Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Un billet de fraicheur


Comme je suis gentil, je vous souhaite tout plein de fraicheur. Nous, par ici, on commence à en avoir besoin, mais bon, c’est comme ça, en été, au Japon, il fait chaud.
Au travail, beaucoup de nouveaux étudiants, mon emploi du temps est plein trois jours par semaine, les deux autres jours restant plus calmes, mais jusqu’à quand ?
J’ai acheté un troisième meuble étagère pour vider ma mezzanine surchargée de choses et d’autres. Il n’y restera plus que mon lit et quelques livres. Tout va « en bas ». Je regrette un peu en ce moment d’avoir installé mon lit « en haut », car le grand vasistas et le très haut plafond ne facilitent guère la circulation de l’air, mais d’un autre côté, c’est un énorme gain de place dans ce qui reste un studio de 20 mètres carrés (avoir aménagé la mezzanine me rajoute donc 4 mètres carrés, et je rajoute un mètre carré avec le balcon…). Mais je l’aime, ce studio. Outre le fait qu’il est assez moderne, la hauteur impressionnante sous plafond (5 mètres) m’ont donné l’impression, en comparaison, que tous les appartements que j’ai visités l’hiver dernier quand je voulais déménager n’étaient que des boites à chaussures sombres. Chez moi, c’est clair même quand il pleut. Seul problème, c’est terriblement chaud en été car la chaleur s’accumuler sous le plafond. Mais le quartier est tranquille, la gare n’est pas trop loin, elle me conduit dans « le centre » en 10 minutes, ce qui à Tôkyô est vraiment très bien. Quand je dis « le centre », c’est, bien entendu, Nihonbashi, Ginza, Ueno, éventuellement Kudanshita ou Iidabashi, à 20 minutes. C’est pour cela que mes promenades reviennent presque automatiquement à l’est. Il y règne un côté « vraie ville ».
Kôtô Ku, c’est le plus simple. Je n’ai qu’à traverser l’immense pont qui m’en sépare. À 7 minutes, Kiba. Là, c’est la vraie ville, je veux dire, les rues sont toutes perpendiculaires comme cela se faisait autrefois dans les pays influencés par la culture chinoise. Les petites rues se suivent, se croisent, bordées de plantes vertes, de pots posés de part et d’autre des entrés. Pas de jardin, pas de place pour ça, alors on met tout dehors. Une incroyable poésie, renforcée par la vétusté des maisons, de boutiques. Ici, c’est encore un peu les années 60, et l’économie de la bulle n’y a guère pénétré, trop honte. Tout m’y rappelle le Belleville de mon enfance, bien que ce soit très diffèrent pourtant, mais il règne une proximité de tout, magasins de voisinages, petites vieilles qui bavardent ou qui s’arrêtent devant une fleur, en redressent la tige avant de s’incliner en s’excusant devant la propriétaire sortie arroser, elle même s’excusant, on ne sait plus qui est l’intrus mais on est invariablement charmé de retrouver l’espace d’une seconde « le Japon ». Ici, tout est démodé, alors c’est presqu’un peu comme une mode, ma mode, pour moi, aimer Kôtô ku. Je me surprends à regarder une de ces maisons en bordure de cimetière, vers Monzen, avec son toit massif d’ardoise scultée, un pin sculpté devant, un mur de clôture cerné par des pots. Qu’est ce que j’aimerais habiter là… En été, on voit des chats agoniser sous la chaleur qui se mettent à ronronner dès qu’on les approche, et on entend le son des petites clochettes qui tintent quand le vent souffle. Parfois, on surprend, comme dimanche dernier encore, le son d’un shamisen. Et puis encore un cimetière, et puis un temple, et puis un cimetière, et puis un shitengai, ces rues commerçantes aux magasins d’un autre âge, diffusant une musique de la même époque, comme