Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

C’est la fin de l’année… vite !


Mon copain et ex-collègue Mulgon Melga se réjouit de son blog qui avance, ah, le jeunôt (« beaux restes », que je l’appelle aussi, ça vous donne une idée de son âge, ouaf ouaf ouaf).

Il m’a écrit ces quelques mots ce matin :
« C’est très sympa de faire un blog, on a une idée, on la creuse, on fait une recherche, on s’instruit, on publie.
Je me limite à 2 posts par jour. Quand même. »

Alors, je lui ai répondu, et je me suis dit que ça vous intéresserait peut être, vous êtes si curieux,
« Pour le blog, tu vas voir, c’est fonction de l’humeur en fait.
Moi, en ce moment, c’est impossible d’écrire, c’est comme si je n’avais rien à dire… Trop personnel, en fait. Et en même temps, je mûris d’autres directions à explorer dans mon auto portrait au quotidien. C’est au Japon, que je vais m’éclater.
Je recommence à écrire, surtout. Fiction. Et je pense à mon podcast. Bref, mon blog est à l’image d’une place un peu indéterminée… La mienne, entre Paris et Tokyo, une banque et une école, mon prochain contrôle médical où j’espère pouvoir lire, concernant le VIH : niveau inférieur au seuil de détection (j’étais juste au dessus la dernière fois…).
Je suis super content d’arrêter la banque mais ça me fiche une sacrée trouille de quitter ma sécurité middle class. J’exorcise mes dernière trouilles de fils de prolo immigré et je rentre dans le club très fermé de ceux « qui s’en foutent de l’argent ». Encore un peu de mal à le raconter. Bref, un blog muet.
Depuis longtemps j’avais brimé l’artiste en moi, je le laisse s’exprimer mais il a perdu sa voix (voie).
Vivement le 1er janvier ! »
C’est con, ce « vivement le premier janvier », mais ça traduit bien mon état d’esprit. Dès janvier, mes chefs vont commencer la valse des entretiens pour me trouver un remplaçant. Je vais donner ma TV, mon scope et des vidéos à Yoshinobu. Yoshinobu qui me fait penser à moi, finalement. Arrivé en France à 40 ans, super fauché, mais qui je crois n’a plus trop envie de retourner au Japon… Il a travaillé ces derniers mois pour Monsieur Kenzo (pas la marque, qui ne lui appartient plus, non, la nouvelle maison de couture L’Atelier des 5 sens, 五感工房(gokankôbô, atelier situé à son domicile vers la Bastille). 2 années difficiles avec beaucoup d’hésitation maintenant : rester ou partir, et si c’est rester, jusqu’à quand, à quel terme… L’approche des 45 ans est à cet égart un principe déterminant. On ne rentre pas « chez soi » à 47/48 ans… On reste en son nouveau « chez soi ».
De mon côté, si je suis confiant professionellement – je suis devenu patient, j’ai repris goût à raconter et j’ai enfin appris à partager sans attendre en retour ET en étant prêt à accepter tout retour (bref, j’ai appris à accepter mon égo, à m’aimer ou me détester comme je suis sans plus me poser la question, et en plus à vous raconter tout cela en direct, avec le moins de retenue possible, sans chercher à vous plaire, en ne me souciant pas de vous, mes (amis) lecteurs, sans fausse pudeur… Bref, en me respectant moi même autant que je le puisse, en étant honnète… Quelle chance vous avez, que je ne cherche pas à vous plaire, vous me lisez sans cache, sans mensonge, et qu’importe que ce que je dise, ce que je fasse, ce que je pense, c’est moi, comme disait Barbara, si ça ne vous plaît pas, passez votre chemin !) -, oui, si je suis confiant professionellement, c’est bien entendu le VIH qui me tracasse ! Pas l’histoire de tomber malade, aujourd’hui, on ne tombe plus malade, mais c’est l’imbroglio des prises en charges qui me tracasse. Il y a les impôts, aussi, qu’il va falloir que je paie cette année. Bref, j’ai 6 à 8 mois « très sports », où il faudra que je sois rigoureux, organisé, ambitieux, travailleur et économe. A l’image de ce blog revenu au noir, au blanc et au gris, au simple et à l’austère.
