Cela faisait un certain temps que j’avais envie d’écrire au sujet de réflexions entendues durant les classes et qui traduisent une certaine façon de penser des japonais, mais aussi plus généralement, des êtres humains quels qu’ils soient. Je les rassemblerai sous forme de dialogues, un peu comme je les ai entendues, je les arrangerai aussi pour ne pas avoir la redondance caractéristique de l’exercice. Je veux dire par là que très souvent ces réflexions sont apparues dans des conversations sur un même sujet, alors je vais créer une étudiante Lambda standard, avec le retour des mêmes questions, des mêmes remarques, toutes produites par le même système de pensée auto-centré, le même système éducatif qui au fil des années m’ont amené à réfléchir sur ma propre façon de penser, sur ma propre représentation du monde à partir de ce petit microcosme appelé la France.
Je vous les livre donc et je suis sûr que vous vous en amuserez, mais aussi que certains y trouveront à se poser la question des bêtises qu’eux même peuvent sortir sur d’autres cultures, d’autres civilisations… Mieux vaut en rire.
Mon étudiante me dévisage. Je viens de dessiner un soleil sur un morceau de papier et j’ai utilisé un crayon jaune. Et j’écris « jaune. »
– 違う, qu’elle dit, « tu te trompes », elle n’emploie aucune forme de politesse.
– Euh… Jaune. Le soleil est jaune!
– 嘘!
Je comprends le japonais, je sais qu’elle vient de dire « n’importe quoi ».
– 赤でしょう!
Elle me dit que le soleil est rouge. Je lui dit en japonais que les enfants, en France, dessinent le soleil en jaune. Elle s’explose de rire!
– バカ!
C’est des idiots, qu’elle répond en s’explosant de rire.
Je pense que ma tension artérielle vient de monter au plafond, elle a passé son temps à rire et à glousser. Une étudiante débutante, une femme au foyer qui joue du violoncelle trente minutes par semaine.
Moi, je comprends que notre perception des couleurs pouvait être différente… Le drapeau japonais représente un soleil. J’apprends aussi qu’ils ne sont pas si polis et qu’en position de force, ils peuvent être de vraies peaux de vache.
– Quand je marchais dans les rues de New-York, il y avait plein d’étrangers.
– De quel pays?
– ?
Elle me dévisage bizarrement.
– Des étrangers. J’étais à New-York…
– Des chinois? Des français? Des japonais?
Elle beugue, elle me regarde encore plus bizarrement.
– Non, des étrangers. Des américains.
– Mais les américains ne sont pas des étrangers, à New-York. Les chinois, les japonais ou les français sont des étrangers.
Elle me dévisage bizarrement.
– Quand vous êtes entrée aux USA, vous aviez votre passeport, n’est-ce pas? Pourquoi?
– Parce que je suis japonaise.
– Voilà, parce que vous êtes étrangère. Les américains, eux, n’ont pas besoin de passeport. Moi, au Japon, je suis étranger, n’est-ce pas?
– Oui…
– Eh bien quand je vais en France, le contrôle de mon passeport prend deux ou trois secondes, et vous, vous avez besoin d’un visa.
– Non!
– Vous ne faites pas la queue et on ne vous tamponne pas votre passeport?
– Si!
– Le tampon, c’est votre visa, vous pouvez rester trois mois en France. Si vous restez plus longtemps, vous avez des problèmes avec la police.
– Mais que je suis allée en France, et après je suis allée en Italie et je n’ai pas eu de contrôle…
– Parce que la France vous a donné un visa, et après, c’est l’UE. Moi, je n’ai pas besoin de passeport pour voyager en UE. Vous, si.
– Donc, dans un autre pays, je suis étrangère?
– Oui.
– …
Elle me regarde bizarrement mais visiblement, elle commence à piger.
– Je suis allée à Kyôto, il y a beaucoup trop de touristes.
– Oui, j’ai entendu que les habitants ont des problèmes pour prendre le bus.
