Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

L’OBSERVATEUR


De très loin, je suis, j’observe cette campagne électorale où, pour la première fois, je ne sais pas du tout pour qui je voterai ni même si je voterai. Ce sera la première fois que je serai en dehors, totalement, armé de mes seules idées et de mes seuls principes, libre totalement, défait politiquement aussi.

J’observe les saisons

Les jours se suivent à une vitesse que je ne connaissais pas. Est-ce cela, vieillir? Je me promenais le week-end dernier et nous voilà déjà jeudi matin.
Cette année, pour la première fois, je prends des antihistaminiques contre mon allergie au pollen de cyprès. La semaine dernière, mercredi soir, en rentrant chez moi, j’avais un horrible mal de tête et une vague fièvre pendant que mon nez ne cessait de couler. Je commençais à me persuader que c’était la grippe, et puis, arrivé chez moi, les symptômes se sont évanouis et il ne restait plus qu’un vague mal de tête qui a disparu une trentaine de minutes plus tard. C’est la première fois que les symptômes se font si violents, habituellement, il n’y a que la poussière qui me rende malade à ce point. Jeudi, j’ai donc commencé à prendre un médicament et depuis je vais beaucoup mieux, tout au plus ce mal de tête dans la nuque qui lance et puis s’en va, bref, pas trop de mal.

Nous sommes entrés dans le printemps ce lundi, et au Japon, l’équinoxe de printemps est fériée. Deux jours de grandes promenades sous le soleil, c’était très agréable. Partout on le voit bien, les boutons sur les branches sont prêts à littéralement exploser en fleurs et en feuilles, des feuilles qui ont dors et déjà sorties sur les cerisiers éclos le mois dernier, un vert lumineux et neuf.
À ma fenêtre, mes plantes revivent et je suis étonné de voir mon rosier verdir, je le croyais mort. De tendres feuilles toutes souples sortent et je vais peut-être le tailler pour lui donner une forme un peu plus belle. Je croyais vraiment qu’il était mort, je ne me suis pas occupé de lui.
Cette année, l’hiver n’a pas été très froid, chaque mois j’ai consommé moins d’électricité que l’an dernier, où j’avais de même consommé moins d’électricité. Je pense en réalité économiser au moins 40 à 50% d’énergie comparé à avant le séisme. Pas que je gâchais consciemment l’énergie, mais par exemple je mettais l’air conditionné à « 25 » comme on m’avait dit de le faire quand maintenant je me contente de « 21 » (j’ai essayé « 20 » mais force est de constater que dans une maison en bois comme la mienne, là, ça ne chauffe plus du tout), et je porte un gilet. La nuit, je ne chauffe plus du tout, je mets une deuxième couette. Je me réveille en bien meilleure forme. L’été, c’est la même chose, je règle l’air conditionné à « 28 » quand autrefois je n’hésitais pas à le mettre à « 25 », voir « 24 » ou même « 23 », comme on m’avait dit de le faire. Et puis j’ai changé ma façon d’utiliser l’air conditionné. En hiver, je dirige le flux vers le sol, je protège ma colonne nasale, et j’ai constaté que la chaleur se diffuse bien plus efficacement.
Enfin, je n’utilise plus du tout de chauffage d’appoint. Je me suis habitué à ce que ce soit parfois un peu frais. Ma facture s’est donc allégée malgré les augmentations après l’accident de Fukushima.
Il faut reconnaitre que les vieilles maisons comme la mienne sont assez difficiles à chauffer. Il n’y a pas de double vitrage et la structure en bois multiplie les « creux » qui sont autant d’espaces où l’air froid circule. J’ai donc fait comme on m’avait dit de faire pour chauffer durant des années, irritant mes cloisons nasales et me desséchant la peau sans réellement parvenir à bien chauffer. J’accepte désormais que mon appartement soit frais, et je constate qu’à l’arrivée il n’y a pas tant de différence. Au contraire, l’humidificateur d’air qui ne consomme quasiment rien aide à mieux répartir la chaleur. L’hiver, ici, est incroyablement sec.

