Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Quand l’année se termine


Je me suis ressouvenu de la date de ma mort. Je suis mort durant l’été 1992. Cette année là, j’ai été hanté par l’idée de mon suicide. J’ai voulu mourir, sans même y penser, mais ma vie réduite à une sorte de néant, le vide en moi, l’impossibilité d’exprimer ma solitude, la drogue, la drague nocturne et sa vacuité, tout me conduisait vers ma propre mort dans un isolement que j’avais patiemment construit au fil des ans et dont le piège se refermait désormais sur moi


Voilà l’année 2012 qui arrive à sa fin, et je ne l’ai pas vu passer. Enfin, si, quand j’y repense. J’y ai déménagé, j’y ai touché le fond, un fond que je ne voulais absolument pas visiter auparavant mais où il m’a bien fallu me résoudre à aller pour m’avouer et avouer aux autres que je n’avais plus d’argent, que c’était la fin. Il m’a fallu opérer cette transition amorcée sur un coup de tête comme une dernière chance, empaqueter, déménager, quitter Kasai que je ne voulais absolument pas quitter comme ça, retourner à Kagurazaka dans cette vieille maison pourrie au parfum de seconde chance et de nouveau départ. Et comme toujours, être ouvert à la chance quand elle se présente. Redemander au coeur de l’été. Dire aux autres que l’on a des problèmes, partager le mauvais comme le meilleur finit toujours par porter des fruits, pas ceux d’une quelconque consolation égoïste, mais juste le coup de main nécessaire. J’ai donc repris les cours d’une collègue de l’école et du coup en quelques mois j’ai commencé à regarder l’avenir différemment.
Mon nouveau quartier coïncide en fait avec la redécouverte de mon corps. Perdre plus de 20 kilos, c’est quand même se libérer d’un sérieux poids, et pas seulement physique. Mon visage s’est affiné, il est aussi plus marqué par le temps qui est passé, et il est également plus Kabyle. J’aime mon visage retrouvé, plus âgé et j’aime mes origines visibles. Je suis un beau quadragénaire qui avance à tâtons vers sa cinquantaine… Oui, beau. Ma tante Virginie m’avait dit un jour, je devais avoir quatorze ans, que je n’étais pas beau, que je ressemblait à mon père. Je lui avais répondu que j’en avais rien à faire et qu’elle n’était qu’une conne. À quarante sept ans, je peux affirmer de façon non équivoque que je me trouve beau, et que je le suis.
Me voici donc en décembre, avec beaucoup de travail, l’horizon qui s’éclaircit financièrement, j’habite dans le quartier où je rêvais d’habiter, j’ai perdu plus de 22 kilos et je cours des fois plusieurs minutes pour attraper mon train, même pas fatigué. Il y a deux mois, j’ai commencé à acheter des vêtements car je n’avais plus rien à me mettre, ce cycle est terminé, j’en ai tout plein. Uniqlo et G.U., c’est pas cher et d’une qualité correcte. J’aime comment je m’habille en ce moment.
Pour tout dire, avec l’arrivée de la période de renouvellement de mon visa, avec tous ces changements, mais aussi l’expérience du séisme, je m’aperçois que je suis définitivement sorti du double épisode de chômage de l’année 2007 et 2008 et que je suis en train de trouver ma nouvelle vitesse de croisière. Que durant ces trois/ quatre dernières années, beaucoup de choses ont changé dans ma vie et que moi-même je ne suis plus tout à fait le même.
Alors, j’ai fait deux gros achats pour tourner la page. Le premier est un nouvel appareil photo (et soudainement, dimanche dernier, j’ai compris qu’il était temps de vendre TOUS les autres). Et le second achat est un MacBook Retina (et donc je vends mon vieil iMac de 2007.
L’ordinateur, c’est le retour de la mobilité. Par exemple, en ce moment, je suis dans le métro. L’ipad offre aussi cette mobilité, mais en fait on ne peut pas tout faire avec un iPad. J’ai pris le modèle de base, suffisamment cher comme ça. Il sera fini de payer dans quelques mois. Ah, oui, j’ai même été augmenté au travail. Pas beaucoup, mais ça aussi, ça concourt à cette sensation de stabilité retrouvée.
L’appareil, là, je ne peux même pas vous expliquer, c’est du concentré de rêve. Un Sigma, bien sûr, le DP2 Merrill. Je n’en reviens même pas, d’avoir un joujou comme cela.

