…,j’ai repensé à la vieille vendeuse avec qui je bavardais régulièrement en pensant « qu’est elle devenue ?»
[dropcap1]É[/dropcap1]crit vendredi premier juin après-midi. Je suis dans le train qui me ramène du travail à Kudanshita. Le temps est pourri, comme quasiment tous les soirs depuis un mois : les matins sont généralement, eux, très lumineux, chauds et un peu lourds, contrastant avec les fins de journées pluvieuses et presque fraîches. Tout le monde commence à penser à la saison des pluies qui arrive et donc à ces deux mois de grisaille. Peu réjouissant.
Hier soir, mon voisin à reçu sa copine, je confirme mon sentiment. À ce que j’entends, elle pleure plus qu’elle ne jouit, semblant juste s’y habituer comme tant de femmes : une enquête réalisée par le magazine Elle vers 1995 révélait qu’une majorité de femmes n’avait, en réalité, aucun orgasme. Dans le cas de cette jeune fille, j’ai beaucoup de mal à concevoir qu’elle prenne son pied. J’ai déjà eu des voisins « bruyants », et je suis parfois moi-même très sonore, mais je n’ai jamais entendu ce qui, pour moi, ressemble plus à des larmes qu’à de la jouissance. J’ai éprouvé une réelle gêne, hier soir.
Parfois, quand on entend des voisins dans leur intimité, on peut éprouver une certaine gêne: il y a une certaine excitation qui peut en naître, ou pour le moins une certaine forme d’amusement. Dans ce qui m’arrive, ce n’est pas même du dégoût. Je suis le témoin involontaire d’un abattage en règle dont la victime est consentante. Cela me gêne d’autant plus que je ne peux m’empêcher de penser que, peut être je me trompe. Mais pour avoir baisé et m’être fait baiser, et pour avoir déjà entendu des voisins, je peux affirmer que je n’ai jamais entendu rien de pareil. Les charmes de la colocation. Mon voisin est gentil comme tout, mais je suis assez content qu’il parte. Et tout autant dubitatif devant ce que cette jeune fille s’est pris hier soir… Pour la première fois depuis mon déménagement, j’ai regardé les petites annonces immobilières. Et je vais demander à mon autre colocataire ce qu’il en pense. Après tout, il est hétérosexuel…
Je suis dans le métro, il n’est pas encore neuf heures du matin.
Je dors très bien, en ce moment, et comme mes temps de transport se sont considérablement réduits, je n’éprouve pas le samedi matin cette fatigue qui m’écrasait quand j’habitais à Kasai.
Kasai. Cette sordide histoire d’abattage dans la chambre voisine aura finalement eu une qualité. J’ai enfin repensé à mon déménagement précipité. J’ai recherché mon précédent appartement, et je l’ai retrouvé, remis en location, partagé entre délivrance et nostalgie. Délivrance parce que dans le fond, je voulais quitter ce quartier agréable et tranquille mais un peu éloigné, et nostalgie car, oui, j’y avais beaucoup de souvenirs, que je m’étais habitué à cette tranquillité presque banlieusarde, à la verdure. Et puis, bien que j’aime beaucoup vivre plus au centre, et bien que Kasai soit un très ancien quartier de pêcheurs qui autrefois approvisionnaient Edo, la ville s’est développée de façon très rapide ces trente dernières années et donc on y voit le ciel comme on le voit en banlieue ou en province généralement.