J’observe la campagne électorale

De très loin, je suis, j’observe cette campagne électorale où, pour la première fois, je ne sais pas du tout pour qui je voterai ni même si je voterai. Ce sera la première fois que je serai en dehors, totalement, armé de mes seules idées et de mes seuls principes, libre totalement, défait politiquement aussi.
J’ai découvert sur YouTube les programmes de Public Sénat, que je regarde. J’ai regardé quelques meetings. La situation est désolante et, pour un (réel) socialiste comme moi, véritablement affligeante, car vu de loin tout respire l’hégémonie culturelle du conservatisme.
C’est pour cela que j’avais eu l’idée de me présenter aux élections, une idée qui n’a guère intéressé autours de moi. J’acte depuis plusieurs mois ma défaite politique et idéologique intégrale, sans rémission, sans échappatoire possible. Je la contemple chaque jour et rien ne me désolerait plus qu’une victoire (surprise, car il faut l’avouer, elle en est encore arithmétiquement très loin) de Marine Le Pen tant elle me donnerait un goût de « je vous l’avais dit » qui ressemble plus à la sanction d’un Père Fouettard qu’au simple constat d’un ami bienveillant.

J’observe une dérive

Ce qui m’afflige le plus est que cette hégémonie se retrouve jusque chez Jean-Luc Mélenchon, avec cette avalanche de drapeaux, avec cette incapacité voire même ce refus qu’il a à parler de « socialisme », de « classes sociales » et même de « gauche », avec cette Marseillaise pompière de fin de meeting. Ignore-t-il, méprise-t-il, caricature-t-il ce peuple travailleur qu’il entend mobiliser pour le caricaturer à ce point? S’est-il plié à l’exigence des journalistes et sociologues de classes moyennes pour croire que le drapeau et la Marseillaise feraient vibrer les salariés? Je hais ce populisme, parce que précisément j’en viens, « du peuple », et que cette assignation à des référents culturels que je serais supposé aimer m’ont toujours fait vomir. D’autant que j’appartiens à une fraction du « peuple » pour qui ces symboles ne sont pas spécifiquement synonymes de libération. Au contraire.

Qu’on ne s’y trompe pas

J’aime la Marseillaise, ses 7 couplets, j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire et de le dire, je l’aime dans les arrangements de Claude Balbastre de 1795 par exemple, avant que celle-ci ne devienne synonyme de l’écrasement des haïtiens et du retour à l’esclavage, de la destruction d’Alger et du pillage de l’Afrique noire. Je l’aime dans sa ferveur libératrice initiale, quand il s’agit de défendre la liberté acquise contre les forces coalisées de la réaction.
Qu’on ne s’y méprenne pas, j’aime le drapeau tricolore, non pas ce symbole d’un empire dont se sont parés tous les politiciens réactionnaires pour écraser les révoltes légitimes des peuples et du prolétariat, ce drapeau qui en entrant dans Paris en 1871 en a assassiné 100.000 habitants, non, je l’aime tel qu’il se présente en 1790 lors de la grande fête de la Fédération, simple symbole de la constitution et de la réunion de cette diversité qui compose la France, ou tel qu’il s’incarne en 1944 dans les rues de Paris libéré du Nazisme et de l’État Français, il est alors aussi beau, aussi digne que le drapeau algérien agité à Sétif en 1945 avant que la réaction, bardée du drapeau tricolore, n’assassine plusieurs de dizaines de milliers d’Algériens pour crime de lèse-drapeau.

J’observe l’hégémonie culturelle de la droite

Celle de la réaction et de l’extrême-droite. Oublier que le drapeau rouge, du rouge du sang des travailleurs, était le drapeau que les travailleurs eux-mêmes s’étaient donnés pour se distancier du drapeau de l’oppresseur bourgeois qui n’aime le peuple que pour l’envoyer à la boucherie en 1914 à coup de tricolore, de marseillaise pompière et de Pucelle d’Orléans. Des dizaines de millions d’hommes tués, gazés, estropiés dans les tranchées, allemands, français, coloniaux, anglais, russes, tous divisés par des drapeaux et des hymnes pompiers, et pourtant unis sous le même drapeau rouge du refus et de la seule vraie fraternité des travailleurs de tous les pays.

Je sais bien, je sais parfaitement que Jean-Luc Mélenchon la connait, cette histoire, et que par bribes même il la rappelle ici où là. Mais pourquoi cette obsession de biberonner les travailleurs avec les instruments de cet asservissement nationaliste? J’en ai ras le bol, de cette citation à la con de Jaurès, « Un peu de patrie éloigne de l’internationalisme, beaucoup de patrie en rapproche gna gna gna », au moins autant que celle de Gramci sur « Le vieux se meurt gna gna gna », trente ans qu’on nous les sert.

