Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Securisation: petite demonstration


Je vous expliquais hier que les « riches » n’avaient pas d’argent, mais uniquement des dettes, et que c’est sur ce postulat que l’on devait repenser le socialisme. Revision cruelle, non ? Non, pas si vous savez garder la tete froide comme le recommandait le monsieur a la grosse barbe il y a 150 ans… Demonstration. Je vais vous expliquer la crise actuelle tres rapidement, comme je l’ai deja fait une fois, mais en allant plus en detail cette fois dans le resultat de ce qu’est vraiment la securisation. Cramponnez-vous, je vais vous expliquer le plus fantastique tour de magie comptable de tout les temps, celui qui transforme le papier en or. Euh, non, les dettes en richesses! Vous pourrez toujours aller expliquer cela a votre banquier quand vous aurez un decouvert…

Le moment clef, c’est 1971, quand apres 4 ans d’une guerre intensive au Vietnam financee a cout de dettes a des taux toujours plus eleves -destines a garantir la valeur du dollar exprimee en or, car nous sommes encore a l’epoque de l’etalon or pour le dollar US-, le gouvernement de Richard Nixon renonce a l’etalonnage et annonce unilateralement que le dollar US deviendrait une monnaie papier uniquement, non etalonnee mais desormais soumise au jeu de l’offre et de la demande. Cela passa presque inappercu, mais il s’agissait reellement d’une bombe atomique monetaire, car toutes les banques centrales du monde avaient constitue des reserves en dollar US, puisque chaque dollar correspondait a une certaine quantite d’or. Or, en faisant desormais flotter leur monnaie, les USA venaient de declencher une fantastique destabilisation des reserves de chaque etat, et l’effet ne se fit pas attendre. Les monnaies furent desormais sur-evaluees ici, sous-evaluees par la, et certains etats durent pousser les taux d’interet pour defendre leurs monnaies attaquees. Nous entrions dans l’ere des devaluations en chaines, des attaques speculatives. Et pendant ce temps, le dollar entamait sa lente depreciation, permettant au gouvernement de devaluer d’autant son stock de dettes. Ce changement poussa partout l’inflation en dehors de ses limites habituelles, et c’est dans ce contexte hautement instable que l’OPEP decida en septembre 1973 de multiplier par 4 le prix du petrole (une augmentation qui ne derangeait pas tant que cela les USA dont la crise petroliere etait anterieure).
Nous entrames en recession des 1974, une recession doublee d’une tres forte inflation, autours de 20%. Les « 30 glorieuses » s’achevaient. Deja, depuis 1965/1968, le modele semblait s’essoufler puisque partout le chomage et l’inflation ensembles progessaient, alors que des annees 40 au milieu des annees 60, l’un s’opposait a l’autre, permettant le pilotage « keynesien » ideal garantissant plein emploi, hausse des revenus, inflation basse et forts investissements. En fait, des 1965/67, c’est sur les profits que la redistribution s’operait, marque d’un systeme en crise, poussant et l’inflation et le chomage pour se restaurer a la marge. Il n’en reste pas moins que, comme le « mental » etait pluto « social-democrate », un fort taux de chomage a cette epoque, c’etait 200,000 chomeurs (1,5%, en France) et une faible inflation, moins de 5% ! Le gouvernement utilisait la politique fiscale, monetaire et les hausses de salaires pour stabiliser le tout. 200,000 chomeurs ? Hausse des salaires, depenses publique! 4 % d’inflation ? Le gouvernement relevait un peu les impots et gelait des depenses.
Autant dire qu’en 1974/1975, ils ont tout essaye. La relance Chirac est une des plus celebre. Gonflement des deficits, travaux publics, hausse de prestations sociales, tout y est passe. Resultat? De 300,000 a 950,000 chomeurs (le « bout du tunnel » de Giscard) et de 10 a 15% d’inflation! Seul le gouvernement allemand -au passage, de gauche-, a opte pour une approche « monetariste » et a carement decide de « geler » l’economie, avant de relancer massivement, mais un an plus tard. Et la, avec succes.
