Amusant… Je poste mes voeux pour le nouvel an Romain Chretien, et j’ai 5 commentaires dans la foulee… Je devrais bidouiller le calendrier plus souvet ! Explications…
Ici, au Japon, un etrange mixage s’est opere entre differents calendriers, aboutissant a un resultat etrange, que je crois seuls les Japonais sont capables de creer, a la limite de l’absurde et a l’image de l’obstination qui parfois les caracterise… Le Japon avec ses tremblements de terre, les typhons, les raz de maree, la moiteur de l’ete mais aussi la douceur de l’automne, la spendide luminosite baignee de vert tout au long de l’annee, est un pays terriblement marque par la force implacable de la nature, et cela se trouve au coeur de la religion « reelle » des Japonais, faite de superstitions, de craintes non-dites mais visibles au detours des chemins de campagne, un Jizo ici, un petit sanctuaire la, ailleurs un arbre sanctifie, et partout les montagnes et leurs forets desertees, livrees aux etres surnaturels et aux moines errants, autrefois aux Mikos, ces pretresses magiciennes operant le lien entre le ciel et la terre, pretresse venerees des sanctuaires anciens, avant que l’influence chinoise ne les remplace par des hommes. La Divinite la plus importante est feminine, c’est Amaterasu, le soleil. C’est rare et, comme le signale tres bien Beauvoir dans le 2eme sexe, a peu pres partout la devinite feminine du soleil a ete evincee au profit d’une divinite masculine du soleil, comme Appolon. Pas au Japon. Ces pratiques et ces cultes tres anciens, d’avant la Chine, portant la trace d’une veneration melee de crainte pour tous les phenomenes naturels, sont l’ame du Japon ancien et perdurent jusque dans le Japon d’aujourd’hui; si le Japon a beaucoup pris a la Chine – la « vraie », comme la Chine « au prisme de la Coree », il a su aussi interpreter ce qui etait commun pour exalter ce qui etait sa propre culture. Et le calendrier ancien, emprunte a la Chine, permettait bien cette fusion d’une modernite importee et la sensibilite du peuple japonais.
L’annee commencait comme en Chine, vers fevrier. Le calendrier chinois est un calendrier qui colle a la nature. Au Japon, ainsi, on arretait le temps peu avant le nouvel an, et puis on ranimait les elements avec la nouvelle annee : le printemps pouvait commencer; on allait admirer les premieres fleurs d’abricotiers japonais (ume n’est pas une prune, mais une variete d’abricots, quel est le con qui a ose traduire prune !). Puis il y avait la fete des filles en mars (2eme mois), puis les cerisiers, puis les garcons… En fait, le calendrier importe collait aussi parfaitement au rythme agraire du riz, lui aussi importe. Ainsi, progressivement, le calendrier chinois impregna les gestes en collant a l’esprit des campagnes. De plus, ce calendrier n’ayant de reelle importance qu’a la cour, il ne contredisait pas les pratiques locales du Shinto. Au contraire, son aspect symbolique (les 5 elements, le zodiaque…) enrichirent la palette de divination deja presente dans les anciennes pratiques religieuses. Je m’arrete la, ce n’est pas ma specialite : je vous invite a lire G. Sieffert pour en savoir plus (Les religions anciennes du Japon).
Et puis il y eu l’Occident, ses canons pointes sur la Baie d’Edo, le chantage a « l’ouverture », bref, la traditionelle histoire de la colonisation, et puis la resistance japonaise qui deboucha sur la prise du pouvoir de quelques clans a travers la « restauration » de l’autorite imperiale. Meiji, 1868. A partir de la, il fallut « moderniser ». La hantise des Japonais fut alors de ne pas apparaitre etrangers a l’occident, mais au contraire y coller, lui ressembler le plus possible. Pourquoi ? Pour ne pas apparaitre comme des sauvages. L’occident Europeen etait raciste et ses velleites de progres cachaient les appetits des commercants et les envies de puissances. Fins observateurs, les Japonais avaient bien observe ce qui s’etait passe en Chine et avaient bien compris que derriere les traites commerciaux se cachaient la presence militaire, les deportations de populations au profits d’entreprises etrangeres et enfin les expropriations en masse. Si le remede qu’il convenait d’adopter differait entre partisans du Shogun (le pouvoir en place) et les partisans de Meiji (l’empereur), tous s’accordaient sur le constat. Le Shogun perit de son indecision et de sa strategie : gagner du temps. Les partisans de Meiji gagnerent grace a leur soif d’action, mais a une politique anti-etrangere qui leur valut le soutien de jeunes samurais exaltes, il s’orienterent a 100% dans une politique d’occidentalisation. On se coupa les cheveux, on porta le costume 3 pieces, les dames mirent le corset, on roula en caleche et on se fit construire des villa en pierre dans lesquelles on mangeait a table assis sur des chaises. Bien sur, ces changements valurent pour l’elite et affecterent peu la population sur le moment. La, ce fut une lente impregnation dont je peux vous assurer que le processus est toujours en cours…
