Pour être plus clair, je n’ai pas fait de grand changement, cela a surtout été l’occasion de faire les poussières dans la bibliothèque, derrière chaque meuble, tout en déplaçant mon bureau. Cela faisait un moment que j’y pensais, et je crois que c’est une bonne idée, faire face à la fenêtre.
Bientôt onze heures du matin. Dimanche dernier, j’ai changé la place de mon bureau, je fais désormais face au soleil, c’est agréable. Il faut dire, c’est l’été. J’ai lu que par chez vous le soleil était brulant, ici, il est très raisonnable, il fait beau juste comme il faut, on a quelques jours de pluies ici et là mais cela n’a rien de bien dramatique – qui croirait que nous sommes dans la « saison des pluies », tsuyu (comme je l’ai écrit dans d’autres billets à ce sujet, l’appellation de « saison des pluies » est une interprétation occidentale renvoyant le japon à sa localisation asiatique quand les japonais ne l’appellent plus justement que « pluie des prunes », cet épisode ne durant guère plus d’un mois, quand les pruniers donnent des fruits, et ne résultant pas de la remontée des mêmes vents).
Grand beau temps donc, entrecoupé comme hier d’un temps extrêmement violent, une quasi-tempête avec de fortes pluies, là aussi très inhabituel à cette saison, comme si dans le ciel une bataille faisait rage entre différents courants contradictoires, et au final, de façon très brutale, en fin d’après-midi, irruption d’un large anticyclone dont le premier effet a été de dégager les nuages noirs pour nous offrir un début de soirées aux teintes orangées. Pour le coup, j’ai vraiment regretté de devoir travailler, le ciel était superbe, avec de fins nuages d’altitudes de formes variées. En sortant vers 21 heures, le trottoir était déjà sec et la température était douce et agréable.
Dimanche, c’était en revanche un temps de tsuyu typique. Il a commencé à pleuvoir dans la nuit et le matin une fine pluie tombait, se transformant par moments en une pluie plus conséquente. Je suis donc resté chez moi et j’ai réaménagé mon salon, là où se trouve mon bureau. Pour être plus clair, je n’ai pas fait de grand changement, cela a surtout été l’occasion de faire les poussières dans la bibliothèque, derrière chaque meuble, tout en déplaçant mon bureau. Cela faisait un moment que j’y pensais, et je crois que c’est une bonne idée, faire face à la fenêtre.
Quand arrive le tsuyu, maintenir son appartement aussi propre que possible est vital, car en cas de tsutyu très humide, tout a tendance à moisir, il faut donc pouvoir déplacer les objets de temps en temps pour qu’ils puissent s’aérer, mais aussi autant que faire se peut ouvrir la fenêtre ce qui, dans une grande ville, fait entrer de la poussière. À cela s’ajoute celle de l’air conditionné. Aérer et nettoyer, déplacer les choses, c’est très important. Ma bibliothèque en avait vraiment besoin.
Je viens de me faire un café, et je constate qu’il ne m’en reste plus beaucoup. Ici, acheter du café est un casse-tête. Il n’y a pas de bon café dans les supermarchés, et en plus il est cher. Toujours ces mélanges, « blend », aléatoires « Colombie, Brézil, autre origine » et où le robusta domine. Bref, je n’aurai pas de café demain au petit-déjeuner. Ce n’est pas grave, il faudra juste que je parte plus tôt au travail pour passer chez Seijo-Ishii.
J’avais écrit ce début de billet il y a une semaine, je renoue avec une vieille tradition, celle de la publication postérieure. Attention, j’étais un peu déprimé ce jour-là, ce sont ces anniversaires au loin, ça ne me fait jamais beaucoup de bien, c’est l’éloignement qui pèse. Le fond, toutefois, n’a guère évolué. Je sens le temps passer à une allure folle, et cela me donne une sorte de vertige…
(Écrit le 14 juin)
« Quelques considérations au sujet de ce blog…
Bon, je suis installé devant mon bureau, j’ai bu trois cafés, je me suis levé vers 8 heures et j’ai pris un très copieux petit déjeuné. Dehors, il pleut, c’est la « saison des pluies », disons plutôt la saison des « pluies d’été » qui a commencé.
