Le Youpin, la Negresse et la Gourdasse

L
Attention billet politique : si ce n’est pas votre tasse, d’autres billets vous attendent!

Ce qu’il y a de terrible avec les histoires de viol, c’est qu’on ne veut pas y croire. On ne veut pas savoir. On se place du côté de la victime quand on s’en sent proche, du coupable quand on le connait. On essaie de comprendre. Comment une femme peut elle se laisser piéger, peut être a t’elle laissé entrevoir que c’était bon, qu’il pouvait y aller… Comment un homme peut il user de la force, brutaliser une femme (et même parfois un autre homme), user de son ascendant, de son pouvoir ou de son argent, et PÉNÉTRER ainsi l’intimité de l’autre sans y avoir été invité… Comment un homme peut il se laisser piéger par une tentatrice qui une fois le mal accompli fondra en larme et accusera sa proie, le sperme attestant de la véracité de ses propos… Comment un homme peut il oser séduire une femme pour arriver à ses fins, lui tourner la tête en des promesses fumeuses qui parfois toucheront un coeur fragilisé par un divorce, la solitude ou plus simplement le terrible désir d’être aimée un peu… Ces questions qui sont celles qui tournent autours de l’affaire DSK, ce sont les vraies questions, celles que nous portons en nous à chaque fois que nous entendons parler de violence sexuelle, de viol en réunion, de viol conjugal, de harcèlement au travail, de prostitution d’enfants… On ne veut pas croire, on ne peut pas croire que c’est vrai. Et dans le cas de DSK, c’est la même chose. Notre cœur est partagé entre l’envie profonde qu’il ne s’agirait que d’un complot, et le terrible sentiment d’injustice pour une victime dont nous savons qu’elle n’aura pas été la première proie de Dominique Strauss Kahn. C’est une balance impossible.
La lecture de la presse invite, elle, à un très grand scepticisme. Car s’il y a eu emballement, il y a eu également surenchère. Le New York Post, qui s’était distingué par une caricature représentant Barack Obama en singe, abattu par deux policiers, quel humour!, journal appartenant au groupe Murdoch, a depuis plusieurs jours émis toutes les hypothèses qui ont fait le tour du net, sans jamais trouver confirmation de la part de la police de New York, extrêmement discrète sur cette affaire, et ayant par la suite été démenties par les parties en présence. La victime serait séropositive, telle était ainsi le scoop du mercredi 17, en Une bien sûr, repris ensuite sur le net avant d’être démenti par l’avocat de la victime, maitre Shapiro. Ou bien la fameuse fuite dont nous finissions par apprendre qu’elle était au minimum à relativiser. Ou bien ses effets personnels oubliés derrière lui, autre « information » démentie par la suite.
Faisons la lecture de ces soi-disant informations, ayant été reprises comme avérées avant d’être démenties, comme toujours, beaucoup plus discrètement. Ce serait tellement croustillant, une femme de ménage africaine séropositive et un directeur d’une institution supranationale, juif et violeur… Il y a eu également le témoignage du frère, qui aurait vécu en France, mais dont le nom n’a ni été publié, ni sa photo, ni aucun détail révélés. Il nous apprend que la jeune femme serait musulmane, « non voilée », précisait bien la presse. Là encore, une jolie fable, celle d’une jeune musulmane laborieuse et musulmane modérée, et un vieux vicelard sioniste et cosmopolite (un Français pris dans une histoire de sexe à New York) . Si cette histoire suscite tant de passion, c’est qu’elle nous fait voyager au cœur même de notre imaginaire occidental, et la presse ultra-conservatrice américaine, généralement islamophobe et allergique aux droits et à l’expression des minorités, a trouvé dans cette femme de ménage son héroïne moderne. Une Africaine immigrée et un Français, juif et patron d’une organisation supranationale. La caricature du Juif apatride, en quelque sorte. Et de l’autre, la France trouve en ce DSK un héros frappé en plein vol, son Icare sacrifié pour quelque obscure raison, impliquant les services secrets, la CIA, Nicolas Sarkosy. Non, un homme de la stature de Dominique Strauss Kahn, un homme dont la femme est si élégante, ce n’est pas possible : il ne peut pas être ce criminel dont la presse américaine fait ses couvertures.
Et soudain dans la défense ressurgit un imaginaire machiste et bourgeois. Les domestiques sont faits pour être troussés (Jean François Kahn), et derrière, n’y a t’il pas un complot comme naguère contre le Colonel Dreyfus (Bernard Henry Lévy). Chacun se positionne en fonction de ses attaches et de ses sentiments. C’est incroyable.
Seule la droite se frotte les mains quand elle apporte son soutien et sa consternation. L’extreme droite, bien sûr. Et pendant ce temps, la machine emballée continue de livrer des confidences de sources anonymes, contradictoires.