Je me souviens bien, la première fois où je suis allé en reconnaissance, c’était en août 2006, au début du mois, en franchissant la grande rivière Ara qui sépare l’arrondissement de Kôtô et celui de Edogawa où se trouve Kasai, j’avais ressenti quelque chose comme du bonheur : le ciel s’ouvrait tout grand, les rues se faisaient plus larges, la lumière du couchant était belle et inondait la ville pourtant quelconque comme n’importe quelle ville du Japon, avec ses immeubles sans originalité. Je n’avais pas vraiment choisi Kasai, l’appartement était plutôt une affaire, pas de caution ni de « cadeau », mais c’était comme s’il avait été prévu juste pour moi pour m’apprendre la ville. Ses repères. Lors de mon déménagement, j’avais traversé l’arrondissement de Kôtô que je ne connaissais pas et c’est ainsi que mon histoire d’amour pour l’est de la ville avait commencé. C’est à Kasai que j’ai appris le Japon au quotidien : un pays où pour être heureux on doit apprendre à regarder les petites choses banales avec un œil nouveau à chaque fois. Une fleur, une ombre sur le coin d’une vieille maison, une vielle dame en kimono qui vous dit bonjour sans que vous ne sachiez vraiment pourquoi, ou une autre qui vous attrape par le bras, ano ne…, avant de vous désigner des fleurs ou un magasin de gâteaux japonais.
Plus étonnant, c’est au chômage que je me suis délivré de mes derniers réflexes de parisiens pour m’immiscer plus profondément dans le quotidien d’ici. J’ai arrêté de faire les courses à Aeon, trop cher mais me rappelant certainement les Carrefour et autres Monoprix, pour aller à Y’s Mart, pour le coup vraiment très local. Ah, j’oubliais ce Maruetsu que j’ai fréquenté et qui, un jour, a fermé. Je venais de perdre mon travail au même moment, et souvent par la suite, semi-dépressif, j’ai repensé à la vieille vendeuse avec qui je bavardais régulièrement en pensant « qu’est elle devenue ?»
Cela va être difficile de me décider sur un autre quartier où vivre, après. Pourquoi pas Kasai, ai-je repensé, mais là, je me suis dis que non. Peut être Kôenji. On y voit le ciel, aussi, et le quartier est tout de même plus animé, et puis Jun adore. On peut y faire de bien belles promenades aussi. Il y a Yanaka, j’y reviens toujours. Il y a Edogawabashi…
Dimanche, avec Jun, nous nous sommes promenés vers Kôenji. Le temps était couvert au matin mais, miraculeusement, le ciel s’est éclairci en début d’après midi et à partir de quatre heures, nous avons joui d’un grand beau ciel bleu.
Un quartier agréable, Kôenji, avec beaucoup de verdures, de temples, vestiges de l’histoire ancienne de la capitale. À l’ouest, on accueillait tout le flux de voyageurs venus de l’ouest, de Kyôto. Nous avons refait une promenade que nous y avions fait il y a deux ans, mais nous avons été surpris par la distance : cela s’est avéré beaucoup plus rapide. Ce n’est, finalement, pas bien grand, Kôenji.
Nous avons eu hier notre premier typhon, le numéro trois (les deux premiers ont du passer au loin), mais cela n’a guère été un problème, il s’est dirigé au loin dans l’océan. On a eu un peu de pluie, mais dès la fin de l’après midi, il faisait beau. Et aujourd’hui, revoilà le soleil et la chaleur. Ce soir, cela devrait de nouveau se couvrir : le temps est vraiment très instable.
Je pèse 19 kilos de moins que début novembre, c’est désormais bel et bien acquis.
À priori, dès le mois prochain, je devrais travailler deux matinées dans deux autres écoles, les lundis et mardis, ce qui augmenterait mes revenus et rapprocherait le moment de mon nouveau déménagement. J’écris au conditionnel car rien n’est fait, mais ma collègue Reka part en Australie et va me recommander. Ce sera de l’anglais, ce sera fatigant, mais ce sera une véritable aubaine.
Écrire sur Kasai l’autre jour m’a fait du bien. Mon quotidien là bas me manque, comme me manquera mon quotidien à Kagurazaka quand j’en partirai, mais j’aimais bien la grande tranquillité de ce quartier périphérique. Kiba, finalement, plus central mais bien enfoncé dans l’est, serait peut être une bonne idée. On y voit le ciel comme à Kasai, mais ce n’est qu’à 15 minutes en vélo de Nihonbashi. Ou vers Kiyôsumi shirakawa. J’ai le temps, de toute façon.
Dehors, il fait vraiment beau. Je suis arrivé.
De tôkyô,
Madjid
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