Réinventer la France

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La réécriture de l’histoire par la bourgeoisie au XIXème siècle n’effacera jamais cette réalité: la révolution française n’a pas été faite pour faire une république, qui n’est en soi qu’un accident de l’histoire, une contingence. La révolution fut avant tout une révolution démocratique dont l’un des premiers actes est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le triomphe de la république autoritaire

Ces jours passés à absorber les attaques de vendredi 13 novembre, le deuil, le chagrin, ont vu les tenants de la république autoritaire former une nouvelle majorité réactionnaire unie autour de la plus puissante offensive anti-démocratique des 57 dernières années. Seuls 6 députés ont refusé d’abdiquer leurs principes, quelques jours après que l’assemblée ait donné le spectacle d’un cirque vulgaire.

Le caractère totalitaire de la Vème république, dénoncé en son temps par Pierre Mendès-France se révèle désormais sous nos yeux: la révision constitutionnelle et l’état d’urgence nous conduisent à une hyper-présidence dans un état policier dominant une société d’où sont définitivement neutralisés tous les contre-pouvoirs.

Nous passons du « coup d’état permanent » à l’état d’urgence permanent dans ce qui s’apparente à un « patriot act » à la française.

Depuis juin 2015, les écoutes et le contrôle de l’internet à grande échelle, au même moment où les USA revenaient sur cette politique adoptée du fait de sa totale inefficacité.
Le retrait de la nationalité pour les criminels d’origine étrangère, vieille proposition du Front National, créant une citoyenneté conditionnelle à deux vitesse.
Le port d’arme en dehors du service et la possibilité de tirer hors de la légitime défense, une autre proposition du Front National, laisse la poste ouverte à des bavures, dores et déjà trop nombreuse, et dont ni la société en générale, ni la police en particulier, ne sortiront grandis.
Des élus Les Républicains ont proposé l’enfermement des suspects « fiche S » sur simple décision administrative comme à Guantanamo ainsi qu’un encadrement de la liberté de la presse, comble d’ironie pour ces élus qui en janvier dernier célébraient cette même liberté de la presse.

Il nous faut craindre désormais pour les libertés publiques et pour les libertés individuelles dans un état d’urgence qui réduit chacun à l’état de suspect.

Une république agonisante

Élu comme un progressiste modéré, il aura fallu trois ans à François Hollande pour rejoindre Guy Mollet dans une politique d’impasse et d’impuissance, là où se pratiquent toutes les compromissions aux principes élémentaires proclamés de la république: la liberté, l’égalité et la fraternité.

Il serait vain, toutefois, de pointer la responsabilité sur un homme en oubliant ces chroniqueurs, ces écrivains, ces pseudo-philosophes, ces responsables politiques et des pans entiers de la société qui tous ensembles forment un système clos, fermé, oligarchique et conservateur masquant de plus en plus difficilement un abandon, un échec ainsi que sa soumission à une bourgeoisie avide de baisses d’impôts et de déréglementations.

Enfermée dans une bulle médiatique où papillonnent des scribouillards étalant des bavardages vides sans horizon mais tous plus où moins convertis à l’idée d’une république autoritaire demandant au peuple de n’être que l’idée qu’ils s’en font, la France de 2015 offre l’étrange spectacle d’être devenue une puissance de troisième zone, ignorante des débats intellectuels qui ailleurs ont depuis plus de vingt ans revivifié la pensée.
La France n’est pas les USA, disent-ils, chaque fois que la question raciale est soulevée. Oh, que non elle ne l’est pas, car au moins aux USA, on en parle, on l’étudie, cette question, et le degré de conscience sur la question raciale progresse  et mobilise dans la société quand en France une moindre allusion vous renvoie aux invectives et aux accusations.

Ainsi, le traitement médiatique de la Marche de la dignité, l’un des évènements politiques les plus importants des trente dernières années, a été un révélateur de cette incapacité de la France à s’ouvrir à des questions, qui, ailleurs, parviennent désormais à s’imposer dans le débat public.

