Les hommes d’un certain âge

L
Chez Didier

On s’est emballés pendant une bonne dizaine de minutes, à la vue de tous les autres et des Vedettes du Pont-Neuf.

Mercredi dernier, Didier Lestrade a partagé sur X la photo d’un lit grand ouvert – draps gris et oreillers en désordre-, et raconté en quelques mots avoir rencontré un jeune homme (un « jeune prolo » si je le cite) de 19 ans aimant les hommes mûrs et avec qui il a passé un moment parfait et bavardé.
S’en est suivi un lynchage typique du réseau social, à coût de « je te bloque », « pervers », « c’est dégueulasse », « pédophile », « même si c’est légal à ton âge, c’est crade » etc
Voilà en un simple post un fil de commentaire qui racontent notre société mieux que de longues analyses. Ce type de post, à vrai dire, mériterait même une thèse. Il y aurait tant à dire…

Nous sommes en 2023, et les statistiques sont sans appel, dans les grandes agglomérations des pays développés, alors que jamais l’homosexualité n’a été aussi admise au cours des dernières centaines d’années, fruit de luttes sans concessions au cours des années 70/80/90, les consommations de drogues synthétiques fortement addictives chez les jeunes pédés gagnent chaque jour plus de terrain: il est très difficile, aujourd’hui, pour un pédé de 20 ans, de ne pas rencontrer le Chem’Sex en cours de route, au hasard d’une rencontre sur une application de drague, et plus difficile encore de ne pas y céder sans trop savoir vers quoi il s’engage – la prohibition rend l’information sur la consommation de drogues relativement inaccessible.
À cela s’ajoute l’éducation par la pornographie, puisque l’éducation nationale et les médias continuent de faire de la sexualité un sujet à part appartenant à la sphère privée.
À 20 ans, donc, entre le ChemSex, la banalisation de pratiques brutales labellisées SM, les crachats faciaux et les rencontres d’une nuit avec obligation de se quitter sitôt l’affaire terminée, on slalome dans un monde masculiniste, viriliste et individualisé au possible. Comme si toute une éducation n’avait pas été faite.
Non. Parce que toute une éducation n’est pas été faite.
L’homosexualité a beau être légalisée, relativement acceptée dans la société, elle reste in fine une sexualité où le marché (les applications, les établissements de sexe), les pratiques et internet sont le terrain d’expérimentation qui définiront, au bout de quelques années, la vie affective de chacun d’entre nous.

Vous me direz, c’est un peu la même chose chez les hétérosexuels, et je vous répondrai que oui, mais en fait, non. Les hétérosexuels, bâtissent leur vie à partir d’un cadre fourni par la littérature et un environnement qui leur permet, toujours, de se définir, voir de se recadrer s’ils en sont trop sorti et s’ils ne savent plus où ils en sont, finissant chez un psychanalyste « je comprends pas comment j’en suis arrivé là ».
Pour un pédé, c’est beaucoup plus difficile, parce que pour se poser des questions au sujet de ce « là », encore faut-il avoir une idée sur ce qu’aurait pu être le « ici ». Or, de « ici », il n’y a pas, et un jeune pédé sera toujours « là », un « là » aléatoire forgé au gré de rencontres.
Il en avait pourtant parfois une vague idée au départ, calquée sur le modèle hétérosexuel, « j’aimerais rencontré un mec sympa et avoir une vraie relation qui dure, être amoureux », mais le rêve s’est vite transformé en vaine illusion rabâchée pour le principe mais souvent remplacée par la réalité des rencontres d’un soir et le ghosting du lendemain. Avec l’épaisse carapace de protection pour se protéger, parce qu’au fond, ça fait mal.
Alors, certains jeunes en arrivent à penser que le ChemSex, lui, est un meilleur ami, qu’il décuple le plaisir et évite de trop de poser de question. Que c’est juste de la baise. Que c’est honnête…
Et se retrouvent à cro à des weekends dont ils ne restent au final qu’un souvenir brumeux. Et souvent en dépression.

Si je fais un telle digression – et comme je tchatte avec des mecs jeunes qui me racontent leurs histoires, j’en ai entendu de belles-, c’est parce que ce lynchage au sujet de cette rencontre traduit une profonde ignorance de ce que sont les hommes d’un certain âge, voire âgés, chez les pédés, et qu’après des centaines d’années d’ignorance sur les crimes pédophiles (homo ET hétéro), on en arrive désormais à une forme de puritanisme où la réaction se baigne confortablement en préparant sa revanche.

