Pour nous qui vivons à l’étranger, ce désengagements de l’état devient de plus en plus préoccupant. Nous constatons chaque année un recul de la langue française et une perte de rayonnement culturel manifeste.
L’actualité en France, c’est, entre autres, le projet de loi portant sur la dérégulation du marché du travail porté par Myriam El Khomri. Ce projet de loi, qui achève à bien des égards la « révolution thatchérienne » à la française, s’inscrit dans des politiques menées sans discontinuer depuis près de 20 ans et ayant fragilisé des pans entiers du salariat, avec toujours la promesse de créations d’emplois dont, jusqu’ici personne n’a vraiment vu la couleur. Parallèlement, les gouvernements successifs se sont désengagés financièrement d’un grand nombre de domaines dans le but de baisser les impôts. Depuis 1999, ce ne sont pas moins de 100 milliards d’impôt sur le revenu annuel qui ont été perdus, compensés par des baisses de prestations, des hausses de taxes diverses, des coupes budgétaires, et surtout nourrissant un abyssal déficit budgétaire, avec pour but de favoriser l’investissement et encourager les plus aisés à déclarer leurs revenus en France. Pourtant, jamais l’investissement n’a été aussi pauvre que depuis le début des années 2000, et même l’Angleterre si souvent montrée en exemple pour la faiblesse de ses prélèvement n’échappe pas chaque année à de nouveau records de fraude et d’évasion fiscale.
Pour nous qui vivons à l’étranger, ce désengagements de l’état devient de plus en plus préoccupant. Nous constatons chaque année un recul de la langue française et une perte de rayonnement culturel manifeste. Les moyens alloués ont été fortement réduits de gouvernements de droite, sous Jacques Chirac puis sous Nicolas Sarkosy, en gouvernements Hollande-Valls. L’Institut Français n’échappe pas à ce rabottage qui l’a vu passer d’un statut d’établissement financé généreusement par le Ministère des Affaires étrangères mais aussi éventuellement le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Éducation Nationale dans le but de remplir les différentes mission de rayonnement de la langue et de rayonnement culturel il y a encore une dizaine d’années, à un statut de quasi-entreprise privée quémandant les sponsors et les partenariats, augmentant les frais des différents services proposés tout en accroissant la précarité du personnel pour palier aux baisses substantielles des budgets. Ainsi, à partir de 2007, les personnels enseignants ont ils vu changer ET leurs rémunérations, ET les types de contrats offerts tout comme le nombre d’heures de travail proposées ainsi que le décompte des heures de préparation des classes. Beaucoup de celles et ceux qui enseignaient à cette époque, enseignants de qualité et fortement qualifiés, ont préféré quitter l’Institut qu’accepter des baisses de rémunération avoisinant les 50%. Ces changements ont été portés par la majorité UMP de l’époque auquel appartient le député actuel de notre 11ème circonscription, monsieur Thierry Mariani qui ne doit toutefois guère être au courant de cette histoire puisqu’il ne réside pas à l’étranger et qu’il était alors député du Vaucluse, beaucoup plus intéressé à faire voter des lois sécuritaires (tests ADN, statistiques ethniques, interdiction d’hébergement d’urgence aux personnes en situation irrégulière, déchéance de nationalité) ou à essayer de se faire élire président de région Provence pour finir par devenir ministre avant de se voir proposer la 11ème circonscription, ouf. Non seulement la présidence de François Hollande n’a à aucun moment infléchi ces choix budgétaires et cette politique à la petite semaine qui réduit la francophonie au pré-carré des anciennes colonies et à l’entretien de réseaux clientélistes, mais nous assistons de fait à de nouvelles régressions dues à des budgets toujours plus amputés. Je ne développerai pas ici la situation de l’enseignement du français et de son coût dans les écoles et lycées labellisés « Éducation Nationale », je limiterai mon propos au simple Institut Français qui, pour la première fois de son histoire va connaître une grève de ses enseignants comme le rapporte le site internet du syndicat General Union.
Grève à l’Institut Français de Tokyo le samedi 27 février 2016 https://t.co/LIv6NWmDj8
— Tokyo General Union (@Tozen_Union) 27 février 2016
En effet, au Japon, suite au vote d’une loi obligeant un employeur à transformer un CDD en CDI au bout de 5 ans à conditions identiques, la direction de l’Institut a décidé de prendre ses disposition en changeant les conditions et rémunérations des contrats enseignants.
Je vous ai expliqué qu’en 2007 un premier changement était intervenu, avec le développement de contrats précaires et des baisses de rémunérations tant réelle (financière) qu’effective (obligation de présence non payée de fait). La nouvelle loi obligerait l’Institut à régulariser la situation de ses employés, ce qu’elle refuse de faire, décidée à accroitre la précarité en raccourcissant la durée des contrats à 6 mois tout en diminuant encore la rémunération. Au passage, il faut signaler que l’enseignement du français est largement bénéficiaire, que les tarifs proposés par l’Institut sont prohibitifs, et que les enseignants sont tous hautement qualifiés.
Le vote de la loi portant sur la dérégulation du marché du travail porté par Myriam El Khomri n’est pas une loi proposée par hasard. Elle s’inscrit dans une vision plus large et plus vaste qui considère le travail comme un coût, et l’augmentation des profits comme un alpha et un oméga. Elle participe d’une vision utilitariste des salariés dont le travail, la valeur et l’investissement sont regardés comme un du, sans aucune gratitude ni remerciement et encore moins de perspective que celle de devoir accepter toujours moins en donnant toujours plus.
Élu député de notre circonscription, vivant moi-même au milieu de notre communauté, je défendrai une autre vision, une autre politique. Je suis intimement persuadé que le développement d’une francophonie comme espace de culture ouvert est un des outils essentiels de la réinvention de notre pays tout en étant utile à son renouveau économique. Dans le monde, chaque jour nous rencontrons des gens pour qui « La France » est une idée qui dépasse le cadre de la baguette ou des marchands d’armes. On nous parle de ses chanteurs, on interroge ses écrivains et ses artistes, on s’étonne d’un métissage qui lui donne des allures d’une autre Amérique, on y espère un avenir où elle remplira toute sa place dans cette langue qui continue de vouloir jouer à égalité avec l’anglais. Les Instituts devront trouver dans cette politique de rayonnement de la francophonie une place nouvelle. Non pas seulement un espace français, mais bel et bien un espace francophone, ouvert aux différentes francophonies, européennes, africaines, américaines et asiatiques, car c’est cela la réalité de notre langue. Pour cela, ils devront être dotés des budgets adéquats permettant de recruter des personnels qualifiés dans de bonnes conditions et en rupture totale avec l’ultra précarité que les gouvernements successifs ont orchestré, afin de faire de ces Instituts d’authentiques espace d’une présence francophone, abordable, ouverte et enracinée dans la réalité sociale des pays d’accueil, et non ces petits îlots chers et snobs, avec des employés assis sur des sièges éjectables comme dans le dernier des fast food.
La loi El Khomri généralise l’objectisation des salariés. À Tôkyô, non contente d’avoir précarisé les enseignants de français il y a 10 ans, non contente d’avoir rogné les salaires après le seisme en 2011, la direction de l’Institut veut augmenter la part de ses profits et contourner la loi à son avantage en accroissant la précarité. Imaginer, vivre, faire vivre une famille, avec des contrats précaires de 6 mois… Je suis opposé à la loi El Khomri. Et je suis solidaire des enseignants de l’Institut. Parce que la France et la francophonie valent bien mieux que ça.
Madjid Ben Chikh