Je n’écris plus guère, je ne fait plus rien, je regarde le temps passer, je déprime un peu, mes amis, tout me manque, sentiment de tout louper dont je vous ai déjà parlé, et si je commence à développer, sentiment d’ouvrir une boîte de Pandore sans fond, pas trop envie, et pourtant il va bien falloir, alors pardonnez cette intrusion dans mon intimité. J’avais commencé ce blog il y a très longtemps pour cette raison, pour me raconter, pour prolonger mon journal, alors voilà, je vais revenir à cela, cela m’aidera à y voir un peu plus clair dans le défrichement de cet avenir que je ne parviens pas trop à cerner.
À part travailler, je ne sais plus trop ce que je fais ici. À vrai dire, la même question se poserait si j’étais en France, mais je sais également que j’y verrais mes amis, que bien des choses seraient plus simples et peut-être même pourrais-je y envisager des voyages à l’étranger, au Japon pourquoi pas, qu’en sais-je.
Mais voilà, à 51 ans, bientôt 52, ce n’est pas trop le moment d’y songer. Je l’ai écrit et ré-écrit, je suis parfaitement conscient, mais il n’empêche, en dedans, cela travaille. Je vois donc le temps qui passe, et je n’aime pas du tout ce sentiment de ne pas avoir prise.
Ce ne sont pas des regrets, c’est juste un manque, c’est tout. Hier, c’était l’anniversaire de Stéphane, je me suis dit, je vais lui faire une vidéo dans le métro, et puis je vais écrire un billet pour lui, et puis… c’est vain. Je sais, rien n’est vain, et patati et patata, ben si, ça l’est quand avant tout on a envie d’être proche des gens qu’on aime, que tout se passe au loin. Alors j’ai envoyé un mail quand j’étais sur le chemin du retour, et forcément j’ai trouvé que ce mail était crétin juste après l’avoir envoyé. Ça va pas fort, je vous dis.
À cela s’ajoute ce dégout très prononcé pour Facebook et tous les médias sociaux, j’ai presqu’envie de vomir quand j’ouvre Facebook, d’ailleurs, je n’y poste pour ainsi dire plus rien, je visite de moins en moins, j’écris des commentaires que j’efface après les avoir écrits.
Ça en fera sursauter certains, mais je crois qu’à part des trucs que Houria Bouteldja et quelques autres personnes publient, le réseau me fatigue (…)
J’ai il y a une semaine commencé un relooking de ce site, ce n’est qu’un début. J’ai voulu y mettre des couleurs qui puissent s’accorder à une police de caractère plus franche, tout en sortant du noir et blanc que j’ai utilisé durant des années. J’en suis fatigué, de ce noir et blanc, pour tout dire, plus qu’à la couleur, j’aspire au gris. C’est riche, le gris.
En attendant, j’assume la couleur. Je vous ai épargné une version de ce site qui n’a duré que quelques heures et qui vous aurait sans nul doute fait très mal aux yeux. Brutale, on dit?
Je vais désormais publier mes billets de blog sans photographie, réservant celles-ci à des billets à part avec, justement, des photographies. Et puis il y a Flickr, et puis il y a Instagram. Et puis je fais ce que je veux, hein.
Ma question depuis un moment, enfin, façon de parler… Le blog est il une alternative viable qui me permette à la fois d’écrire, de m’exprimer, de travailler en quelque sorte, sans voir tout ce que j’écris s’évanouir dans le néant d’un site qui ne m’appartient pas bref, à écrire pour moi tout en tissant un lien plus intime avec des lecteurs anonymes? Plus généralement, ce site m’offre-t-il plus de possibilités que la vacuité des réseaux sociaux?
