Paru dans la revue Minorités.org samedi 15 décembre 2012
En 2009, en pleine culbute économique, j’entendis parler du succès du concert de Kara à Tôkyô, ainsi que celui de BigBang. Certains jeunes japonais sont peut être lassés des hordes de pucelles professionnelles en sacs à patates beiges ou uniformes d’écolières et voix de crécelle et autres bandes de mecs aux cheveux décolorés braillant des trucs bavards à n’en plus finir sur des musiques de bastringue sensuels comme des moissonneuses.
Et puis la détérioration des économies occidentales renforcera mon propos, tel que je m’amuse à le développer par intermittence sur mon site Internet dans ce que j’ai appelé, «Cycles » : les quatre dernières années ont en effet été une période d’expansion économique sans précédent dans l’histoire du monde, et ce cycle touche à sa fin. Enfin, le succès phénoménal des flash-mobs éclairera le succès d’une pop qui se distingue par la place particulière qu’elle accorde à la danse collective.
Il y a quatre ou cinq ans, à l’époque de la bulle des subprimes et du robinet à crédits, la pop américaine regorgeait de bagues en or et de colliers de diamants, les rouges à lèvre ressuscitaient la magie du disco. Estelle, dans sa vidéo toute en noir et blanc incarnait à elle seule cette esthétique chic et rétro dans laquelle le confort d’une croissance bon marché, faite de vêtements produits à bas coût en Asie et payés par cartes, endormait l’opinion publique de la première puissance afin qu’elle ne pense pas trop aux deux guerres dans lesquelles elle s’enlisait. L’argent facile coulait à flot, la planche à billet des crédits dérivés permettait aux pauvres d’accéder au rêve américain et la chanteuse rendait un culte à son American Boy. Les minorités accédaient à l’illusoire prospérité facile et la pop accompagnait ce mouvement, pendant que le jeune candidat émergeant du Parti Démocrate et pas encore président Barack Obama semblait surfer sur cette trend culturelle…
Et puis le marché de l’immobilier se retourna, celui du crédit se tarit, les banques augmentèrent leurs taux, les dettes se révélèrent explosives et alors que la chanteuse triomphait dans les charts, tout comme la portoricaine « Betty », elle incarnait une esthétique passée, celle des années 2000, cette resucée bushienne de la décennie Clinton, en plus clinquant. Betty, d’ailleurs, ne survécut pas plus d’une saison à « la crise ».
Ne resterait plus que deux guerres, une récession, beaucoup de dettes, des faillites, du chômage, des expropriations et de la pauvreté. Cette détonation économique ne tarda pas à s’étendre à l’ensemble des économies développées et en 2009, le plongeon se répandit des USA à l’Europe avec des taux de chute de l’activité économique inconnus depuis les années 30, de -6% et pour certaines économies jusque -10%… Adieu Estelle et le bonheur en carton pâte, et bienvenue au Tea Party, à la dèche, aux populismes, à l’argent rare et aux boucs émissaires.
Désormais, la pop grand public fait dans « la fête », avec une généralisation de l’esthétique pauvre « délire », exhibant sans hésiter des distributeurs de boissons givrées à bas coût remplies de colorants et vraisemblablement achetées par bidons de 20 litres pour deux dollars à Wall Mart, ASDA ou CostCo. Impensable il y a cinq ans.
La pop raconte son époque. La pop occidentale produite par les majors, Kontor ou autres David Guetta raconte le tarissement d’une imagination lessivée par la victoire de l’argent, le vide béant a-poétique et le déclin économique. Entre tubes techno-exotiques ou techno-dancing, les bras en l’air coincés entre deux fesses sensés incarner l’extase de la discothèque dans des décors dévastés, l’Occident révèle par sa pop culture son propre naufrage… Jamais de ma vie, je n’avais vu ni entendu des charts européens aussi laids.
J-Pop, K-Pop, T-Pop, C-Pop et autres S-Pop… Kezako ?
J’aimerais commencer par une petite remarque au sujet des mots J-Pop ou KPop et autres quelque-chose-pop (je fais un japonisme à partir de 何々POP). Car il faut rendre hommage à celles et ceux à qui fut originalement adressé l’adjectif : le Japon.
Car si de nos jours on utilise le qualificatif pour de la musique de « variétés » (pop, en anglais), il n’en a pas toujours été ainsi.
