En ces temps difficiles…

E

J’ai regarde le film de Michael Moore, Sicko, hier soir. Je comprends parfaitement que le realisateur ait voulu faire la demonstration d’une Amerique sous-developpee medicalement et livree aux assurances privees. Les images et les interviews realises depassent ce que j’imaginais sur la question; non pas que je ne savais pas a quel niveau ce pouvait etre, mais etre place face a des exemples concrets rend tres precisemment les situations de desarroi qui sont la contrepartie dramatique de la course aux profit des entreprises privees. Refus de soins et d’actes chirurgicaux sont monnaie courantes et cette prise de conscience auquel le film nous invite n’est pas pour rien dans le lead democrate tout au long de la campagne electorale. On a eu beau dire que seule la crise financiere expliquait la victoire d’Obama, c’est oublier que toute la campagne s’est faite sur les themes du Parti Democrate ou la protection sociale a eu une place centrale. Un lead republicain aurait place au coeur la politique d’immigration car c’etait l’obsession de 2 candidats lors des primaires. Je continue toutefois de penser, et le film m’a conforte dans ce sens, qu’Hillary Clinton avait un bien meilleur projet que Barrack Obama, puisqu’elle entendait instituer une protection sociale d’Etat accessible a tous et concurrente des assurances privees, avec obligation de souscrire a l’un ou l’autre systeme bref, permettre a chacun d’avoir une protection sociale. Obama lui, propose l’acces a l’assurance privee de son choix pour tous et non l’assurance universelle de Clinton. Bien sur, je ne dis pas que le systeme Clinton etait excellent, mais en creant une couverture universelle d’Etat, bien qu’optionnelle, Clinton cassait le monopole des assureurs prives et offrait une chance aux cancereux, sideens, personnes agees, diabetiques, hypertendus, cardiaques, obeses, etc, d’etre soignes quand les assureurs prives trouvent toujours un pretexte pour les exclure. Des fois, je me suis demande si Obama n’etait pas soutenu dans certains milieux financiers essentiellement pour ca : laisser la main libre aux entreprises privees.
Bref, ce film demonstration m’a toutefois enerve quand il s’est agi des exemples europeens, et parmi eux, francais. L’interview de Tony Benn, le vieux baron du Labour, de son aile « gauche », qui n’hesitait pas a s’appuyer sur l’aile trotskyste pour maintenir son parti dans la mouvance du socialisme (les illetres du PS et du journalisme racontent souvent bien des betises a propos de la « modernisation » du Labour entreprise par Blair, car en fait de modernisation, Blair a ramene le Labour la ou il en etait dans les annees 30, un parti peu ideologique, pragmatique et aux revendications d’origine syndicales… ce n’est pas un hazard si la seule grande reforme du Blairisme est l’introduction d’un salaire minimum), en cela fidele au parti tel qu’il se redefini dans la guerre puis dans l’apres guerre, avec la medecine gratuite d’etat, le controle syndical dans les entreprises, une fiscalite hyper progressive et des nationalisations. Tony Benn est une personnalite comme il n’en existe pas en France, c’est l’anti-Thatcher. En fait, la variante francaise serait plutot Chevenement que Melanchon tant Chevenement est un homme politique particulier, et dont les idees s’enracinent profondemment dans l’histoire de la gauche francaise, avec toute la complexite et les contradictions que cela suppose : je n’aime pas du tout ses idees et pourtant, il y a quelque chose qui m’empeche de les detester. Sa politique d’immigration ne m’a pas du tout plu, et pourtant, il est le seul « haut » responsable politique a plaider pour une promotion volontariste d’une elite d’origine musulmane, africaine et asiatique dans les appareils politiques et administratifs. Son cote Marseillaise a l’ecole provoque de l’urticaire, pourtant sa volonte d’en faire apprendre les 7 couplets est un des plus puissants antidotes au Lepenisme qui soit (eh oui, la marseillaise est un chant international qui appelle les francais qui se sont liberes de la tyrannie a venir en aide aux autres peuples : le Palais d’Hivers a Moscou a ete envahit au chant de la Marseillaise, en Russe, et les independantistes