Et puis là, depuis quelques semaines, il se passe un truc. La Kpop réinvente la couleur. Et quand je dis qu’elle réinvente la couleur, elle le fait vraiment…
(Pour la vidéo avec cet article, il s’agit d’une play-liste de 10 titres sortis il y a moins de dix jours – sauf un, sorti il y a trois mois-, ils s’enchainent automatiquement)
Ceux qui me connaissent savent à quel point j’aime regarder la culture populaire comme un révélateur de ce que traverse la société, comme un des nombreux signes révélant l’économie, le social, l’imaginaire collectif.
La « musique sérieuse » est une musique d’élite, une musique élaborée pour ceux qui ont de l’argent, du temps et ce prestige particulier des « gens qui savent », « le monde », comme on disait autrefois. Le spectre des « musiques sérieuses » s’est étonnamment élargie dans la seconde moitié du 20ème siècle, chaque génération apportant à un courant musical du moment sa touche élaborée. Le jazz, par exemple, musique éminemment populaire dans les années 20-30, tout droit sortie des quartiers de relégation raciale des USA, est ainsi devenue la crème de la musique blanche intellectuelle, de celle qu’on écoute après avoir été raconter sa vie à son psy. Aujourd’hui, il y a du rock sérieux, de la house sérieuse qu’on peut écouter après 40 ans en fond sonore à la maison en plaignant les jeunes qui n’ont vraiment pas de chance c’était tellement mieux avant…
Si vous me lisez, vous savez parfaitement que la musique que j’aime vraiment, c’est la musique ancienne. Par musique ancienne, entendez tout ce qui a été écrit avant la révolution française, au moment où on a considéré que tout ce qui avait existé avant était archaïque. Savez vous que Mozart, oui, Mozart, a été redécouvert dans les années 1890 après 100 ans d’oubli? Que Vivaldi l’a été dans les années 1920, et qu’il a fallu attendre les années 1960 pour qu’on en joue autre chose que les saisons? Tiens, même, il a fallu les années 2000 pour qu’une maison de disque, Naïve Opus 111 (eh oui, la musique ancienne est un paradis de labels indépendants), lance l’incroyable challenge d’une « intégrale Vivaldi », dors et déjà plus de 100 disques, presque tous des oeuvres inédites. Tout cela, bien entendu sur instruments originaux, on en joue si bien maintenant.
La musique ancienne, c’est une multitude de compositeurs oubliés qu’on redécouvre, c’est comme des nouveautés, ce sont des sonorités véritablement nouvelles, et comme les musiciens sont des curieux, que beaucoup sont incroyablement jeunes, chaque génération explore de nouveaux territoires. Les moyen-âge émerge depuis 30 ans, et ce sont désormais les musiques des mondes arabes anciens, des mondes Ottomans qui refont surface, chaque fois de la même façon: les premières tentatives sont à tâtons, ça sonne un peu faux, un peu sérieux, et puis dix ans plus tard on sent l’aisance d’utiliser les instruments qui s’est installée, visiblement, la timidité qui empêche d’oser a disparu. Je me souviendrai toujours de Trevor Pinnock, quand il a décapé les Saison de Vivaldi, tiens, hop! dix minutes en moins, à toute vitesse! Et quand Il Giardino Armonico se sont mis à taper les cordes, à faire du bruit avec les instruments, oh la la! Et Les Musiciens du Louvres appuyant les énormes dissonances qui fait l’originalité de la musique française du 18ème siècle, oh putain que ça sonne faux, mais oh la vache comme c’est juste, quel plaisir, quelle jouissance, soudain, on entendrait presque le froissé des robes de la Pompadour… Je n’écoute plus vraiment de pop…
Anyway! J’aime les musiques anciennes.
Mais d’un autre côté, j’aime les musiques futiles, les rengaines à deux balles, le truc qu’on fredonne sans savoir trop où on l’a entendu. Et comme je suis un rescapé des années 80, j’aime bien y ajouter cette touche d’exploration particulière, le truc que personne écoute, en tout cas, pas en France, bref, de la musique populaire pas populaire, c’est amusant, j’écoute pendant une semaine, et puis je passe à autre chose, je butine.