J’observe Mélenchon

Quand j’entends Jean-Luc Mélenchon parler de fiscalité, de sécurité sociale remboursant à 100%, je reconnais une identité commune, après tout nous avons tous deux été membres du même parti et immédiatement je me sens tenté de voter pour lui, mais ce nationalisme, ces accents totalitaires (la révocation des élus étant un sommet d’autoritarisme plébéien, au moins autant que le 49.3 citoyen de Hamon) et populistes ne sont absolument pas dans ma culture politique, ils m’horripilent, et pour tout dire ils sont contraire à ce qui constituait l’idéologie du parti auquel nous appartenions.

Il est vrai que je l’ai quitté ce parti, le Parti Socialiste, il y a très très longtemps, que je n’y ai pas fait de carrière et que je me suis contenté de n’y être qu’un militant, et que ce parti a lui-même progressivement abandonné toute référence à un projet socialiste et « révolutionnaire » d’émancipation de la société de classe capitaliste, accompli dans le cadre démocratique, entendu comme l’exercice du vote bien entendu, mais aussi de la lutte syndicale, de l’organisation de la société elle-même. Depuis des années, un discours interclassiste, républicain, parfois même autoritaire et néo-conservateur chez Manuel Valls s’est progressivement imposé, et par moments, il me semble que Jean-Luc Mélenchon n’en offre qu’une variante « de gauche », « radicale ».

J’observe la totale disparition du socialisme

De socialisme, c’est à dire d’un processus d’émancipation démocratique de la société de classe, il n’est plus question nulle part, ni au Parti Socialiste et cela depuis bien longtemps, ni même chez Jean-Luc Mélenchon.

J’ai longtemps espéré que l’implosion du Parti Socialiste permettrait de clarifier les lignes et de voir se reconstituer une nouvelle force Socialiste qui aurait été un hybride de PSU, c’est à dire considérant le Socialisme comme le mouvement de la société elle-même à travers la reconnaissance de l’autonomie des luttes sociales et sociétales, du Parti Socialiste de l’époque de François Mitterrand dans sa détermination d’utiliser la conquête du pouvoir de l’état comme l’un des instruments du socialisme démocratique et de la nécessité de constituer des alliances en un Front de classe réuni autours d’objectifs communs, mais aussi du Parti Communiste entendu comme une force social-démocrate (au sens nordique et allemand), c’est à dire développant des réseaux d’associations, de coopératives, sa presse et son propre syndicat afin d’être en mesure de peser, même idéologiquement, ni même sans exercer le pouvoir de l’état.

J’observe mon, « notre » échec, à (laisser) inventer

Je suis depuis longtemps favorable à la reconstitution de ce qui s’appelle le « Parti Organique », puisque la division entre communistes et socialistes a été tranchée par l’histoire et que cette réunion serait l’occasion de tirer les bilans, de l’échec de la social-démocratie à dépasser une pure gestion néo-keynésienne puis néo-libérale  et jusqu’aux crimes du communisme et à sa soumission à une dictature totalement contraire aux principes du Socialisme.

Et comme je ne suis pas du tout nationaliste, depuis vingt ans je suis en faveur d’un Parti qui serait un Parti européen dont les partis nationaux ne seraient que des branches, et dont le programme, les priorités seraient discutés, élaborés par l’ensemble des militants à travers toute l’Europe. La réduction du temps de travail, l’abolition de la pauvreté, le pouvoir dans l’entreprise, la compatibilité du développement et de l’impératif écologique, pour ne citer que quelques questions, ce sont des questions qui n’ont pas de nation, la précarité touche l’ensemble des travailleurs européens (et au delà, l’ensemble des travailleurs dans le monde) pour la simple et bonne raison que le capitalisme n’est pas d’un pays.

En ce sens, fustiger « la mondialisation » est un non-sens puisque le capitalisme est, depuis sa naissance au 15ème siècle, cette économie mondiale et prédatrice qui se moque des nations, hommes, de leurs cultures, de leurs souffrances et de leur quotidien pour n’être que l’organisation d’une inorganisation permanente appelée « progrès », une machine sans cesse renouvelée et jamais satisfaite et poussée par cet hybride fait de curiosité, de créativité et d’avidité au gain, cette dernière alimentant les deux premières pour sa seule cause.