C’est qu’en la matière, me voici devenu pionnier (ça m’est déjà arrivé, j’ai l’habitude : la nouveauté, c’est de tout laisser, abandonner mon confort de classe moyenne qui ne me laissait d’autres choix que consommer et vieillir en remboursant un crédit immobilier que j’aurais fini par prendre après avoir accepté d’être embauché, en prenant du poids et en oubliant une promesse que je me suis faite il y a 7 ans en abandonnant ma liberté de marginal intello pour la sécurité du travail, celle que ce ne soit que pour passer à autre chose car j’en avais un peu marre de vivre avec moins de 3 000 balles par mois…). Pas dans l’expatriation, mais dans l’expatriation avec pathologie lourde. Le VIH est aujourd’hui devenu une non maladie, juste un truc chiant. Moi, le VIH m’oblige à ingurgiter 5 gelules le matin, et basta. Pas d’effets secondaires, une efficacité redoutable. Et pourtant cela m’oblige à penser à moi en chaque instant. Pour ne pas contaminer l’autre. Pour ne pas me re-contaminer. Bien sûr. Mais aussi, pour assurer ma liberté d’esprit dans un pays étranger où je sais d’avance que ce ne sera pas évident. Mais ça va, je vais « isshôkenmei ganbaru ». Dans le pire des cas, faudra que je sorte JPY 140 000 par mois (EUR 1 000 eh ouais, les « 5 gelules et basta! » sont chères…) Bref, dans le pire méga giga pire des cas, ce n’est qu’un problème matériel. C’est la simplification de ce casse tête que je me fixe comme défi : y arriver, m’insérer dans le système des prises en charge (complexe au Japon car le VIH est mis à part dans le système social Japonais, en dehors des hopitaux et du système des 70% à la charge du patient), et m’en affranchir. Bref, c’est à mes yeux un effort militant. Mais ça va être compliqué. En attendant, durant un an, je vais utiliser le procédé utilisé couramment dans ces cas là, mais je me fixe une échéance maximale d’un an.
Ca me fait du bien de pouvoir vous écrire cela, il y a 3/4 jours je n’aurais pas osé écrire cela, c’était encore un peu noué. C’est qu’il est clair qu’indépendamment de l’histoire du suivi VIH, les impôts, les cotis’ de sécurité sociale japonaise et mon « assurance volontaire », le loyer, je vais pas être riche, et je n’en ai plus l’habitude. D’un autre côté, c’est avec ce sentiment de « richesse » que je dois désormais me séparer. J’ai eu des sous mais je ne suis plus vivant quand, avec mes 3 000 balles, j’avais le temps de me ballader, acheter des poches d’occas’ chez Joseph Gibert que je lisais le jour même, écrire, et surtout me ballader, mon PRAKTICA en bandoulière, photographiant ombres de la nuit, façades et ruelles sombres.
Sûr, je veux pas retrouver cette précarité totale, les petits boulots, et de toute façon je ne pars pas avec rien en poche. Mais tout de même ce ne va pas être facile, loin de là. Alors j’ai eu un noeud au bide pendant 15 jours.
Retour au simple, au basique.
Et soudain une image de Ginza qui me revient. Ginza en été, en automne, en hivers… et bientôt, les ombrelles sur Ginza un dimanche de printemps (désolé, l’ami Maru, mais j’associe Ginza à une certaine forme de nonchalance chic, gourmande, celle des lèche-vitrine de mon enfance avec ma mère, les « galeries farfouilletes »). Et puis la Chûô-sen, vers Ocha-no-mizu… le son des trains, des métros. Si tout cela doit avoir un prix, je suis prêt à le payer : ma liberté n’a pas de prix. Ou plutôt si : une baisse temporaire de pouvoir d’achat. Et en fait, je m’en tape. Je sais cuisiner ! Et je suis un as des pâtes !