algeriens avaient eux aussi une Marseillaise en arabe…). Bref, Tony Benn est un choix politique de la part de Moore. Pour l’Anglettere, c’est un peu comme si pour parler de la protection sociale on interviewait Laguiller en France. La personne est hautement respectee, on reconnait le symbole, mais c’est tres type ideologiquement. Toutefois, je dois dire que je me reconnais beaucoup plus dans ce socialisme « radical » anglais que dans le socialisme « radical » francais. Car en France, le socialisme n’a jamais ete populaire, cette base ayant ete captee par le Parci Communiste apres 1920. Et si le Parti Communiste n’a jamais ete petri de liberalisme politique et d’ideal democratique, le socialisme francais a toujours fait passer « le ventre » sur « la liberte » (l’opposition est de Anna Arendt) dans l’opposition, en oubliant les deux une fois au pouvoir. C’est etonnant comment Tony Benn exprime un socialisme petri de democratie et pour lequel c’est la democratie qui realise le socialisme par le pouvoir accorde au peuple : il conclu en imaginant un peuple qui se reveille et exprime sa propre volonte et ses propres interets par et pour la democratie. On peut trouver ca utopique, mais c’est pourtant cela, le socialisme, et dans ce cadre on n’a pas besoin d’y rajouter « democratique ». Le socialisme de Benn est un socialisme qui se confond dans la democratie et je suis a peu pres sur que les socialistes Americains sont dans la meme ideologie.
On visite alors un hopital et un dispensaire. En Grande Bretagne, la sante est gratuite, ce qui epate Moore. Il eut toutefois ete honnete de presenter la decrepitude du NHS il y a une dizaine d’annees, quand 20 annees de pouvoir conservateur avaient pauperise l’ensemble de l’appareil en gelant les credits a leur niveau de 1981 et en stoppant tous les investissements. Les britanniques ont du etre tres reserves sur le film… L’apotheose de la malhonnetete est atteinte en France. On nous presente un systeme social gratuit qui paie les baby-sitters… Rien sur les forfaits, le ticket moderateur… C’est vrai que les affections graves sont en France remarquablement bien couvertes, que les hopitaux sont modernes, que les allocations familliales, handicapees, premier enfant sont veritablement des avancees sociales contre lesquels tout gouvernement butera sur un refus de les amenager tant ils s’inscrivent dans un consensus qui mele socialisme et democratie chretienne, ce creuset de durant la resistance, cimente par l’aura charismatique du General De Gaulle. Mais n’eut il pas ete honnete de rappeler que generallement, un tiers de la consultation est a la charge du patient, et que generalement il devra s’acquiter de deux tiers du traitement ? Que le salaire moyen est de 1500 euros et le plus petit studio parisien coute 600 euros ? Qu’avec 1500 euros, il faut deduire 300 euros d’impots (d’etat et locaux), bref, que le net a vivre est alors de 600 euros. Et qu’ainsi, sans mutuelle (bref, une assurance privee), une visite chez le medecin peut facilement revenir a 20 euros net. Ca peut paraitre peu, ces 3,20% du net a vivre, mais qu’on y rajoute les soins dentaires, les analyses -reste 30%-, les lunettes et on s’appercoit que notre securite sociale ne repose plus seulement sur le principe de solidarite puisqu’il faut y adjoindre des « complemetaires » dont 5 a 6 millions sont exclus. Le PS « barre a gauche » de la Aubry ne remet d’ailleurs pas du tout en cause ce grignottage puisque c’est lui qui l’a introduit des les annees 80 (premiers deremboursement et creation de la categorie « de confort » rembourses aujourd’hui a 30%) puis sacralisee avec la creation, par Martine Aubry, de la Couverture Medicalisee Universelle, branche privee de l’assurance maladie puisque geree par un organisme mutualiste ou ue assurance privee (le souscripteur recoit une liste et choisi qui il prefere… bravo, Martine, « a gauche toute! »). Ce sont helas les socialistes qui ont cree cette sorte de privatisation rampante qui ne dit pas son nom : autrefois, jusque 1983/84, la securite sociale remboursait tout au minimum 80% : medecin, medicaments, hopital. La gauche, qui aujourd’hui crie au scandale avec les forfaits de Sarkosy, a introduit d’abord le forfait