Ainsi la KPop. Je n’ai absolument aucune honte à écouter ces trucs simples. C’est bien produit, les vidéos sont parfois amusantes, ils dansent et ils éditent les vidéos de danse parce que les jeunes en Corée aiment les danser, ils sont souvent bien sapés, et il faut avouer, grâce à la chirurgie esthétique, ils sont tous incroyablement beaux.
On vit une époque morne à crever, je ne vois pas pourquoi je me priverai de ça. C’est de la culture de maintenant, je suis parfaitement conscient que c’est de la lessive de maison de disque, mais je ne vois pas pourquoi je m’en priverais, c’est notre époque, et cela vient de la neuvième puissance économique mondiale, de là où on fabrique vos téléphones, vos télévisions, votre machine à laver et peut-être même aussi votre voiture. Je ne comprends pas bien, de toute façon, ce dédain pour la musique populaire.
Et quand je vois le niveau des daubes que la bande FM française vous inflige, j’avoue, je ne vois pas d’autre explication qu’une bonne dose d’ignorance crasse pour ne pas vous mettre à la KPop, ni même à la pop libanaise (le Liban, c’est un peu le UK du monde arabe, en musique). Et peut être même une bonne petite dose d’eurocentrisme, ben oui, les niaqwés y peuv’ pas faire des trucs bien, fokikopi, c’est pas original, hein…
J’avais écrit un papier en 2012 pour minorités sur la Kpop (accessible également sur ce site). 2012, c’est l’acmé, le sommet. Mon papier couvrait la période 2009-2012, cette époque où l’économie occidentale s’effondrait, où la sape nouveau riche des vidéos des années 2000 cédait la place à un look SDF, le même que j’ai croisé dans la rue quand je suis venu en 2013 et 2014. Oui, vous vous habillez super mal par chez vous, on voit bien qu’il n’y a plus d’argent ET qu’on a oublié comment faire ses vêtements soi-même ET que les vêtements bon marché ne sont pas faits pour être arrangés ET qu’en plus on en fait une attitude à la con. En Asie, je vous le garantis, on s’habille bien mieux, les jeunes ont « une touche », c’est d’ailleurs ça qui fait rêver de nombreux jeunes occidentaux, quand ils découvrent l’Asie. Bon, le Japon, c’est pas toujours terrible, ici, le vieillissement est perceptible, mais les Coréens… Et je vous assure, une dégaine sympa, ben, c’est sympa.
Bref. La période 2009-2012, c’est le moment où l’économie coréenne, elle, s’est mise à plein régime, non pas en tant qu’économie émergente, mais en tant qu’économie mature, avec toute l’assurance en soi que cela procure, et dans la production pop grand public, c’était évident, COED SCHOOL, c’était fichtrement bien fait, et en plus, c’était tourné en 3D, comme tous les trucs sortis en Corée à cette époque là.
Je ne dis pas que la 3D, c’est bien, mais je parle de la perception que les coréens ont pu avoir de leur propre pays, à savoir qu’ils maitrisaient THE technologie du moment, et qu’ils produisaient également des contenus populaires. Faut avouer, en France, depuis le passage de la télévision à la couleur en 1967 et le décollage du Concorde en 1969, on n’a pas vraiment eu l’occasion d’être the place où ça se passait. C’est pour ça qu’on tourne toujours autours des sixties…
Les clips coréens de 2009, eux, c’était épaulettes eighties, couleurs et petit à petit ce maquillage brillant des filles, comme si elles s’étaient baignées dans de l’or. En 2013, j’ai posté un commentaire sur Facebook en disant que l’économie coréenne allait visiblement traverser un mauvais moment, trop d’or, trop d’or. L’économie était en pleine surchauffe, les capitaux du monde entier s’étaient précipités en Asie, et donc entre autre en Corée, trop d’argent, la bourse qui montait trop, l’immobilier qui montait trop… Le gouvernement coréen a donc à ce moment là décidé de refroidir l’économie. Ça tombait mal, la FED venait juste d’annoncer qu’elle allait bientôt remonter les taux d’intérêts. Ça n’a pas loupé, à partir de 2013, les capitaux ont commencé à quitter les émergents. La Livre Turque s’est effondrée (vous ne vous en souvenez pas?), le Brésil a commencé à avoir des problèmes, et la Chine a elle aussi du corriger sa politique économique à ce moment là, avec les conséquences que l’on mesure aujourd’hui. Pour les pays émergents, l’effondrement des monnaies et les sorties de capitaux ont cassé net la croissance.