– Oui… Il y a beaucoup trop de touristes au Japon.
– Ah bon? Il y en a beaucoup un peu partout dans le monde, maintenant…
– Oui, mais au Japon, c’est vraiment trop!
– Combien de touristes il y a eu l’an dernier?
– Plus de trente millions! C’est vraiment trop!
– Vous savez combien il y en a eu en France?
– Non…
– 90 millions…
– …
– C’est vraiment beaucoup, non?
– Oui… Mais au Japon il y en a de trop. Il y a beaucoup de chinois.
– C’est bon pour l’économie, non?
– Je ne sais pas, mais il y en a de trop.
– C’est comme ça, tout le monde veut voyager. Une amie habite au Portugal, elle m’a dit ça aussi, qu’il y a beaucoup de touristes et qu’à cause de ça les restaurants et les loyers sont de plus en plus chers…
– Oh, votre amie habite au Portugal? C’est joli! Je vais y aller le mois prochain!
– Oui, les sacs en plastique sont un gros problème.
– On peut utiliser des sacs en plastique au Japon?
– Oui, mais le gouvernement a décidé de changer la loi, il faudra payer à partir de l’année prochaine parce qu’il y a les Jeux Olympiques.
– À cause des Jeux Olympiques?
– Oui, les touristes étrangers n’aiment pas les sacs plastiques, alors on doit changer.
– Ah d’accord… Le gouvernement va les interdire? En France et en Europe, c’est interdit depuis plusieurs années.
– Ah bon? Non, il faudra payer. C’est pour l’environnement, il parait.
– Quel est le problème?
– Il y a beaucoup de plastique dans l’océan, ce n’est pas bon pour les poissons et les oiseaux, ils les mangent et ils meurent.
– En effet! Vous trouvez ça bien, alors, la nouvelle loi, alors?
– Oui, c’est bien.
– Vous n’utilisez pas de sac plastique, alors?
– Ça dépend…
– Ça dépend de quoi?
– C’est pratique!
– Il parait que les français ne se lavent pas… Vous ne vous lavez pas le soir?
– Euh si, en général, je prends une douche le soir avant de me coucher, et puis je prends une douche le matin avant de sortir.
– Vous prenez une douche le matin?
– Oui… Surtout l’été. Pas vous?
– …
– Vous aimez les sushis?
Elle prend des leçons avec moi depuis des années.
– Euh, oui…
– 凄い (incroyable)
– Et le nattô? (sorte de pâte de soja fermenté qui n’a absolument aucun goût ni aucune odeur, vaguement gluante et qui ressemble à un truc en train de moisir)
– Non, pas vraiment…
– 確かに (je m’en doutais)! Les étrangers n’aiment pas le nattô!
– Et vous, vous aimez le nattô?
– Non!
– Vous n’êtes pas japonaise?
– Hein?
– Je blaguais! Vous mangez du pain?
– Oui, j’adore ça!
– Wow, incroyable!
Elle me regarde, et puis d’un seul coup elle rit, elle a compris le second degré.
– Pour devenir japonais, qu’est-ce qu’il faut faire?
– Vous ne pouvez pas devenir japonais!
– On imagine, c’est pour pratiquer…
– Ah, on imagine, hein… (petit sourire)
– Oui!
– Il faut porter un kimono! Et puis, il faut manger du nattô. ええと (euh), il faut regarder la télévision japonaise, il faut porter le mikoshi pendant le matsuri, il faut apprendre le japonais.
– D’accord… Vous ne portez pas de kimono, vous!
– Non, mais je suis japonais!
– Ah, oui!
– Si j’étais française, ce que je ferais?
– Oui…
– ええと… J’habiterais à Paris… Je mangerais des gâteaux… Je serais une マダム (madame, vision japonaise de la femme élégante)… Je me marierais avec un français (elle rit)… J’irais chez Angelina… J’achèterais des vêtements Chanel…
– Vous viendriez passer vos vacances au Japon?
