
Me revoici sur ce blog après une longue absence. Il y a eu décembre, il y a eu Paris, il y a eu la Sarthe, il y a eu Lille, et puis Paris encore. Il y a eu la déception, il y a eu le coup de massue du rebooking de mon billet d’avion (450 Euros…), il y a eu l’appréhension du retour dans un pays en pleine crise, il y a eu, il y a eu, il y a eu, et puis il y a eu le départ à Haneda, il y a eu l’Airbus A350-900 de Qatar, il y a eu le service vraiment très bon, et puis il y a eu l’aéroport de Doha, et puis il y a eu l’Airbus A380-800 de Qatar, il y a eu le service excellent aussi, il y a eu les deux sièges vides à côté de moi, il y a eu un peu de sommeil, il y a eu l’aérogare 1, il y a eu que je déteste l’aérogare 1, et puis il y a eu le Marks & Spencer de l’aérogare 1, il y a eu la navette vers le RER, il y a eu le RER sous un ciel gris qui s’éclaircit après la pluie, il y a eu, il y a eu, il y a eu, et puis il y a eu l’hôtel, et puis il n’y a plus eu d’appréhension.
Voilà, j’étais à Paris, et Paris, c’est chez moi.
Les jours se sont suivis les uns après les autres comme des bonbons sur ces colliers aux petites boules colorées d’il y a longtemps, le bonbon sucré, celui acidulé, goûts variés, goûts colorés, et puis y’a pu. Il y a eu le retour, cette espèce de pelote qu’il faut rembobiner à rebours, avec Tôkyô au bout. Et Tôkyô, c’est devenu chez moi.
Cette nuit, j’ai rêvé mélangé, mon rêve était un grand fatras, j’étais à Tôkyô, et j’étais à Paris aussi, mais c’était bien Asakusa, je retrouvais deux français que je connaissais bien mais que je ne connais pas, on était dans un café forcément parisien, l’un d’eux, une jeune fille, fumait sa cigarette en racontant son problème de visa, et on approuvait, et je disais que je devais demander ma résidence permanente, et on approuvait, et elle était d’accord, tout comme l’autre, un français un peu comme Pierre, mais qui n’était pas Pierre, et qui lui aussi tirait sur sa cigarette, peut-être que c’est à cela qu’on les reconnait, finalement, les français, à leur façon de tirer sur une cigarette, beaucoup plus je ne sais pas quoi, et puis il y avait ce café en face vers lequel je regardais, c’était bien un café parisien, un vrai comme il n’y en a plus, un truc moche et sympa, sombre et tout en terrasse et bâche plastique colorée vilaine comme tout comme on les adore, et soudain il y avait du vent et je vois des arbres, les arbres, des cerisiers, et ils sont en fleurs, des fleurs comme en 3D, magnifiques comme des roses blanches au coeur qui rosit et rougit, éclatantes, et il y en a comme par millions, et tout le monde est admiratif, et tout le monde regarde ces pétales qui tombent comme une grande tempête de neige, les hommes en terrasse de l’autre café commentent comme des parisiens, des vrais, vous savez, ne pas en perdre une miette, avoir une théorie sur le phénomène des cerisiers en fleurs en deux seconde en janvier avec des grands yeux qui admirent, qui rigolent et qui devisent, mais c’étaient des japonais, des japonais de Tôkyô, je veux dire, c’était des Edokko, des Parigots d’ici quoi, des vieux comme dans mon quartier il y en a plein, et on regardait tous ce truc, il y avait des fleurs grosses comme des roses, c’était vraiment magnifique, alors avec mes deux amis français, on allait regarder plus loin, mais non, c’était là, seulement là, sur ce coin de place, juste en face de nos deux cafés, parce que plus loin, ben, les arbres étaient encore en habits d’hiver, et c’était même fichtrement gris, bref, on est revenus sur nos pas. Et je me suis réveillé.
Il est temps de me remettre au travail, j’ai pensé. Today is the day. Voilà, je suis bien rentré.