Je suis content d’avoir amorcé l’aventure de ce blog il y a 1 an et demi déjà, je vais pouvoir vous faire partager mon paquetage, mes ventes, l’ouverture du compte en banque, l’achat du keitai, ma première fin de mois difficile, mes histoires de mecs… Ca me branche bien, vous raconter tout ça…
Bon, à part cela, bien ici la vie continue. Je suis allé voir ma mère ce week end pour Noël. Qu’en dire, si ce n’est que ma mère, non contente de se murer derrière l’éloignement et la distance d’une maison coincée dans la campagne loin de tout, se mure désormais dans un capharnaum que vous ne pouvez pas imaginer, poussiéreux, encombré, sale. Son jardin est à l’abandon, sa maison aussi, finalement, et c’est finalement sa vie qui est à l’abandon, comme si ce n’était plus qu’un mauvais moment à passer… Impossible de lui en parler. La vie n’a pas été facile, elle a tout donné pour les autres et il n’y a plus guère d’énergie pour elle. Je vais libérer Strasbourg Saint Denis, elle va vendre cette pièce qu’elle a acheté en se rationnant pendant des années il y a près de 50 ans, cette pièce qui moi m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui. Il y aurait beaucoup à raconter sur ce lieu qui d’émancipation à 18 ans est devenu prison à 25/26 ans quand, dépressif, je m’y enfermais, fumant des pétards toute la journée, vendant tout ce que j’avais acheté auparavant. Cette pièce de jeune rockeur des 80’s, de jeune PD qui allait au Palace, au Club, au Boy’s, au Broad, au Haute Tension, au Quetzal, au Scorpion, au Studio 54, les soirées avec Tim,… Cette pièce que j’ai partagé avec mon frère. Cette pièce qui m’a vu revivre quand je commençais mon analyse, qui m’a vu redevenir étudiant, agitateur politique, où des caméras de Canal Plus sont venues, cette pièce où j’ai pleuré la défaite de Jospin en 95. Cette pièces où j’ai écouté du jazz 30’s dans les années 92/93, de la musique industrielle en 83, du psyché en 84, les soirées « émissions de radio » où on fumait de l’afghan avant de faire des mix psyché pour aller ensuite faire mon émission, « Mutation » (!), les réunions PS chez moi… Denis, mon seul vrai amoureux, que j’ai vraiment aimé, pour de vrai et m’a certainement vraiment aimé… Cette pièce où je suis revenu après mon retour de Londres… Maman va la vendre. Parce que j’en pars. C’est un gachis, mais c’est sa vie. C’est un gachis, mais c’est ma vie.
Je suis content d’en partir. J’y ai bien vécu, elle m’a émancipé de ma fatalité de fils de prolo qui « réussit », j’y ai appris la liberté, c’est à dire l’exigeance vis à vis de soi.
Mon médecin va faire la gueule mais il comprendra. J’ai désormais les mots pour expliquer que je peux quitter la France.