Les hommes mûrs, chez les pédés, ce sont des trésors. Je ne dis pas ça parce que je vais vers mes 58 ans. Non, je l’écris parce que j’ai eu des amants âgés, quand j’étais jeune, voire très jeune. À moi, je fils de prolo, le fils d’Algérien, le gamin du 93, ce sont eux qui m’ont appris à devenir ce que je suis et surtout, à ne pas devenir ce que je ne voulais pas être. Ils ont dessillé mes yeux, ils m’ont appris à devenir parce que plus que les mecs de mon âge, ils voyaient qui j’étais.

Quel chance il a eu, ce jeune « prolo » mayennais « de 19 ans », de croiser au hasard d’une application de drague cette légende encore vivante appelée Didier Lestrade.
Je vais vous la raconter, cette chance, à travers ces quelques rencontres qui m’ont faites.

Quand j’avais 16, 17 ans, j’ai commencé à sortir, je voulais rencontrer des mecs. Garçons et filles du lycée commençaient à avoir une vie sexuelle, c’était bien logique que je veuille moi aussi avoir la mienne. C’était juste plus difficile, je devais aller à Paris. J’habitais à Bondy, en Seine-Saint-Denis, et j’étais le seul pédé visible, revendiqué, à cette époque où la gauche fraichement arrivée au pouvoir venait de nous débarrasser des lois homophobes héritées de Vichy.
Mon père était au chômage. À la maison, la télévision fonctionnait en permanence. Ma mère était très Mireille Matthieu ou Luis Mariano, Daniel Guichard. La « culture jeune », c’était Sheila ou les trucs qui passaient dans les émissions de télévision de l’époque, ces trucs qu’on trouve drôle maintenant mais qui en fait définissait la culture des pauvres, de la banlieue, à l’époque.
Ma mère aimait bien Chopin. Jeune, elle avait comme d’autres prolo de sa génération tenté de se cultiver un peu mais cela n’avait pas été très loin. La culture, ce n’est pas une question d’absorption de connaissances, c’est un cadre, ce sont des connaissances, au sens d’un groupe de personnes avec qui échanger, s’enrichir, et ça, le prolétaire, il n’a pas. Quoi qu’il fasse, il retombe toujours sur le napperont en dentelle et le nain de jardin. C’était un peu ça, maman.
Papa était plus cultivé, il lisait l’arabe comme un vrai savant, maitrisait la poésie classique et avait même des rudiments de philosophie, Aristote, Platon. Mais dans un pays qui lui dénuait tout droit d’être cultivé en le rabaissant à son statut de « travailleur immigré algérien » qui « ne sait pas écrire correctement ».

Autant dire que malgré de bons résultats à l’école, je n’étais finalement qu’un gosse de prolo mal dégrossi. L’année où j’ai passé mon bac, nous n’étions de 3% de gosses de prolétaires à avoir le bac. J’ignore combien, parmi nous, avaient des parents immigrés…

Ce qui a bifurqué ma route, c’est mon homosexualité. En admettant ma sexualité à l’âge de 14 ans, en la rendant publique au collège puis au lycée, je me suis autonomisé, et j’ai alors compris que je devrais chercher les autres comme-moi. Ça a été les Tuileries où, à cette époque, particulièrement les weekend, nous étions des centaines à déambuler les après-midis près de l’Orangerie. À devenir amis et apprendre des codes. À nous aimer ensembles. Je suis persuadé que nous avons pu traverser les années SIDA solidaires parce que nous nous connaissions tous, ne serait-ce que de vue.
J’y ai fait mes premières rencontres, amicales comme sexuelles.