Je dissimulerais un peu si je n’ajoutais pas qu’au delà de la place, plus loin, mais alors beaucoup plus loin, c’était Alger. Pas qu’on me l’ai dit, mais j’en avais la sensation. Je n’y suis pas allé, mais voilà, je le savais, d’ailleurs, il me semble en y pensant, que ce grand bâtiment blanc qui barrait la place, c’était La Grande Poste, mais quand on est allé regarder les autres cerisiers, c’était encore la Japon, je crois avoir même pensé qu’il y avait un temple, là. Mais quand les cerisiers ont fleuri, il y a eu comme une sorte de vent, puis comme une fantastique lumière, et derrière, c’était bien la grande poste.
Oui, je dois me remettre au travail, j’ai attendu bien trop longtemps, mais voilà, comme de façon très délicate, mon esprit cette nuit m’a invité dans mon propre intérieur, il n’y a plus rien qui ne s’oppose, il n’y a qu’une symphonie de moi-même où Paris, Alger, Tôkyô cohabitent et s’amusent, il y a en moi des millions de personnes qui contemplent de petites choses, parce que ce sont les petites choses qui font la vie et qui nous ouvrent les yeux en grand, et ces petites choses, ce sont les vraies grandes choses, ce sont ces fleurs de cerisiers comme des roses lumineuses.
Je m’aime. Et je m’amuse, et je m’étonne de m’aimer. Et je m’aime en cette symphonie au dedans de moi. Il y a une semaine, j’ai reçu un message d’un crétin me souhaitant de mourir d’un cancer parce que j’étais un arabe qui se faisait passer pour un français. Dans ma tête, il y a des beautés que jamais ce torche-cul ne pourra voir, ne pourra deviner, ne pourra caresser, ne pourra entrevoir. Même pas mal.
Il est temps de me remettre au travail, alors. J’ai décidé de mon programme pour cette année, et ce sera chargé, on verra, lors de l’embarquement dans l’avion qui m’emmènera vers Paris en décembre si je me suis bien acquitté de la tâche et j’ai été fidèle à ce à quoi mon rêve m’invitait, à laisser aller cette complexité qui me fait (ce truc que le crétin cité plus haut jamais ne pourra comprendre), et à en faire mon véritable projet, mon horizon, et mon présent, puisque c’est tout ce que je suis, et plus encore, car la musique, car Vivaldi, car Aicha Redouane, et encore plus, et encore plus.
Me remettre au travail. Et puis aussi, être prêt cette année pour Ramadan, le mois divin. Ça, je pense, beaucoup d’entre vous ne comprendront pas, mais je vous le dis ici, Ramadan, c’est une des expériences les plus troublantes que j’ai jamais vécues, et pour rien au monde je ne voudrais la manquer. Et c’est aussi pour cela que je dois redoubler d’efforts, car je connais bien « mon » problème, mais peut-être avec Ramadan devant moi, alors je peux surmonter ce problème, cette incapacité à croire en moi, pour faire simple (je vous parlerai du livre de Mehdi Meklat plus tard, il dit cela très bien…), peut-être je réussirai Inch’Allah, à tenir.