Un dégout de Facebook, je vous dis. Et puis depuis quelques temps je ne commente plus rien, ne poste presque plus, et je m’aperçois que ce petit monde vit très bien sans moi, et soudain l’illusion se dissipe. Bien sûr, c’est une évidence… « Toutes des concierges », disait Léo Ferré.
J’aime bloguer, j’aime écrire ce qui me passe par la tête, quand cela me passe par la tête, comme cela me passe par la tête et sans me soucier de si ça plaira ou non. Quand on blogue, justement, on n’est pas une concierge (remarquez, je n’ai rien contre les concierges, quelle image stupide, tiens, cette histoire de concierge, un joli mépris de classe), on est chez soi, on n’impose rien aux autres. La maison est ouverte, y vient qui veut, quand il veut, et puis voilà. Et moi j’y fais ce que je veux.
On va essayer de faire comme ça, donc. Sans réseaux sociaux, et dans ce carnet, puisque ce blog est un carnet de mon quotidien. Un carnet au quotidien, ça me plait bien.
Ceci étant posé…
Je ne sais pas vous, mais je commence à comprendre ce que j’ai longtemps entendu dire par des gens plus âgés. Le temps passe plus vite avec l’âge. Ce n’est pas du bluff, c’est vrai. À mon âge, par exemple, un an représente un 50ème de ma vie, mais à 5 ans, c’est un cinquième, autant dire que pour moi le temps passe dix fois plus vite, et pourtant l’enchainement des jours est comme immuable, c’est la même mécanique sans cesse recommencée, il y a juste que la sensation qui en sort est celle d’une plus grande rapidité quand je repense à une année écoulée. Déjà en juin, que je pense. Hier encore je marchais au bord de la Seine, il faisait froid, et voilà que c’est déjà presque l’été. C’est presque tragique… »
(fin du message non posté du 14 juin)
Oui, c’est exactement cela, le fond de ma pensée en ce moment, ou pour être plus exact, je crois que j’ai envie de m’assoir. C’en est fini, courir, et c’en est fini, les bagages qu’on transporte, ils sont posés depuis longtemps, en fait, et je les ai posés au Japon, que cela soit bien ou pas, cela s’est fait comme ça. Je suis reconnaissant au Japon d’avoir été là, j’y ai trouvé comme la conclusion de ma si longue psychothérapie.
Alors après, des fois, le corps et l’âme se rebellent, s’agitent, mais je reviens toujours au même point. Je suis au Japon, à Tôkyô, et c’est un peu comme ce soir avec Nicolas, dans la salle des peintures françaises au Louvres, alors que je venais de lui montrer « La naissance de l’amour » de Sueur, une des peintures qui m’émeut le plus, notre regard se tourne vers la fenêtre de la galerie, nous voyons la Cour du Louvre, la Pyramide, les Tuileries, l’Arc de Triomphe et l’Obélisque de la Concorde, la Tour Eiffel dans un arrondit sur le côté qui laisse deviner un coude de la Seine, c’est une fin de journée et, tous les deux, émus, ressentons que nous sommes exactement là où des millions, des dizaines de millions de personnes de part le monde rêvent de se trouver ne serait-ce qu’une fois dans leur vie, et c’est pour nous presque le quotidien.
J’habite à cinq minutes à pieds d’un des endroits les plus visités du Japon, au bord d’une rivière qui fait rêver tous les amoureux du Japon, je prends chaque jour la plus ancienne ligne de métro de la capitale, cette ligne qui conduit les touristes de Asakusa à Ueno puis Akihabara puis Nihonbashi puis Ginza et Shibuya.
Je rêve de Paris, une ville où je n’ai su saisir ma vie, où je n’ai su totalement apprécier ma chance, une ville que j’aime, aussi, et où je reviendrai, cela est sûr et certain désormais, et par la grande porte. En attendant, je m’assoie, tiens, il y a la fenêtre devant moi, il fait beau, et c’est à Tôkyô que je vis, dans un quartier que des millions de personnes rêvent un jour de visiter.
Il fait bon s’assoir, finalement, le temps, peut-être, alors, peut passer comme il l’entend…
De Tokyo,
Madjid
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