Il fait nuit à Tôkyô 🇯🇵
C’est le jour à Alger 🇩🇿
Voici comment j’ai pris l’habitude de saluer Facebook tous les jours…
Ce soir, je prends l’avion pour la France sans avoir la moindre envie d’y aller. Ce matin, quand j’ai écrit le premier jet de ce billet, je caressais encore le timide espoir de pouvoir dire au revoir à ma mère. Et puis vers deux heures et demi, en pleine leçon je regarde distraitement l’écran de mon iPad qui s’est allumé et je vois un message de Malik, mon frère.
« Maman vient de nous quitter. »
Voilà.
Je lui ai parlé vendredi, on s’est dit ce qu’on avait à se dire. Que j’étais loin, et que c’était dommage, et elle a dit oui. Et puis que je l’aimais, et elle m’a dit qu’elle aussi. Un très timide au revoir, le résumé d’une vie. Progressivement sa respiration s’est faite bruyante, elle ne parlait pas. J’ai dit allo, et j’ai reposé une question. Elle a répondu difficilement. Puis elle s’est à moitié assoupi. Mon frère a repris le téléphone.
Lundi soir en France, mon frère m’a envoyé un message que j’ai reçu mardi matin au réveil pour m’informer que son état s’était encore profondément dégradé depuis. J’ai passé la matinée de façon surréaliste, travaillant ici avec le cerveau là. Dans le métro j’ai passé mon temps à regarder les billets d’avions pour constater qu’il n’y avait quasiment plus de billets disponibles: c’est la saison des cerisiers.
L’après-midi, c’est à dire le matin en France, j’ai appelé l’hôpital et l’infirmière a confirmé, c’était même encore pire que ce que mon frère m’avait dit. Elle était désormais inconsciente et sous morphine. J’ai acheté le seul billet possible avec la seule compagnie possible, je veux dire, à mes dates et surtout dans mes prix.
Dans le métro ce matin, j’ai commencé à écrire deux lignes sur Facebook pour dire que je partirais ce soir pour la France. Et puis j’ai pris ce portrait, je l’ai préparé en pensant voilà, ce jour là, j’avais cette tête, et puis j’ai pensé que non, que c’était ici, dans ce blog, que je devais les écrire, ces lignes. Mon écriture était décousue.
J’écrivais, je ne savais pas si elle est encore en vie. Aurait-t-elle la force de m’attendre. Je crois à l’âme, à la force de l’âme, je suis sûr qu’elle savait que j’arrivais. On se connaît bien tous les deux. Mais aurait-t-elle la force…
La mort, c’est une avalanche de souvenirs. Les miens se télescopent, elle revit en moi plus jeune, cela fait des mois que ça dure, et depuis que j’ai entendu sa voix vendredi, c’est beaucoup plus net, et moi, dans ces souvenirs, je redeviens ce petit garçon égoïste et capricieux gâté par son papa, et témoins du quotidien de sa maman, de sa terrible solitude dont il faudra que je vous parle un jour. Le moment n’est pas venu de vous parler de sa famille…
Elle est sur son lit comme moi-même un jour j’y serai. Je ne suis pas effondré, je connais bien la mort, et elle ne m’effraie pas. Je sais que papa veille sur moi et qu’il veille sur elle aussi. Il y a un bon musulman en moi, vous savez…
Je vais en France et je n’ai aucun désir d’y aller, mais j’y vais. Je vais aller dans une campagne où je n’ai absolument aucun désir d’aller, mais j’y vais. Je vais voir des gens que je n’ai pas envie de voir, mais je les verrai. Je repense au décès de papa, tout avait été trop vite. Cette fois-ci, je goûte chaque moment. Je pense sans arrêt à mon frère qui a partagé avec elle ces deux dernières années et je ne sais pas comment je pourrai l’aider car pour lui, ces deux années auront été un tourbillon qui aura commencé avant qu’elle ne tombe malade quand il appris qu’il devrait quitter son logement après avoir perdu son travail, un tourbillon qui l’a emporté quand elle a appris qu’elle était malade.
Je me suis coupé les cheveux, j’ai fait ma valise. J’ai prévenu mes deux classes du lundi et mardi matin. J’ai prévenu mon école. Prévenu mes amis. Et me voilà seul enfin.
Me voici sur cette photo comme j’étais ce midi. J’étais bien, j’étais heureux pour elle que cette souffrance se termine, et j’étais triste à la fois. J’avais le cœur très serré, bousculé par ces tonnes de souvenirs où maman était encore jeune, et belle, et où il y avait moi. Je repensais à cette photo, elle était avec papa, peut être vers 1962 ou 1963. Quel courage elle a eu, épouser un algérien, à cette époque…
Je suis à l’aéroport. J’ai écrit à ma famille, je veux dire à mes cousins algériens. Ils ne la connaissaient pas. Seul mon oncle Madjid la connaissait. Toujours ils me demandaient des nouvelles, une photographie, ils transmettaient un message. Toujours. Jamais la famille de maman n’a eu cette élégance et cette gentillesse pour papa…
Et puis il y a vous, les lecteurs, mon autre famille. Je tenais à vous en donner la primeur.
J’ai une pensée pour Didier Lestrade qui lors de notre rencontre cet hiver m’a donné la force de lâcher ces quelques mots, au téléphone, après lui avoir envoyé de petites choses du Japon avec des messages d’amour. On ne disait pas je t’aime dans la famille, Didier m’a aider à le dire au moment où c’était le plus important.
Viendra le temps du deuil. Pour le moment, il y a cet avion vers Doha…
Aéroport de Haneda, mercredi 20 mars 2019, 23h15
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