hospitalier journalier non rembourse (laissant ce soin au mutuelles), puis a cree les trois categories de medicaments en baissant les taux : normal a 75%, de confort a 35%, « facultatifs » non rembourses; parmi eux l’aspirine et le paracetamol, les vitamines… La suite de l’histoire des socialistes et de la protection sociale est une longue histoire d’augmentation des forfaits hospitaliers, de baisse des taux de remboursement et de deremboursements. Pour le plus grand bonheur des mutuelles, instituees partenaires sociaux a part entiere par les socialistes. Martine Aubry, deux fois ministre chargee des affaires sociales est passee maitre dans l’art de realiser des budgets equilibres sur le dos des assures sociaux. Certains objecteront que la medecine coute de plus en plus cher. Comment font donc les anglais, les allemands, les canadiens, les suedois… ? Je suis pour la nationalisation de la medecine, comme en Grande Bretagne. Le NHS coute 2 fois moins cher que la securite sociale..
Bref, Moore a volontairement souligne le contraste entre des societes basees sur la solidarite et une societe basee sur l’egoisme. Au prix d’omissions un peu malhonnetes. C’est la ou on touche a la limites des films de Moore : presentes comme des documentaires, ce sont des oeuvres de fiction, du cinema d’auteur, puisque Moore sait d’avance ce qu’il veut dire, comment le dire, et avec qui. La scene finale, ou des secouristes et pompiers du 11 septembre sont soignes a Cuba pour 3 fois rien quand le systeme americain les a exclu en est la triste expression, ramassant l’ensemble du film dans un melo larmoyant. Un documentaire aurait privilegie une comparaison, des interviews de Cubain. Il a choisi un derive de Tele Realite.

Ici, le temps finit par se lever, il a plus hier et jusque ce matin. On prevoit desormais du beau temps, je vais en profiter pour me promener.

Commentaires

  • Je voudrais profiter de l’occasion pour prendre la défense de Michaël Moore, qui est l’objet d’un certain dédain de la part des critiques de cinéma en France, et généralement de reproches tous plus justifiés les uns que les autres. Oui ! Moore est racoleur, caricatural, mélodramatique, et un peu menteur. Oui ! Ses films sont putassiers, péremptoires, larmoyants et bourrés d’inexactitudes. Et alors ? Je ne vois là que des qualités, quand on donne dans le genre pamphlétaire. Si Bageant confesse parfois dépeindre l’Amérique avec « un gros pinceau », Moore doit peindre au moins avec une balayeuse de trottoir. Moi, j’aimerais voir tenir plus souvent des propos aussi rentre-dedans — je veux dire, à gauche, parce qu’à droite on fait ça très bien depuis toujours. Cela ne plaît pas à la classe moyenne éduquée et informée, mais quoi ? Il faut bien s’adresser au public le plus large par des moyens proportionnés à la tâche.

    Considérons simplement cet exemple : de passage en France, Moore interroge un couple passablement friqué sur leur mode de vie (logement, voyages, sorties, etc.). La réaction immédiate du spectateur français (et la mienne, sur le moment) est de se dire : « Hé ! Mais on n’est pas tous pétés de pognon comme ces deux là ». Certes, certes. Mais Moore ne filme pas des documentaires anthropologiques pour le National Geographic. Il s’adresse aux Amerloquains, un public qui peine à localiser la France sur une carte de l’Europe (ce qui, notre orgueil dut-il en souffrir, n’est pas si honteux qu’il y paraît : combien de Français saurait placer, disons l’Oklahoma sur un fond de carte des États-Unis ?). Je pense que cette scène est là pour contredire la propagande des républicains, qui se formule à peu près comme ceci : « La France est un pays bolchevique où les taxes ruinent les individus et les entreprises. Qui voudrait d’un système social comme le leur ? » En présentant un couple aisé dans le contexte d’un film sur l’assurance santé, Moore dément exactement cela : « Vous voyez, il y a des Français qui gagnent beaucoup plus que vous, qui ne se privent de rien, et même ceux-là sont contents de leur système social coco ». Aussi longtemps que la gauche continuera à essayer de donner des réponses intelligentes à des discours cons, elle ne fera aucun progrès sur le flanc rhétorique de la guerre des classes.