vers Higashi Suna, ou mieux, vers Morichita, avec Norakuro, une sorte de Felix le chat Japonais dont le dessinateur habitait le quartier. Dans Kôtô ku, la promenade débouche toujours sur un canal, très souvent bordé de cerisiers ou de mûriers. Kôtô ku, c’est le cauchemars des sismologue : résistera ou se diluera ? Arrondissement gagné sur la baie, composé en fait d’iles qui ont toutes été agglomérées les une aux autres : regardez une carte ancienne, c’est méconnaissable. Et à l’est comme à l’ouest, l’estuaire de deux grands fleuves : Sumida à l’ouest, Ara à l’est. Partout les petites rues débouchent sur de grandes artères anonymes où les traces du passé sont anciennes. Enfin, un passé relativement récent, les années 50 à 70. Cet arrondissement a été entièrement rasé par les bombardement au napalm de l’armé réalisé par l’armée américaine en février 1945, 22 ans après le grand tremblement de terre qui l’avait déjà fortement détruit. Qu’importe, on peut pousser plus au nord, vers Kameidô et son célèbre sanctuaire Kameidô Tenjin, ou plus au sud vers la baie, Tôyôsu, on peut rechercher la verdure dans le grand Parc Kiba où a poussé on ne sait pas très bien pourquoi un musée d’art contemporain, ou plus de tradition vers le parc de Kiyosumi, c’est partout la même alternance de petites rues tranquilles, denses et vertes, et de temple, cimetières et de parc, entrecoupés de canaux et de fleuves que surmontent des ponts métalliques auxquels je trouve une allure terriblement poétique. Ce n’est jamais très haut, et ça reste partout très calme…
Si vous enjambé l’un des ponts qui vous sépare de Chuô Ku, le rythme change totalement, il s’accélère. Ici, la spéculation immobilière des années 80 a tout redessiné. Immeubles hideux et fonctionnels dominent en bordure des grandes avenues. Mais si pourtant vous vous décidez à passer derrière, vous vous apercevez que vous êtes bien dans la même ville. Les rues sont étroites, la verdure domine avec ses pots en plastique débordant de géraniums, pins japonais scultée sortis de derrière une façade. Les canaux ont en revanche été presque tous vidés pour faire passer la métro (ligne Ginza, ou ligne Hibiya), et ceux qui restent sont recouverts d’autoroutes et d’échangeurs. Il y a une certaine poésie dans ce désordre urbain mais il faut avouer que le nom enchanteur de Nihonbashi (pont du Japon, LE kilomètre zéro, autrefois carrefour de marchands et bordure de l’ancien quartier de protitution) coïncide assez mal avec cette autoroute urbaine surplombant à ce qui ressemble à de l’eau croupie. Pourtant, pas très loin, c’est Ningyô chô, quartier des artisans de poupées, ou Ginza, quartier des bijoutiers. Le premier a gardé un certain cachet ancien, le second conserve encore un certain esprit qu’il faut toutefois chercher dans les rues un peu cachées par derrière, vers Higashi Ginza, en allant vers Kayabachô. Et comment ne pas regarder Ôtemachi comme le nouveau Tôkyô, avec ses tours nouvelles et ses boutiques de luxe. Je ne suis pas fana, mais je ne déteste pas non plus : la grande avenue qui va des deux Marubiru jusque Hibiya est élégante, chic, elle a quelque chose de frais. Bien sûr, ce n’est pas le Japon, et ce genre de rue existe un peu partout dans le monde, mais pourquoi pas… Chûo Ku est donc bordé par la Sumida, la baie de Tôkyô vers Shyôdome, où subsiste, coincé entre des barres de tours le très mignon jardin Hamarikyû. Et en face, l’ile de Tsukishima dont la spécialité est le manja yaki, sorte de crêpe molle délicieuse, que l’on sert dans son shôtengai central autours duquel subsistent des maisons du XIXe siècle.