Tout cela peut vous paraitre bien matérialiste, et pour tout vous dire, ça l’est. Des fringues, un ordinateur, un appareil photo… Le séisme m’a changé, cette année m’a changé, et je me sens beaucoup plus fort que je ne l’ai jamais été. En tout cas depuis bien des années. Tiens, peut être depuis ma séroconversion.

Je me suis ressouvenu de la date de ma mort. Je suis mort durant l’été 1992. Cette année là, j’ai été hanté par l’idée de mon suicide. J’ai voulu mourir, sans même y penser, mais ma vie réduite à une sorte de néant, le vide en moi, l’impossibilité d’exprimer ma solitude, la drogue, la drague nocturne et sa vacuité, tout me conduisait vers ma propre mort dans un isolement que j’avais patiemment construit au fil des ans et dont le piège se refermait désormais sur moi. L’été, il n’y eut plus d’issue. Le terrorisme en Algérie m’obsédait en me coupant d’une partie de moi-même. J’errais des après-midi entiers dans Paris, drogué, vers nul part. Et puis je suis allé voir mon analyste.
Je suis mort cette année là. Je ne me suiciderai jamais car je suis déjà mort. J’ai décidé de continuer à vivre, puisque je toute façon, globalement, j’étais mort à ce moment là.

C’est ma conversion existentialiste. Ma première année d’analyse a été une explosion de vitalité, j’en ai un souvenir incroyable, un retour du monde des morts. Je me souviens, le premier décembre 1992, la manifestation d’Act Up, habillé 1930, Didier Lestrade me croisant et me disant bonjour, je ne le connaissais même pas, juste de vue, « Didier Lestrade m’a dit bonjour », que j’ai dit à ma psy la semaine suivante. Sentiment d’avoir retrouvé ma place. Ravi comme une midinette revenue à la vie. Je me souviens ces romans dévorés avec passion, je me suis rempli du monde. Alors finalement j’ai été mûr pour retourner à l’université. Joelle Cornette, Claude Gauvard. Et puis Nicolas, encore petit grand bout de choux frêle de 19 ans, et puis Aurelie, haute comme trois pomme avec cette tête de déjà vue qui annonce une amitié et une intimité à venir, et Lisa si belle déjà et encore en devenir, Joelle butinant déjà la vie, et Julien si flou mais déjà ferme en dedans, « mes » Spont’Ex, Spontanés et existentialistes. Incroyable comment la vie a jailli de nulle part, ou plutôt si, des autres en dedans de moi.
Il y en a eu, d’autres aventures, j’ai rempli le néant qui m’habitait.

En 2005, j’ai fini par acheter un iBook pour remplacer l’eMac. Un de mes meilleurs achats. Mobile, léger. Je me revois à Kyoto en septembre, mes quarante ans et cet ordinateur avec moi. Je me revois dans la classe business lors de mon déménagement en 2006, quelle chance le surclassement gratuit. Les demoiselles de Rochefort sur mon iBook.
Que m’arrivera t il avec ce nouveau compagnon mobile ?