    Just my two cents.

  • Je voudrais profiter de l’occasion pour prendre la défense de Michaël Moore, qui est l’objet d’un certain dédain de la part des critiques de cinéma en France, et généralement de reproches tous plus justifiés les uns que les autres. Oui ! Moore est racoleur, caricatural, mélodramatique, et un peu menteur. Oui ! Ses films sont putassiers, péremptoires, larmoyants et bourrés d’inexactitudes. Et alors ? Je ne vois là que des qualités, quand on donne dans le genre pamphlétaire. Si Bageant confesse parfois dépeindre l’Amérique avec « un gros pinceau », Moore doit peindre au moins avec une balayeuse de trottoir. Moi, j’aimerais voir tenir plus souvent des propos aussi rentre-dedans — je veux dire, à gauche, parce qu’à droite on fait ça très bien depuis toujours. Cela ne plaît pas à la classe moyenne éduquée et informée, mais quoi ? Il faut bien s’adresser au public le plus large par des moyens proportionnés à la tâche.

    Considérons simplement cet exemple : de passage en France, Moore interroge un couple passablement friqué sur leur mode de vie (logement, voyages, sorties, etc.). La réaction immédiate du spectateur français (et la mienne, sur le moment) est de se dire : « Hé ! Mais on n’est pas tous pétés de pognon comme ces deux là ». Certes, certes. Mais Moore ne filme pas des documentaires anthropologiques pour le National Geographic. Il s’adresse aux Amerloquains, un public qui peine à localiser la France sur une carte de l’Europe (ce qui, notre orgueil dut-il en souffrir, n’est pas si honteux qu’il y paraît : combien de Français saurait placer, disons l’Oklahoma sur un fond de carte des États-Unis ?). Je pense que cette scène est là pour contredire la propagande des républicains, qui se formule à peu près comme ceci : « La France est un pays bolchevique où les taxes ruinent les individus et les entreprises. Qui voudrait d’un système social comme le leur ? » En présentant un couple aisé dans le contexte d’un film sur l’assurance santé, Moore dément exactement cela : « Vous voyez, il y a des Français qui gagnent beaucoup plus que vous, qui ne se privent de rien, et même ceux-là sont contents de leur système social coco ». Aussi longtemps que la gauche continuera à essayer de donner des réponses intelligentes à des discours cons, elle ne fera aucun progrès sur le flanc rhétorique de la guerre des classes.

    Just my two cents.

  • Je suis d’accord avec toi, et c’est bien pour cela que je regarde quand meme les films de Michael Moore. C’est de la veine de Voltaire, qui n’hesitait pas a caricaturer, ou au moins simplifier, son propos pour viser juste et etre entendu du plus grand nombre. Je suis d’ailleurs persuade que le succes de Sicko n’est pas pour rien dans la place centrale qu’a occupe la question de la couverture sociale dans la campagne.
    Mon ennui ne vient pas de cela : que ce film parle aux Americains, de facon simple et directe en tentant au passage d’egratigner des idees recues, comme ce Canadien conservateur qui considere la gratuite comme quelque chose d’evident ou, comme tu le site, ce couple de classe moyennes superieures vivant confortablement sans etre endette a Paris. Je le comprends et je l’approuve, et je ne crois pas insulter Moore en ayant ecrit qu’il se rapproche en cela du cinema d’auteur (il n’est certainement pas documentaliste). : c’est generalement de la part d’un Francais considere comme un compliment.