Si on pousse plus loin que Ningyôchô, on fini par tomber sur un mur : c’est la Sumida, surmonté d’une autoroute. On aperçoit le Sky Tree, cette tour de 634 mètres qui sera inaugurée en septembre, juste à temps pour la faillite (une étude statistique sur une 100 d’année a démontré que l’achèvement d’un bâtiment de grande hauteur comme un défi coïncide généralement avec la faillite du gouvernement du pays concerné, comme ce fut le cas en 1929 avec l’empire state building, et plus récemment avec Dubai). En face, ce sont les deux arrondissements de Kôtô-ku, et pour être exact, c’est le quartier où fut filmé le feuilleton Long Vacation. Il ne reste plus rien de l’immeuble où vivait Sena, le pianiste interprété par Kimura Takuya. Deux grandes barres, des immeubles l’ont remplacé. Juste après une écluse, avec son barrage et, derrière, une étrange barraque avec des poules qui nous a souvent étonné, Jun et moi, c’est l’arrondissement de Sumida Ku, l’arrondissement préféré de Pierre, un de mes plus ancien lecteurs, rencontré il y a un mois pour la première fois. Et c’est vrai que Sumida est un arrondissement charmant. Il ressemble beaucoup à Kôtô ku, mais en plus ancien, et sans les canaux. C’est dans Sumida Ku qu’il y a le gymnase réservé aux championnats de sumo ainsi que le musée Edo-Tôkyô. C’est aussi l’arrondissement où ce trouve « la crotte en or », l’immeuble noir Asahi, dessiné à la fin des années 80 par Philippe Stark et surmonté de ce qui est sensé être une flamme mais que les habitants du quartier regardent un peu différemment, mais dont il sembleraient qu’il soient très fiers aujourd’hui tant il a été le symbole de cet arrondissement si longtemps délaissé. On ne s’en plaint pas car par derrière, il y a un grand parc tranquille avec un sanctuaire dédié à la vache, plein de petites rues comme dans Kôtô Ku et quelques temples et sanctuaires anciens dont un datant du 17e siècle. Étonnant quand on sait que ce quartier fut deux fois ravagé par les flammes au XXe siècle! Un quartier tout en ruelles bordées de plantes et de fleurs, par endroits incroyablement étroites et comme imbriquées les unes aux autres, mais où une catastrophe en cours va bientôt changer définitivement changer la physionomie. Car si vos amis expatriés vous disent que vraiment, le total fashion, à Tôkyô, c’est l’ouest, laissez les dire, mais apprenez qu’ils sont vraiment à la masse. L’avenir, il est dans Sumida Ku, à l’est de Mukojima, à Oshiage. La fin du XXe siècle, c’était les lignes Tôkyû, Setagaya et Kanagawa. Le XXIe siècle, ce seront les lignes Tôbu, Sumida Ku et les vacances à Nikkô… Parce qu’autour du Sky Tree, tout est en cours de destruction, les shôtengai avec leurs magasins anciens, les vieilles maisons. Et les centres commerciaux tout en vitres, les immeubles d’habitation en hauteur, tout est révolutionné: les jeunes cadres bobo à la japonaise veulent profiter de l’art de vie de ce vrai quartier de Tôkyô, près d’Asakusa et de la Sumida. Dépêchez vous de visiter Mukojima et Oshiage. Sumida Ku.
Refranchissez la Sumida. C’est Taitô Ku. Ici aussi, les rues sont souvent perpendiculaires. Mais autant l’industrieux Kôtô Ku respire la santé malgré le grand âge de ses habitants, autant Taitô Ku, vers la Sumida, reflète la pauvreté de ses habitants. Ici, on vote à droite car on a vu le monde changer trop vite (et pourtant c’est la droite qui a bousillé ce pays), et on se méfie un peu des étrangers. Mais on est fier. Pas fier d’être Japonais, non, fier d’être de Taitô Ku, d’être un enfant d’Edo, un Edokko. Un Parigot, quoi. Le sommet de cette fierté est le Sanja Matsuri, comme je vous l’ai présenté en vidéo. Il faut toutefois distinguer les deux Taitô Ku. L’un borde la Sumida, est un quartier pauvre depuis longtemps, fier et populeux. Il hébergea autrefois le célèbre quartier de prostitution Yoshihara, avec ses courtisanes que l’on peut encore admirer sur les estampes du XIXe siècle. Et puis c’est aussi Asakusa et son Sensô-Ji, peut être le plus célèbre temple de tout Tôkyô. J’y vais bien deux à trois fois par mois pour manger des soba. Et puis l’un des quartiers les plus étranges de Tôkyô, entre Minowa, la Sumida et Minami Senju, en bordure de Yoshihara. Autrefois, quartier des buraku, les hors castes du système de classe ségrégationniste mis en place par les Shôgun Tokugawa au début du XVIIe siècle. Un quartier plus pauvre que les autres, mais qui pourtant sait lui aussi se tenir. On n’y équarrit plus la viande depuis longtemps, les corps des prostituées n’y sont plus entassés avant d’être enterrés à la va-vite, on n’y entrepose plus les corps des condamnés à mort, et des temples veilles sur ces âmes errantes. Le tableau est violent, mais je vous rappelle que les corps de Molière comme celui de Mozart furent aussi abandonnés aux chiens pour les mêmes raisons. Un minuscule jardin, une kannon garde les âmes du grand tremblement de terre de 1923 oû périrent 140,000 dans les flammes et parmi elles, beaucoup des prostituées de Yoshihara et de petites gens de ses petits métiers de tous les jours. Gargotes à soupe, vendeurs d’eau… Un vieux monsieur est toujours là dans cette enclave de verdure pas plus grande que 10 mètres carrés. Il montre à tous les passants une photo prise par son père. Des cadavres à moitié nus et calcinés flottent sur le grand lac qui a aujourd’hui disparu.
