…ce qui commence à émerger est une utilisation totalement autonome, une recréation intégrale basée sur des vidéos du passé, en n’hésitant pas à montrer, voire à mettre en avant les défauts divers hérités du repiquage de cassettes VHS.
Depuis que YouTube existe, nous avons accès à la mémoire de toutes les générations de l’air audiovisuelle, c’est une rupture sans précédent avec les époques précédentes où l’on ne pouvait qu’imaginer ce qui avait précédé, en renforçant de manière dramatique la tendance amorcée avec l’air de l’enregistrement. Désormais, le temps est une sorte de substance dilatée dont les effets sont palpables mais que nous ne parvenons plus à mesurer avec autant de réalité que quand on en réalisait les effets avec la perte.
YouTube depuis des années me fascine véritablement. Je traverse des « périodes », ainsi, butinant une époque, l’absorbant et la faisant mienne même quand, et surtout quand je ne la connais pas. YouTube m’en donne la saveur.
J’ai ainsi eu une période « bulle », où j’ai avalé la (mauvaise) musique pop japonaise de la seconde moitié des années 80, y retrouvant une sorte de mémoire déformée de ce que nous avions pu avoir en France à la même époque, mais cette fois à la japonaise, avec des épaulettes plus larges et une avalanche d’or que nourrissait la spéculation boursière de l’époque. Je pense que cela m’a permis de mieux comprendre ce pays ainsi que l’incroyable rupture générationnelle entre ceux qui l’ont connue et les plus jeunes, ceux qui sont venus après et dans lesquels à certains égards je me reconnais un peu plus, bien qu’esthétiquement je maîtrise parfaitement les codes de la génération de « la bulle ».
J’ai eu ma période « années 20 », et j’ai (re)découvert cette esthétique imparfaite, comme l’est toute esthétique d’une période de crise, coincée entre deux monde, et que résument fort bien ces maquillages féminins hérités de la belle époque et rehaussés de cette audace de faire bruler les sourcils pour les redessiner, avec ces robes tubes à l’ourlet court, ces coupes de cheveux « garçonnes » ou permanentées crantées, une esthétique qui ne nous parvient qu’à travers un cinéma dont la technique n’a, elle, guère évolué depuis 1895, si ce n’est qu’ici et la subsistent quelques copies en Eastman-color et quelques cires servant à post-synchroniser le son. Là, c’est véritablement fascinant car la couleur et le son créent une proximité absolument tragique et merveilleuse à la fois. Juste avant que la bourse ne chute de 80% en trois ans en entrainant cette époque archaïque avec elle…
Avaler une grande dose d’images d’une autre époque est une stimulation de l’imagination qui a très peu d’équivalent, pour tout dire, en tout cas pour moi. Soudain, ce sont les clés d’une autre esthétique, et donc d’une autre façon de regarder que je fais mienne. Que j’y ajoute des lectures, une replongée dans l’économie, les problèmes sociaux du temps, et c’est un contact presque charnel qui est là, devant moi et en moi à la fois.
YouTube est le symbole d’une révolution de notre rapport au temps, à l’histoire et à la culture dont nous n’avons pas encore idée des effets. Sur YouTube, on peut regarder des danses apaches, ces danses inspirées de ces « mauvais garçons » des quartiers des fortifications autours des faubourgs, qui jouaient du couteau, braquaient, assassinaient le passant un peu distrait à cette époque que nos apôtres de « la république c’était mieux avant il y avait la sécurité », et dont certains avaient fricoté avec les anarchistes poseurs de bombe à l’époque où « avant le terrorisme ça n’existait pas », en gros à « la belle époque », bref, on voit ces danses faite de coups simulés, de valdingue folle hallucinantes, la fille attrapée par les cheveux et que le gars envoie valser à l’autre bout, et la voilà qui revient et qui lui flanque un pain, trois petits pas de polka, et on remet ça, et puis on clique sur un lien, la danse a traversé la Manche et l’Atlantique sous le nom de « danse apache », elle est fait encore plus acrobatique, et puis la voilà reprise par Hollywood, on la danse sur du swing et on l’a enfin trouvé, ce chainon manquant entre le jazz et les danses acrobatiques tel le lindy hop dont le superbe Hellzapoppin‘ donne une illustration absolument folle de ce télescopage d’influences.
