Je travaillais aujourd’hui à 池袋/Ikebukuro, un quartier situé au nord est de Tôkyô. Un quartier que les Tôkyôïtes n’aiment guère : c’est en effet le quartier par lesquels les lignes 東武/Tôbu et 西武/Seibu arrivent dans la ville : ces deux lignes desservent les 県/ken (départements) voisins de 埼玉県/Saitama, 群馬県/Gunma, 茨城県/ Ibaraki… Autant le département de 千葉/Chiba est regardé avec une certaine indifférence car il s’agit d’abord d’une extension de Tôkyô vers l’est, autant ces département au nord, et particulièrement Saitama, sont considérés comme « la province », au sens péjoratif du mot. Leurs habitants sont considérés comme des « arriérés ».
Vous pouvez imaginer assez facilement qu’Ikebukuro plait d’abord à ces « provinciaux », mais n’enchante guère les autres.
A Ikebukuro, l’originalité n’existe pas. Une grande barre placée là chapeaute donc 3 gares (car il faut également compter Japan Rail, JR). Cette grande barre loge les centres commerciaux … 東武/Tôbu, 西武/Seibu et Parco. Ikebukuro me fait en fait penser à Umeda, mais sans l’humour d’Osaka. C’est une gros centre commercial à ciel ouvert, à ciel fermé et en sous-terrain climatisé avec ses 3 lignes de chemins de fers, ses 2 lignes de métro (有楽町/ Yûrakuchô et 丸ノ内/Marunouchi) et son tramway, le 都電/Toden.
J’avais beaucoup aimé le Dorama 池袋西口公園. Oui, il y a bien cet arrière quartier populaire (à visiter d’urgence en empruntant le 都電/Toden, tramway) qui sera certainement la proie des promoteurs dans les 10 ans qui viennent. Mais il faut vraiment s’éloigner d’Ikebukuro « gare ». Il y a même un « petit Montmartre » : la proximité de l’Université 早稲田/Waseda avait fait de ce secteur un quartier « intellectuel » et il y avait une petite concentration de peintres férus de culture française, dans les années 20/30.
De nos jours toutefois, à côté de cette gare sortie de terre dans les années 80/90, il faut le chercher, le « petit Montamartre »…
J’ai travaillé de 10 heures à 17 h 40. Quand je suis sorti du métro, vous ne pouvez imaginer la chaleur qu’il faisait. Un ciel bleu de chez bleu, un soleil franc et net et certainement déjà une humidité supérieur à la normale rendaient les mouvements épuisants, la sueur facile. L’été est là, nous sommes « officiellement » rentrés dans 梅雨/Tsuyu (la « pluie des pruniers », car fin juin est la saison de récolte des prunes).
Les élèves de l’école sont gentils. J’ai pu revoir des collègues que je ne vois qu’épisodiquement. Le midi, j’ai déjeuné d’un 弁当/bentô, une gamelle que j’ai acheté dans un フードホール en sous sol. J’aime bien traduire bentô par son vrai mot en français : une gamelle ! Un plateau repas, disent pudiquement les français, quand il s’agit en fait d’une boîte dans laquelle on met à manger. Une gamelle, je vous dit !
Je n’ai pu résister à l’attrait des tartes portugaises, des tartes aux oeufs, j’adore ça, qu’une pâtisserie récemment ouverte vendait dans ce フードホール.
La journée est passée vite : ça change, travailler dans un autre endroit.
J’ai quitté vers 17 h 45, j’ai fait un saut chez le boulanger du フードホール dont je vous laisse admirer le joli sobriquet. Moi qui pensais qu’elle était Poisson, la voilà boulangère !
Je suis entré dans la gare et j’ai été saisi d’une vague angoisse à l’idée de me perdre la dedans. Les jeunes de Saitama arrivaient, avec leurs jeans larges d’秋葉系/ Akibakei (en gros, ringards d’Akihabara) ou leurs tenues d’apprentis Shibuya, style Janizu/Ayu).
C’est vrai qu’ils sont ringard, ici. C’est pire que Montparnasse avec ses tribus de blancs habillés comme des blancs qui imitent les blancs qui font du RnB en imitant les noirs. Vous voyez ce que je veux dire ?
Débarquer à 渋谷/Shibuya après avoir traversé 池袋/ Ikebukuro, c’est un peu comme passer de Montparnasse à … désolé, on n’a pas ça à Paris. Comme je vous l’ai dit déjà, Shibuya, pour moi, c’est comme de l’énergie vitale.
Quand on est à 新宿/ Shinjuku et qu’on n’a pas de sous, c’est dure, car il n’y a alors pas grand chose à faire (on peut quand même s’y promener, il y a en fait beaucoup à y regarder/voir). A 六本木/ Roppongi, à moins d’être un puceau hétérosexuel à peine seuvré qui veut se faire « de la » Japonaise, sans le sous, il n’y a rien à faire. A 秋葉原/Akihabara, à moins d’être un puceau « geek » décidé à persévérer dans la musculation du poigner (garçon) ou du majeur (fille), sans le sous, il n’y a rien à faire.
渋谷/ Shibuya, c’est différent. C’est un quartier vivant. C’est jeune dans ce que je préfère de la (ma) jeunesse : c’est terriblement con. Ici, on drague, on couche certainement, on se montre, on mange, on chante, on boit, on exhibe son bronzage. Ici, la rue n’a pas d’âge. On croise même des 30naires qui ne se la pêtent pas, les cheveux lachés et le bras en travers du dos d’une jeunette de 20 ans, tous les deux se poilant de l’on ne sait quelle blague : ça fait tellement de bien, voir des japonais qui rient, qui vivent.
Qu’importent qu’il y ait comme partout ces チンピラ/ chinpira (tête de con), avec leur bronzage, leurs cheveux longs et leurs costumes noirs, leurs chaînes en or, qui cherchent à vous entrainer dans des bars à hôtesse. Ici, il y a de la vie, et l’on y croise avec nostalgie les regards héberlués des touristes qui y débarquent pour la première fois. Unique.
J’ai retrouvé Jun et nous sommes allés à l’exposition パラハ国立美術館展/Musée National de Pragues : une exposition des collections flamandes du XVIIème siècle, autours de Jan II Bruggel et Rubbens. Magnifique, tout simplement. J’ai pu expliquer ici clairement la différence entre la peinture « post » renaissance et les innovations « baroques » que Rubbens a rapporter d’Italie. Plus quelques éléments d’histoire religieuses. J’ai repensé à l’exposition Rubbens, à Londres, que j’étais allé voir il y a deux ans avec Alain, particulièrement 3 ou 4 toiles représentant chacune la même scène de la déposition au tombeau, peintes à quelques années d’intervale et la transformation du corp du Christ en un véritable cadavre, désincarné, lourd et inerte, vidé de toute énergie. Glauque. J’avais ressenti en voyant cette évolution, et le choc de la plus noire des 4 toiles, comme un évident contact avec la définition même de l’art baroque : le peintre a utilisé toute sa technique possible afin de « me » faire mal, de me toucher. C’était réussi. L’art n’est pas fait pour être beau. Il est fait pour toucher. Pour faire mal, pour faire pleurer. Pour faire chanter. Pour faire rire.
On est allé ensuite manger des spaghettis, puis on est rentré. Il était 23 heures.
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