Et puis ça a été le printemps, comme ça, sans prévenir, et c’est tombé un jour de pluie alors que les jours précédents il avait fait si beau, va comprendre! Il y a des fois, c’est le hasard, ça se place mal, c’est un peu bancal sur les bords, le train déraille juste quand on s’y attendait pas. Il y a une semaine, on hésitait à sortir les polos, et même les cerisiers avaient décidé de fleurir en avance, cinq jours, rien que ça, et voilà que le jour du printemps il s’est mis à pleuvoir et que les températures ne dépassent pas les cinq degrés.
Pffff….
Et puis ça a été le printemps, comme ça, sans prévenir, et c’est tombé un jour de pluie et de neige alors que les jours précédents il avait fait si beau, va comprendre! Il y a des fois, c’est le hasard, ça se place mal, c’est un peu bancal sur les bords, le train déraille juste quand on s’y attendait pas. Il y a une semaine, on hésitait à sortir les polos, et même les cerisiers avaient décidé de fleurir en avance, cinq jours, rien que ça, et voilà que le jour du printemps il s’est mis à pleuvoir, que ça a viré à la neige et que les températures ont décidé de ne dépasser pas les deux degrés. Pffff….
Ça nous apprendra à avoir de ces certitudes de polos à manches courtes, vous savez, cette sève qui monte au premier rayon de soleil à partir de mi-mars, c’est qu’on on est des plantes, nous aussi, on doit bien avoir 40? 50? 60% d’ADN en commun avec les arbres, tiens, ce serait amusant de rechercher ça… On est fait de la même façon, globalement, on recherche un peu la même chose, vivre, durer, alors au moindre rayon de soleil, dès que les températures dépassent un certain niveau, on à la sève qui se met à bouillir…
Bon, il faudra bien s’y faire, hein, même si je m’en fiche un peu qu’aujourd’hui le temps soit pourri, je travaille, alors ce n’est pas comme si mon dimanche était fichu en l’air. D’ailleurs, demain, il devrait faire beau à partir de l’après-midi, genre 18 degré, avec du soleil et tout le tralala, le ciel bleu et les cerisiers en fleurs. Bon, ça me mettra de bonne humeur, mais comme je serai aussi au travail, ben…
Le travail, justement. Je vais vous en parler un peu, histoire de vous expliquer pourquoi je n’ai pas écrit sur le blog la semaine dernière, malgré ma décision de m’y astreindre. Au passage, je vous évite un long développement, écrit tout à l’heure, sur cette détestation profonde que je ressens à l’égard de notre civilisation quand je regarde des bouquets de fleurs dans les supermarchés. Ce sera pour plus tard.
Non, le travail, ça cadre beaucoup plus à ce billet, même si les fleurs, ben, c’est vraiment joli quand même, surtout au printemps, quand elles s’ouvrent comme ça, pour rien, gratuitement, juste pour être des fleurs, et que c’est un cadeau magnifique qu’on ne sait pas toujours très bien apprécier à sa juste valeur, c’est à dire, dans son incroyable gratuité. C’est peut être là que se cache le divin, le secret caché de la création. Mon père avait peut être un peu raison. On ne sait pas regarder Allah dans les arbres, on les prend pour acquis sans voir toute la magie qu’il y a dans le fait que ce soit incroyablement beau. Oui, vraiment, Allah Ouakhbar (et je vous livre ici la signification profonde du message de l’Islam). Depuis que je vis au Japon, je regarde les arbres, les fleurs, j’écoute le vent et j’accueille chaque matin le soleil qui effleure la fenêtre en pensant que c’est un cadeau qui m’est fait dans lequel je contemple la toute puissance d’Allah. Ne me demandez pas ce qu’est Allah, je n’en ai pas la moindre idée et comme le disait le Bouddha, je trouve cette question très étrange, tout comme cette idée de « croire ». Je ne « crois » pas, je me contemple de regarder une évidence, l’évidence d’une magie qui s’offre, qui était avant moi et qui sera longtemps après moi.
Allez, le travail, maintenant. Me voici manager de l’équipe de dix professeurs de mon école. L’augmentation de salaire est plus symbolique qu’autre chose, mais c’est toujours ça. Je ne l’ai pas vraiment voulu, même si je l’ai imposé après une série d’incidents, j’en avais rapporté un l’an dernier, vous vous souvenez?
Le bully a continué à faire chier. Il y a deux semaines, c’est à un autre professeur qu’il s’en est pris, devant deux élèves, « vous voulez que je vous apporte un café, combien de fois il faut vous demander de vous taire, c’est toujours comme ça, pensez à ici comme à une bibliothèque » (sic, en anglais bien entendu)… Ce soir là, on a été assez secoué car c’était encore l’heure du break et qu’on ne bavardait pas fort. Mais ça le fait chier, que les autres bavardent de trucs, je ne sais pas, il se sent à part, peut être… Il dit souvent, paraît-il, qu’il ne se trompe jamais… Il a trois semaines, il a littéralement terrorisé la secrétaire.
Lui, ce qu’il aime, c’est être gentil avec les étudiants, mielleux à souhait, et bougonner avec les autres professeurs, les critiquer par derrière. Il y a un mois, il m’a pris à part pour me dire tout le mal qu’il pensait de la façon dont le directeur me traitait, que « ça le mettait hors de lui ». Mais en fait, à la même période, il continuait de baver. Bref, il veut régner, faire sa loi… Diviser, alimenter une colère sourde pour être au dessus.