J’ai donc vu ma mère, ce petit bout de bonne femme qui a fait des ménages, épousé un Algérien, été exclue de sa famille, connu la pauvreté quand mon père a été licencié. Il est grand temps de l’écrire, je n’ai pas à le cacher. Mes parents ont, comme tous les pauvres, fait les marchés, c’est à dire ramassé ce que les primeurs laissent parce qu’ils ne l’ont pas vendu. Ce qui est étonnant, c’est à quel point cela me paraissait naturel quand j’étais adolescent, et à quel point j’ai été incapable de la raconter à mes amis, même les plus proches. C’est une douleur terrible, avoir des parents qui finalement, ont fait les poubelles pour nourrir leurs enfants. C’est Varda qui dit (Le glaneur et la glaneuse)qu’ »il n’y a pas de honte, il n’y a que du tracas » (je ne crois pas me tromper dans la citation…). Peut être certains comprendront mieux comment je suis et comment je pense… J’ai été terriblement touché par Les confessions de Jean Jacques Rousseau : mais qu’allait faire ce SDF Suisse à la Cour, écrire des Opéras pour Louis XV, être protégé de Mme d’Epinay, faire pleurer Julie de l’Espinasse, et surtout écrire le roman qui a boulversé les aristocrates de l’Europe entière, La nouvelle Eloïse, dont les partis pris esthétiques résument le goût Français des 100 années qui suivent… Incroyable ! Je me suis senti ainsi moi-même complètement intrus des centaines de fois. Que vient faire un fils de pauvre d’origine Algérienne, au Salon « machin », au Sénat, dans une soirée privée de l’Hotel Georges V… et jusque dans cet Hopital du 5ème arrondissement, désormais… J’en ai de la chance, mais cette chance réside dans la volonté de mes parents. Et finalement, dans leur amour. Alors que ma mère vende cette pièce, c’est sa vie. Je peux bien la lui rendre… Je m’en vais vivre ailleurs, je comptais déménager. Ce travail au loin me facilite la tâche, il y a l’attrait du Japon.
Je suis revenu lundi soir. Pour la première fois, je n’ai pas ressenti de tristesse en quittant maman. Peut être suis je enfin satisfait de ma vie. J’ai compris tout le chemin parcouru par moi, je me suis senti solide. Content. Elle va être fière, ma môman, son « grand fils » est au Japon. Quand j’étais petit, c’est moi, qui était fier de ma maman.
Ne vous sentez pas gênés. Il y a des millions de gens qui vivent en faisant les marchés. Les pauvres. Etonnés ? Croyez vous qu’on puisse faire vivre une famille avec le RMI ? En leur temps, il n’y avait pas le RMI… Ca a vraiment été difficile. Mais on avait des cahiers, un survêtement pour le sport, et on a même trouvé le moyen de me faire faire de la flûte traversière… Je n’ai réalisé que très tard à quel point nos parents avaient souffert, en silence. Mon frère Malik beaucoup moins. Je ne l’ai réalisé que quand j’ai compris que je ne pourrai jamais le dire à ma psy. Parce que là, je dépasse le cadre du rapport à l’analyse, et je m’adresse aussi à l’individu. Peut être a t’elle compris, ce n’est pas bien grave. On exprime ses émotions comme on le peut. Aujourd’hui, je peux vous l’écrire car je n’en souffre plus.
Hier soir, j’ai revu une amie d’enfance, Zozo (son surnom), qui me ramène à ce temps là, et j’ai passé une très bonne soirée. D’une simplicité déconcertante. Du vin pas bon, des spaghettis trops cuits, une viande quelquonque, des cacahouettes. Mais beaucoup de chaleur à revoir Donata sa mère (la meilleur amie de ma mère). De l’émotion, pour tout dire, je me suis senti chez moi, à la maison. Comme chez ma mère, d’ailleurs, malgré le foutoir.
En rentrant le soir avec Zozo et son mari, vers 1 heure du matin, j’étais content, Paris était vraiment une ville belle, avec une qualité de lumière que je n’ai pas trouvé à Londres… mais retrouvé à Tôkyô.
Le fils de pauvres (au passage un très beau roman de Mouloud Ferraoun, Le fils du pauvre) se sent bien. Il est un peu patraque de beaucoup de chocolats, un peu stressé par le départ, un peu grippé courbaturé.
Pendant longtemps, la culture lui a servi à rattraper quelque chose, à prouver. La politique à exprimer une douleur. La littérature à se justifier.
Je vous avoue qu’aujourd’hui je me tape de tout cela ! Je suis décidé à me faire plaisir. Il ne me manque vraiment qu’une chose, c’est quelqu’un avec qui le partager.
Amicalement,
de Paris,
Suppaiku

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