Très vite, j’ai appris à reconnaitre les prédateurs, ces mecs d’un certain âge, certainement un peu ou très pédophiles, justement. J’ai dû coucher avec 2 ou 3 mecs dans ce genre, alors. Ils avaient tous le même comportement, ils parlaient beaucoup avant, voulaient tous m’inviter à faire un truc – restaurant, café -, ils me juraient ma beauté, que j’étais intéressant. Au lit, ils étaient absolument lamentables, ils voulaient tous que je les baise, comme ça, ou alors ils voulaient me baiser, comme ça, après d’interminables et gluants préliminaires qui me dégoûtaient. Et après le sexe, c’était fini.
J’ai vite appris à les fuir, ou parfois, je le confesse, à les utiliser. Un soir, un bonhomme absolument gluant m’a proposé d’aller au restaurant, j’ai dit oui. On est allés à La Mandigote, un restaurant sur la rive droite près de l’Hôtel de Ville face au Marché aux Fleurs. Il y avait plein de ces bonhommes d’un certain âge avec des mecs aussi jeunes que moi. Ils avaient tous l’air d’employés de bureau hétérosexuels en costumes gris, ça ne donnait pas envie du tout. Des vieux. Des tatas. Asselineau me fait penser à eux, beurk.
Dans la voiture, il me mettait la main sur le genoux, essayait de me palper le sexe, je lui retirais la main. Il a voulu m’embrasser, je l’ai repoussé. On a diné, et quand on a eu fini, je lui ai dit que je devais rentrer, il a insisté, j’ai commencé à parler fort et à lui dire non, parlé de mes parents, il a paniqué, il m’a laissé partir.
Ce genre de type, ce sont des larves. J’avais 16 ans et j’étais out, donc il ne pouvaient rien contre moi. Ce type, j’ai consciemment profité de lui.
Mais quand ils croisent des gamins un peu plus jeunes, ils peuvent être redoutables. Tous les types que j’ai croisés et que je définirais comme potentiellement pédophiles étaient exactement comme ce type. Mais moi, ce soir là, j’ai bien dîné, et je suis allé tranquillement dans un bar gay.

Comme je vous ai dit, j’en ai croisé plusieurs, j’ai dû coucher avec deux ou trois comme ça et après je les ai fui comme la peste. Trop mauvais coup au lit. Ce n’est pas le sexe, qu’ils aiment, c’est possédé un jeune « pas encore abimé ». Entre leurs doigts, on se sent sale.
Les jeunes, aujourd’hui, continuent d’en croiser, et à cela il faut ajouter le ChemSex, le VIH et le pseudo-SM. Les lyncheurs de Didier ont une méconnaissance crasse de ce qu’est être pédé, ou alors sont eux-même des pédés dans le déni le plus total de ce qu’est le vécu d’un gamin ordinaire qui commence à explorer sa sexualité.

Mon idée des mecs mûrs était toute faite et à 16/17 ans, j’étais assez radical. Après 25 ans, c’était beurk! Je pense que la plupart des jeunes mecs sont comme ça, et je trouve ça très bien, très sain. Après quelques expériences, on met une première limite et ce sont ces limites qui vont affirmer la personnalité, ce qu’on aime, ce qu’on désire.
Mais justement, les limites sont faites pour être testées, et rapidement, j’ai compris que c’était un peu plus compliqué que ça.

Je me souviens de cet soir passé au Tuileries, je devais avoir 17 ans. Ce devait être novembre ou décembre, un temps entre nuages et pluie. Un mec incroyablement beau, cheveux noir longs sur le devant, dégradés et dessinant la nuque à l’arrière, imperméable beige, peut-être 35 ans. On a échangé un regard et il est venu vers moi, m’a dit bonsoir. On a parlé, et je suis allé chez lui. Il m’a dit tout de suite qu’il vivait avec un autre homme mais que celui-ci était en voyage. Ça a été très honnête. On a baisé, et puis il m’a dit que je pouvais rester. On a continué à bavarder, on s’est endormi, et puis le matin on a encore baisé.
Après, il s’est levé, il a préparé un café, fait griller du pain et mis un disque de Barbara. On s’est quitté vers midi.
Ce n’était pas un dégueulasse. Il m’a traité comme un homme de son âge, et il m’a appris un truc: le petit déjeuner. Tous les hommes mûrs que j’ai rencontrés quand j’avais 17/25 ans, je dis bien tous, me gardaient pour dormir et me proposaient le petit déjeuner le matin, bavardaient, me parlaient comme à un égal. Aucun ne me disait que j’étais extraordinaire.
Lui, il m’a appris les matin Barbara.
Même ce motard cuir qui m’a pris sur sa moto, je devais avoir 22 ans, et lui peut être 45 ou 50, pantalon de cuir, je lui dit que je n’étais pas SM, il a ri et m’a dit que j’étais marrant, m’a demandé de monter, la moto a traversé le boulevard Beaumarchais à toute allure, j’étais agrippé à lui, c’était excitant. Il a été très doux, très gentil. Quand je me suis réveillé, il n’était pas dans le lit. Je me suis levé, il était dans la cuisine, il avait été chercher les croissant et m’a fait un grand sourire.