En 2013 : give back !
Agenda chargé l’an prochain. Et pour tout dire j’ai décidé de commencer aujourd’hui, non pas en commençant de nouvelles choses, mais plutôt en terminant des choses entamées.
J’ai reçu la semaine dernière une lettre des avocats en charge de la liquidation de Nova, nous allons tous recevoir une dernier paiement des arriérés. La page sera alors totalement tournée, les blessures définitivement cicatrisées. Le chômage est un truc terriblement traumatisant, dégradant en dedans. Ca laisse des traces, c’est indélébile. Mon frère vient de perdre son travail. Didier Lestrade revient constamment là-dessus.
Finalement, je suis chanceux cette année, et 2012 aura été pour moi une très bonne année. Alors pour l’an prochain, j’ai décidé que je rendrai ce que tout le monde m’a si gratuitement offert, l’opportunité d’être vivant. Give back. Il en est grand temps.
J’ai relu mon dernier billet sur Cocteau Twins il y a quelques jours et je l’ai trouvé terriblement mal écrit, pauvre. Je me suis fait honte d’avoir quitté mon blog si longtemps, l’avoir délaissé si longtemps, n’avoir rien écrit si longtemps. Mais vraiment ce qui m’a frappé est l’ankylose du style, sa sécheresse. C’est incroyablement mal écrit.
Qu’en est il de ce billet ?
Et je repense soudain que je ne peux pas écrire si je n’écris pas avant tout pour moi, que c’est un journal, que mon plaisir doit être égoïste avant tout, et que toute ma générosité tiens dans sa forme si particulière, un blog. Que ce journal n’est pas cette crapulerie incroyable appelée Facebook, mais mon espace à moi, ma maison, tiens, d’ailleurs c’est pour cela que j’ai acheté un nom de domaine, c’est pour cela que j’ai choisi ce modèle de blog. C’est ma maison.
Je ne peux pas écrire si j’écris pour vous, c’est aussi simple que cela. Mais de savoir que vous être là, derrière votre écran, voyeurs de ma vie, c’est ma satisfaction toute exhibitionniste, ma façon de vous aimer.
Give Back, vous dis-je.
Mon ami Shogo a publié il y a quelques jours une jolie video. Un enfant aide un autre enfant, quelqu’un voit cela et va aider quelqu’un à son tour, et progressivement se forme une sorte de chaine de la gentillesse. Ca peut paraitre niais, mais j’ose croire à ce type de chose. Parce que c’est gratuit.
En 2013, je vais avoir un nouveau visa, je vais rembourser des dettes et j’espère qu’un séisme ne viendra pas ruiner ce bel effort. S’il advient, eh bien, comme toujours, je m’en remettrai, irradié certainement. En 2013, je terminerai mon premier roman. En 2013, je publierai un premier livre de photographies. En 2013, je visiterai l’Europe aussi.
C’est décembre et au delà du mois qui coule, je regarde l’an prochain une boule dans le ventre, impatient et terrorisé aussi. Ce n’est pas encore janvier et je place la barre très haut. Quelle angoisse… Je le fais pour moi, pas pour vous du tout. J’espère juste que ce roman vous plaira, qu’il vous apprendra quelque chose. Et j’espère que ce que je vous raconterai de mes promenades japonaises vous fera rêver comme autrefois ces photos que je trouvais sur le net me faisaient rêver.

Mes amis proches ont toujours cru en moi, m’ont toujours encouragé. Ma mère m’a toujours dit « si c’est ce que tu veux faire ». Mon père, lui, était incroyablement fier de moi. Une étudiante m’a dit il y a une semaine que c’était un véritable gâchis que je ne fasse qu’enseigner. Une autre a lu mon article dans minorités sur le Japon et l’a trouvé très pessimiste, en notant que cela traduisait très bien ce que beaucoup de gens pensaient ici. Elle a été très surprise que je connaisse tant de choses.
Une seule personne s’oppose à ce que j’ai à faire, et c’est moi. Jusqu’à la fin de mes jours il faudra que je me batte avec moi-même. Je remercie celles et ceux qui ont compris que je vais à mon rythme, que ce journal atteste de quelques potentialités. Je les remercie pour leur patience, pour leur confiance et pour leur affection. Tout eut été plus simple si j’avais rencontré quelqu’un qui eu été exigeant pour moi, avec qui j’aurais eu cette stimulation intellectuelle que j’aimais tant avec mes amis. Jun est un compagnon adorable, mais il n’est pas cet autre qui me manque. Mes discussions avec Nicolas et Stephane me manquent incroyablement. Sentiment de solitude, d’enfermement et d’isolement, stagnation avec Facebook pour addiction.
Je vais donc essayer de revenir à moi, reprendre mon dialogue avec moi-même. Je vais terminer l’année sur ce blog, reprendre ma gymnastique d’écriture comme j’ai appris à manger pour ne pas grossir, une astreinte quotidienne. Il y aura bientôt les démarches pour renouveler mon visa, je fêterai mes sept ans au Japon en février, et insensiblement le printemps reviendra.
Je suis un sourire, aujourd’hui.

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Commentaires

3 réponses à “Quand l’année se termine”

  1. Bonjour Madjid,
    continuez à écrire pour vous ! et oui, soyez égoïste, soyez exigeant et soyez confiant. C’est bon de vous lire.

  2. Bonjour Madjid,
    continuez à écrire pour vous ! et oui, soyez égoïste, soyez exigeant et soyez confiant. C’est bon de vous lire.

  3. Bonjour Madjid,
    continuez à écrire pour vous ! et oui, soyez égoïste, soyez exigeant et soyez confiant. C’est bon de vous lire.

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