rappelle même plus son prénom… ça fait tellement longtemps), mais je ne tilte pas, et puis ils me disent, « peut-être vous le connaissez sous le nom de Snuff ». Et là, ben oui… Ils me tendent une convocation pour l’après-midi dans un commissariat du 11e arrondissement.
La vache, qu’est-ce qui se passe?
Snuff, quand on était un rocker, ou qu’on traitait dans les concerts parisiens, on le connaissait. Moi, je le connaissais un peu plus, il était venu squatter chez moi quelques fois, et puis, on avait même essayé de le faire décrocher de l’héroïne. Je me revois, avec une amie, on allait de pharmacie en pharmacie pour acheter je ne sais plus quel médicament qui pouvait aider. Quand j’ai vu Trainspotting, le personnage de Spud m’a fait penser à lui. Snuff était un garçon super gentil, très très doux mais avec un allure à filer la trouille à plein de monde. Un fils de prolétaire qui était devenu punk au tournant des années 70, avait trainé avec Métal Urbain, mais qui n’avait pas eu les moyens d’atterrir par la suite, et qui s’était enterré dans la came.
On était devenus copains, on ne trainait pas ensemble, pas la même tribu, mais je le trouvais super drôle. Quand il débarquait chez moi, je lui proposais de rester, je lui faisais le petit déjeuner, et on bavardait de plein de trucs. Il connaissait « tout le monde », à Paris. Physiquement, il n’avait pas d’âge, la drogue l’avait bouffé.
Une fois, il s’était pointé avec une fille, une suédoise. Je les avais laissés ensemble, mais il avait pigé que ça me faisait chier qu’il prenne mon hospitalité pour un squat. Il n’avait pas recommencé.
Je suis allé au commissariat l’après-midi, et là, j’ai appris l’histoire.. Bon, en fait, j’en avais entendu parler, on ne parlait que de ça depuis quelques jours dans le milieu rock, mais je n’en savait pas beaucoup plus. Il y avait eu des tirs devant le Cithéa, un bar-concert rue d’Oberkampf, après une bagarre avec des skin-heads. En fait, ça faisait plusieurs mois que les soins provoquaient régulièrement et qu’il y avait des descentes suivies d’agressions. Cette fois-là, un skin avait été tué et un autre blessé.
Le récit que m’ont livré les policiers était assez détaillé et il y avait un problème, deux suspects, dont Snuff, restaient introuvables. Ils m’ont posé des questions, j’avoue, je n’avais pas grand chose à répondre, je n’y étais pas, je leur ai expliqué que moi, depuis plusieurs mois, j’écoutais de la musique psychédélique et que donc je ne trainais plus avec les gens qui allaient au Cithéa. Ils m’ont demandé comment j’avais connu Snuff, je leur ai parlé de mes émissions de Radio, je leur ai dit que « tout le monde » connaissait Snuff. Je crois que mes explications les ont hallucinés.
Je continue, par contre, de me demander qui a bien pu leur donner mon adresse et mon identité.
Je vous raconte ça car comme je ne suis pas bien l’actualité française depuis mon départ, je n’ai pas suivi les reportages ni la libération de Laurent Jacqua, celui qui a été inculpé dans cette affaire avant au bout d’un moment de s’évader et de devenir un braqueur.
Je suis tombé sur un de ces reportages, celui de Karl Zéro. J’ai écouté son récit de cette soirée là, un récit un peu différent de celui qui avait circulé dans Paris à cette époque-là, assez différent aussi du récit que la police m’avait fait et qui avait conduit Snuff à quitter Paris pendant deux ans.
Vers 1987, un soir, j’allais à une soirée House rue Ponthieu, une bande de motards Hells Angels passent, un type me regarde, il s’arrête et me fait un grand sourire. C’était Snuff. Ça m’a fait super plaisir de le voir, on se fait la bise, on bavarde, et puis il repart.
Il était désormais Hells Angels et évangéliste.
Il est mort quelques années plus tard du SIDA comme plein d’héroïnomanes. Je crois que c’est mon ami Xavier qui m’a appris ça. Laurent Jacqua lui-même est séropositif. La drogue…
J’ai cherché sa fiche Wikipédia. Depuis sa libération, il s’occupe de la commission « prison » à Act-Up, a écrit des bouquins. Incroyable, dans l’interview, sa façon de parler, un gars des faubourgs, j’ai pensé. Ça en ferait, un beau film, sa vie.
Voilà. Je n’ai pas pu m’empêcher de gratter dans mes souvenirs, et il me semble, je dis bien il me semble entrevoir qui c’est, dans ce brouillard qui enveloppe le passé ancien et qui souvent, aussi, nous trompe. Même si son récit est différent de celui qui m’a été rapporté, si la police recherchait Snuff, c’est que Laurent Jacqua trainait avec lui, et comme il m’arrivait encore de croiser Snuff à cette époque, il me semble bien apercevoir quelqu’un souvent avec lui. Mais peut-être je me trompe. C’est juste que le souvenir de cette convocation à la police un lundi, et puis cette histoire, et puis la disparition de Snuff, ça ouvre la boîte à souvenirs, et j’aime ça, vous le savez bien.
Un parcours triste, littéraire au plein sens du terme, dans lequel il ne s’est pas laisser enfermer: malgré les braquages, un type bien, Laurent Jacqua, qui le prouve depuis une dizaine d’années. La rédemption.
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