Il faut remonter aux années 90, quand le Royaume-Uni enfanta une nouvelle génération de chanteurs, Oasis/ Blur/ Divine Comedy et dans une moindre mesure Pulp (le groupe était en fait plus ancien). Les critiques ont alors parlé de « BritPop ». Or, le Japon connaissait depuis la seconde moitié des années 80 une effervescence culturelle réelle, pas seulement de sa variété (l’époque était aux Chisato Moritaka, Nakayama Miho, Matsuda Seiko ou Wink qui valaient bien nos Rose Laurens et autres), mais à travers les groupes indépendants rassemblés sous le vocable de Shibuya-Kei car ces jeunes prenaient possession du quartier de Shibuya, encore peu fréquenté (le quartier à la mode était Shinjuku, et dans une moindre mesure Roppongi pour le soir).
Les plus connus étaient Pizzicato Five, Tanaka Moriyuki, Towa Tei (le DJ de DeeLite), Flipper’s Guitar (un duo dont l’un des membres a continué sa carrière sous le nom de Cornelius) ou bien le DJ electro Ken Ishii. Cette scène finit par percer mondialement et c’est ainsi que lors d’une tournée de Pizzicato Five aux USA en 1994 le terme J-Pop apparut, clin d’œil à ce qui se passait au Royaume-Uni.
Par la suite, le terme fut vulgarisé et tendit à être appliqué à tout et n’importe quoi au point de qualifier désormais la pire variété japonaise. Voilà pour la petite mise au point.
J’étais fan de ShibuyaKei…
K-Pop comme révélateur du « découplage économique » de l’Asie
En 2009, en pleine culbute économique, j’entendis parler du succès du concert de Kara à Tôkyô, ainsi que celui de BigBang. Certains jeunes japonais sont peut être lassés des hordes de pucelles professionnelles en sacs à patates beiges ou uniformes d’écolières et voix de crécelle et autres bandes de mecs aux cheveux décolorés braillant des trucs bavards à n’en plus finir sur des musiques de bastringue sensuels comme des moissonneuses.
Au Japon, danser, c’est interdit!
Je me mis donc un soir en quête d’exploration sur YouTube.
C’est plus fort que moi : je n’écoute plus de pop, encore moins de pop de charts, mais j’aime savoir ce qui se passe, comme ça, pour savoir. En France, il m’arrivait parfois d’acheter des tonnes de magazines non pas pour en lire le contenu, mais pour les regarder, et tenter d’y regarder mon époque comme un voyageur venu d’une autre planète. En 2006, j’ai entendu parler de Tecktonik, j’ai regardé sur YouTube, et j’ai compris que la France serait en crise pour une bonne vingtaine d’années.
Alors que le monde s’enlisait dans une récession sans précédent, je pris une vraie baffe jouissive et salutaire (je dois avoir, refoulées quelque part, des pulsions SM) me transportant dans les Trente Glorieuses, en enfance. Des Trente Glorieuses du futur, débarrassées du néo-courrègisme encore en vogue au Japon quand on évoque le futur et qui révèle à quel point ici le futur appartient au passé. Un futur, mais au présent. De la jeunesse, de la danse et une énergie brute venue tout droit du pays des écrans AMOLED…
La K-Pop, pour réveiller la folle qui est en nous
La première vidéo sur laquelle je restai scotché, ce fut Som Dam Bi.
En 2009, la K-Pop commençait son envol dix ans après le décollage du cinéma et des feuilletons télévisés, encouragée par une active politique d’exportation de la culture à l’opposé du verrouillage japonais.
À regarder aujourd’hui, il flotte comme une certaine innocence dans Queen… C’est tout propre et tout parfait, pas d’audace, mais beaucoup de couleurs. C’est un mélange bien produit de pop européenne et de Killy Minogue.
Mais dites moi, qu’est-ce qui fait la qualité d’un bon tube populaire : son originalité ? Sa qualité ? N’est-ce pas avant tout le partage d’une émotion brute, un rythme qui balance, une mélodie dont on se souvient facilement et, si possible, de belles images.
Et Queen, c’est exactement cela.
Mon premier morceau de K-Pop fut donc une pastille de bonheur enfantin de trois minutes effaçant ce machin qui n’en finit pas et qui s’appelle « la crise » et qui dure depuis que j’ai eu 10 ans, quand on s’est mis à parler de chômage à la maison, dans les années 70. Quand on a goûté une pastille de bonheur, c’est comme de la drogue, on y revient toujours.