Voilà pourquoi sans défendre ni l’euro, ni l’Union Européenne, je les regarde avec la même indifférence que le franc et la République Française, car ni l’un, ni l’autre, en réalité, n’ont été faite pour nous.

J’observe le triomphe de la république conservatrice…

Cette république, chaque fois qu’elle a tenté de se faire plus « sociale » – à défaut de se faire Socialiste -, chaque fois elle s’est abdiquée elle-même, en 1851 en se donnant à Louis-Napoléon pour échapper aux « rouge », en 1871 en écrasant la Commune après avoir vendu Paris aux prussiens, en 1914 en déclenchant la plus fantastique boucherie que l’Europe ait jamais connu, en 1924 en sortant ses capitaux face à la menace d’un timide impôt sur le revenu, en 1940 dans la démission de ses élites trop heureuses de se vendre à Hitler pour couper court au danger que représentait pour ses intérêts un prolétariat organisé de plus en plus conscient de sa classe et de sa force et utilisant l’arme légale « républicaine » de la grève et du vote pour s’imposer, en 1958 en se couchant face à un coup d’état afin de sauver cet empire colonial et surtout les bénéfices qu’elle en tirait, en 1981 en sortant ses capitaux et ses richesses par brassées à peine connu le résultat de l’élection présidentielle, et chaque fois, sitôt son ordre revenu, on a revu les mêmes venir en célébrer les vertus, de cette république qu’ils ne promeuvent que pour en faire leur chose, enveloppée dans son drapeau sous les accents de cette Marseillaise qu’ils ne limitent qu’à un refrain pour mieux en faire oublier les couplets authentiquement révolutionnaires.

Le retour de la « souveraineté » ne changera rien, si ce n’est que l’ajustement nécessaire lié au retour de la monnaie, ce seront les salariés qui le paieront.

… et le silence sur ses crimes

La république n’est pour moi que la forme du gouvernement. Pouvoir par le peuple, et non pouvoir héréditaire. Je n’y vois rien d’autre. Veut-on revenir à une forme autoritaire, héritée, et alors oui, je défendrai le principe républicain. Mais me voir défendre des « valeurs », des « principes » liés à la république, dont la troisième a été portée par ce salopard d’affairiste orléaniste Adolphe Thiers puis symbolisée par cette ordure bourgeois racialiste Jules Ferry, dont la quatrième est née entre le massacre de 45000 algériens en 1945 et celui de 90000 malgaches en 1947 avant que la cinquième ne sorte d’un coup d’état militaire dont les ficelles étaient très astucieusement tirées par Charles de Gaulle.

J’observe « notre » solitude politique

Mon discours peut paraître très radical. Il ne l’est que parce que l’hégémonie culturelle est nationaliste et républicaine, c’est à dire conservatrice.

Il y a trente ans, Jean-Marie Le Pen choquait tout le monde. Aujourd’hui, sa fille trône sur les plateaux télévisés et une partie importante de son discours est admis, accepté. Quand la gauche était forte idéologiquement, le dixième de ce qui se débite maintenant naturellement aurait été regardé avec terreur comme un retour de Vichy. Regardez comment s’appelait le bouquin de Valéry Giscard d’Estaing en 1979, Démocratie Française. Il voulait être à la tête d’une « démocratie avancée », et dix ans plus tôt, Pompidou se réclamait du « Socialisme à la suédoise » (sans en faire le millionième de la politique bien sûr). Maintenant, c’est le contraire, chacun s’emploie à se montrer plus patriote, plus nationaliste que son voisin.

Alors de mes idées, on dira que je suis d’extrême gauche, anti-français.