La république autoritaire dénie au peuple son expertise, la connaissance de ses propres problèmes ainsi que toute capacité à s’organiser. En un mot, en absorbant en elle l’ensemble des questions irriguant le champs social pour mieux les ignorer la plupart du temps, la république autoritaire limite chaque jour un peu plus ce qui fait la vitalité d’une démocratie, à savoir l’implication réelle de ses citoyens, pourtant les seuls véritables experts de leurs problèmes, à même de déterminer ce qui permettrait de rendre la société plus humaine, plus libre, plus douce et plus belle, plus fraternelle aussi.
Avec la terrible conséquence de n’offrir à une jeunesse écrasée par le chômage (dont le taux réel est supérieur à 20%), qu’un avenir sans issue où seule la force triomphera: celles de la délinquance, de la drogue, du suicide, la force de l’état policier, ou la force de la terreur.

La réaction panique de la république autoritaire, dont les acteurs se sont livrés à l’assemblée nationale de la façon la plus indécente à des surenchères médiatiques vulgaires sur les cadavres à peine refroidis des victimes des criminels barbares de DAESH, est à la mesure de l’échouage total de ce petit monde politico-médiatique qui enferme et corsette le débat public.
La population, surtout sa plus jeune part, ressent au quotidien la fragilité sociale, économique, politique et l’absence totale de perspectives dans un pays en fin de course, comme le constatent, de plus en plus nombreux, les intellectuels du monde entier.

Ni l’Espagne, ni le Royaume-Uni en 2005, ni la Norvège en 2011 n’ont décrété un état d’urgence assorti de modifications constitutionnelles. La république autoritaire, comme tout système en cours d’implosion, exactement comme la IVème république à l’agonie en 1956, exactement comme la IIIème république en fin de course des années 30, exhibe dans cet apparat de force l’incroyable faiblesse d’un système usé.
Quelle sera sa réponse, en effet, si demain venaient à agir d’autres terroristes: suspendraient-ils les libertés constitutionnelles en recourant à l’article 16?

L’état d’urgence permanent s’installe dans la résignation de la majorité d’une  population assommée après l’épreuve mais qui, demain, se réveillera avec la gueule de bois quand elle réalisera ce que ce nouvel état institutionnel pourrait vouloir dire entre les mains d’un-e président-e de la république d’extrême-droite, une éventualité loin d’être impossible.

Le temps de « moi-même »

Au moment où sous la pression d’une opinion apeurée la république autoritaire se durcit un peu plus, il me semble nécessaire de marquer un temps de recul, de débrancher le temps médiatique, de sortir du temps politique qui a montré toute sa profonde médiocrité, et de marquer un temps que j’appellerai le « temps de soi-même », et que l’on consacrera à penser à ce que l’on désire vraiment. Cet exercice, je m’y suis astreint tout au long de cette année. Je suis prêt à vous livrer mes propres conclusions, et je vous invite à vous aussi marquer ce temps de « vous-même ». Dans ces moments éprouvants que nous partageons, c’est un exercice nécessaire.

Je ne suis pas républicain

La république n’est pas en danger, et du Front National à l’extrême-gauche, personne en France ne souhaite rétablir une monarchie. Le discours dominant sur la république en danger est donc nul, non avenu et infondé.
Il procède d’une manipulation grossière destinée à renforcer un arsenal répressif dores et déjà conséquent dont l’inefficacité s’est étalée au grand jour vendredi 13 novembre et dont le nouveau seuil franchi avec l’instauration de l’état d’urgence et les modifications constitutionnelles totalitaires ne tarderont pas, hélas, à démontrer leur inefficacité: une mauvaise politique, reposant sur des constats et des présupposés erronés ne peut produire que de mauvais résultats.

Ainsi, malgré un renforcement de tout l’arsenal sécuritaire depuis plus de 15 ans, avec pas moins de 11 lois successives, nous avons vendredi 13 novembre franchi un seuil dans l’horreur. Le succès de l’intervention de Saint-Denis, dont le succès ne se discute pas, se place quant à lui en dehors du cadre de l’état d’urgence.
En revanche, nous apprenons que les manifestations politiques prévues dans le cadre de la COP21 sont interdites au nom de l’état d’urgence.

