Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Minorités 15 | Ouganda, ou le vrai visage du militantisme gay


(paru dans la revue Minorites.org le Dimanche 13 décembre 2009)
Avril 2009. Après la visite d’un groupe d’Américains ultraconservateurs en Ouganda, le gouvernement de ce pays décide de faire passer une législation interdisant l’homosexualité et bannissant les séropositifs, prévoyant des peines allant jusqu’à la mort pour celles et ceux, je « résume » l’argument, qui persévèreraient dans ces pratiques débauchées, autorisées en Occident sous la pression de lobbies homosexuels et « liberals ». 

L’Ouganda, terre placée sous la protection de Dieu, ne pourrait tolérer l’importation de ces mœurs dépravées. En la matière, la nouvelle législation ne faisait que durcir une législation déjà bien homophobe puisque l’homosexualité y est déjà passible de prison depuis les années 50. Ce qui était nouveau, c’était, outre le durcissement de la peine jusqu’à la peine de mort, l’étendue de la législation aux séropositifs, mais aussi la création d’un crime de non dénonciation et d’extraterritorialité.

Pendant quelques jours, on a cru que la plus extrême des dispositions, la condamnation à mort, fut désormais retirée du projet de loi, remplacée par des séances de conversion à l’hétérosexualité… Mais il n’en est rien, et la loi est en train d’être discutée au Parlement ougandais. Il est donc très urgent de se manifester. Des milliers de personnes à travers le monde envoient des messages à la présidence de l’Ouganda pour que ces loies ne soient pas adoptées. Entretemps, le Rwanda est en train de discuter à l’instant même une loi qui condamnerait les homosexuels. Une pétition menée par une ONG locale rente de rassembler des signatures. Nous vous encourageons à vous manifester auprès d’elles.

Laboratoire de l’ultra conservatisme

En effet, l’introduction de cette loi fait suite à la visite d’une « mission » ultraconservatrice américaine au début de l’année, comme révélée par Rachel Maddow sur MSNBC, et comme on en trouve la trace sur le site tetu.com à la même période. Cette visite n’était pas une première. Comme le remarque Rachel Maddow, en pointe dans la dénonciation de ce projet aux USA, l’Ouganda est devenu le laboratoire de l’ultra conservatisme et de l’offensive évangéliste américaine en Afrique. Très tôt et très fortement touchée par l’épidémie de VIH dès les années 80, l’Ouganda est parvenu à freiner sa progression dans les années 90 grâce à une politique de prévention et de promotion du préservatif très bien menée, avec l’aide des ONG. La victoire de George Bush changea la donne car désormais les aides furent conditionnées à la promotion de l’abstinence. Progressivement, livré à une offensive religieuse sans précédent, l’Ouganda a inversé sa politique et a cessé de promouvoir le préservatif, pour ne promouvoir que l’abstinence. L’évolution vers une « éradication » de l’homosexualité est donc la suite logique de cette conversion à l’intégrisme évangéliste.

Rachel Maddow sur MSNBC, a mené des enquêtes, informé et débattu de cette question. Gordon Brown et le premier ministre Canadien, Stephen Harper, ont soulevé la question lors du dernier sommet du Commonwealth.
Une autre pétition tente de soutenir cette initiative. Vous pouvez la signer ici.
Du côté gay, une pétition américaine cible depuis une semaine un sénateur anti-gay lié à l’Ouganda. Des manifestations de 40 à 50 personnes ont eu lieu devant le siège de l’ONU à New York.
En France, une dépêche du CLGBT.
On allait exterminer les gays, les séropositifs dans un pays, la vague produite fut bien modeste… Une dépêche…

L’émission de Rachel Maddow, en marquant le lien entre les milieux anti-gays américains et ce projet de loi, a conduit l’ultra droite américaine à condamner cette loi et faire pression sur l’Ouganda qui a fini par l’ « adoucir » . Il n’y aura donc pas eu de mobilisation gay, contre la planification d’une des pires tentatives de génocide depuis le Cambodge et la Serbie.

Cette situation devrait tous nous interpeller. Très gravement, car elle fournit un portrait instantané de notre communauté, de son embourgeoisement, mais aussi de sa très grande vulnérabilité. De l’obsolescence de ses associations, définitivement coupées de l’essentiel. Alerter. Défendre le droit des gens. Ici, défendre le droit de vivre.