Il y a eu D. D. Restera jusqu’à ma mort celui qui. Le seul et unique. J’avais 21 ans et je venais de fêter mon anniversaire. Il en avait 37. Je sortais de mon hiver SIDA. Pendant deux/trois ans, je n’avais quasiment couché avec personne, trop peur de l’attraper. Ça m’avait pris l’été de mes 18 ans, j’avais rencontré un mec de 24/25 ans, un mec qui me plaisait beaucoup, super look, on va chez lui, super musique, et puis on s’embrasse, et je ne sais pas pourquoi, je l’ai trouvé maigre. Je n’ai pas pu, je lui ai dit que j’étais fatigué et j’ai fait semblant de dormir. Mon coeur battait à 200, j’étais sûr qu’il était malade. On était en 83.
Je sais, c’est complètement irrationnel mais il faut remettre en contexte: on ne savait pas grand chose du SIDA à l’époque, on savait juste que cette saloperie tournait et que ça s’attrapait en baisant. À Paris, on n’avait pas encore entendu parlé de la capote. Progressivement, mes rencontres se sont espacées. En 85, je n’ai quasiment rencontré personne.

D., donc, je l’ai rencontré quand j’avais un peu mûri. Je m’étais arrêté dans un petit parc près de chez moi pour fumer une cigarette. J’étais assis sur un banc, il devait être 11 heures du soir. Il traversait le parc et est passé à côté de moi. On s’est regardés. Je l’ai trouvé âgé, ça je m’en souviens. Il avait quelque chose de viril et de masculin malgré un corps très fin, portait un pull en laine, un 501, était très BCBG. Il a fait demi tour, est venu me parler. On a bavardé pendant peut-être trente minutes, et puis il m’a donné son numéro de téléphone, et il est parti.
J’ai hésité avant de le rappeler. Un mec de cet âge, c’était peut-être bien sur le coup, mais le rappeler après coup, ça me faisait bizarre. Je l’ai quand même rappelé. On s’est vus pendant environ 6 mois. Il reste certainement celui qui a le mieux cerné ma personnalité et de qui j’ai le plus appris sans même le savoir.
Sexuellement, il était incroyablement doux, gentil. Ensemble, on faisait des ballades, de la photographie, on écoutait de la musique. Il est le premier qui a vraiment décrassé le fils de prolo que j’étais. Il m’a appris Aramis, le décors minimal avec juste ce qu’il faut et rien d’autre, les livres d’arts avec des bouts de papier pour garder des pages quand on veut dessiner quelque chose, le Bauhaus, à le regarder dans les yeux aussi, à le trouver beau et à être bien avec lui.
On se ressemblait beaucoup, finalement, je n’épilogue pas. Et durant tout ce temps, je n’ai jamais eu l’impression d’être avec un homme plus âgé.
J’ai gardé ces lettres qu’on s’échangeait, nos photos. J’aimerais D. jusqu’à la fin de mes jours avec une incroyable tendresse.

C’est moi qui ai décidé de mettre fin à l’histoire. Just saying. Pour les mauvaises langues.

Quand j’ai été libre de cette histoire, je me suis mis à beaucoup sortir. Et j’ai retrouvé Tim.
Tim.
Là, il n’y avait pas de différence d’âge, mais on n’était désormais plus que copains. On a passé un été vraiment très drôle. Souvenir de nos soirées Palace, de pluie de corn-flakes et de rollmops ou de la Nicole.
À cette époque, Tim aussi était avec un homme beaucoup plus âgé. Son double miroir.

Un soir de printemps 1988, j’avais 23 ans, je me promenais « à tout hasard » au bord de la Seine, entre Louvre et Tuileries. François Mitterrand avait été réélu et le jardin, alors encore un vaste chantier, se préparait pour le Bicentenaire. Il faisait un peu chaud, et je ne voyais aucun mec qui me plaisait, alors je continuais ma marche, comme les autres.