    Ce qui me gene, c’est que je ne suis pas Americain. Ce film a une portee universelle limitee. Car la situation decrite au Royaume Uni laisse de cote le vecu au quotidien du NHS. Il aurait fait ce film il y a 10 ans, le NHS aurait donne la preuve que les neo-cons ont raison. Ca ne marchait plus. Je me souviens d’une epidemie de grippe en 1996 : les vieillards entasses dans les morgues pour absence de lit, et plus de 100,000 personnes venues se faire soigner en France. La mortalite avait fait un bon. Aujourd’hui, apres 10 annees de travaillisme, ca va nettement mieux, mais il reste des listes d’attente, dans certaines regions les structures datent encore et le nord de l’Angletterre peut encore se prevaloire du plus fort taux de grosssesse de mineures et du plus fort taux de natalite parmi les pays developpes, preuve que la medecine preventive en milieux scolaire a encore de serieux progres a faire (contraception, VIH…). Cela etant, le NHS est de nouveau presentable.
    Quand on est Francais, le tableau tourne a la caricature. Et desole de la dire, au mensonge. C’est coup de poing en Amerique, un menage Francais « moyen » (2 enfants, vivant en banlieue a 10 kilometres de Paris, revenus a 2 de 3,000 euros en accession a la propriete sur 30 ans pour un F4 d’une petite residence a 10 minutes d’une gare, elle institutrice, lui comptable d’une petite societe) se demandera jusqu’ou ira le delire :
    -SOS medecin n’est pas gratuit, il s’agit d’un acte medical de nuit, je crois que c’est 30 euros dont 10 restent a la charge
    -les medicaments en France ne sont pas a 100% mais soit a 30 (sirops…) soit a 70 (antibiotiques…)
    – 5 a 6 millions de Francais ne vont pas chez le medecin car ca coute trop cher
    – les nounous gratuites, ca n’existe pas. En revanche, la nounou deductible des revenus existe; mais 1 Francais sur 2 est non imposable, le couple « moyen decrit, avec 3 parts, n’est pas concerne par cette deductabilite.
    -les urgences sont souvent debordees, le personnelle fait le double de ses horaires et une grande partie du systeme repose sur la bonne volonte de ses agents
    – Pour completer l’insuffisance de la securite sociale, on a recours a des mutuelles. Des articles reguliers pointent du doigt les problemes rencontres par certains patients pour les patologies lourdes (les forfaits hospitaliers sont pris en charge par les mutuelles et il faut parfois passer devant le medein de la mutuelle pour « prouver » qu’on a besoin des traitements en hopitaux pour une longue duree).
    C’est un film americain pour les Americains. Mais comme je suis Francais, je ne peux, non plus, me passer d’avoir un regard critique face a une realite depeinte tronquee voire falcifiee. C’est la dure loi du genre : pour ecorcher l’eglise catholique, Voltaire n’avait d’autre choix que de parler de « Mahometans ». Pour sure, les musulmans d’aujourd’hui ne se reconnaissent pas dans leur portrait et parlent d’anti-musulman… Normal, puisque c’est l’eglise qui etait vise. Moore depeind avant tout l’Amerique inegalitaire ou les classes moyennes sont menacees de pauperisation voire de mort en cas de cancer ou autre pathologie grave. Il fait sa demonstration en reinventant une Europe social-democrate telle qu’elle aurait pu etre mais a coup sur telle qu’elle n’est pas. Diffuse en France, je doute de l’efficacite du film dans les classes populaires ou la peinture de l’Amerique confortera l’image que les gens en ont, et le regard sur l’Europe fera rire, au minimum, devant ce qui sera ressenti comme de la naivete, au minimum.
    C’est le propre, et la limite meme, du pamphlet : viser celui a qui on s’adresse en attaquant unilateralement par tous les moyens celui, celle, ceux et celles, ce qu’on veut critiquer. Le propre du pamphlet, au 18eme siecle, les plus reussis, etaient meme tellement images que la vaste majorite ne les comprenait pas. Seul un petit groupe goutait la subtilite de bons mots extremement cassant qui progressivements, detailles et commentes, redescendaient dans le peuple a travers des chansons assassines et tout autant imagees. Malhonnetes, bien entendues, mais qu’importe.