Électrochocs

Beaucoup de pays à travers le monde nourrissent à l’égard de l’homosexualité des législations discriminatoires et parfois même violentes. À certaines époques, dans certains états, nous nous sommes vus infliger des électrochocs, des enfermements psychiatriques destinés à « redresser » notre comportement déviant. Ainsi, les pays dits avancés n’ont adouci les lois que très récemment, et uniquement sous la pression du militantisme gay des années 70, puis des luttes contre le sida qui ont mis en évidence l’existence de couples gays, conduisant à la reconnaissance d’unions, de formes variables.

Comme dans les années 80 après la grande vague de « visibilité »  des années 70 associée au coming out, le militantisme gay, comme le militantisme VIH, semble en panne. Après tout, pour beaucoup de gays, la situation est relativement satisfaisante et ne justifie pas les grandes mobilisations du passé. Les associations, quant à elles, privées de cet élan et d’énergie d’une base désormais inexistante, tournent en rond, ne touchant plus qu’un petit cercle restreint, fonctionnarisé par les pouvoirs publics et de généreux sponsors. Les militants gays, comme dans les années 80, déplorent le manque d’intérêt pour le mariage gay ou le sida.

Elles se sont accaparées du mariage uniquement après que la loi sur le PACS soit passée, histoire d’avoir quelque chose à revendiquer. Sans le placer dans un projet forcément plus vaste et ne touchant pas uniquement les homosexuels puisque la question que soulève le mariage gay est la question de la liberté, pointant du doigt l’inhabilité du militantisme à se dépasser et à établir des convergences.

Mort du militantisme

Quant à la lutte contre le sida, devenu avec le temps une activité subventionnée et ayant ses rendez-vous annuels, la Gay Pride et le 1er décembre, en proie également à des luttes internes pour accéder à une manne financière qui se tarit, elle n’a plus grand-chose à voir avec une « lutte ».

Au contraire, à la clarté des positions il y a 20 ans, une clarté qui valut aux homosexuels un certain respect dans la société qui n’est pas pour rien dans les avancées en matière de droit et de visibilité, a succédé le flou artistique des positions de l’âge des trithérapies. On ne sait plus trop si le préservatif est nécessaire, et désormais, ce qui compte n’est plus se protéger, mais « d’en parler », se traiter préventivement et éventuellement avoir recours à un traitement d’urgence. Celles et ceux qui continuent de réclamer la prévention sans concession au relâchement ambiant sont accusés d’intégrisme, et d’être coupés de la réalité des pratiques.

Il est très clair qu’à ce rythme, nous assisterons dans les années à venir à la mort lente du militantisme homosexuel permanentisé ainsi qu’à une offensive en règle des pouvoirs publics quand la réalité des chiffres des contaminations révèlera l’approche irresponsable des politiques de réduction des risques. Le silence de la plupart des associations à cet égard sera regardé comme un acquiescement. Le prétexte sera trop beau. L’Etat, premier coupable dans son incapacité à adopter une politique depuis plus de 20 ans, aura là un bouc émissaire idéal. En attendant, malgré ses concessions, le milieu sida mobilise désormais pour le 1er décembre plus de journalistes que de pédés…

L’impasse

La question Ougandaise soulève mieux qu’aucune autre l’impasse dans laquelle nous sommes et nous suggère également des pistes. Comment avons-nous été incapables de soulever des foules face à ce qui constitue, si la législation passe, la première législation génocidaire du 21e siècle ? Le fait qu’une association subventionnée, comme le CLGBT, n’ait proposé qu’un communiqué, le 1er décembre, en dit long. En fait, désormais, nous confions notre destin aux hétérosexuels, chef d’Etats, sponsors, politiques, journalistes, pour qu’ils veuillent bien s’occuper de nous. Notre espace de revendication est réduit à une Gay Pride vidée de son sens.

Nous devrions peut-être nous replonger dans l’époque qui vit naître Act-Up. Que nous disaient les militants Américains, en 1987 ?. Ils nous disaient que le silence entourant le sida trouvait sa source dans les minorités affectées. Les homosexuels, bien sûr, les prostitué(e)s, les drogués, mais aussi cette minorité silencieuse de la société capitaliste, le Tiers Monde, les sans voix d’Afrique, les damnés de la terre de Franz Fanon. Le peuple noir.

Si c’est notre silence et notre inaction qui se sont révélés face au gouvernement Ougandais, c’est d’abord parce que c’est en Afrique que ça se passe, et que les gays occidentaux réagissent d’abord en occidentaux. Nous ne pensons pas que cette législation vise des hommes et des femmes qui auraient très bien pu être nos amis, nos amies, nos amants, nos maîtresses. Nous avons montré un égoïsme incroyable en nous montrant incapables de nous manifester, de nous opposer. Le gouvernement Ougandais se propose en effet d’ajouter la peine de mort à la maladie…
Ce n’est pas un hasard, finalement. Africains, gays, séropositifs. Oui, silence = mort.