– Non! J’irais en Italie (elle explose de rire)
– Vous préférez la France ou le Japon?
– Le Japon!
– Pourquoi?
– Parce que je suis japonaise.
– Oui, je sais, mais c’est pour pratiquer un peu…
– Je préfère le Japon parce que je suis japonaise.
– Le Japon, c’est mieux?
– Oui!
– Qu’est-ce qui est mieux?
– Tout!
– C’est intéressant, moi aussi j’aime beaucoup le Japon. Qu’est ce qui est mieux, par exemple?
– La cuisine japonaise est meilleure.
– Par exemple.
– Le pain.
– Le pain, c’est français…
– Oui, mais le pain japonais est meilleur.
– Ah d’accord. Mais ce n’est pas vraiment la cuisine japonaise. Qu’est-ce que vous aimez dans la cuisine japonaise.
– Tout… parce que je suis japonaise.
– Qu’est-ce que vous avez fait pendant les vacances?
– Avec mes enfants, on a fêté Noël.
– Oh, c’est sympa, qu’est-ce que vous avez fait?
– On a mangé du poulet et un gâteau.
– C’est bien!
– Et vous? Il y a Noël dans votre pays?
– En France?
– Oui!
– …
– Vous aimez le beurre?
– Euh, oui, je suis français. On mange beaucoup de beurre, en France!
– Ah bon? Comme au Japon?
– La France est très dangereuse!
– Pourquoi?
– Il y a des pickpockets, et puis il y a des テロ.
– Des terroristes?
– Euh… Oui (j’écris le mot terroriste, elle prends note)
– Et au Japon?
– Il n’y a pas de terroristes et il n’y a pas de pickpockets.
– Ça c’est vrai.
– Oui, le Japon est très sûr.
– C’est vrai, mais en France il n’y a pas de tremblements de terre ni de typhons.
– Ah bon? Il n’y a pas de typhons?
– Non!
– Et pas de tremblements de terre?
– Non!
– Ah, c’est bien… Vous avez combien de saisons?
– Ben il y a quatre saisons, en France!
– C’est vrai?
– Oui!
– Mais il y a beaucoup de… (elle baisse la voix)… des noirs…
– Oui! Et…?
– Ah…
– Non, le Japon n’est pas asiatique.
-… Ah bon…
– Le Japon est très différent de la Corée ou de la Chine.
– Bien sûr…
– Il y a quatre saison! Le Japon est comme l’Europe.
– Mais en Europe on n’écrit pas en Kanji, on ne mange pas de riz et on n’est pas bouddhistes.
– Oui, au Japon on mange du riz et on est bouddhiste.
– Ça, c’est l’Asie, non?
– Non, le Japon n’est pas asiatique.
Les japonais ont une représentation du Japon totalement auto-centrée et schizophrénique à la fois… Un désir d’être totalement occidentaux, et en même temps de se distinguer radicalement. Une curiosité insatiable pour l’étranger et en même temps des préjugés ramassés on ne sait pas trop où et mêlés à une ignorance naïve. J’ai souvent été surpris par le peu d’utilisation d’internet pour collecter des informations sur les pays étrangers, de la part de mes étudiants.
Je vous livre ici un petit florilège de ces conversations qui il y a longtemps m’agaçaient mais qui maintenant me font sourire parce que finalement je suis persuadé que les français en sortiraient de belles aussi.
Mais quand même elles me révèlent de gros problèmes d’estime de soi dans cette obsession à ne pas être asiatiques…
Je vous livre le plus sympathique pour la fin. C’était un pilote ANA.
– Qu’est-ce que nous feriez si vous étiez français?
– Je me marierais avec une italienne.
J’ai explosé de rire parce que cette réponse, je ne l’attendais pas du tout, et j’ai pensé que quitte à s’imaginer une vie pour pratiquer le conditionnel présent, il avait bien raison.