    Allez, je conclus avec mon pamphlet celebre prefere, la « lettre sur la musique », de Rousseau, editee en pleine querelle entre l’opera francais et l’opera italien, et qui servit certainement de pretexte a se quereller au moment ou le parlement de Paris fut renvoye suite a la querelle des billets de confession (refus de confesser les jansenistes).
    « je conclus que les francais n’ont pas de musique et que s’ils en ont, ce sera tant pis pour eux ».
    Ephigie de Rousseau brulee par les musiciens de l’opera.
    De la meme querelle, je prefere, d’un auteur anonyme (en fait, le baron d’Holbach, athee militant), sa « lettre a une dame d’un certain age » : il faut aujourd’hui bien du temps pour le comprendre et le demeler mais ce qui est certain, c’est que sa publication a occasionne des dizaines de reponses violentes, puis des reponses aux reponses. Ainsi, Grimm (ami de d’Holbach, pas les conteurs, camps de la Reine, musique italienne) apres la premiere de l’opera « Titon et l’Aurore » (camp du Roi, musique francaise), dont le livret fut supervise par la Pompadour elle meme (« Dieux, ne connaissez vous d’autre felicite, qu’une eternelle indiferrence, votre honteuse oisivete, deshonore votre puissance »), publie un pamphlet ou il constate que le compositeur a mis tellement de violons qu’il en reste pour plusieurs operas.
    Les philosophes des secondes lumieres (les materialistes, Diderot, d’Alembert, D’Holbach, Condillac…) militaient pour le naturel contre ce qu’ils consideraient etre artificiel. Indirectement, ils militaient pour la publication du second tome de l’Encyclopedie (bloquee par les amis de la Reine, puis, des le debut de la querelle, autorisee par ceux ci…). La Reine, elle, mobilisait contre la « putain », Mme de Pompadour. En fond, le renvoie du parlement pour la premiere fois, l’impuissance de Louis XV… Les jesuites et le ultras catholiques soutenant les philosophes (car les philosophes destabilisaient la Pompadour, esprit « eclaire », scientifique et symbole de la corruption des moeurs…!)…
    Ce qui est passionnant dans cette querrelle, qui a dure 2 ans, c’est qu’on a publie plus 200 pamphlets, certains incendiaires, et qui ne parlent, au premier abord, que de musique. Aucun historien (sauf un Americain qui a epluche le discours nationaliste de ceux-ci, car c’est la premiere fois qu’on exprime l’idee que la langue francaise incarne la nation francaise, ces deux concepts germant en s’alimentant l’un l’autre), n’a tente de regarder l’aspect tir groupe contre une manifestation de l’absolutisme, le gout. Eh oui, avec Louis 14 puis le Regent, le « gout » est monopole royal. Toute l’etiquette tourne autours de ce monopole royal Pourtant, les salons prennent peu a peu cette place et la querelle des bouffons est une manifestation du pouvoir passe entre les mains des grands aristocrates qui alimentent ces nouveaux reseaux de sociabilite.
    Le film de Moore parle a ceux qu’ils visent de ce qu’il vise. Etant en dehors de ce jeu, je ne peux qu’approuver une demarche mais voir egalement, depite par moment, toutes les ficelles que requiert un tel exercice…
    Lettre a une dame d’un certain age…

  • Je suis d’accord avec toi, et c’est bien pour cela que je regarde quand meme les films de Michael Moore. C’est de la veine de Voltaire, qui n’hesitait pas a caricaturer, ou au moins simplifier, son propos pour viser juste et etre entendu du plus grand nombre. Je suis d’ailleurs persuade que le succes de Sicko n’est pas pour rien dans la place centrale qu’a occupe la question de la couverture sociale dans la campagne.