Il fut decide un certains nombres de « modernisations culturelles ». Tout d’abord, des universitaires furent charges de traduire le vocabulaire scientifique, philosophique et universitaire en japonais : d’horribles barbarismes virent alors le jour, au sens tres aleatoire et que les Japonais meme eduques ont parfois du mal a comprendre; ces universitaires utiliserent les kanjis (caracteres chinois) en fonction de leur sens en y plaquerent des lectures « a la chinoise ». Il est communement admis par beaucoup de Japonais que ces mots ne sont pas japonais, mais chinois puisque parfois il existait un mot japonais pour dire la meme chose. Mais je doute que les Chinois puissent comprendre ce vocabulaire « rebus »…
Le calendrier fut aussi concerne par l’occidentalisation. On adopta donc le calendrier Gregorien (calendrier Romain dit Julien, reforme en 1582 pour suivre la course du soleil). On garda de l’ancien systeme le decompte des « eres » afin de bien marquer l’importance de l’Empereur. Ere Meiji (1868/1912), Ere Taisho (1912/ 1925), Ere Showa (1925/ 1989), ere Heisei (1989, ~). L’adoption du calendrier Gregorien eut bien entendu pour consequence de decaler le nouvel an de mi-fevrier au 1er janvier. Qu’a cela ne tienne, on decida de decaller toute l’ancienne symbolique avec. Si vous etes au japon en ce moment, vous verrez partout ce 初春/ litt. debut du printemps, qui est synonime de nouvelle annee… Au sanctuaire de Fushimi-Inari, le 4 janvier a lieu une ceremonie agraire en l’honneur d’Inari. On presente du riz afin de favoriser les recoltes et on fait une premiere plantation. Sous la neige, bien souvent… De l’ancien calendrier reste une fete secondaire pour les enfants : « 鬼は外、福は内 »/ litt. Les demons, dehors, la chance, dedans. On jette des bonbon et des graines au dehors en repetant cela 3 fois, les enfants arborent des masques. Ce qui est amusant est que beaucoup de gestes accomplis entre le 23 decembre et le 1er janvier ont la meme signification : le grand menage et les grosses ordures, la maison ouverte en grand, les 120 coups de cloches au temple… Bref, cette mini-fete de trois fois rien en fevrier est un peu comme notre premier avril. Une emprunte… La seule difference est que l’occident n’a pas change ses fetes. Le Japon a tout demenage avec.
C’est tres japonais…
Alors maintenant, revenons a notre calendrier. Un calendrier est une des formes visibles que revet le « vivre ensemble ». Il porte la marque de l’histoire mais il est aussi le projet que l’on se donne. Dire que nous vivons en 2009, c’est croire qu’au commencement il y a Jesus Christ et c’est avoir mis en place le compteur pour son retour.
Le calendrier « Republicain » a un enorme avantage sur le calendrier Gregorien : il n’est pas Chretien. Il prend place dans un projet politique qui pratique l’inclusion de tous dans le projet Republicain. En Republique, on n’est ni Juif, ni Chretien, ni Musulman, ni Bouddhiste, ni Athee. On est citoyen : etre adulte doue de raison, maitre de son destin. Le corp des citoyens assembles represente la souverainete, la realite du pouvoir. C’est a la maison, parmi les siens, au Temple, dans des assemblees reunies librements, dans des evenements partages librements, qu’on est Juif, Chretien, Musulman, Bouddhiste ou Athee. Le calendrier Republicain retablit cette neutralite qui seule sied a une Republique qui decide d’etre autre chose que « ses racines Chretiennes ».
On pourra objecter les horreurs de la Revolution Francaise. Je suis le premier a les reconnaitre et je vais meme souvent bien plus loin. Je suis intimement convaincu qu’il convient de rejuger le « citoyen Louis Capet » et « la veuve Capet, Marie-Antoinette dite l’Autrichienne » parce que je ne voit pas ou le Roi et la Reine se trouvent dans un tel acte d’accusation (formules au nom d’individus et non de Souverains), que le droit a toute defense leur a ete refusee, que les accusations les plus crapuleuses et malhonnetes ont ete formulees avec pression sur des « temoins » (Marie-Antoinette a ete accusee d’attouchements incestueux sur son fils), etc. La « Revolution », ce non-evenement catastrophique qui a profondemment marque l’epoque contemporaine, a ete l’occasion de reglements de comptes divers, de crimes. Elle a pourtant egalement ete la premiere manifestation de la lente impregnation des Lumieres sur l’ensemble de la population francaise, la preuve dans les faits que les Francais etaient prets pour le changement que la monarchie n’a pas su leur apporter. L’Absolutisme avait fait son temps, tout simplement.