Il y a deux semaines, après l’altercation, j’ai pensé « never again », et j’ai failli exploser de rire tellement je l’ai trouvé ubuesque avec sa barbichette gauty ringarde de plouc hétérosexuel métrosexuel marié des années 90 et ses simili chaussures de cowboy en plastique.
Comment pourrais-je, moi, ne serait-ce qu’une seconde, regarder ce type avec un tant soi peu d’humilité, lui qui en plus depuis un certain temps grîme mes leçons, mes jeux de rôles sans ce truc d’acteur dans lequel il faut avouer j’excelle et fait exploser de rire mes étudiants. En tant que prof, il n’est pas mauvais, il est simplement normal. Et puis il parle absolument toujours de sa femme, je veux dire TOU-JOURS.
Anyway, la même semaine, on a eu un professeur qui a explosé. Pas méchamment, non. Une banale dépression nerveuse avec beaucoup de problèmes de communication. Sa famille en Angleterre implose, maladie, faillite, il a deux gamins ici, alors il ne maitrise plus tout ça très bien, il prend des médicaments depuis trois mois. Tout ça, je ne savais même pas, il était assez absent récemment.
Nous, on a passé la matinée à s’excuser devant les étudiants, et moi, j’ai constaté à quel pont le directeur est incapable de communiquer en anglais, comment, au contraire, il envenimait la situation en croyant « cool » dans ce type de situation. Il se crispait avec un sourire de circonstance et son expression corporelle ressemblait alors à de la moquerie quand en réalité il essayait juste d’être « sympa ».
Ce professeur qui a craqué échange depuis deux mois des mails avec le bully, et aux messages qu’il a envoyé à l’école, tous plus incendiaires que les autres, on pouvait remarquer une jolie manipulation.
Je n’ai pas dormi pendant deux jours tellement ce samedi avait été violent, éprouvant, et deux de mes collègues non plus. J’ai quasiment forcé mon directeur à me nommer manager de l’équipe de professeurs. Ça n’a pas été facile car s’il a accepté, il a également eu beaucoup de mal à accepter que j’utilise un email distinct de celui de l’école, que cet email me soit exclusif et qu’il n’y ait pas accès, et que je puisse communiquer avec tous les enseignants. Mais je n’ai pas cédé et j’ai bien compris que ce ne sera pas toujours une partie de plaisir…
Mais sitôt qu’il a enfin accepté, sitôt qu’il a envoyé un email à toute l’équipe pour annoncer ma nomination, j’ai pu faire mon travail, c’est à dire tenter de calmer notre collègue dépressif et éviter un nouveau problème à l’école – et de nouveaux problèmes pour lui, ce dit en passant. Et puis, je me suis fendu d’un des emails professionnels les plus stylés de toute mon existence, en anglais bien sûr et, en le relisant, j’avoue en être très satisfait. À la tête du bully, j’ai compris qu’il avait compris. L’armoire normande a du être bien lourde.
J’en ai profité pour réclamer au directeur un petit machin administratif, un détail de rien du tout, mais qui désormais fait de l’école un modèle en matière de droit du travail. Et puis changer les photos des professeurs, les disposer agréablement sur le grand tableau de l’entrée, une babiole aussi, mais qui est sympathique.
Dans mon email, pas un mot sur l’attitude du bully, juste un quart de phrase qu’il a du parfaitement comprendre, une tonalité positive, et puis surtout un projet qui me tenait à coeur et qui permettra de souder l’équipe.
Qu’on ne s’y trompe pas, hein. Je ne suis pas en train de me la jouer manager, manager pour de vrai, j’aurais pu le devenir à BNP Paribas si j’avais voulu y être embauché au lieu de faire de l’intérim bref, si je n’avais pas préféré le Japon. Je sais que mes supérieurs l’auraient aimé car je faisais bien mon travail.
Je ne suis pas venu au Japon pour être manager d’une petite école de langue de quartier dans la banlieue de Tokyo. En revanche, j’ai compris que si je tenais à garder la tranquillité que cette école me procure (on a la shakai hoken c’est à dire l’assurance légale, ce qui est rare dans l’industrie, 4 semaines de congés payés ce qui est hyper rare, et un vrai weekend ce qui est carrément exceptionnel), tout ça pour un salaire correct tout en ayant pas mal de temps, je devais m’impliquer un peu et montrer au petit chef qu’ils ne dirigera jamais cette école.
Mes autres collègues sont ravis, je ne suis pas un petit chef pour deux rond, et je sens qu’avec un peu de travail de ma part, je peux parvenir à souder l’équipe autours d’un projet pédagogique, et qu’alors, le bully n’aura qu’à aller chercher ailleurs dans une des dizaines de milliers d’écoles du Kantô ce que notre école ne lui offrira jamais: une place pour trôner et diriger.
Moi, j’y gagne un peu d’argent en plus, la petite satisfaction de voir mon nom encadré d’un titre de « chef de l’équipe pédagogique » et l’excitation d’avoir une sorte de feu vert pour avancer quelques projets simples qui donneront envie aux professeurs de rester tout en associant un peu les étudiants qui le souhaitent. Et cela, c’est certainement le plus intéressant.
J’ai vite ressenti le bully comme une araignée qui tisse sa toile. Il n’y a qu’à la défaire pour qu’elle parte ailleurs. Je regrette juste qu’elle ait envenimé la situation d’un professeur qui, à cause de sa dépression et du jeu pervers du bully, s’est mis dans une situation assez difficile (je ne développe pas ici).
Allez, je vous ai assez saoulé avec cette histoire.
Il a neigé en ce premier jour de printemps. Cela se dit « ながり雪 », en gros, c’était l’hiver qui nous disait « au revoir ».
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