Me remettre au travail donc, et cette année, je serais vraiment homosexuel, je veux dire, politiquement, et littérairement. Et vous voyez, c’est bel et bien de symphonie qu’il s’agit, comme ce gigantesque cerisiers aux fleurs réelles comme si elles étaient là, grosses comme des roses, blanches, avec le coeur rosi et roue un peu, on pouvait les sentir, les palper, les yeux n’en croyaient rien, et il y avait La Grande Poste, et c’était Paris, mais c’était bel et bien Asakusa, et c’était simplement magnifique, là, précisément à cet endroit, parce que c’était tout cela à la fois, et il pleuvait des pétales comme dans les plus belles journées de 花見, quand on regarde les cerisiers en fleurs et qu’ils pleuvent littéralement autours de nous. Et oui, j’attends Ramadan avec une douceur que je ne soupçonnais pas, et cette année je serais politiquement et littérairement homosexuel comme je ne l’ai pas été depuis longtemps. Et c’est cela la magie de la littérature, de l’art, et de l’Orient cosmopolite en moi, de l’indigène qui a brisé toutes ces chaines et de l’amoureux de musique baroque que je suis, mon pas de danse dans sur une chaloupe sur le Grand Canal un soir de juillet 1670, le Roy en moi, et je danse, et des milliards de pétales inondent vos rétines et vous dansez avec moi, nos yeux écarquillés. Le bonheur des mots dedans nos têtes, nos sentiments partagés, un frisson qui nous frôle, c’est beaucoup d’amour, et ce sont des milliards de fleurs, de pétales à la couleur plus pur, plus vraie, plus réelle, et c’est là, là où on ne s’y attendait pas, dans nos vies de hasard…
Beaucoup de travail, alors. Cette année j’ai retrouvé un peu de monde, et chaque rencontre, je l’ai documentée. La seule que je n’ai pas documentée, c’est ma mère et mon frère, et je m’en veux, mais rien que cela mériterait un très long billet. Didier Lestrade m’a dit quelque chose de très gentil au sujet de ma mère. Parce que Didier est avant tout un très gentil garçon. Il me l’a dit un jour seulement avant que je ne retrouve maman et Malik, cela n’avait pas eu le temps de briser l’incroyable carapace. Chez moi, ce n’est pas comme chez Édouard Louis, je n’ai jamais renié ma famille, mon milieu, je n’ai pas eu besoin de changer de nom, j’ai au contraire utilisé ce blog pour apprendre à accepter la totalité de mon histoire, et ce n’est pas facile de parler des parents qui « font les marchés » et d’une mère qui a développé un syndrome de Dyogène, et qui a intériorisé un status de victime, elle m’en a encore donné des preuves quand on s’est vus… Je ne me suis jamais pensé comme « sorti » de mon milieu, je ne « fréquente pas » un tel ou un tel, c’est d’ailleurs un de mes gros problèmes, je n’ai jamais accepté la tutelle de personne, je reste rebelle en moi, je reste un sauvage…
Travailler, être définitivement le sauvage que je suis et être une symphonie. Ne rien avoir à faire de votre opinion ni de l’opinion de personne pour vous surprendre, pour faire jaillir des fleurs de cerisiers en janvier sur une place parisienne de Asakusa, juste en face de La Grande Poste d’Alger, avec de vrais papy parisien de Tôkyô qui roulent les R, moi dans un café avec des gens qui fument des clopes comme de vrais parisiens, sous le soleil d’été du mois de janvier, là, juste là, à ce moment, être ce moment. Personne n’y croit, mais je vous le certifie, c’est trop beau, et passé la pensée fugitive du réchauffement climatique, cet instant de pluie de pétale sur cette place était magique et sublime. Là, juste à cet endroit là. Plus loin, c’était l’hiver et c’était le Japon, alors j’ai fait demi tour.
Travailler et ne pas perdre mon temps sur les réseaux sociaux. Je finirai là dessus, d’ailleurs. Lors de ce voyage, j’ai pris une photo de chacun, donc, avec un bref commentaire. Les voici donc en album de ce billet, avec les commentaires originaux. Rien n’est perdu, tout est conservé, et ces moments rares, je les partage avec vous. On dit « dis moi qui sont tes amis et qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ».
Alors je vous le certifie. Je suis quelqu’un de très, très, très bien.
Amitiés, de Tôkyô
C’est un bonheur de te lire. Je regrette de t’avoir connu si tard, alors que tu écris là depuis des années à priori (et que j’écris et lis des blogs depuis plus de 15 ans ^^). Merci merci. 🙂
Merci beaucoup. Idem de mon côté, c’est parce que tu as fait un commentaire que j’ai découvert ton blog ainsi que ton Instagram. On est deux survivants du blogging 😅 A bientôt!