J’aurais aimé avoir un message rassurant, j’aurais aimé vous dire que j’allais bien, que je partais me décompresser à Kyôto, oublier ces magasins vides, ces gens stressés partout, et surtout profiter d’être avec Jun en ces moments difficiles. Nous n’habitons pas ensembles, il y a en générale 15 kilomètres entre nous la nuit, et environ 40 le jour. Ce stress là est tombé hier soir quand il est arrivé à la maison. Je lui ai suggéré de partir quelques jours à Kyôto, le temps que ça se tasse. Et comme le week-end prochain est un week end prolongé, j’ai proposé jusque lundi. Mon article a fait le tour de la blogosphère, ce qui est très intimidant, cela ne m’étais jamais arrivé. J’écris généralement et n’ai que quelques dizaines de lecteurs. Mon coup de colère n’était pas destiné à être planétaire. Mais peut-être avait-je appuyé là où ça fait mal. Nous, les amoureux du Japon, on ne parle jamais de nous. Je crois que mon billet a “parlé” à beaucoup pour cette raison. Je vous salue toutes et tous. Ce matin, j’ai téléphoné à mon ancienne collègue Irene, et elle ne pouvais contenir ses larmes. Partagée entre la peur, l’envie de partir, le quotidien ruiné, le mari, Japonais, qui ne sait plus quoi faire, et l’amour profond de ce pays un peu devenu le siens. Je ne savais quoi répondre. Dans tous les messages que j’ai reçu, je retiens l’énorme gentillesse qui se dégagent, même chez ceux qui me suggéraient de faire sans l’ambassade, de ne rien en attendre, trouvant mon coup de gueule très “Français”. À une époque où certains doutent de la francité des français d’origine Algérienne, cela me va droit au cœur et je le prends comme un compliment. Oui, je me plains comme un Français se plaint. Car je suis Français. Mais à la lecture des nombreux messages confirmant mes sentiments à l’égard des services consulaires et de l’ambassade, à l’égard d’une couverture médiatique qui nous ignore superbement, nous les Français du Japon du quotidien, j’ose espérer que je me suis plaint dans le style qui fait l’honneur de la France. Pas pour critiquer, mais pour révéler, et avec l’espoir au fond de moi que les choses s’améliorent. La très grande sécheresse du communiqué de l’ambassade ou du quai d’Orsay, je ne sais, me laisse toutefois douter. Dire que les services sont ouverts, qu’on peut les appeler à un certains numéro est d’une froideur incroyable. Je sais bien que le moment est difficile et que, comme le révélait un appel récent paru dans le monde, les restrictions budgétaires subies par les affaires étrangères n’aident pas. Je salue au passage les personnels restés sur place, certainement débordés par un événement qui n’en finit pas. On ne m’a jamais proposé d’être ilotier. L’avoir été m’aurait peut être aidé à ne pas me sentir à ce point là inutile, sentiment qui m’a conduit à écrire mon article, car l’écriture a été alors la seule chose qui me restait. Et je pense, pour tout dire, avoir pour cela un certain don… Pourquoi me gêner, me suis-je dit. J’aurais aimé que mes ilotiers m’appellent, tiens, par exemple. Je salue au passage une ilotier e qui a laissé un commentaire généreux et fort, où j’ai cru lire une forme de désarroi devant les problèmes posés. Je salue cet ilotier de Chiyoda, dont on m’a parlé dans un commentaire et qui visiblement travaille à faire le lien entre nous.
Qu’on ne s’y trompe pas, je n’exigeais rien de l’ambassade, juste faire le lien. Ouvrir une page forum est aujourd’hui très simple. Un compte twitter spécial, une page Facebook, créer des numéros de téléphones Skype à 600 yen illimités et proposer aux membres de la communauté de devenir relais. Je ne sais pas, j’écris quelques idées, je suis sûr que d’autres en auraient… Mais que des services consulaires et diplomatiques soient à ce point ignorant de l’usage des nouveaux médias en temps de crise et des règles élémentaires du vocabulaire en communication de crise me laisse songeur. On m’a refusé mon CV tellement de fois que j’en reste dubitatif, devant une telle incompétence. Car de ce coté là, la réduction des moyens n’est pas en cause : les nouveaux médias sont gratuits. La preuve, mon modeste papier a été lu par des milliers de personnes. Et je ne suis qu’un modeste citoyen.
Alors voilà, la colère reste, mais la tristesse maintenant me submerge. Jun sèche son travail quelques jours. Nous sommes dans le Shinkansen, nous allons à Kyôto. Les nouvelles de ce matin me suggèrent que nous avons fait le bon choix. J’ai eu en fermant la porte un sentiment étrange. Je fermais la porte de mon chez moi. Avec un terrible désir d’y revenir. Et le sentiment de l’inconnu. Je suis incapable de penser un quelconque retour en France. Mon projet était de quitter Tôkyô quelques jours, me reposer le temps que ça se tasse, et comme lundi prochain est férié, que c’est la saison des cerisiers, cela faisait un bon break, salutaire, pour affronter la suite. L’explosion du réacteur 2 ce matin a ravivé l’inquiétude, mais sans plus. On sera à Kyôto. Ça va. Mais l’incendie maintenant dans le réacteur 4 pose une autre question. Je reverrai Tôkyô, mais quand ? Et comment ça se passera. Les larmes d’Irene, ce matin, c’était cela. C’est aussi un peu notre pays.
J’arrive à Kyôto. Je reviendrai sur ce blog, plus tard. Je vous embrasse tous.
Du Japon,
Madjid
Laisser un commentaire