J’observe Emmanuel Macron

C’est là où Emmanuel Macron m’a « déçu ». Il avait laissé espéré une sorte de giscardisme modernisé, une sorte de décontraction cool néo-libérale, un peu comme des vacances, mais il a progressivement, art de la triangulation oblige et triomphe des communiquant doublé d’une profonde incompétence, infléchi son discours sociétal et la tonalité s’est progressivement rapprochée de la tonalité générale. Quand Marine le Pen l’a tancé sur le burkini, il aurait pu hausser les épaules et exploser de rire, et lui dire que non seulement personne n’en avait rien à faire, et rappeler que ce n’était qu’un bidonnage médiatique des amis de Sarkozy puisque ces arrêtés avaient été pris dans des coins où jamais personne n’en avait vu, de burkini… Après tout, c’était ça, les faits. Il a fallu, lors du débat, qu’il fasse presque du Valls.
De jour en jour, Macron s’est affadi et ressemble de plus en plus à un Giscard à la fin du septennat.

Il n’était pas ma tasse de thé du tout, mais il y avait une certaine fraîcheur amateur qui le rendait sympathique et défricheur, ouvert. La campagne révèle le rien du tout. Pas facile, finalement, être Blair ou Trudeau, quand on se limite à leur politique économique.

J’observe l’échouage pathétique de Hamon

La fraîcheur, l’amateurisme, à l’arrivée, elle est chez Hamon. Comme l’a écrit un ami sur Facebook, ce n’est pas un candidat, c’est un Think-tank.

Hélas, son incapacité à envoyer bouler l’appareil de son Parti, à critiquer l’action du gouvernement, au nom du Parti, au nom du programme (pourtant incroyablement insipide et dors et déjà centriste) du Parti en 2012 bref, à balayer l’accusation de fronde pour la remplacer par celle de trahison du contrat de 2012, attitude que lui auraient permis le résultat de la primaire ainsi que les départs en masse chez Emmanuel Macron le transforment chaque jour qui passe en un fantastique ratage quand il aurait pu être une belle opportunité.

Un de mes contacts sur Facebook dit souvent « la preuve par la Palestine », et il a raison. Combien sont ils qui encensent le courage des résistants, celui des combattants indépendantistes algériens et sud-africains, et qui sont pris d’une sorte de cécité quand il s’agit de parler de l’expropriation d’un peuple de sa terre, de son histoire et de sa culture.

J’ai pour ma part, pour juger la performance d’un Socialiste ce que j’appelle sa capacité à « me parler ». C’est à dire à réveiller quelque chose. J’ai tendu l’oreille à Benoît Hamon, retendu. Jamais il ne m’a parlé. Il s’en sort bien, certes. Mais comme je l’avais dit après quelques jours à des amis et dans quelques échanges, il a privilégié l’appareil quand sa seule chance d’exister aurait été de torpiller l’appareil. De se faire à lui tout seul le porte parole d’une coalition qui n’existait pas encore mais que l’élection aurait permis de créer. De marteler la sixième république, et de laisser à d’autres le soin d’avancer sur le revenu universel, cette usine à gaz. De casser le cadre néo-conservateur de ce Parti fossilisé et de laisser s’exprimer une variété d’opinions, tiens, même sur l’islam, tiens, même sur la Palestine, tiens, même sur la colonisation, tiens, même sur les bavures policières, pour se contenter d’en être l’arbitre et le modérateurs. Après tout, dans ses meetings, on voit plus de drapeaux écologistes, de drapeaux MJS, de poing et la rose et même de drapeaux rouges que ces quelques drapeaux tricolores qui sont là on se demande presque bien pourquoi. Et ça, quand je compare à « la France insoumise » ou à Emmanuel Macron qui double le tricolore du drapeau européen, ça m’en fait, des vacances.

J’observe une catastrophe qui vient

Quitte à perdre l’élection et en être accusé par l’appareil du Parti, il aurait pu la bousculer, enthousiasmer les gamins, les réveiller, leur montrer que la politique, et encore plus le Socialisme, c’est un combat, un combat qui commence par bousculer la pensée dominante et qui se continue dans le véritable combat au jour le jour sur le terrain, dans ces engueulades où s’expriment les convictions en donnant envie de continuer après, surtout après l’élection, que c’est aller chercher le prolo, s’engueuler avec respect mais en restant sur ses positions, et être là quand il galère. Au corps à corps avec une société qui s’est repliée au point d’embrasser le discours du Front National sans même s’en apercevoir.

