Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Pour tout vous dire


Cet homme quitte les rivages de la raison, si lourde à son âge, pour retrouver ses amis dans un monde plus facile où il est jeune pour toute l’éternité. D’autres prennent des drogues ou des médicaments avec bien moins de succès.
Lui laisse faire la nature qui, dans son cas, semble si bien faire les choses. Peut être même s’endormira t-il un jour, tranquillement.

Qu’est-ce que je dors bien en ce moment. Bon, d’accord, mon univers onirique est un monde étrange. Il m’arrive de ces choses, la nuit, et au matin ne reste que le souvenir d’un bon moment, de lieux curieux, d’une agitation bizarre et de présences bienfaisantes. Pas un seul cauchemar.

Dans mon groupe d’étudiants du lundi, il y a une vieux papy de 78 ans pas bien bavard habituellement, et le voilà lundi dernier qui prend la parole et qui d’une traite, presque couramment, nous explique qu’il dormait toute la journée et qu’il rêvait, et qu’il aimait cela, et que quelques jours plutôt il avait visité la ville de son enfance, la rivière à coté, ses copains, et qu’il avait adoré ça. Il rayonnait. Mes autres étudiants, eux même assez âgés, étaient sombres, sentant planer l’ombre d’une sénilité qui commence. Moi, j’étais incroyablement touché, je ne l’avais jamais vu si heureux. Ce qui m’a frappé, surtout, c’est la facilité avec laquelle il parlait anglais (c’est ce que je leur enseigne) alors que d’habitude tout est si décousu.
On a raison de parler de « bienheureux », l’expression est charmante, délicieuse. Cet homme quitte les rivages de la raison, si lourde à son âge, pour retrouver ses amis dans un monde plus facile où il sera jeune pour toute l’éternité. D’autres prennent des drogues ou des médicaments avec bien moins de succès.
Lui laisse faire la nature qui, dans son cas, semble si bien faire les choses. Peut être même s’endormira t-il un jour, tranquillement. On devrait penser a organiser la société pour que la sénilité soit une fin heureuse. Bienheureuse. Qu’est-ce qu’il était beau, le papy, lundi dernier…

Ecrire avec un iPad et écrire avec un ordinateur est vraiment très diffèrent. S’il est vrai que l’exercice n’est pas si difficile qu’il y parait avec l’iPad, il manque quelque chose de physique – peut-être est-ce avant tout une question de génération.
Je suis né à l’époque d’avant l’informatique grand public et donc j’ai besoin d’un clavier, les plus jeunes, eux, sauront s’adapter aux claviers holographiques prévus pour dans deux ou trois ans.
Je suis dans le métro, je prends un peu de place avec mon énorme engin posée sur mes genoux mais quel plaisir…


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Depuis plusieurs années je voulais vous parler d’un de mes derniers souhaits au cas où je venais à mourir (ça y est, ça lui reprend, il n’y a donc que la mort dont il veuille parler, je zappe, vous dites vous!). La possibilité d’un séisme de grande ampleur aurait du pourtant me pousser à vous en parler avant, on ne sait jamais, on a si vite fait d’être enseveli dans le tunnel d’un métro avant d’être submergé par une vague remplissant chaque recoin de la ville. La ligne Ginza que j’emprunte chaque jour est ainsi une ancienne rivière dont le cour a été détourné. La nature a parfois si tôt fait de reprendre ses droits, allez savoir!
Un de mes derniers souhaits est donc que si je venais à disparaitre, vous vous souveniez de moi en écoutant les deux premiers mouvements d’une sonate de Albinoni.

Vous lisez ce blog depuis tant d’années, vous savez à quel point la musique baroque occupe une place particulière.
Il vous faudra écouter le premier mouvement qui se dessine comme un donné, l’acquis, la base. Et quand vient le deuxième mouvement… c’est à vous de voir.
Cette musique, c’est la vie à l’état pur. La vôtre, je ne sais pas, mais la mienne… Un combat interminable et difficile (la mélodie est tortueuse), l’obstination (cette basse…), un quotidien sans cesse recommencé. Je crois que je garde le sourire pour cette raison, je me contente de ces moments rares, ces « clair-obscurs » qui sont tout le secret, toute la magie du baroque. Vivaldi, Bach, mais aussi Campra (« Attendez/ attendez/ pour régner sur elle/ qu’elle ait appris mes tendres feux… »), Rameau (« fatal amour / quel trait as-tu choisi pour me percer le coeur » se lamente Pygmalion devant sa statue).
J’écoute régulièrement cet enregistrement paru je crois vers 2005. L’ensemble du CD est intéressant, mais cette sonate ma parle, elle est un concentré de tout ce que j’aime dans le baroque. C’est instable, c’est fragile, il n’y a aucune concession, c’est casse-gueule, c’est tragique dans le fond, et voilà qu’infatigable et ressourcée la mélodie repart à l’attaque, elle ne se rendra pas, elle revient comme un refrain sans cesse ressourcé et transformé, écrasant cette basse obstinée, et cet enchevêtrement contradictoire qui s’harmonise, c’est moi.
Aujourd’hui encore il m’arrive de pleurer en écoutant cette simple pièce aux allures si faciles.
Voulant vous livrer la même version que celle que je possède, j’ai parcouru YouTube.
J’en ai croisé une, pionnière et ampoulée, engoncée dans ses violons modernes aux sonorités pâteuses et pleurnichardes sorties des années 50, à l’époque du microsillon, quand le baroque commençait à sortir d’un oubli de 200 ans. Qu’est-ce que c’est poussif, et c’est pourtant ainsi que moi comme d’autres avons découvert le baroque. Et ce sont ces sonorités qui m’en ont suggérées d’autres, celles que les « baroqueux » ont fini par retrouver à force de travail et d’obstination.
J’ai croisé la grâce de la violoniste Chiara Bianchini et de son ensemble 415 (415 hz, la hauteur moyenne du diapason du nord de l’Italie au 18eme siècle, celui-ci oscillant entre 360 et 460 à travers le temps et les lieux, 390 en France, par exemple). Vraiment la grâce. Autant je ne voudrais pas trop être commémoré avec le premier, autant la grande retenue, l’intimité qui se dégage de la seconde me convient bien.
Mais toutefois, je reste fidèle à Sonatori Della Gioiosa Marca d’Andrea Marcon. C’est violent comme il faut, et un entêtement violent se dégage qui me convient bien.
Demain, c’est vendredi, et nous allons tous toute la journée, ici, avoir une certaine appréhension. Mais ce n’est pas grave. Si le monde venait à disparaitre en moi pour l’éternité, par la simple grâce d’une musique vous reviendriez à la vie en me rendant quelques minutes à la mienne. C’est cela, le secret du Marabout, le secret du Fils de Cheikh que je suis…

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