Je suis démocrate

Qui d’autre, mieux que nous, le « menu fretin » offert aux tirs de kalashnikov un soir de hasard dans une rue de Paris mais également offert aux décisions des actionnaires de grandes sociétés décidant de sacrifier nos vies pour leurs profits, est à même de prendre en charge ses affaires?
La réécriture de l’histoire par la bourgeoisie au XIXème siècle n’effacera jamais cette réalité: la révolution française n’a pas été faite pour faire une république, qui n’est en soi qu’un accident de l’histoire, une contingence. La révolution fut avant tout une révolution démocratique dont l’un des premiers actes est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Je suis pour la démocratie, pour l’expertise des citoyens sur leurs propres affaires, pour un pouvoir exécutif controlé par un pouvoir législatif fort et représentatif de toute la diversité politique de la Nation, tous deux agissant auprès d’une justice totalement indépendante dont le haut conseil est, pourquoi pas, élu lui aussi, tous travaillant sous les yeux de journalistes dont la liberté d’expression est protégée par un conseil supérieur aux pouvoirs garantis par la constitution, pour un état décentralisé où un département, une région ou quelque collectivité que ce soit puisse décider de son autonomie dans le cadre constitutionnel, conformément à certains projets de la constituante de 1791, pour une police agissant au quotidien au plus près des habitants et redevable devant les citoyens comme l’exige la déclaration de 1789.

La république autoritaire dans laquelle nous glissons depuis une vingtaine d’années et qui triomphe aujourd’hui est une dissolution du corps civique dans un état qui pense en lieu et place du corps civique, une état sur lequel le corps civique n’a aucune prise, si ce n’est d’en choisir les élus par le jeu des chaises musicales électorales et des peurs que les politiques suscitent pour mieux masquer leur incompétence. En contradiction totale avec les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui consacre la séparation des pouvoirs.

Pourtant, lors des attentats de vendredi 13, on a vu surgir de fantastiques gestes de solidarité spontanés qui portent la marque de cette capacité de la société à prendre ses affaires en main. Le projet démocratique est précisément ce projet de liberté et de pleine autonomie de la société, l’état n’étant plus alors qu’un instrument au service de l’intérêt général tel que défini par les citoyens par leurs différentes formes d’expression, que ce soient les élections, la presse, la littérature, les manifestations, les associations, l’engagement politique, la solidarité active…

La dérive totalitaire et césariste de la république autoritaire coalisée du FN au Front de Gauche me confirment dans mes conviction: il n’y a pas d’autre alternative qu’une alternative authentiquement démocratique, confiante en la société dépassant le cadre des partis politiques dont la faillite n’est plus à démontrer.

Je suis donc candidat en 2017

J’ai l’intime conviction que notre pays est mûr pour une nouvelle étape dans son processus démocratique. La France des années 50, celle qui a vu naître la Vème république, n’existe plus, mais nous en subissons encore ces institution qui nous infantilisent.
Jamais dans notre histoire il n’y a eu autant de personnes sorties de l’enseignement supérieur, et même parmi celles et ceux qui n’y ont pas eu accès, jamais le degré de connaissance du monde, la participation à des associations de quartier, d’entr’aide et de solidarité, l’implication dans le local n’a été aussi fort.
Pourquoi faudrait-il subir une constitution consacrant cette vision paternaliste et rétrograde de la vie publique que l’état d’urgence consacre de façon caricaturale?

J’ai donc pris la décision de me présenter aux élections législatives de 2017 dans la circonscription Asie-Pacifique. J’explore également la possibilité d’être candidat à l’élection présidentielle de 2017, conscient toutefois que pour cette élection la tâche est autrement plus difficile.

J’y ai pensé tout au long de cette année. je reviendrai dans les jours et les semaines qui viennent sur mon parcours et vous comprendrez progressivement comment j’en suis venu à écrire ce long billet.
J’avoue, je me sens un peu tout nu, un peu ridicule, comme un artiste qui va rentrer sur scène pour la première fois. Mais je ne peux me résigner à voir notre avenir s’assombrir chaque jour un peu plus entre les mains d’une élite discréditée et je sais que nous sommes nombreux à penser ainsi. C’est en pensant à toutes celles et tous ceux qui, comme moi, conjuguent une certaine forme de colère devant un avenir obstrué où tout se joue sans eux quand ce n’est pas contre eux, que je franchis le pas.