Mais en gros, nous etions dans l’ere de l’instable et de l’irregulable. C’est dans ce contexte que l’on comprend mieux les succes de Reagan et Thacher. Leur discours representait un renversement total de la logique en cours. Les gouvernements ne peuvent rien, il faut laisser faire ceux qui font car ils sont les mieux places pour le faire. Pour Thatcher, la « societe » n’existait pas, il n’y avait que des individus. Par consequent, ces individus n’avaient rien a attendre d’un groupe qui ne leur devaient rien. Mieux, pour ces neo-conservateurs, c’est le vice, l’envie de gagner, d’etre le plus fort, qui etait garant du progres du groupe. Comme le disait Voltaire, les depenses des plus riches creeraient la richesse de la multitude! Il n’y avait donc qu’a les laisser s’enrichir. Thatcher gagna en 1979.
Partout dans le monde, la gauche elude la question, « Mais pourquoi Thatcher a gagne? ». Elle ne put en fait y repondre car surgirait alors une deuxieme question -celle que j’abordait il y a deux jours-, « mais pourquoi la gauche a t’elle limite son projet a la regulation keynesienne? ».
La crise actuelle, elle commence la, dans la victoire des neo-conservateurs entre 1979 et 1981. Dans la prise du pouvoir par les Chicago boys au Chili, sous Pinochet, en 1973.
Je ne reviens pas sur ce qui a ete fait pendant 30 ans, si ce n’est que progressivement le commerce, la finance, le marche du travail ainsi que de nombreuses activites ont ete deregulees. A noter que la plupart des regulations, aux USA notamment, dataient des annees 30 et etaient destinees a premunir d’une nouvelle grande depression. Avec succes puisque rien de cela n’arriva jusqu’a ce que… Thatcher et Reagan arrivent au pouvoir.
La rupture fut violente. Il fallait a ce moment la « couper les branches mortes ». Les taux d’interet monterent a 30%, asphyxiant toutes les petites et moyennes entreprises qui survivaient tant bien que mal. En UK, le chomage explosa a 4 millions de personnes. Mais avec ces tres hauts interets, une nouvelle activite emergea: la rente. Les classes moyennes se ruerent sur ces produits d’epargne garantie. Rappelez vous la publicite Cortal, entre 7 et 10% sans rien faire…

Bref, les classes moyennes ont draine leur epargne vers les banques, alimentant la premiere bulle depuis les annees 30. En 1987, premier krach a la bourse, et puis comme l’inflation revenait fort re-hausse des taux vers 1989, et deuxieme krach, immobilier cette fois. Le Japon ne s’en est pas remis, d’ailleurs. C’est qu’en plus, comme une epargne abondante s’etait investie en « bonds » et en actions des societe nouvellement privatisees (eh, oui, le thatcherisme a reussi ce mega-changement), les banques se sont mises a preter, preter… La hausse des taux en 89/90 a eu un effet immediat sur l’endettement aux USA et en UK ou les taux sont generalement variables…

Il n’en demeure pas moins que l’habitude etait prise et des 1994/95, les bonnes habitudes ont repris: actions, obligations convertibles… Les classes moyennes voulaient « placer », car leur retraite etait, parait-il (c’est la TV, privatisee, qui le disait) menacee. De leur cote, les banques avaient ete vaccinees par les deux krachs de 1987 et 1990. Desormais, on « borderait » (hedge).

Je vous ai deja ici explique ce qu’est un swap et son utilite (un taux fixe contre un taux flottant, le payeur du flottant cherchant une opportunite de payer moins cher un taux fixe qu’il paie par ailleurs). Cette technique s’est etendue a toute la finance dans les annees 80 pour se premunire contre l’insecurite financiere regnant depuis la fin de l’etalon or en 1971.
La titrisation est le niveau superieur de cette technique dite de « credits derives ». La titrisation permet de transformer une dette en un bien. Impossible ?