J’ai attendu ce miracle. Je ne m’illusionnais pas, je savais que Benoît Hamon n’a pas cette colonne vertébrale des militants de ma génération, je veux dire, ceux ayant partagé mon parcours et ayant vu ce parti, avant, ayant connu la banlieue rouge, avant, connu ces grandes grèves qui nous rassemblaient tous, et eu le bonheur de rencontrer ces vieux militants ayant fait l’Espagne, ayant résisté, le père ayant transporté des armes et levé des fonds pour le FLN, connu cette secrétaire de section ayant été à l’UEC à l’époque de la guerre d’Algérie puis ayant fait 68, passé aux JCR et au MLF, il n’a pas connu le PSU, les audaces de Bouchardeau en 1981 et les échos du Larzac, il n’a pas dans sa vingtaine dévoré Broué, Guérin, Bakounine et Kropotkine, Proudhon et Marx, Trostsky, Luxembourg et Bernstein, ni encore Lipietz et Gorz, Sartre et Beauvoir, Fanon et Castoriadis, Rocard, Rosanvallon, Furet, ni même Olof Palme ou Mendès-France ni… Tout ce fond de trucs qu’à une époque il « fallait lire » pour avoir l’audace de commencer à parler politique… C’est sur ce substrat que l’on peut ensuite se situer, comprendre sur quelle histoire on grandit et on se définit. Combien d’affiches j’ai collé, et diffusé de tracts, et combien de discussions ensuite, discussions de jeune con que j’étais encore certainement mais où toujours arrivait le moment où quelqu’un disait un truc différent, sortait un livre, un truc, et alors resurgissait cet insatiable appétit de connaissance du militant du socialisme que chacun d’entre nous était. Mais voilà, cette transmission ne s’est pas faite à cause de l’hémorragie militante de la seconde moitié des années 80, à l’époque des « Renault 25 », et tout ce qui est né dans les années 80 est a-historique.
Les appareils, les carrières ont pris le dessus, et Benoit Hamon n’a pas dérogé à la règle en s’enfermant dans son appareil comme il a appris à le faire. Rocard avait raison quand peu de temps avant de mourir il reprochait leur manque de culture du socialisme. Le socialisme est un combat, il est une culture et il est une histoire.

Je regarde le Front National

Jean-Marie Le Pen, lui, a utilisé, sacrifié ses quarante dernières années pour résister, donner envie de construire, de dévorer des auteurs longtemps cachés sous le manteau. J’ai regardé les documentaires sur le FN, et j’avoue, cela m’a fait autant de bien que cela m’a déprimé. Cela m’a fait du bien dans le sens où cela a confirmé ce que je craignais, et cela m’a déprimé pour la même raison.
Ils ont imposé les drapeaux tricolores et la Marseillaise jusque dans la gauche, les discussions sur « le contrôle des flux migratoire », la suspicion à l’égard de l’Europe et la nostalgie du « bon vieux temps d’avant » et du franc, la suspicion à l’égard des jeunes des quartiers en entretenant le vieux refoulé colonial pas encore clarifié et sont parvenus à partager les termes du débats jusqu’au sommet de l’état. Ils ont des élus, ils commencent à mailler les quartiers de la France profonde périphérique.

Pour la première fois je ne sais pas pour qui je voterai. Peut-être Philippe Poutou, ce qui est étrange quand on connait mon attachement au socialisme démocratique et mon absence totale de croyance révolutionnaire, mais éventuellement, à travers ce vote je pourrai exprimer clairement ma critique du capitalisme, ma non croyance en une solution « nationale » ni en la « souveraineté ». Peut être Hamon mais à la seule condition qu’il explose le Parti Socialiste qui lui n’hésitera pas à l’exploser après l’élection.

J’observe que je n’ai pas, que je n’ai plus de parti

Loin de me chagriner, cela me réjouirait presque car j’ai l’audace de penser que nous sommes nombreux comme moi et que l’avenir nous appartient si nous avons le courage de regarder cette situation en face, et de le bâtir, ce parti. Qui sait, peut être avec le Parti Communiste, puisqu’il est exactement à ce point zéro. Je ne sais pas.

J’espère juste que le biberonnage au drapeau n’aboutira pas des pans entiers du prolétariat à suivre le nationalisme « populaire » du FN au cas où pour s’y opposer il restait notre simili-Giscard de 39 ans. On peut battre Giscard, on y est déjà parvenu une fois. Mais une Le Pen, cela demandera autre chose, un courage tout autre que ce qu’une population sevrée au confort de l’internet est capable.

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