L’espoir, c’est nous

La république autoritaire coalisée de la droite extrême à la gauche ayant abdiqué tout principe autours de François Hollande dans un même élan totalitaire créé de fait une situation nouvelle, une véritable opportunité politique. Elle créée ce que Sartre appelait une situation. Les conditions du sursaut.
Je vous invite à devenir la nouvelle opposition, celle qui aspire à vivre dans une France ouverte, libre et réinventée.

Loin de tous ces margoulins mis en examens, de ces pleutres analphabètes, de ces carriéristes vulgaires et de ces racistes patentés préparant tous allègrement la victoire de l’extrême droite aux élections de 2017 (ils s’en foutent: ils sont tous blancs), nous les écoeurés du traitement médiatique infligé aux voix minoritaires, nous pouvons nous mettre en mouvement sur nos propres bases et travailler à dessiner les contours d’un mouvement politique de gauche, profondément démocratique et propulsé par des acteurs nouveaux comme vous, comme moi.

Un mouvement Démocratique, confiant dans les capacités de la société à s’organiser et à prendre ses affaires en main.
Social, décidé à affirmer le primat du plein emploi et de la dignité qu’il y a à occuper toute sa place dans la cité.
Socialiste, conscient du lien entre la liberté effective et l’exercice du pouvoir jusque sur le lieu de travail.
Cosmopolite, acceptant chacun et chacune avec la vie qu’il et qu’elle a choisie dans sa diversité.
Pluri-culturel, respectueux des identités locales, des langues régionales, des origines et des convictions de chacun, tous ensembles réunis par une même constitution donnant à chacun et chacune sa place et l’opportunité d’apporter son talent, de créer.
Post-colonial, débarrassé des ambitions, des pratiques et d’un imaginaire hérités de l’empire.
Modeste enfin et surtout, mais ouvert aux vents du monde, car le monde change et que la France, enfermée par la république autoritaire dans des débats stériles faits de « racines » et de « valeurs », est avant tout le rêve vibrant de ses habitants, de sa jeunesse à qui le monde s’offre, un monde de cultures, de saveurs et de sons, et que c’est cette capacité à accueillir le monde en son sein pour se réinventer que le monde aime dans la France.

Je vous invite toutes et tous qui, comme moi, avez conscience de la dérive totalitaire caractérisée par l’incompétence économique et sociale manifeste d’un régime en fin de course nous conduisant en vitesse automatique à une véritable catastrophe, à sauter le pas et à participer à un véritable sursaut démocratique, à nous mettre en réseau, à nous coaliser.
Nous avons encore ce pouvoir, nous sommes LE pouvoir, et si nous laissons faire, nous seront redevables devant l’histoire.

Tôkyô, le 20 novembre 2015.

Quelques articles, la liste se fournira dans les jours qui viennent

Pour que cesse la lutte armée en France, il faut gagner la paix au Moyen-Orient par Edgard Morin, sur Le Monde

J’ai été otage de l’État islamique. Daesh craint plus notre unité que nos frappes aériennes par Nicolas Hénin sur The Guardian (en français)

Le retour de boomerang par Jean-François Bayart sur Libération

La déchéance de nationalité pour lutter contre le terrorisme, vraiment ? par Gwen Fauchois

Communiqué du Syndicat National de la magistrature

Villepin : « Faire croire que nous sommes en guerre est un piège » par Michel Soudais sur Politis

Des magistrats et avocats dénoncent l’état d’urgence, dépêche Reuter

« On Manque D’hommes Pour Neutraliser Les Terroristes », Interview Du Juge Trévidic Sur Paris Match

Lettre ouverte à François Hollande : « Vous êtes tombé dans le piège, Monsieur le Président », par David Van Reybrouck (traduction Eric Steffens)

La classe politique, victime collatérale du terrorisme par Authueil

Réinventer la France (deux parties, suite à venir) sur ce blog, Madjid Ben Chikh

It’s Paul Krugman vs. Noam Chomsky: This is the history we need to understand Paris, ISIS par Patrick L. Smith sur Salon.com (Anglais, US)

La « guerre mondiale contre le terrorisme » a tué au moins 1,3 million de civils, par Marc De Miramon sur l’Humanité

Depuis Strasbourg, un ex-espion américain met en garde la France via AFP

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