    Mon ennui ne vient pas de cela : que ce film parle aux Americains, de facon simple et directe en tentant au passage d’egratigner des idees recues, comme ce Canadien conservateur qui considere la gratuite comme quelque chose d’evident ou, comme tu le site, ce couple de classe moyennes superieures vivant confortablement sans etre endette a Paris. Je le comprends et je l’approuve, et je ne crois pas insulter Moore en ayant ecrit qu’il se rapproche en cela du cinema d’auteur (il n’est certainement pas documentaliste). : c’est generalement de la part d’un Francais considere comme un compliment.
    Ce qui me gene, c’est que je ne suis pas Americain. Ce film a une portee universelle limitee. Car la situation decrite au Royaume Uni laisse de cote le vecu au quotidien du NHS. Il aurait fait ce film il y a 10 ans, le NHS aurait donne la preuve que les neo-cons ont raison. Ca ne marchait plus. Je me souviens d’une epidemie de grippe en 1996 : les vieillards entasses dans les morgues pour absence de lit, et plus de 100,000 personnes venues se faire soigner en France. La mortalite avait fait un bon. Aujourd’hui, apres 10 annees de travaillisme, ca va nettement mieux, mais il reste des listes d’attente, dans certaines regions les structures datent encore et le nord de l’Angletterre peut encore se prevaloire du plus fort taux de grosssesse de mineures et du plus fort taux de natalite parmi les pays developpes, preuve que la medecine preventive en milieux scolaire a encore de serieux progres a faire (contraception, VIH…). Cela etant, le NHS est de nouveau presentable.
    Quand on est Francais, le tableau tourne a la caricature. Et desole de la dire, au mensonge. C’est coup de poing en Amerique, un menage Francais « moyen » (2 enfants, vivant en banlieue a 10 kilometres de Paris, revenus a 2 de 3,000 euros en accession a la propriete sur 30 ans pour un F4 d’une petite residence a 10 minutes d’une gare, elle institutrice, lui comptable d’une petite societe) se demandera jusqu’ou ira le delire :
    -SOS medecin n’est pas gratuit, il s’agit d’un acte medical de nuit, je crois que c’est 30 euros dont 10 restent a la charge
    -les medicaments en France ne sont pas a 100% mais soit a 30 (sirops…) soit a 70 (antibiotiques…)
    – 5 a 6 millions de Francais ne vont pas chez le medecin car ca coute trop cher
    – les nounous gratuites, ca n’existe pas. En revanche, la nounou deductible des revenus existe; mais 1 Francais sur 2 est non imposable, le couple « moyen decrit, avec 3 parts, n’est pas concerne par cette deductabilite.
    -les urgences sont souvent debordees, le personnelle fait le double de ses horaires et une grande partie du systeme repose sur la bonne volonte de ses agents
    – Pour completer l’insuffisance de la securite sociale, on a recours a des mutuelles. Des articles reguliers pointent du doigt les problemes rencontres par certains patients pour les patologies lourdes (les forfaits hospitaliers sont pris en charge par les mutuelles et il faut parfois passer devant le medein de la mutuelle pour « prouver » qu’on a besoin des traitements en hopitaux pour une longue duree).
    C’est un film americain pour les Americains. Mais comme je suis Francais, je ne peux, non plus, me passer d’avoir un regard critique face a une realite depeinte tronquee voire falcifiee. C’est la dure loi du genre : pour ecorcher l’eglise catholique, Voltaire n’avait d’autre choix que de parler de « Mahometans ». Pour sure, les musulmans d’aujourd’hui ne se reconnaissent pas dans leur portrait et parlent d’anti-musulman… Normal, puisque c’est l’eglise qui etait vise. Moore depeind avant tout l’Amerique inegalitaire ou les classes moyennes sont menacees de pauperisation voire de mort en cas de cancer ou autre pathologie grave. Il fait sa demonstration en reinventant une Europe social-democrate telle qu’elle aurait pu etre mais a coup sur telle qu’elle n’est pas. Diffuse en France, je doute de l’efficacite du film dans les classes populaires ou la peinture de l’Amerique confortera l’image que les gens en ont, et le regard sur l’Europe fera rire, au minimum, devant ce qui sera ressenti comme de la naivete, au minimum.
