…mais remontons un peu le temps. Samedi soir, j’ai retrouvé Jun à Asakusa et nous sommes allés dîner à notre nouveau restaurant de soba préféré. Impressionnant, je pense que tout le monde a, comme moi, donné l’adresse…
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Mardi midi. Je suis dans le métro. Ce matin, comme toujours ma leçon vers Ikebukuro. Et ce soleil, cette chaleur qui continue de façon assez inhabituelle, aucun typhon en vue qui viendrait rétablir la balance. Ce matin, aux informations, un long moment au sujet de la sécheresse : un barrage au nord de la capitale est à moins de 10% de son niveau habituel, une flaque d’eau. On commence à envisager une réduction de l’approvisionnement, des messages à l’économie commencent à passer dans la province, et ce genre de situation est de celle qui rend les Japonais mal à l’aise : ils ont un rapport quasi-mystique avec l’eau. On arrose généreusement les plantes, plusieurs fois par jours s’il le faut, on arrose la terre, devant la maison, on arrose les façades. La très forte humidité se voit à cette rouille envahissante sur les vélos, les barrières, les portes, partout. La verdure est ce qui l’exprime le mieux. C’est visible, palpable. Alors, la nouvelle d’une sécheresse en été est une mauvaise nouvelle : l’été est la saison humide et c’est aussi certainement la saison où se reconstituent les nappes phréatiques dans la région du Kantô.
Heureusement, la façade nord est exposée à de fortes précipitations de neige en hiver, cela étant, pour le Kantô, c’est difficile et il va falloir s’attendre à une augmentation du prix des denrée alimentaires.
[dropcap1]M[/dropcap1]ercredi, vers midi et demi. Toujours le beau temps. Ce matin j’ai pris le temps de dormir un peu plus tard puisque je ne commence à travailler qu’à 13:30. Je n’ai rien fait, je me suis laisser aller jusque vers onze heures, surfant un peu, consultant mes emails. J’ai reçu mes deux factures de gaz et d’électricité et je confirme mon billet d’il y a quelques jours : je n’ai consommé que 4.300 yens d’électricité en un mois, il y a deux ans, j’avais dépassé les 10.000 yens. Pour le gaz, c’est la même chose, je n’ai jamais si peu consommé en été, et pourtant je prends deux douches par jour. La consommation d’eau devrait donc être, elle aussi, très modérée. Je vais essayer, ce soir, de ne pas utiliser l’air conditionné, mais c’est difficile car ma maison aère peu. Cela étant, je vais essayer, toutes fenêtres ouvertes. Ce que je crains n’est pas tant la chaleur que ce fond humide qui la nuit vous empêche de récupérer et dont les effets s’abattent sur vous au fil des jours quand s’accumulent les effets de la fatigue et de la moiteur. Je comprends pourquoi les japonais sont obsédés par le bain, pourquoi l’eau est importante : aussi contradictoire cela puisse paraître, l’eau et le bain chaud sont deux fantastiques alliés pour supporter les fortes chaleurs humides de l’été.Mais remontons un peu le temps. Samedi soir, j’ai retrouvé Jun à Asakusa et nous sommes allés dîner à notre nouveau restaurant de soba préféré. Impressionnant, je pense que tout le monde a, comme moi, donné l’adresse. Il y a deux semaines, nous avions pu y dîner sans problème mais, cette fois-ci, il a fallu attendre 15 minutes. Pour 1.700 yens (17 euros) ce qui est cher mais très abordable pour la qualité, nous avons mangé des soba faites main, avec un mentsuyu (le bouillon dans lesquelles on les trempe) maison et des tempura de crevettes croustillants, et totalement décortiqués. Un régal qui commence dès que l’on ouvre la porte avec le délicat fumet du bouillon. Le décor est simple et élégant, et on peut indifféremment s’assoir sur les tatamis ou sur des chaises. La clientèle est une clientèle simple, familiale quoi qu’un peu élégante. Ma meilleure trouvaille récente en matière de restaurant. Comme toujours, j’ai photographié le repas et envoyé la photographie sur Facebook, Tumblr, Twitter. Je vous conseille de me suivre sur instagram (ici, si vous n’avez pas l’application instagram) car je ne parviens pas à configurer le mail pour poster directement les photos sur mon blog.