Ce serait tellement plus simple de se taire sur cette affaire : la justice américaine va lui donner l’opportunité de plaider, de prouver son innocence tout en protégeant la jeune femme dont il faut rappeler qu’une fois enlevés tous les fantasmes, elle reste plaignante dans une tentative de viol aggravée de violence et de séquestration. La couleur de sa peau, sa profession n’ont, en tout cas pour le moment, rien à faire avec le regard que l’on porte sur cette affaire, pas plus que la personnalité de l’homme. Dans un deuxième temps, ces éléments trouveront leur place, ils éclaireront les conclusions de l’enquête.
En attendant, cette histoire qui trouve parfaitement sa place dans ce climat de pays en fin de course révèle également à la gauche qu’il n’y a pas, pour elle, en France, de victoire automatique, et encore moins d’homme providentiel, particulièrement quand cet homme est un jouisseur : la Porsche touchait cette fibre particulière, c’était un joli coup monté, mais qui devrait inquiéter ses auteurs à de la méditation. Je les inviterais volontiers à lire Tocqueville, ou à le relire. La haine des élites, de leur train de vie, est proportionnelle à la frustration ressentie au quotidien, et elle soude la Nation dans un sentiment d’égalité de condition qui contraste avec le train de vie et les baisses d’impôts des plus riches. Marine Le Pen, Claude Guéant ou Nicolas Sarkosy ont beau agiter le spectre de l’islam, de l’immigration incontrôlée, des femmes voilées, le sentiment général est que les fins de mois sont, années après années, toujours plus difficiles et cela indépendamment des origines.

Les médias comme l’appareil socialiste n’ont pas encore compris ce que ces primaires peuvent être dans le contexte actuel. Ils nous fabriquent désormais un Francois Hollande, un « homme simple », concept inventé par son équipe de communicants il y a environ deux mois pour lui donner sa marque face à « la grande pointure médiatique » DSK, et de plus en plus repris en choeur par les médias et sur la toile. Or, ce type de définition de ce que sera un candidat du PS dans un an est, à mon avis, une erreur fondamentale. De la même façon que les partisans de Dominique Strauss Kahn misaient tout sur sa personnalité et sa carrure internationale se sont finalement écrasés en rase campagne dans cette sordide affaire, les partisans de François Hollande font, eux, la campagne de 2007 : un programme et un candidat à l’image calibrée pour être un exacte opposé de ses rivaux DSK et Nicolas Sarkosy. Privé de son rival socialiste, nous allons le voir monter et caracoler dans les sondages. Et c’est vrai que quand cette histoire de viol se tassera, il apparaitra comme un redoutable rival face à un Nicolas Sarkosy qui pourra toujours attaquer les socialistes sur leur moralité, attaques qui laisseront François Hollande de marbre. Celui ci s’est d’ailleurs bien gardé d’apparaitre ces derniers jours afin de ne froisser personne. C’est aussi une marque de sa personnalité. Certains apprécient cette sobriété dans l’expression, j’y reconnais pour ma part la façon dont il a dirigé le PS, avec les résultats que l’on sait.
Peu de socialistes ont compris ce qu’est une primaire ouverte. Ils imaginent des meetings et des réunions où les sympathisants viendront écouter les candidats et leurs supporters. La campagne de 2007, en version bis. Or, la primaire va nécessiter de se retrousser les manches, de résister à des attaques qui pourront être violentes car les Français en ont assez, et ceux qui se déplaceront dans les milliers de réunion Tupperware, meetings, rassemblements qui en découleront ne seront pas les plus gentils, les plus conciliants. Certains voudront en découdre. Ce sera difficile. Très difficile. La tentation sera grande de limiter l’expression populaire afin s’orienter le choix vers le candidat que l’appareil se sera choisi. Or, ce sera exactement ce que Ségolène Royal avait en tête quand elle avait lancé ses consultations participatives fin 2006, l’une de ses meilleurs idées, et qu’elle avait fini par écourter puis bâcler sous la pression d’un parti toujours plus exigeant, et n’hésitant pas à alimenter les rumeurs, les fuites pour mieux la déséquilibrer.
Cette fois-ci, c’est tout le processus de désignation qui va amorcer un processus dont on ne connait pas l’issue, mais qui nécessitera une réelle capacité d’écoute, de dialogue, une réelle capacité à encaisser les coups et à comprendre que les critiques seront d’autant plus violentes que c’est le pays réel et son désespoir qui s’inviteront dans la campagne. Après tout, la révolution française avait commencé comme cela.
La promesse faite par la coalition qui a pris la tête du PS au congrès de Reims, menée par Martine Aubry, d’ouvrir le parti socialiste, ressemble à l’arrivée à s’y méprendre à d’autres « modernisations » de façade.
Au bilan de Guy Mollet en 1969 : un changement de logo (des trois flèches au poing et la rose), adoption d’une nouvelle déclaration de principe puis d’un programme, passation de pouvoir à un homme intègre et sobre, Alain Savary, et tout ça entre militants et élus.