    C’est le propre, et la limite meme, du pamphlet : viser celui a qui on s’adresse en attaquant unilateralement par tous les moyens celui, celle, ceux et celles, ce qu’on veut critiquer. Le propre du pamphlet, au 18eme siecle, les plus reussis, etaient meme tellement images que la vaste majorite ne les comprenait pas. Seul un petit groupe goutait la subtilite de bons mots extremement cassant qui progressivements, detailles et commentes, redescendaient dans le peuple a travers des chansons assassines et tout autant imagees. Malhonnetes, bien entendues, mais qu’importe.
    Allez, je conclus avec mon pamphlet celebre prefere, la « lettre sur la musique », de Rousseau, editee en pleine querelle entre l’opera francais et l’opera italien, et qui servit certainement de pretexte a se quereller au moment ou le parlement de Paris fut renvoye suite a la querelle des billets de confession (refus de confesser les jansenistes).
    « je conclus que les francais n’ont pas de musique et que s’ils en ont, ce sera tant pis pour eux ».
    Ephigie de Rousseau brulee par les musiciens de l’opera.
    De la meme querelle, je prefere, d’un auteur anonyme (en fait, le baron d’Holbach, athee militant), sa « lettre a une dame d’un certain age » : il faut aujourd’hui bien du temps pour le comprendre et le demeler mais ce qui est certain, c’est que sa publication a occasionne des dizaines de reponses violentes, puis des reponses aux reponses. Ainsi, Grimm (ami de d’Holbach, pas les conteurs, camps de la Reine, musique italienne) apres la premiere de l’opera « Titon et l’Aurore » (camp du Roi, musique francaise), dont le livret fut supervise par la Pompadour elle meme (« Dieux, ne connaissez vous d’autre felicite, qu’une eternelle indiferrence, votre honteuse oisivete, deshonore votre puissance »), publie un pamphlet ou il constate que le compositeur a mis tellement de violons qu’il en reste pour plusieurs operas.
    Les philosophes des secondes lumieres (les materialistes, Diderot, d’Alembert, D’Holbach, Condillac…) militaient pour le naturel contre ce qu’ils consideraient etre artificiel. Indirectement, ils militaient pour la publication du second tome de l’Encyclopedie (bloquee par les amis de la Reine, puis, des le debut de la querelle, autorisee par ceux ci…). La Reine, elle, mobilisait contre la « putain », Mme de Pompadour. En fond, le renvoie du parlement pour la premiere fois, l’impuissance de Louis XV… Les jesuites et le ultras catholiques soutenant les philosophes (car les philosophes destabilisaient la Pompadour, esprit « eclaire », scientifique et symbole de la corruption des moeurs…!)…
    Ce qui est passionnant dans cette querrelle, qui a dure 2 ans, c’est qu’on a publie plus 200 pamphlets, certains incendiaires, et qui ne parlent, au premier abord, que de musique. Aucun historien (sauf un Americain qui a epluche le discours nationaliste de ceux-ci, car c’est la premiere fois qu’on exprime l’idee que la langue francaise incarne la nation francaise, ces deux concepts germant en s’alimentant l’un l’autre), n’a tente de regarder l’aspect tir groupe contre une manifestation de l’absolutisme, le gout. Eh oui, avec Louis 14 puis le Regent, le « gout » est monopole royal. Toute l’etiquette tourne autours de ce monopole royal Pourtant, les salons prennent peu a peu cette place et la querelle des bouffons est une manifestation du pouvoir passe entre les mains des grands aristocrates qui alimentent ces nouveaux reseaux de sociabilite.
    Le film de Moore parle a ceux qu’ils visent de ce qu’il vise. Etant en dehors de ce jeu, je ne peux qu’approuver une demarche mais voir egalement, depite par moment, toutes les ficelles que requiert un tel exercice…
    Lettre a une dame d’un certain age…

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