Imaginez. On est en 2005. Vous etes un banquier, vous pretez 100,000 euros a Paul pour son nouveau studio. Paul a une dette envers vous. Vous avez de votre cote un risque, celui de ne pas revoir ce pret. Pour sortir ce risque de vos comptes, vous allez « securitiser » ce pret. Paul vous paie 6% annuel. Vous allez decouper ce pret de 100,000 euros en 1000 parts de 100euros que vous allez vendre sur le marche a 100 euros la part, avec un coupon de 4,5% (tiens, on dirait le taux Epargne direct ING!). Quand Paul vous rembourse, vous recevez 6% et vous en payez 4,5%, empochant la difference (plus les frais de dossier pour Paul, et la commission de vente du « titre »). Et c’est ainsi que le pret devient une « action » (security). Ce processus s’est etndu a toutes les banques. Avec pour principale consequence de…
Faire exploser le credit! Puisque vous avez vendu le credit a Paul, c’est un peu comme si vous aviez sorti le pret de votre bilan. Vous etes un peu comme un courtier, vous servez d’intermediaire. Bref, vous pouvez repreter! D’ailleurs, vous meme, vous en avez achete sur le marche, de ces MBS (Mortgage Backed Securities), c’est du solide, et vous les adossez a de nouveaux prets et de nouveaux investissement. En effet, par la magie de la securitisation, vos dettes sont desormais devenues des « actifs » (assets), comptabilises au meme titre que vos immeubles! Comme on n’est jamais trop prudent, toutefois, vous avez adosse votre credit a Paul a une assurance, un Credit Default Swap. Vous payez une prime disons annuelle, a a un tierce et, au cas ou Paul, le vilain, ne payait pas, ce tierce vous paierait un dedommagement. Si le tierce est intelligeant, il vous assurera a 70% (70 cents for a dollar), si c’est une Dinde comme AIG, il vous indemnisera a 100%: ben oui, Paul vous remboursera, c’est du solide…
Comme vous etes un banquier ruse, au sens aiguise par la sainte competition organisee par Margaret Thatcher, et que plus vous vous enrichissez, plus la societe est riche et harmonieuse (ca c’est ce que disent les politiques travaillistes ou sociaux democrates convertis au « realisme »), -en fait, vous voulez le mega-bonus!-, vous allez utiliser cette technique pour tout. Un client veut du petrole pour dans 5 ans ? Hop, vous lui vendez son petrole a prix « Future », et comme on ne sait jamais, vous allez securitiser l’operation (CBS, Commodities Backed Securities), un truc du style « Petrole 200 objectif 2015 ». Et comme vous etes prudent aussi, hop! Un CDS! Paul a une carte de credit? Il s’endette toujours plus ? C’est pas grave, on va securitiser ses dettes, apres tout, il remboursera bien un jour!
Petit a petit, comme par magie, le marche a ete inonde de ces produits merveilleux transformant une dette en actif permettant de creer de nouvelles dettes. Les banques ont gagne des milliards et des milliards. Ces milliards ont alimente un boom de la construction d’immeubles de bureaux, alimente un credit toujours plus abondant qui s’est investi dans tous les domaines, creant encore plus de derives de credit, de securitisation. Apres tout, puisque les gouvernements ne faisaient plus rien, l’initiative privee a rempli son role.
Les riches ? Ils se sont endettes comme des malades! A Dubai, ils se sont rues sur les iles artificielles. A credit, bien sur! La bourse, elle a commence a decoller de son deja tres fort decollage du milieu des annees 90, generant encore plus d’opportunites de derives.
Les banques se sont mises a deriver les derives. CDO a taux eleve et « sur », composes de credit subprime adosses a des CDS, donc « mega sur », et vendu a des caisses de retraites et a des milliardaires qui, par effet retour, s’endettaient avec ces CDO en collateral (garantie). SIV, mauvaise categorie de CDO/MBS/etc recomposes et revendus a des filliales off-shore aux Caiman pour « nettoyage » et sortie de bilan comptable.