Pour tout dire, aujourd’hui encore, je ne pige pas bien que les pédés ne se soient pas mis à écouter ça, parce que c’est super pédé, comme toute la K-Pop, avec ses filles super femmes, et ses mecs beaux comme des filles et sexy comme des playboys. Mais bon, encore faudrait-il que les pédés choisissent ce qui fait « leur » culture et arrêtent d’aduler les Lady Gaga que l’industrie a spécialement marketées à leur intention… Et puis, dans ces espèces de baisodromes qui ont remplacé nos clubs, il est où, celui qui flairerait notre époque et nous ferait danser sur des trucs venus d’ailleurs comme sut si bien le faire, par exemple, Pascal Carqueville, au Broad, en son temps, avec la pop anglaise ?
2ne1
Remis de mes émotions, je passai à 2ne1 qui démarraient leur carrière. Là encore, c’était 2009, il y avait quelque chose d’inabouti, un certain manque d’audace. Mais cet inaboutissement, je vous l’avoue, cela ne fait que peu de temps que je le perçois, le souvenir que j’ai de ma première soirée à zapper de clips en clips sur de la K-Pop, c’est vraiment, vraiment, le souvenir d’une pastille de bonheur et d’énergie jeune. Je veux dire VRAIMENT jeune.
Partout l’économie s’effondrait, et la Corée réinventait l’innocence du yéyé. Je me mis pendant une quinzaine de jour à n’écouter que cela ! Pas parce que c’était extraordinaire, mais parce que je sentais qu’il y avait là un truc qui se passait.
L’Asie réinventait les codes de la musique populaire, et ça, vous passiez tous à côté, comme de tout le reste de ce qui se passe dans le monde à force de ne regarder que votre monde, à vous prendre le choux, ah oui, c’était la burqa, c’est ça ? Et puis Kontor, David Guetta et Adèle, c’était tellement plus confortable…
J’ai avalé tout ce qui traînait sur YouTube, et même au passage de la T-Pop (Thaïlande) et de la C-Pop (Chine et Taïwan), m’apercevant au passage que les majors coréens ne filtraient pas, au contraire ils proposaient les clips de leurs chanteurs, me rendant compte au passage bien avant le printemps arabe de la puissance de ce truc fantastique appelé « Internet »…
Si 2009 fut une année pouasse, la pop coréenne m’évoque cette année là ces trucs pré-disco sortis vers 1976. Un potentiel énorme.
Et alors qu’en 2010 vous vous preniez le choux pour savoir si vous sortiriez de la récession sous le pilonnage permanent d’une brailleuse en robe noire et les vociférations « trop » de la madone des pédales qui était « née comme ça » (la pôôôvre), la Corée et avec elle toute l’Asie et l’Amérique latine décollaient avec des taux de croissance à faire rêver les ministres du plans de la IVème république.
Imaginez. 12% en Chine, 10% en Inde, et 6% en Corée. Ah, vous en avez mangé, cette année là, de la dalle plasma, et du téléphone Android Samsung… La crise ? Quelle crise ?
La K-Pop a suivi l’économie et, de fidèle élève de la pop européenne et américaine, elle a commencé à explorer ses propres possibilités. Des couleurs, des vestes épaulées comme dans les années 80, et puis des coupes de cheveux, et puis une disco de plus en plus boum boum, des sons de plus en plus radicaux. Sa propre esthétique, faite d’une influence musicale assumée d’Europop, mais redigérée, entièrement tournée vers la danse collective de ces boys bands et de ces girls bands qui, deux ans auparavant, copiaient le modèle du genre, la J-Pop. Qui d’un coup, elle, se trouvait ringardisée, dépassée et coupée du monde.
Ne restait plus que l’étincelle pour « incarner » l’indépendance de la K-Pop. Et ce fut…
COED SCHOOL
Too Late de COED SCHOOL est ce que j’ai entendu de mieux dans la pop grand public depuis des années. C’est un titre qui incarne son époque mieux qu’aucun autre. Que ce soit la chorégraphie, la chanson mais aussi les images, ses mecs super beaux ou les technologies utilisées pour réaliser le clip (tourné en 3D comme beaucoup d’autres clips coréens à la fin de l’année 2010, promotion de la technologie oblige, un peu comme le psychédélique annonce l’entrée dans le monde de la stéréo grand public dans les années 60), il représente le mieux ce qu’est la K-Pop. C’est jeune, hi-tech, et en plus, ça se danse. Parfait pour les flashmobs qui commençaient au même moment à se répandre un peu partout. Too Late est à la K-Pop ce qu’I Feel Love fut à la disco en son temps. Bien sûr, I Feel Love est révolutionnaire à plus d’un titre, mais en son temps, il révélait surtout qu’un producteur européen pouvait réaliser un titre mondial sans copier ce qui se faisait Outre-Atlantique, annonçant l’hégémonie européenne sur la disco pour les deux ans à venir. Tout comme COED SCHOOL.