Au vu de l’histoire qui a suivi : le Directoire, puis la neo-dictature du Consulat, puis la Tyrannie sanglante Napoleonienne, puis la Restauration Reactionnaire, puis la Monarchie Oligarchique et bourgeoise de Juillet, puis la Tyrannie conservatrice et bourgeoise de Napoleon III et enfin la boucherie bourgeoise anti-communarde (plus de 50.000 Parisiens executes par la milice Versaillaise en 1871), il devient clair qu’a quelques exceptions pres, il fallut attendre 1877 (victoire des republicains aux elections legislatives) pour que le niveau des libertes publiques depasse reellement ce qu’il etait sous Louis 16 (et atteigne le niveau pendant 100 ans inegales de 1792). Je ne sais pas pour vous, mais moi, les 2 Napoleons, la restauration et la Commune, ca me donne honte pour l’execution de Louis 16 (qui n’a rien reprime du tout…) et de Marie-Antoinette (qui n’en avait meme pas le pouvoir). Mais en revanche, ce souffle de liberte de la France de 1789/1792, cette envie de creer du « vivre ensemble » par le contrat, par la liberte, par l’association, par l’egalite, ce souffle democratique plus fort en fait que l’envie de Republique (et qui rendit possible un temps la monarchie parlementaire), je continue de penser que c’est un tres grand moment de notre histoire, un moment ou le peuple est debout. Juste avant que certains decident de se mettre a sa tete, « pour son bien » et se revelent bien pire que le Souverain dechu qu’ils s’empressent d’executer pour offrir un expiatoire a leur incapacites et masquer les complots qu’ils ourdissent les uns contre les autres. La Terreur est un moment terrible. On a souvent compare Robespierre et Staline. Non, Staline, ce fut Napoleon, le grand stabilisateur qui blanchit les anciennes elites apres qu’elles se soient inclinees. Robespierre, Danton, Saint-Just, Fouquier-Tinville, Baboeuf, Marat… des heros romantiques, des etres perdus dans les evenements qu’ils n’ont pas sucites mais qui les ont propulse au sommet, dans le vide beant laisse par la fin de la monarchie la plus puissante d’Europe. Des etres peu doues pour le pouvoir mais decides a tout pour le garder, au non du bien. Des etres tragiques, des heros de romans qui n’auraient jamais du rentrer dans le monde reel, au coeurs des intrigues poussees par des speculateurs, des intrigants, toute la clique qui prit les renes sous le directoire avant de faire ses salamaleques a Buonaparte/Napoleon le tyran. Qui abolit le calendrier Republicain.
Et nous revenons au calendrier Republicain. Un calendrier raconte une societe et son vivre ensemble. Je reste persuade qu’en 1945, une occasion unique de forger un calendrier universel a ete manquee. Un calendrier qui s’enracine dans la Shoah pour que plus jamais il n’y ait d’extermination en raison de la religion ou de l’appartenance a un peuple en particulier. Un calendrier de maturite de notre espece. Un calendrier que la realite du genocide Juif conduit a reconnaitre le genocide dont les populations indiennes ont ete victimes. Un calendrier que la realite de l’extermination de 6 millions de Juifs, de plus d’un million de trisomiques, prostitue/e/s, tsiganes et « non aryens » conduit a reconnaitre le sort des populations deportees en fonction de leur religion ou de l’appartenance a un peuple en particulier, a commencer par les deportations massives d’Africains vers l’Amerique apres qu’on en eut extermine les habitants. Un calendrier de la reconnaissance des faits historiques et de leur commemoration.
Y a t’il un « jour de la Shoah », du « souvenir de la deportation » ? Je veux dire, une journee mondiale ? Qui s’impose a tous?
Non, nous avons conserve notre bon vieux calendrier solaire et chretien, avec son Noel, sa Paques, son Ascension de la Vierge (le fameux 15 aout) et sa Pentecote, sa mi-careme, et ses Jean, Pierre, Andre, ces ribambelles de martyrs du Christianisme que nous ressentons comme des noms allant d’eux meme. Savez-vous qu’en France, ce n’est que grace a Robert Badinter, que l’on peut reellement appeler ses enfants comme on veut ? Que par exemple Pierre et Sylvie ne pouvaient pas appeler leur garcon « Idriss », « Karim », « Moshe » ou « Pivoine »… On a progresse a ce moment la. Mais alors, pourquoi nos calendriers portent-ils des noms qui excluent une partie de la population ? Une Republique ne devrait elle pas etre neutre ? Eh bien non, chaque annee, la television nous apprend chaque 1er novembre, « comme chaque anne, les Francais sont alles se recueillir sur la tombe de leurs morts ». Quid des juifs, des musulmans et des bouddhistes de nationalite francaise ?
Je ne suis pas militant du calendrier Republicain. Mais en temps que Citoyen, l’abolition de la monarchie me concerne autrement plus que la synchronisation avec le cycle solaire : je ne suis pas cure et ne me sens en rien lie au comput Gregorien. En revanche, partager ma joie de vivre en citoyen libre dans un monde domine par l’argent et les dictatures theocratiques me semble autrement plus important.
Bref, aujourd’hui, nous sommes Octidi, 18 Nivose 217
De Tokyo,
Suppaiku
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