Il me semble quand même que Francis Blanche y était un général quelconque, il en avait le costume.
Une semaine, ça passe vite, très très vite, mais cette année, mon séjour d’hiver à Kyôto a commencé un samedi, ce qui me donne un jour de plus, un tout petit jour, un petit extra qui je crois a dors et déjà fait la différence. Je ne me sens « que » samedi.
Mon nez continue de souffrir de la sécheresse des chambres qui contraste avec le froid quand je sors, j’ai par moment le nez qui coule pendant dix ou quinze minutes sans s’arrêter et j’ai peur d’une irritation qui déclencherait une sinusite, alors je prends un médicament qui stoppe l’écoulement. C’est très efficace et très rapide, ça aide visiblement à dormir aussi, mais depuis trois jours que je le prends, mes nuits sont hantées de rêves étranges.
Cette nuit, dans l’un de ces rêves, le seul dont je me souvienne encore un peu, j’étais dans l’Algérie de la Sarthe, si si. Je le sais parce que je connais ce coin de Sarthe de mes rêves et je suis déjà allé dans cette Algérie de mes rêves, il y a juste que là ces deux endroits ne formaient plus qu’un, d’une façon assez harmonieuse pour tout dire. Le seul personnage dont je me souvienne bien, c’était Francis Blanche, si si!
Pour mes lecteurs et lectrices trop jeunes, Francis Blanche était un acteur, compositeur et réalisateur des années 40/60 au siècle dernier. Moi, je ne l’ai connu que vieux, à la télévision et dans de vieux films, mais plus jeune il était très populaire, il était le compère de Pierre Dac, un autre acteur et comédien qui lui, en plus, avait été auprès du Général de Gaulle à Londres durant le gouvernement de l’État Français, sous Pétain et l’occupation nazi. C’est Pierre Dac qui lisait les messages à la résistance ou distillait des slogans ravageurs, « Radio-Paris ment, Radio Paris est Allemand ». Un grand monsieur, Pierre Dac, et un grand acteur aussi.
Toujours est-il que j’étais dans l’Algérie de la Sarthe. Je ne me souviens plus trop ce que j’y faisais, ni qui était Francis Blanche mais bon, j’y étais et j’y recherchais quelque chose, je crois, c’était un rêve tout en bougeotte où on va ici et là. Il me semble quand même que Francis Blanche y était un général quelconque, il en avait le costume.
J’aime ces rêves qui recomposent des endroits connus, les mélangent. Dans cette Sarthe de mes rêves que j’ai visité plusieurs fois, il y a notamment un grand chemin qui mène vers nulle part, mais nulle part, il y a une maison. Une fois, maman était dans cette maison, et puis c’était sa maison mais aussi l’appartement où j’ai habité à Paris. Parfois, je visite Paris, mais c’est un Paris avec de vieilles maisons du moyen-âge, tout en passages étroits, du côté de la gare de l’est et du boulevard Magenta, et là, il y a une très bonne boulangerie.
Je suis maintenant totalement réveillé. Bien, c’est l’heure de partir.
On est le soir, maintenant, et la journée est presque terminée. Jun et moi sommes encore allé à Nara, au Hôryû-ji, un des plus anciens temples du Japon, fondé par Shôtoku Taishi, l’empereur qui a rédigé la première « constitution » (charte serait plus juste, mais bon) ainsi que véritablement introduit le bouddhisme en tant que religion de l’état.
Durant le long trajet en train, m’assoupissant comme on le fait tous ici, j’ai repensé à ces rêves dont je vous parlais dans la partie que j’ai rédigé ce matin. Je ne sais pas pour vous, mais moi, il m’arrive de revisiter des endroits auxquels j’ai rêvé et qui sont une sorte de recomposition d’endroits connus. Paris, par exemple. Je vous décrivais ce quartier médiéval avec ses dédales de rues vers Magenta, totalement impossible et pourtant, quand je rêve de ce quartier il me semble totalement évident, j’y passe des porches et il y a de petites cours, il y a des gens, et il y a cette boulangerie, mais je n’ai aucun souvenir d’y être allé, je sais juste qu’elle est là. Et puis il y a les boulevards, entre Saint-Martin et Richelieu-Drouot, mon quartier en fait, et dans mon rêve c’est assez identique à la réalité si ce n’est qu’il y fait toujours gris, et puis des fois on y accède par une espèce de forêt, il y a des boulangeries, beaucoup de boulangeries mais je crois que la meilleure est la troisième, des fois je peux y acheter du pain, et si je continue, j’arrive vers Bonne Nouvelle, il y a des cinéma, mais si je retourne sur mon chemin, c’est la Sarthe ou quelque chose comme ça, en fait ça dépend. Il m’est arrivé d’atterrir à Alger, comme ça, il y avait une sorte de bateau, et en face c’était Alger, et je pouvais continuer jusqu’en Iran, ou un pays comme ça, mais très vite quand même je retournais dans la Sarthe.
Dans les rêves que je fais dans cet univers là, il y a des gens, et il m’est même arrivé qu’on m’attende, mais je ne sais pas trop qui. Il y a quelques temps, je suis allé chez maman, elle était là, il y avait mon frère aussi, mais dans mon rêve je pensais en même temps que ce n’était pas possible, alors je me suis retrouvé à Bonne Nouvelle, chez moi, enfin, chez ma mère mais l’endroit se refusait à moi désormais, et pourtant la boîte aux lettre était pleine, je réussissais à y arracher quelques lettres et à me glisser par un escalier, mais j’arrivais dans un grand hall d’accueil de la Sorbonne, et dans mon rêve je n’avais rien à y faire, alors je retournais d’où j’étais venu et j’approchais de chez moi dans la cage d’escalier mais il fallait que je passe par un très étroit couloir et j’arrivais chez quelqu’un d’autre. On m’invitait à y rester, c’était grand et clair, avec peu de meubles et des draps qui délimitaient l’espace, un peu comme dans une mise en scène de Peter Brook, et moi, je m’installais dans une chambre à part, une vieille chambre du 18ème siècle. Je finissais par vouloir retourner chez moi, c’était à un autre étage mais la cage d’escalier m’était inconnue, et puis il y avait des marches cassées. Alors je finissais par sortir et je me retrouvais au carrefour Saint-Martin Magenta, mais ça ressemblait un peu à Adèle Blanc Sec, en vrai…
C’est un des territoires de mes rêves, il est assez transparent quand à ce qu’il raconte de moi et le fait que je le visite de temps en temps, partiellement ou totalement, en y revivant parfois les mêmes expériences avec de fines variantes me raconte quelque chose de moi-même et sur moi-même.
Peut-être un jour je m’y perdrai un peu comme le personnage du roman Jusque la fin du monde de Murakami Haruki, et ce jour là je paniquerai certainement en me réveillant mais pour le moment je trouve ça curieux.
Allez, je vais me faire une tasse de thé et me coucher. Il est très tôt encore mais demain est mon dernier jour ici. Alors je vais me lever le plus tôt possible pour emmagasiner plein de souvenirs qui peut-être viendront compléter mon territoire intérieur.
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