Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Je me suis dit…


(Par honnêteté, je vais laisser ce billet, avec lequel je ne suis plus vraiment d’accord car à cette époque, habitant en France et soumis aux forces contradictoires que le discours fermé imposait, je ne voyais les évènements qu’à travers le prisme de ce même discours. Si je reste persuadé qu’il faut être strict avec des jeunes qui deviennent délinquant, et qu’il faut leur dire, et que c’est bon pour eux, la « lecture religieuse » qui est une constante de la société française depuis les années 2000 est complètement à côté de la plaque. Un délinquant est un délinquant quelque soit sa religion, point barre. Je donne ainsi dans des clichés à 2 balles, même si dans le fond, je ne remets pas en cause mon adhésion à un libéralisme politique qui aujourd’hui, en totale opposition à ce que j’écrivais alors, me conduit à reconnaitre une totale liberté de pratique religieuse.
A ma décharge, j’ai grandi avec un père musulman pratiquant, d’une famille religieuse, mais également pan-arabiste, profondément réfractaire à l’idée d’utilisation de la religion à des fins politiques, plutôt nasseriste et pro-palestinien, et totalement anti-saoudien. C’est sous cette angle que j’ai commencé à forger ma réaction face à la monté des pratiques religieuses. J’ai progressivement, loin du Japon, et beaucoup plus imprégné de culture américaine de gauche, évolué vers une position plus « libérale ». Enfin, l’influence de lectures variées m’a conduit à m’interroger sur l’utilisation qui est faite de notre propre « intégration » à un modèle de société qui en réalité s’est, depuis le 19ème siècle et par le biais de la colonisation puis de l’immigration, construit sans nous, voire même contre nous.
Je n’écrirais plus du tout ce billet de cette façon, notamment car j’y fais l’impasse sur les violences de la police qui ont joué un rôle dans ces émeutes, même si je suis également conscient que pour beaucoup de jeunes, ces émeutes étaient aussi une sorte de carnaval, une sorte de fête qui permettait de passer à la télévision…
Je le laisse car il montre ici une rupture profonde entre mon adhésion à la vieille gauche française, vers une gauche « liberal » et démocratique, totalement débarrassée du carcan républicain jacobin et tournée vers une réelle remise en cause du substrat colonial qui structure encore la société française).

Je me suis dis que je pouvais partager ici un post que j’ai posté ce jour sur le site Lejapon.org, dans l’izakaya, au sujet des « émeutes » des cités…
Je reviendrai ultérieurement.
« Je suis d’origine Algérienne, donc avec un père musulman. Pratiquant, de famille maraboutique (c’est dans ma famille que sont les « cheikhs » de mon village depuis 1 300 ans…). J’ai grandi en banlieue. Mon père était ouvrier et a perdu son emploi en 1978, on est alors devenu très pauvre… Ma mère, provinciale de l’ouest de la France, a fait des ménages dans sa jeunesse, elle a repris au moment où mon père, licencié, ne retrouvait pas de travail -trop agé.
J’ai grandi à partir de 8 ans dans une cité, à Bondy (93). Quand on s’y est installé, le premier dimanche, je suis allé jouer dehors avec mon frère, comme on avait l’habitude de le faire dans le vieux quartier de Epinay sur Seine où nous étions auparavant. Il y a une une bagarre, mon père est descendu nous chercher. A partir de là, nous n’avons plus eu le droit de sortir jouer après l’école, et nous avons reçu l’ordre de rentrer directement. Nos mercredis, c’était jouer à la maison, regarder la TV. Les rares fois où nous avons désobei, ce fut la paire de gifles, et privé de TV après les devoirs.
C’est que mon père tenait à ce que nous étudions : c’était le seul moyen de réussir, à ses yeux. Je crois que cet objectif de leur éducation a été ce qui les a le plus soudés dans les temps difficile de notre famille pauvre.