J’aimais ces dragues en plein air, le soir, le long des berges. Les bateaux mouches passaient, quelques touristes nous saluaient bien qu’ils n’aient aucune idée de ce que nous faisions là. Parfois, on s’asseyait et on pouvait contempler Paris. Je crois qu’il n’y a que des pédés parisiens de ma génération pour comprendre la magie particulière du film Les amants du Pont-Neuf de Carax, l’incroyable beauté de cette ville, la nuit. Quand il n’y a plus dans ses rues que les putes, les alcooliques, les cloches et nous, les pédés. Solidaires mais complices et unis, quelque part, par le même silence de ces rues sombres éclairées par les réverbères.

Il était grand, plus grand que la moyenne. Il devait bien avoir 50 ans, j’ai pensé. Une chemise en jean, un vieux jean noir délavé, une calvitie naissante découvrant les angles de son front et des cheveux un peu longs, châtains. Son look était très aléatoire mais il avait quelque chose de racé, un nez très dessiné, légèrement busqué, un visage long.
Il y avait bien des mecs plus jeunes, « techniquement » plus beaux, mais aucun n’avait ce quelque chose d’attirant qu’il avait. Il m’a regardé, je lui ai souri et il est venu vers moi. On s’est embrassés, il m’a littéralement plaqué contre le mur. Il embrassait incroyablement bien, c’est à dire aussi bien que moi. On s’est emballés pendant une bonne dizaine de minutes, à la vue de tous les autres et des Vedettes du Pont-Neuf.
Il m’a proposé d’aller chez lui. On est allés à sa voiture, une Renault 5 pourrie. En fait, ni son look banal ni sa voiture ni même son âge ne m’auraient fait changer d’avis. Il avait une sorte de classe naturelle et une sensualité qu’on ne trouve que rarement chez un mec jeune.
C’est ce truc que les néo-puritains qui ont chargé Didier ne comprendront jamais. Nos rencontres nous aident à nous définir et à devenir de meilleurs pédés, respectueux de l’autre et des autres. Et en même temps, avec un mec âgé, si on sait le choisir, on prend son pied. Et jouir, c’est important. Non?

La voiture est arrivée dans le Marais, puis dans une cour d’hôtel particulier en travaux. J’ai commencé à redouter la chambre de bonne, mais il était trop sexy, et la conversation dans la voiture avait été sympa. On était entre adultes.
On a pris un ascenseur qu’il a activé avec une clé et on est arrivés directement chez lui. C’était immense et très moderne, très minimaliste aussi, avec la chambre en dupleix, immense. Vide.

La baise a été incroyable. C’est ça, la différence entre un malade sexuel prédateur de petits jeunes et un mec mûr qui sort avec un mec plus jeune. Je vous le garanti, le sexe est différent. Les deux ou trois pervers avec qui je me suis retrouvé, le souvenir que j’en ai, c’est qu’ils vous prennent d’abord pour une chose « jeune », pas encore corrompue (dans leur imagination). Le mec mûr, c’est autre chose, qu’il recherche. La vivacité d’une conversation, la spontanéité des questions. La vie.
Lui et moi, c’était la parfaite entente au lit, vraiment. Très honnêtement, j’en redemandais, c’était un amant incroyable, doux et sensuel, très sexuel et qui veillait à ce que je prenne mon pied. Tout le contraire d’un pervers pédophile, je crois que ce qu’il appréciait chez moi était que, justement, j’avais de l’expérience. J’avais donc la vivacité de la conversation d’un jeune homme de 23 ans, et les capacités sexuelles d’un adulte affirmé.