À l’automne 2010, la K-Pop osa enfin. Corps de plus en plus généreusement dénudés, chorégraphiessuggestives au point de susciter l’agacement de certains hommes politiques. Les survivants qui ont connu la disco en Europe vous raconteront les mêmes anecdotes ! Des titres de plus en plusoriginaux et toujours les 2ne1 et Super Junior.
Alors qu’en 2011 vous vous enlisiez dans la énième réforme des retraites, hésitant entre désespoir de tout voir partir en vrille et espoir de voir « la gauche » gagner les élections sous la double force de frappe de la braillarde qui vous ferait renier votre amour inconditionnel pour une héroïne de Jacques Tardi, et de tous les produits dérivés de David Guetta en jeans et tee shirt (D&G) pour faire cool dans des discothèques « délires », la K-Pop se mettait à rayonner sur toute l’Asie et commençait à être copiée à Taïwan, en Chine, en Thaïlande, et même percer aux US.
L’influence de la J-Pop s’est effacée. La K-Pop s’est même payé le luxe de produire un trio de pur style J-Pop à sa façon, c’est à dire bien plus « kawai » que de la J-Pop, en fait, de la pure lolita des années 80…
Les sites consacrés à la K-Pop ont commencé à apparaître en Europe ou aux USA, animés par des très jeunes, bien entendus, étouffés par la double barrière des baby boomers et de cette frontière sociale/raciale incarnée par le périphérique qui veut que la culture « jeune » soit validé par l’élite trentenaire blanche middle class Paris intra-muros. À la suite du séisme, mon compte Twitter ainsi que mon compte Facebook m’ont permis de croiser certains de ces jeunes, et j’en suis ravi. Sur leurs comptes, j’ai vu circuler Beast Fiction dont la chorégraphie n’a pas cessé de nous étonner, à l’opposé du barbant Djamel Ouali. Et puis 2ne1 est devenu un girl band d’envergure internationale, pouvant s’offrir le luxe de dire qu’elles étaient les meilleures. C’est bien simple, en 2011, même les trucs nuls sont devenus potables, et le moindre boys band une machine à fantasmes…
En 2012, nous avons élu un président « normal ». Rien « qui dépasse ».
Mais c’est quoi, l’avenir d’un gamin qui a grandi au delà du périphérique? Toutes les places sont prises par le monde des baby-boomers de classes moyennes et leur progéniture, où on se moque des Sky-Blog quand on n’interdit pas certaines expressions religieuses.
Ne restent qu’internet et les flashmobs. C’est gratuit, convivial, inter-générationel, et ça se danse. Et la K-Pop.
C’est incroyable sur YouTube le nombre de vidéos de flashmobs sur de la K-Pop. C’est normal, ça se danse aussi…
Les gays à l’avant-garde. Not.
Les gays trentenaires n’ont pas vu venir l’Asie. On nous l’a refera, « les gays toujours à l’avant-garde ». Tout juste bon à accoucher d’un vocabulaire nouveau pour retourner au placard sans passer par la case du coming-out !
Pour cet hiver, je vous suggère de goûter mes pastilles de bonheur, les sensuelles Sistar (une vidéo à augmenter les prises de conscience des transexuelles qui s’ignorent…), Tasty parce que ça le vaut bien, Bigstar parce que la vidéo est efficace, KingKong Shower parce que c’est vraiment pédé, 2ne1 parce que ce sont des pros et que c’est trop la honte que vous passiez à côté d’elles alors qu’elles ont été classées 10ème des ventes de disques aux USA…
On laissera à Montebourg le soin de se ridiculiser encore plus en voulant filtrer le net contre l’envahisseur coréen ! On lui laisse Kamel Ouali, les Guetta et la Star Ac ainsi que les décors vert-de-gris des années 2000.
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