Ueno et les lignes de chemin de fer coupent l’arrondissement en deux. Ueno, c’est les années 50, un gros bourg avec une gare immense qui accueillit les flots de transhumants venus du nord pour travailler dans les usines et assurer la reconstruction du pays détruit par la guerre. Dites Shôwa (l’empereur régnant de 1926 à 1989), dites enka (un style de chanson étant apparue après la guerre et perdurant de nos jours sous une forme ultra conservatrice « japonaise » quand on pointe pourtant l’influence des mélodies chinoises des années 20), dites canaille et yakuza : voilà, c’est Ueno. Ueno, ce fut pour longtemps, en dehors de la gare et des patchinko (salles de jeux d’argent), s’encanailler, bien manger et faire ses courses pour moins cher dans son shôtengai Ameyoko. Et puis se promener en amoureux dans le parc et dans son zoo, se cultiver dans ses musées et dans ses salles de concert. Tout le monde va à Ueno, pourvu qu’il veuille faire une de ces activités. On y regarde les fleurs de cerisier, enfin, quand vient le printemps, dans un de ces picnic usine où il y a tellement de monde qu’on ne voit plus le sol, caché sous les bâches bleu. Autrefois propriété des Tokugawa, on peut encore de nos jours en jusqu’au bout visiter un temple en leur mémoire, apercevoir leur tombe dans l’immense cimetière qui borde au nord la voie de chemin de fer. On est désormais dans Yanaka, un quartier relativement moins touché que le reste de la capitale par les effets du napalm pour ses pauvres petites maisons en bois. Un quartier tout petit, rempli de temples et leurs cimetières parfois anciens, de maison parfois très anciennes aussi, de rues qui montent et qui descendent et où dans l’une se Love une minuscule boutique salon de thé dédiée aux chats, les vraies vedettes de ce quartier. Un américain a élu domicile non loin de là, fabriquant dans une vieille maison de magnifiques shôji (parois coulissantes) et bubyô (paravents), et commence à se faire un nom. Le quartier invite au calme, c’est un véritable enchantement pour les artistes. On finit toujours par atterrir dans Yanaka Ginza, le shôtengai rétro et moderne à la fois. Jun et moi ne manquons jamais de manger un ou deux beignets long dans une petit boutique ornée d’un chat tout longiligne, quartier oblige. Les rues sont plus pimpantes par ici que dans l’autre moitié, et on sent la proximité de l’arrondissement le plus chic du centre de Tôkyô, Bunkyô Ku. On est maintenant vers la station Sendagi.
Bunkyô est assez different, c’est comme un quartier de banlieue pavillonnaire en plein Tôkyô, mais où règne ici et la la meme atmosphère que dans Yanaka.
Mais ce sera pour une autre promenade.
Mes dimanches sont des explorations de ces quartiers que je connais maintenant très bien. L’abondance de verdure, de fleurs, les change au fil des saisons. En été, le son des cigales et des grillons, ce gris brumeux sur le vert, ou le bleu azur sous un soleil de plomb, heureusement, toute cette verdure luxuriante fait de l’ombre… En hiver, la lumière blanche du soleil, son air sec et le ciel bleu, tranchant.
Où irais-je dimanche…
DSK va être libéré, semble t’il, mais je m’en fiche. Je connais des quartiers et des rues qu’avec tout son argent il ne connaitra jamais. Dans la ville de Fukushima, à 30 kilomètres de la centrale, des relevés prélevés dans les urines de 10 enfants ont révélé la présence de particules radioactives, du césium, notamment. Aux USA, une centrale nucléaire vieille de plus de 40 ans menace elle aussi de connaitre un incident similaire, cernée par les eaux et elle aussi désormais en gestion d’urgence, le courant étant coupé et son générateur étant déjà tombé en panne. Une étudiante nous a dit qu’elle avait eu des problèmes pour dormir car la configuration des astres lui suggérait l’imminence d’un nouveau séisme à Tôkyô. Et moi, j’ai beaucoup de travail à faire, mais je ne fais rien…
De Tôkyô,
Madjid

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Commentaires

2 réponses à “Un billet de fraicheur”

  1. Bonjour Madjid
    heureuse de vous voir plus apaisé, et merci pour ces images rafraîchissantes, chez moi aussi (sud de la France) elles sont de saison !
    amitiés

  2. Bonjour Madjid
    heureuse de vous voir plus apaisé, et merci pour ces images rafraîchissantes, chez moi aussi (sud de la France) elles sont de saison !
    amitiés

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