Nous sommes rentrés à la maison. J’ai pris une douche et me suis changé. Vers 10:00 du soir, j’ai proposé de ressortir, histoire de se promener pour regarder la Sumida et ses ponts dans la nuit. Il faisait bon. Jun a trouvé l’idée étrange, mais il est très bonne pâte. Nous avons marché une petite heure, et c’est vrai que la Sumida, le soir, c’est très beau. Le Sky Tree change de couleur de bleu à mauve à blanc, on dirait une grande bouteille précieuse et transparente…
Dimanche matin, Jun et moi sommes sortis de chez moi vers 11:00. Quel beau temps. Nous avons traversé la Sumida, puis de l’autre côté nous l’avons longée, elle me fait vraiment penser à la Seine. Arrivé aux abords du grand bâtiment Asahi, celui surmonté de la grande flamme en or et dessiné par Starck, nous avons quitté le quai et sommes rentrés dans l’arrondissement de Sumida, en avons traversé le parc, quelle verdure, et arrivé au sanctuaire Ushijima, avons pu admirer un couple en costumes de mariage évoquant le Japon d’Edo, le Japon de mon imagination quand j’étais enfant. J’ai pris de superbes photos, l’une est devenue mon fond d’écran.
En poursuivant dans la petite rue qui continue le parc et se prolonge au delà du carrefour, nous sommes arrivés à un autre sanctuaire datant, lui aussi, de l’époque Édouard mais dont le bâtiment date de l’époque Taishô. Là, des groupes assis et debout devisaient, grignotaient, et des bandes de papiers avec des messages caligraphiés étaient suspendus à des fils au dessus d’eux.
Je prenais une photo quand un groupe a commencé à m’appeler, me demandant mon pays et d’autres questions puis, l’invitant à m’assoir, ils me proposent de composer un haïku, même en français, précisent-ils. L’un d’entre eux va chercher une dame qui parle français… Et c’est ainsi que Jun et moi, vedette involontaire de cette sympathique assemblée, me trouve happé pour une heure dans le petit jardin de ce sanctuaire. On me présente les sensei dont j’admire encore maintenant l’incroyable habileté à transformer mes piètres idées en quelque chose d’élégant tant dans le sens que dans le son.
Ravissement… Au boit d’une heure, Jun et moi repartons, rassasiés de gentillesse. Le soleil brille. [dropcap1]V[/dropcap1]endredi vers treize heures, dans le métro, direction le travail.
J’ai travaillé de onze heures à vingt heures hier, et j’avais mal dormi, toujours cette chaleur… L’apres-midi, à l’école, j’ai surfé pendant mon temps libre, lu un peu d’actualité, quelques blogs. C’est peu consistant…
Après notre rencontre avec la réunion de haïku, Jun et moi avons repris notre promenade. En passant près d’une petite boutique d’objets artisanaux que nous aimons regarder à chaque fois que nous passons par là, nous nous sommes arrêtés, contemplant ces petites choses qui symbolisent au Japon l’automne. Une assiette avec de petits lapins volants retient mon attention. J’aime le trait naïf qui sert ici à représenter les animaux, presque abstrait mais aussi très juste quelque part. Nous autres en Europe cherchons avant tout à représenter l’exactitude de l’apparence, ce qu’au demeurant les Japonais savent fort bien faire, mais ici on aime aussi et peut être avant tout représenter les sentiments à l’égard de l’objet représenter. Un petit lapin, c’est mignon, c’est une grosse pelote toute douce qui ne demande qu’à être prise dans ses bras. Eh bien, c’est ainsi qu’on les représente ici. De grosses pelotes allongées, sur de petites pattes, avec une toute petite queue et des oreilles. Le lapin représente l’automne car depuis Heian, peut être une tradition importée de la Chine ancienne, les japonais regardent la lune en septembre, la première pleine lune d’automne pour être exact, autours de l’équinoxe, et ils y voient depuis des temps très anciens un lapin s’activant à confectionner une pâte de riz élastique, le mochi. On est alors sensé revêtir un yukata, ce kimono très simple et frais, s’assoir et contempler la lune en mangeant des dango, de petites boules de mochi. Ce 月見 (tsukimi, regarder la lune) est le pendant automnal du 花見 (hanami, regarder les fleurs) printanier. On goute alors une des dernières soirées douces avant que les nuits ne se rafraichissent, annonçant l’arrivée de l’hiver.
Le hanami est rempli de bonheur, le tsukimi est plein de nostalgie. On a le cœur gros, un sentiment que renforce le chant des derniers grillons qui bientôt se tairont.