C’est qu’il faut avouer, un grand nombre des hommes de plus de 40 ans, et encore plus de 50 ans, peuvent se révéler très chiants, surtout entre eux.
Tout d’abord, il y a la masse qui a renoncé, qui se laisse aller. Alcool, forme physique et intérêts, ils ont baissé les bras. Au lit, ce sont de vraies catastrophes, et pourtant ce peuvent être des types gentils, mais ils auraient vraiment besoin de se reprendre en main.
Il y a les pathétiques, ceux qui se raccrochent à une illusion de jeunesse, masques, fond de teint, vêtements sensés les rajeunir…
Et c’est là que nos bigots qui voient du mal partout font le plus de mal. Car en labellisant les plus âgés, il mettent une sorte de date limite de consommation. Les vieux avec les vieux, les jeunes avec les jeunes. Bref, quand t’es vieux, t’es vieux. Alors que non. Parce que j’ai aussi rencontré des jeunes, plein, à 20 ans, à 25 ans, ils avaient déjà atteint la date de péremption. Ils étaient chiants, et comme ces hommes mûrs que j’ai rencontrés m’ont appris la nuit ensemble et le petit déjeuner, j’ai subi des mâtinées à mourir avec des mecs de mon âge.
Souvenir d’un jeune mec avec qui je parle. Je lui dit musique baroque. Il me répond violon rythmique. Je n’ai pas osé y croire. Il aimait Rondo Venezziano.

Ce mec m’a couru après. On s’est revus pendant un temps. C’est avec lui que je suis allé écouter Gustav Leonhart à l’opéra de Versailles. On a passé un weekend ensembles dans sa maison de campagne. Il m’a appris la gratuité du moment et la totale inhibition durant le sexe.
Je n’ai pas poursuivi, même si j’aurais aimé continuer à le voir. Il sortait avec un type que je ne connaissais que de vue, mais qui était ami d’un gars que je connaissais un peu. Gay étiquette, j’ai laissé passer. Mais il m’est arrivé de me branler en pensant à lui durant quelques années. Un de mes meilleurs amants.

Je pourrais en rajouter quelques autres, de ces hommes qui ont croisé la route du jeune homme que j’étais, entre 17 et 23/24 ans. De ces hommes nettement plus âgés que moi de 15, 20 ou 30 ans ou plus.
Ils ne formaient pas la majorité de mes amants car je pensais des hommes plus âgés la même chose que je pense d’eux aujourd’hui: en général, ils sont chiants. Tous avaient en commun d’être certainement aussi égoïstes que moi, c’est à dire préférer être seul qu’avec un mec chiant et subir un petit déjeuner avec rien à se dire.

Parce que justement, ce sont ces mecs qui m’ont appris qu’on pouvait avec un plan sexe d’un soir, mais que ça n’empêchait pas de s’aimer comme si on était amants pour la vie, et que ça passait par une nuit ensemble et partager le début de matinée pour se dire au revoir gentiment.

Le jeune homme de 19 ans que Didier a rencontré a rencontré une légende de la culture pédé, une légende des années SIDA. Il a tenu dans ses bras et embrassé, enlacé celui à qui nous devons plus qu’à tout autre le fait de vivre en bonne santé. Il a partagé son temps avec celui qui plus que tout autre a placé le respect de son partenaire comme le truc le plus important de l’affirmation homosexuel au point de se brouiller un temps avec beaucoup de militants.
Didier, c’est le pédé solaire débarrassé de toute face sombre. Comme ce type de plus de 50 ans que j’ai embrassé ce soir d’été au bord de la Seine, il n’a rien à cacher parce qu’il n’y a rien à cacher, ni rien de mal.
Un jeune « prolo » de Mayenne, au pays où les distractions et les référents culturels sont des weekends au Leclerc du coin a mis les pieds dans une maison aux murs de couleurs, où des bouquets de fleurs séchés attendent le visiteur, où des collages et des dessins sur les murs relèvent des meubles de hasard, il a vu un jardin composé comme on compose un morceau de musique. Il cherchait à prendre son pied avec un type plus âgé, et il a trouvé bien plus. Il en sortira une expérience qui ne s’efface pas, de celles qui m’ont défini et qui nous définissent tous, nous, les pédés. De celles qui nous débarrassent de la culpabilité, des rencontres bancales, de celles qui nous apprennent à habiter pleinement notre corps sans plus une trace du dégoût homophobe que l’hétéro-normalité qui domine nous impose.

Qui sait, sa vie a peut-être pris un nouveau tour. Parce que. Il a rencontré Didier.

Commentaire

  • Pour être précis, il n’a pas dit jeune, il a dit « kid prolo ». Le mot « kid » a une tout autre signification que « jeune » dans l’imaginaire collectif et le dictionnaire. Hors précision, on peut penser ce qu’on veut de l’impudeur (ou non) de l’intimité de la photo et de la maladresse de la formulation, y a 2 majeurs qui ont eu un rapport, c’est pas la fin du monde

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