…(tsuyu, tsuyu, tsuyu…)… (à suivre)

Dimanche matin, réveil vers 9 heures et quelques. Jun commence à ressentir la fatigue de son travail. Samedi, il a refusé d’aller travailler : visiblement, cet over-time n’aurait pas été payé car le « nouveau système » procure de plus en plus de retard. On touche là un problème de fond de la société japonaise : si ça se trouve, la direction n’est même pas au courant que ça ne marche pas, les chefs faisant « de leur mieux » pour ne pas que ça se sache. Cette situation est aberrante : le mois dernier, Jun a reçu 50% de salaire en plus pour cause d’heures supplémentaires. Ridicule !
Qui plus est, cette situation se double désormais de nouvelles considérations depuis qu’un « fond d’investissement » envisage d’acheter l’entreprise (cette situation se multiplie dans l’archipel depuis quelques années). Jun n’est pas un salarié « typique », mais je me pose la question : les autres salariés sont ils si typiques ou bien, coincés par un crédit, des enfants, ils ne sont pas conduits à accepter ce chantage au travail. On décrit souvent la société japonaise comme extrèmement obéïssante, mais pourtant il y eu il n’y a pas si longtemps, un syndicalisme très courageux, revendicatif, un Parti Socialiste (社会党) très fort bref, une culture d’opposition à l’esclavage salarié qui ruine les vies de famille au Japon : dénatalité galopante, crise des rapports homme-femme au sein du couple, célibat « forcé » d’environ 30% de la population, temps de travail effrayant…
On s’est quitté vers 11 heures comme chaque dimanche. Jun est allé à 表参道/Omotesandô, je suis allé travailler.


L’après-midi, alors que je devais aller au « magasin » en face, une camionette déversait son discours politique. C’était toutefois un évènement, la foule regardait : la leader du 社民党/ Parti social-démocrate (ancien PS rebaptisé suite à des purges liées à de la corruption et des défections au milieu des années 90) parlait. J’ai vite reconnu sa voix rauque, sa prononciation « carrée », son intonation volontaire. Ce parti est un authentique parti de gauche, très offensif sur la précarisation généralisée (les petits boulots, sans couverture sociale) et sur les augmentations d’impôts qui frappent essentiellement les classes intermédiaires. La visibilité de ce parti est réduite (les médias sont contrôlés par la droite), mais 福島みずほ/ Fukushima Mizuho sait créer de véritables coups médiatiques et fait, finalement, bien plus parler du 社民党/PSD et ses 10% que ne sait le faire désormais le 民主党/ Parti Démocrate avec ses 25%. Les Japonais votent finalement utile mais c’est bien le 社民党/PSD qui même les offensives depuis le départ de 前原誠二/Maehara Seiji de la tête du 民主党/PDJ. L’archi-molesse du PDJ, mené désormais par un ancien homme de droite 小沢一郎/Ogawa Ichirô fait du PDJ un parti de défoulement électoral mais en aucune façon une alternative. Ce parti a noyé son « Manifesto » à force de réorganisations plus ou moins dictées par l’opportunisme de sa direction (une coalition de « l’aile gauche » et d’un groupe d’hommes venus de la droite en place depuis avril 2006 – l’histoire du mail-, destinée à éliminer les « jeunes loups » technocrates du groupe Maehara qui avait putché la direction en 2005). J’avoue réviser mon ancienne position. Ce parti étant finalement incapable d’accéder au pouvoir, si je devais choisir un parti, ce serait désormais le 社民党/PSD dont la ligne ne fluctue pas au gré de l’actualité. J’avoue également commencer à admirer le charisme de 福島みずほ/Fukushima Mizuho. J’aimais Maehara pour la même raison (bien que Maehara était vraiment très très modéré) : il ne lachait pas Koizumi, l’attaquait toujours par surprise quand Koizumi ne s’y attendait pas. Koizumi allait à Yasukuni ? Maehara et sa « jeune garde » attaquait sur l’absence de politique familliale. Koizumi avançait vers la privatisation de la poste (son seul vrai et unique projet politique), Maehara attaquait sur le déficit abyssal du budget et la corruption généralisée organisée par des élus qui saupoudrent leurs circonscriptions de « grands travaux » inutiles qui engraissent le bâtiment. Koizumi ne pouvait attaquer Maehara, en retour, car Maehara s’appuyait sur un programme, et par ailleurs n’était pas opposé à une révision de la Constitution. Que Maehara ait été dégagé n’est donc pas un hazard, il a eu affaire à une coalition objective contre lui, allant de Koizumi aux caciques de son propre parti. Je pense que le PDJ est mort depuis cette affaire. Ne réaliser que 25% dans les sondages quand le gouvernement Abe est si impopulaire montre bien l’essouflement d’une organisation dont on ne sait pas trop ce qu’elle cherche ni ce qu’elle veut ni comment…

En 1960, le leader socialiste a été assassiné : il était charismatique et menaçait fortement la droite au pouvoir. On a parlé d’acte isolé, les élections n’ont pas été reportées, c’était le début du terrorisme organisé contre la gauche. Le pouvoir de droite protège l’extrème droite et ses publications. Il faut être courageux pour être de gauche au Japon : sur la video, l’assassinat de 浅沼稲次郎/Asanuma Inejirô en 1960.
Je suis rentré chez moi épuisé, vers 20 heures. J’ai pensé à mon ami Stéphane : j’ai eu envie d’un film du dimanche, alors j’ai re-re-…gardé Pulp Fiction. Je garde des soirées chez Stéphane comme le souvenir d’un paradis perdu que ni Nicolas, ni Alain, ni Jean-Claude, ni Nicole, ni Véronique ni moi ne retrouveront jamais… La brise sur la terrasse, les punchs dans les transats, le soleil sur les Mercuriales au loin ou la couleur du ciel tout simplement. Il y eu longtemps les soirées « chez Nicolas », qui ne furent finalement qu’une répétition de nos soirées chez Stéphane. Deux paradis perdus… Nicolas lui-même, aujourd’hui en un autre lieu. Ainsi va le temps qui passe.
On ne refait jamais ce qui a été fait. On ne revit jamais ce qui a été vécu. On avance vers ce qui est nouveau et vers la vie qui nous attend, auquel nous essayons de donner le visage de ce que nous désirons. J’espère nous retrouver tous, autrement, ailleurs. Souriants. Et heureux.


Commentaires

3 réponses à “…(tsuyu, tsuyu, tsuyu…)… (à suivre)”

  1. Un document glaçant. Son nom exact était Asanuma Inejirô. Il y a une photo sur Wikipedia : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/7/79/Death_of_Inejiro_Asanuma.jpg

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