Aux USA, cette abondance de credit a fait prosperer les entreprises de credit immobilier. Vous avez prete a Paul ? Mais Sylvie, qui n’a pas de travail, qui a deux enfants de pere different, un peu toxicomane et prostituee, c’est une de ces entreprises qui lui a vendu son credit. Une maison en bois -tres ricain-, en bordure de highway dans un lotissement tout neuf, 200,000usd paye avec un credit « taiser », le pire subprime possible : 2% les deux premieres annees, puis 10, 12 voire 15% apres (ecrit en tout petit, au fond de la 40e page, bien sur). Le type qui lui a vendu est paye a la commission, et en fait, il roule en Porsche Il a une villa avec piscine. Parce qu’il en a vendu des milliers, a ces « NINJA » (No INcome, No Job), comme ils sont appeles. Des NINJA, il en reste 3 miilions a faire faillite d’ici 2013, quand leur taux viendra les assassiner! Mais en 2005, qui s’en souciait. Les NINJA ont rapporte des fortunes car apres etre places, ces credit etaient revendus aux banques qui les securitisaient et les mettaient en vente sur le marche sous forme de CDO essentiellement. Et comme ce courant d’achat poussait les prix a la hausse, generalement, ces memes vendeurs revenaient 6 mois plus tard proposer une seconde couche « pour construire la piscine dans le jardin », car « votre maison vaut plus cher ». Et hop, refourgue a une banque, securitise, MBStise… Etc…
Nos banquiers ont implore les gouvernements pour qu’ils interviennent apres qu’ils aient mis le plus gigantesque foutoir financier des 2 derniers siecles. Il y avait aux USA 55 fois plus d’argent en circulation que la richesse nationale en 2006, avant que ca ne degonfle. Le vice prive cree bien la prosperite publique, cette ideologie de nouveau riche en costume Hugo Boss bronze toute l’annee, mais a credit seulement, et un credit, il faut bien a un moment le rembourser. Le remboursement prend la forme de millions de chomeurs, d’expropriation forcee apres un achat quasiment force. Demain, il prendra la forme de defauts de paiements de certains etats -le Japon, notamment, mais aussi, pourquoi pas, les USA sous forme d’inflation et de forte devaluation-, car les monetaristes conservateurs ont decide de focaliser les regards sur la dette.
Alors on regardera la dette. Et comme les etats ont quasi-nationalise les dettes des banques et des entreprises en faillite (GM, Chrisler, CITIBANK,…), on accusera les etats, leurs depenses inconsequentes dont certains commencent deja a dire qu’il faudra les reduire drastiquement. Ce nouveau tour de vis anti dette, ce sera, apres le chomage, encore moins de service publics gratuits et encore plus de services prives payants.
On oubliera la responsabilite de banquiers, des financiers, des hedges funds qui ont pousse a la deregulation, qui ont cree ces produits, qui ont laisse se generaliser une utilisation frauduleuse de ces produits. Parce qu’a chaque fois ca rapportait de l’argent. A qui ? Aux actionnaires. Actionnaires qui grace a leurs profits, s’endettaient a leur tour.
Ce qui me choque le plus dans le capitalisme n’est pas la misere. C’est la profonde immoralite d’une organisation sociale qui repose sur la propriete privee mais qui conduit generalement a en exclure le plus grand nombre a coup de crises devastatrices. Mais plus que tout, c’est cette profonde irresponsabilite des coupables de tels evenements. Ils decident, prennent l’argent, mais ne sont jamais redevables de rien. J’ecoute des programmes de chaines financiere et je reste coi devant tant de suffisance. Voila des hommes responsables de la ruine de millions de leurs semblables, ils sont toujours en place, et les voila qui donnent de nouveaux de leurs conseils, sermonent les gouvernements tentes par « trop de regulation », et qu’ils invitent a « rapidement s’occuper de leur dette ».
Le capitalisme est une organisation sociale anti-democratique.

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