La Corée, elle, s’en sort finalement bien mieux car elle n’est pas une économie émergente. Depuis deux ans, elle s’est lancée dans un effort d’adaptation. La Corée produit du moyen de gamme, et c’est son gros handicap, car la restructuration en cours de l’économie chinoise va conduire la Chine à produire elle aussi du moyen de gamme, à des prix sans équivalents sur le marché. La Corée est donc obligée à monter en gamme, et elle est bien décidée à y parvenir. Contrairement au Japon qui a stagné durant vingt ans sur ses acquis et s’est limité à faire un type de haut de gamme souvent archaïque et cher pour son marché intérieur tout en exportant des produits moyen de gamme strictement réservés à l’exportation, la Corée est un économie vraiment ouverte qui exporte ce qu’elle consomme: les coréens sont conscients que la Chine arrive sur leur marché et qu’ils doivent monter en gamme.
La période 2013-2015 a donc été une période de doute, d’insatisfaction et de remise en cause, un sentiment qui a visiblement traversé la société et qui a fait disparaitre cette touche clinquante de toute la production de musique populaire. Tout est devenu « rap », « gangsta », les décors sombres ont remplacé le noir et blanc chic, le look homeless de la pop occidentale s’est installé. Pire, il y a eu une sorte de régression JPop avec des chansons niaises genre sixties. Pathétique.
La Kpop a traversé un passage à vide qui a remis les compteurs esthétiques à zéro, avec quelques petits trucs sympa au milieu, comme Henry et son Fantastic en 2014, ou XIA et son OEO en 2015.
Et puis là, depuis quelques semaines, il se passe un truc.
La Kpop réinvente la couleur. Et quand je dis qu’elle réinvente la couleur, elle le fait vraiment, et pour le faire, elle n’a rien trouvé de mieux que de revenir à la bonne vieille poum poum music avec refrain qui tue et danse, mais avec un touch eighties qu’elle explore depuis quelques années, pas du eighties sérieux, non, plutôt la pop commerciale des années 80, Wham ou A-Ha, les Beasty Boys, bref entre variété et truc funk and fresh à écouter au bord de la mer avec les copains et les copines, ou le soir avant d’aller en boîte, ou en boîte, sans avoir besoin de se défoncer avec des trucs de vieux rodés à toutes les drogues depuis vingt ans. Cerise sur le gâteau, les mecs redeviennent très beaux, ils arrêtent enfin de faire la gueule, ils ont tous ces coupes de cheveux, une sorte de bol décoiffé avec la nuque super dégagée, qu’on voit chez les touristes Coréens à Tôkyô.
Bref, la Kpop redevient non seulement une machine à tubes, mais en plus elle redevient super jolie à regarder. Et cette fois, elle a un truc en plus, je n’arrive pas encore à dire quoi, mais quelque chose comme l’aisance d’une économie qui repart, elle sent la croissance, pas la croissance boostée, pas la croissance d’un pays qui rattrape ou copie, non, une sorte d’aisance d’une culture populaire d’un pays qui n’a plus rien ni à prouver aux autres, ni même à se prouver à lui-même. Les perspectives de croissance se sont stabilisées et moi, à voir ce qui sort, je me dis qu’elle est au bord de son nouveau Jugglar. D’ailleurs, Samsung sort l’an prochain les premiers téléphones à écrans pliants et l’internet des objets est désormais bien engagé, ça tombe bien, la Corée produit tout ça.
Plus que jamais, il est grand temps que vous vous mettiez à écouter de la KPop. Ça vous permettra de supporter la vie terne, si si, à accepter la situation désormais totalement périphérique de la France, sa place de pays de seconde catégorie, tout en ravivant peut être chez certains des envies de faire mieux, d’être plus beaux, plus « fresh », et de sourire. D’essayer une nouvelle direction, en s’ouvrant au monde, aux vents du monde et au monde en notre sein.
Vous voyez, je peux aussi écrire des billets complètement superficiels.
Pour compléter ce billet, donc, ma sélection de titres « colorés » et fresh », parfaits pour cet été. À noter que ce sont des titres sortis les 10 derniers jours. Enjoy!
Laisser un commentaire