Récemment, après être allé de vidéos en vidéos, je me suis aperçu que le très grand truc, c’est la recomposition vidéos. Ce que je veux dire, c’est que même si cela fait des années que pas mal de monde s’amuse à refaire des vidéos, à les détourner, comme ce splendide Dalida-Madonna en ligne depuis près de 10 ans, ce qui commence à émerger est une utilisation totalement autonome, une recréation intégrale basée sur des vidéos du passé, en n’hésitant pas à montrer, voire à mettre en avant les défauts divers hérités du repiquage de cassettes VHS.
On retrouve cela bien entendu dans les création vidéos « Vaporwave », ce truc qui innonde YouTube depuis plusieurs années dans des créations où l’ambiance le dispute aux couleurs redigérées d’une époque relativement indigeste, et dans beaucoup d’autres vidéos qui toutes ont pour point commun de traverser 15 années tabou, la décennie 1980 et le cul de siècle 1990-1995, un peu de la même façon que ma génération traversait les années 1950 et les premières années des années 1960, entre sourire et émotion qui ne s’explique pas.
Et voilà que sans même je m’en sois aperçu, je me suis retrouvé à traverser les années 80, de publicités en défilés de mode, d’actualité en vidéos clips, bien souvent ces trucs que je détestais, et, signe du temps qui passe, les affects ont totalement disparu, il ne reste qu’un regard amusé sur ces vidéos où les jeunes fleurent aujourd’hui avec la cinquantaine quand ils n’ont pas carrément 60 ans.
J’adore cette vidéo que je vous poste, là. Oui, je sais, c’est de la merde et on a là un bel exemple de la vacuité d’une civilisation qui asservit le monde pour qu’une poignée de ses rejetons puissent tortiller du cul devant des caméras en exhibant leur dernière décoloration blonde et leur nouveau blouson, mais justement, n’est-ce pas cela qui est fascinant dans la vidéo quand elle dévoile le temps passé alors qu’elle n’était sensée ne rien montrer d’autre qu’elle même, au présent.
Cette vidéo, c’est l’innocence même de cette époque. Quand Mitterrand monte au Panthéon, que retentit l’hymne à la joie, il est exactement comme Loanna et Laure, et Steevy, et Kenza, et Aziz et les autres: il ne sait absolument pas ce qu’il fait. Tout comme les lofteurs ne savent pas ce qui se passe en dehors du Loft ni n’ont aucune idée de leur image, le nouveau président ignore que quelques années plus tard, ces images produites pour son moment présent seront disponibles gratuitement et visualisables à tout moment à d’autres époques.
En comparaison, notre nouveau président a brisé l’innocence du Panthéon en fabriquant intentionnellement des images échos destinées à être utilisées au futur, un peu comme dès leur entrée dans le Loft de la deuxième saison, Angela « d’la night », David « Connard avec un grand A » ou Leslie en string et les autres ont passé leur temps à tenter de faire de l’image, de paraître.
C’est peut-être pour cela que j’aime les bidouilleurs qui, sur YouTube, torturent les vidéos, leur donnent des doublages insupportables ou amusants, ils rendent son innocence à l’image en en dévoilant tout l’artifice et toute la superficialité et, ce faisant, tout en renvoyant Emmanuel Macron à sa banalité, recréent l’innocence du bidouillage et de l’enfance, un peu comme les premiers scratcheurs, un peu comme au temps des radios libres, un peu comme chaque fois qu’on peut s’amuser avec un truc nouveau sans trop savoir ce qui adviendra, qu’importe…
Les années 2020 seront les années du bidouillage des vidéos du passé, et leur modèles seront des années 80 qui, plus que toute autre époque avant, ou après, s’est elle même amusée à bidouiller avec ce nouveau joujou qu’était l’électronique. Et qui sait, il en sortira bien des trucs nouveau qui accompagneront l’agonie de la pop et des musiques de l’âge électrique, au fur et à mesure que les boomers iront engraisser les asticots.
Allez, regardons les s’éclater, leur personnalité « inner-directive » s’exprimer. Il y a dans cette vidéo tout ce qu’il faut pour comprendre la révolution néo-conservatrice du début des années 80. Chacun pour sa gueule, mais avec le sourire et des sapes différentes du voisin. He he he…