Silence = Mort, vraiment

Sans rire, il faut avouer que l’indifférence associative et son incapacité à manifester, même à dix personnes, doit nous amener à nous interroger sur ce qui concerne l’avenir des transgenres ou du mariage…

Le militantisme, comme dans les années 80, a cessé de militer pour se contenter de gérer ce qui lui semble être des acquis, mais qui, quand la question d’un génocide visant les homosexuel(le)s et les séropositifs ainsi que leur entourage se pose, se révèle n’être plus qu’une immense force d’inaction au service de sa conservation.

Minorités s’interrogeait récemment sur la nécessité pour Act Up de disparaître pour que quelque chose de neuf naisse enfin. Peut-être pourrions-nous considérer que l’incapacité des associations à faire, ou en tout cas à tenter de faire, est en soi comme un acte de disparition effective, à défaut d’être réel.

Qu’aurions-nous pu faire ? C’est certainement là que se situe l’espoir de recommencer à peser vraiment. Il y a 10 ans, 20 ans et plus, quel militant, gay ou pas, n’a pas rêvé d’un outil qui connecterait les gens en temps réel et permettrait de mobiliser, mais aussi faire circuler des informations ? Les étudiants Iraniens, privés de l’accès à la parole, nous dament le pion, et avec quel aplomb. Il faut croire aussi que leurs espoirs et leurs ressentiments sont autrement plus forts que notre aspiration à nous marier ou adopter…Eux utilisent Facebook, Twitter, YouTube…

C’est une toute nouvelle pratique militante qui doit émerger. Nous n’avons finalement pas besoin de toutes ces associations, avec leurs banderoles, leurs locaux, si finalement tout cela ne sert à rien le moment venu. Mais nous pouvons compter sur nous. Les médias sociaux sont un outil incroyable de circulation de l’information. Ce que nous aurions pu faire, ce que nous aurions dû faire face à une loi génocidaire, c’était de la circulation d’information, du buzz. Parce qu’un buzz autour de cette affaire aurait conduit la presse à en parler, et aurait peut-être donné l’envie à des « gamins » d’aller manifester spontanément devant l’ambassade, spammer son email et saturer son fax après avoir créé une page sur FB, sur Skyblog et le compte Skype associé. Nos militants fatigués sont incapables de comprendre que ce qui compte est, pour nous tous, de reprendre la gestion de nos affaires. Nosaffaires de gays. Nos affaires de séropos, toutes ces affaires que nous sous-traitons à d’autres avec ce résultat déplorable.

Nouveaux outils à s’approprier

Nous avons manqué l’occasion de soulever la question des conditions de vie des gays et des séropositifs dans le monde. Cette occasion manquée nous révèle tels que nous sommes.

Nous ne gagnerons pas le droit au mariage, mais pas parce que les hétéros ne le veulent pas.

Nous ne gagnerons pas car nous sommes incapables de nous penser tels que nous sommes, à la merci des démagogues homophobes, défendus par des associations qui ne défendent qu’elles-mêmes et comptant sur la bienveillance de la majorité hétéros.

Minoritaires.

Nous avons de nouveaux outils pour nous sortir de cette impasse. À nous de nous les approprier. Buzzer, faire circuler l’information, et ne pas hésiter à être spontané. Organiser un rassemblement. Nous n’avons pas besoin d’association pour manifester et exprimer notre indignation. Ça ne coûte rien, juste quelques clics. Ça ne vous fait rien, que cette loi n’ait pas fait la une du 20 heures ? Qu’avons-nous fait pour que cela fasse la une du 20 heures ? Gays, séropositifs et Africains, dans un régime totalitaire, qui s’en soucie? C’est à nous de faire jaillir cette actualité.

Nous n’échapperons pas à cette révision avec un militantisme plus instantané, plaçant les organisations devant le fait accompli, les forçant à évoluer, ou à périr. Et aussi plus souple, moins contraignant. Aujourd’hui, nous pouvons militer, ou en tout cas faire notre travail de militant, aussi facilement qu’on vote pour la Star Academy. Alors?

Aujourd’hui, nous pouvons militer et signer des pétitions. Quelques heures, quelques jours avant que les lois ne soient votés en Ouganda ou au Rwanda. Un groupe FB vient de se créer. Vous y trouverez tous les liens pour exprimer votre demande : que ces lois ne soient pas votées.

Merci à Rachel Maddow, la seule personne qui se soit soulevée contre cette loi dans son émission, tous les jours, pendant des semaines.

Madjid Ben Chikh
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