Ce petit magasin déborde de petites choses ravissantes, faites à la main. Outre cette assiette et ses lapins volants, des lapins en kimono, des éventails avec la lune et un lapin ainsi que des roseaux évoquant, eux aussi, l’automne, et de ravissant petits accessoires pour attacher les cheveux. Autant certaines boutiques d’objets traditionnels regorgent de choses kitsch, autant celle ci offre de petits objets délicats. La propriétaire m’invite à prendre une photo après avoir rabattu un paravent, elle sort, et nous voilà qui bavardons. Nous sommes restés trente minutes à parler ainsi. Elle me présente les objets, certains très peu chers, d’autres vraiment très chers comme ces éventails en papiers aux couleurs sombres « masculines » ( au sens japonais du terme, brun sombre, vert brun, bleu brun, bordeaux brun…). Alors que je lui dis qu’en France, l’artisanat disparaît depuis cinquante ans, que la maison de Christian Lacroix ou la haute couture ne sont plus avec tous les petits métiers qu’elle entretenait, elle me dit que c’était la même chose au Japon. Elle s’approvisionne à Kyôto, où ce type d’artisanat survit. Je lui demandai alors si elle n’avait pas cherché à Tôkyô, mais elle me confirme alors une intuition: Tôkyô a perdu son artisanat, un processus amorcé avant la guerre mais que celle-ci a rendu définitif. À Tôkyô prime le kitsch, les objets manufacturés. Et, pensai-je alors en silence, une certaine idée bâtarde de l’Occident, particulièrement bien dépeinte par Mishima dans je ne sais plus quel roman. Elle est née à Asakusa, elle aurait aimé vendre de beaux objets de Tôkyô mais n’en a guère trouvés et s’est donc tourné vers Kyôto. Ainsi, les éventails sont fabriqués par une maison qui en fabrique depuis 200 ans, les étoffes sont tissées à la main, et les petits lapins peints à la main dans une assiette peinte à la main, perpétuant des formes anciennes sans y rajouter ce vernis soi-disant moderne qui donne à certains objets faits à Tôkyô cette allure kitsch et un peu vulgaire, réactionnaire à mon avis, car la modernisation à minima de l’ancien est un un trait du conservatisme. C’est ainsi qu’à Kyôto se multiplient les magasins et marques artisanales de produits aux dessins totalement contemporains mais qui perpétuent les techniques qui font la réputation de l’ancienne capitale. Jun et moi, ainsi, nous sommes extasiés sur les magasins RAAK, dont les dessins, souvent novateurs, revisitent le regard japonais sur le monde à travers des formes d’aujourd’hui. Il y a deux ans, c’était Sou-Sou qui nous avait beaucoup plus, avec ses éléphants colorés et ses dragons de toutes les couleurs, ses lotus aux couleurs et aux traits francs sur des Tee-shirts, des tabi (chaussettes) ou en tissus, destinés ensuite à faire des chemises ou des rideaux. Le plus dingue, c’est que malgré ces couleurs pétantes, ces dessins aux limites du grotesque, le résultat est incroyablement élégant, et l’artiste qui en est l’auteur à redécoré le Shôsen-in, un temple dans le centre est de la ville, et c’est incroyablement réussi. C’est vraiment moderne, une sorte de pop-art de Kyôto, et cela se marie parfaitement avec les pièces en tatami. Il a juste ajouté la bonne dose de ces lotus colorés qui sont sa marque… Tôkyô n’a pas cela. Tôkyô singe l’Occident en tentant de conserver ce qu’elle croit essentiel d’elle même. Mais comme cette ville est amnésique… Voilà pourquoi j’aime l’est de la ville. Par ici, il reste encore des gens qui ont une mémoire, comme cette femme qui, en vendant ces objets, espère travailler au maintien de savoirs faire admirés dans le monde entier… Nous la quittons, et Jun me dit qu’elle espérait certainement que nous achetions quelque chose. Je ris.
Je repense à Chii-Sanpo, tant cette promenade prend des allures de celles qui firent les beaux jours de l’émission de télévision.
Nous continuons la promenade jusqu’à un temple datant du début de l’époque Edo, puis nous rebroussons chemin en relongeant la Sumida et quittons le quartier de Mukojima (merci, Pierre, de m’avoir suggéré il y a quelques années d’aller m’y aventurer) traversons le grand pont double, passons par le quartier de Imado, destination Iriya. Il fait beau et chaud comme un été qui s’étire. À Iriya, nous achetons du pain à la boulangerie Épi de Blé que je vous conseille vivement, et nous faisons une pause à un petit sanctuaire pour grignoter et nous désaltérer. Nous reprenons la promenade dans Taitô jusque Nishi Nippori, et finissons cette longue marche dans le quartier de Yanaka. C’est un parcours banal, pour nous, mais c’est aussi une première : nous avons tout fait à pied, pas une seule fois le métro comme à l’époque de Kasai. Privilège de mon nouveau quartier, je suis là où j’aime. Nous finissions notre promenade à Ueno où, les jambes véritablement lassées, nous décidons de prendre le métro pour parcourir les deux stations qui nous séparent de chez moi.
En chemin, nous nous arrêtons à l’université des beaux arts de Tôkyô où la fête annuel bat son plein… L’album photo de cette page complète l’album publie lundi.
Le soir, je prépare la cuisine et nous regardons Kiyômori, la tête encore pleine de ces quelques sept heures ressemblant à une petite aventure faite de rencontres, de soleil, de belles choses et même de quelques fleurs…
Voilà, c’était mon dimanche…
De Tôkyô,
Madjid