Bien propre, bien plié. Le PS est, contrairement à la légende, né en 1969. 1971, c’est la prise du pouvoir par François Mitterrand et ses amis de la Convention des Institutions Républicaines, lors d’un putsch remarquable du Parti Socialiste dont il n’était pas même membre deux jours avant. Alors seulement commença l’épopée d’un parti qui s’ouvrit à la société, à la jeunesse, défrichant toutes les idées du temps, incitant ses militants à se syndiquer, à créer des groupes socialistes d’entreprise qui défrichèrent les voies de l’Union de la gauche à la base. En 1974, avec les assises, ce fut toute la deuxième gauche, la CFDT et le PSU, les associations régionalistes, qui rentrèrent au PS ou s’en rapprochèrent.
Ou bien la « modernisation » du Labour au Royaume Uni, en 1992. Là encore un nouveau logo, et un Neil Kinnock relooké, leader dynamique, pour vendre le même programme qu’en 1987. John Major n’en fit qu’une bouchée, malgré des sondages qui donnèrent la gauche gagnante jusqu’au bout ! Il faut voir l’actrice Glenda Jackson accueillant « The next Prime Minister », entendre la salve d’applaudissements, et regarder Neil Kinnock arriver en vainqueur sur une scène trop grande pour lui. C’est Tony Blair qui, après avoir putsché le parti, lui insuffla les énergies nouvelles qui lui permirent de vaincre. Et si Blair recentra le parti en matière économique, pour le reste, ce fut un véritable appel d’air dans la société Britannique où les associations, les jeunes universitaires, depuis 10 ans, se heurtaient à un Labour qui savait tout mieux qu’eux (comme le PS en France aujourd’hui), purent enfin trouver dans la nouvelle équipe des gens décidés à rompre avec le thatchérisme. Bien sûr, Blair avait sa vision de ce que ce changement serait, mais prendre un parti, c’est aussi composer, et il dut beaucoup composer.
Bref, la primaire va être un moment qui va dépasser les militants socialistes. Qu’ils accroissent leur contrôle, et les électeurs iront voir chez les écologistes ou même au centre. Qu’ils tentent de vendre leur projet, et ils seront boudés. Qu’ils aient le courage de confronter leur personne, leur (lamentable) projet, leurs certitudes à la réalité vécue par les jeunes des cités, les chômeurs, les cadres fatigués, les fonctionnaires blasés et démotivés, les travailleurs sociaux dépassés, les immigrés maltraités, les séropositifs, les Alzheimer, les retraités, les gens qui en ont marre tout simplement, bref, la France comme elle est, et ils pourront créer un moment important, un de ces grands rendez-vous dont notre histoire est jalonnée. Ça ne remplacera pas une grève, ça ne remplacera pas le militantisme. Car ce n’est pas le but d’une élection. Mais si nous trouvons en la parole libérée la confiance en nous, notre envie de continuer ensemble ce contrat civique qui s’appelle la France, alors rien, ni la droite, ni l’argent, ni Marine Le Pen ne nous priveront de victoire.
Et c’est là qu’à mon avis, Ségolène Royal s’imposera. Car elle est la seule à avoir compris ce qu’est une primaire. Les autres sont encore sur le schéma des campagnes antérieures. De la communication et un programme. Ségolène Royal a, elle sillonné le pays, organisé des dizaines d' »universités populaires » sur des thèmes très variés qui ont nourri les réflexions des groupes Désirs d’Avenir, alimentant une pensée commune, une sensibilité. Ces universités, dont le contenu est toujours en ligne, ont réuni des chercheurs, des syndicalistes, elles ont défriché des idées parfois originales que Ségolène Royal n’a pas toujours épousées, montrant une capacité d’écoute et une variété de point de vues qui sont la marque des personnalités politiques d’envergure. À mon avis, si la primaire montre un Francois Hollande brillant et cultivé, elle révélera également un socialiste de facture classique, qui a son idée sur tout, une idée moyenne, qu’il a élaboré avec ses proches. Si vous visualisez l’université populaire sur la fiscalité, vous serez surpris par le discours de Ségolène Royal car il y perce ses convictions, ses interrogations, ainsi que la méthode pour éviter le piège dans lequel Obama est tombé. Car elle, quand elle parle de taxer le travail comme le capital, comme le fait le parti socialiste, elle ajoute qu’il va s’agir d’un rapport de force, d’où l’importance de bien expliquer le sens de cette réforme et d’y associer les Français, pour que cette reforme s’inscrive dans les grands moments de l’histoire (elle cite 1789 et 1945). J’ai été très étonné car sans être maximaliste, sans faire dans la démagogie, elle est démontre une réelle fermeté dans les principes qui doivent guider une réforme « juste socialement, efficace économiquement ». C’est intéressant de la voir prendre les questions dans l’auditoire, dialoguer avec les universitaires, exprimer des réserves parfois., recadrer. Bref, elle est prête pour la primaire.
Billet politique, sur Le Blog de Suppaiku.
De Tôkyô,
Madjid

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