Je suis gré à des personnes comme Skydiver de rappeler que c’est dans ces quartiers difficiles que l’on souffre en premier chef de ces affrontements. Les étrangers, les pauvres ne sont pas des délinquants, et beaucoup parmi ceux de ma génération, malgré le racisme, malgré des conditions de vie difficiles (je vous recommande les romans de notre ministre à l’intégration Azzouz Beggag, qui a grandi dans un bidonville de Villeurbanne), ont réussi leur vie, travaillent, créent, sont chefs d’entreprise, artistes, stewards…

Je ne parlerai donc au nom de personne, mais ce que j’ai par hazard aperçu à la TV hier soir m’a tétanisé. Violence urbaine, discours démagogue d’empapaoutés de classes moyennes patentés et certifiés présentateurs de journal TV (le « désarroi des banlieues »), discours largués de politiques qui ne voient que traitement social et/ou répression car ils sont incapables d’envisager un taux de croissance supérieur à 4%, d’imaginer une dynamique de créations d’entreprises et de richesses, d’avoir le courage de dire que ces jeunes qui cassent sont des malfrats qui terrorisent les populations en se cachant derrières des discours d’assistantes sociales à 2 balles qui ferment les yeux sur les familles dont les enfants cassent, volent, se battent et battent les autres (elles ont peur de se faire casser la figure elles mêmes, et puis de toute façon, elles sont généralement profondément incompétentes et relativement illétrées -ronds sur les i, fautes d’orthographes, pauvreté du vocabulaire et niveau Françoise Dolto vulgarisé par Télé-Loisir) et puis d’un coup décident qu’il faut retirer la garde des enfants à une famille laborieuse qui a du mal à s’en sortir en restant honnète (du vécu, une assistante sociale s’était immicée dans notre famille sous prétexte qu’on n’avait pas assez d’argent et que, peut être, un placement…).

Mais ce qui m’a le plus révolté est ailleurs. Ce sont les pseudo-imams. Mon père était musulman. Et alors. De quel droit on m’amalgame, et tous ceux qui sont d’origine du Maghreb, à une religion ? La force de l’Etat, en France, ça a toujours été d’affirmer son existance indépendamment des Eglises. Louis 16 a t’il demandé aux prètres de précher le rétablissement de l’ordre après les journées de juin et juillet 1789 ? Cela veut il dire que désormais, l’état choisi les imams à la liberté des jeunes filles dont les parents volent le passeport pour les marier/vendre/offrir en viol à un époux qu’elles ne connaissent pas ? Plus que les émeutes, c’est la négation de l’individu citoyen et qui se construit par sa culture (pas celle de ses aieux, celle de sa curiosité et de ses connaissances), par ses actes et par ses choix, cet individu libre qui a fait la force de l’idée Française. Nous ne sommes pas ensembles Français par le sang, mais parce que nous aimons cette idée, la Liberté de nous choisir notre destin, et que nous nomons la France. Je ne suis pas gaulliste du tout, mais j’ai une certaine idée de la France, car la France est avant tout une grande idée.

La rabaisser au niveau des imams pour quelques centaines de voitures montre bien le délabrement moral des élites.
En cela, j’ai peur : on va encore plus amalgamer cité / délinquence / islam. On va devenir quoi, les gens comme nous, dans ce pays ? Elle va être où, notre place ? Vais-je avoir une place pour dire que j’aime le 18ème siècle français, les Lumières et Kant, que je suis homosexuel, athée, et que ça ne m’empêche pas d’avoir eu des parents pauvres, d’avoir vécu dans une cité du 93, d’avoir eu un père musulman pratiquant que je respecte sans partager ni la nationalité ni la religion ?

La France me fait penser à la Grande Bretagne du début des années 80, très bien racontée par Hanif Kureishi dans son livre Bouddha de banlieue (ed. C. Bourgois / réédité 10/18). Emeutes, chômage, droite bornée, gauche démagogue, patronat incapable et revanchard, esprit rentier des classe moyennes. Un pays fatigué.
Ca me donne vraiment des idées d’exil… Je suis trop vieux pour attendre que ça aille mieux, que je me dis. »
Voilà, merci de m’avoir lu.
Suppaiku.

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Commentaires

Une réponse à “Je me suis dit…”

  1. Merci d’avoir pris aussi le temps d’écrire un point de vue articulé qui donne à réfléchir. J’habite aussi en Seine St Denis et partage ce souci de faire les différences, de ne pas faire d’amalgame.

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