Ce matin. 9 heures 15. Métro Parisien, Strasbourg Saint Denis, le quai, direction Clignancourt. Des Japonais, plein de Japonais et de Japonaises. Garçons décolorés roux ou brun, cheveux brushés permanentés mi-longs, costumes noirs flous et sans rigueur. Filles décolorées rousses ou brunes permanentées, cheveux longs gonflés en chignons sans rigueur, maquillage, tenues sobres. sac à l’épaule ou à bout de bras. Hommes plus agés, l’un avec un appareil photo, l’autre avec une caméra vidéo.
Je passe, nous rentrons dans le wagon. Je m’assied.
Visages rassurants autours de moi, langue famillière, attitudes connues. La main devant la bouche quand on parle en riant. Les costumes « mal portés », comme trop grands, purement formels. Les sacs de cadeaux « omiage ». La très grande décontraction sur les sièges.
Gare du Nord. Ils sortent.
Tronches d’occidentaux faussement rigoureux. Regards presques délivrés de mes voisins, « mais qui c’étaient, ces envahisseurs ».
Et soudain évidence. Je veux plus être ici. Je me sens bien qu’entouré de « ces gens là ». Je me sens en sécurité. Ca me donne envie de fermer les yeux. De m’endormir tranquilement en attendant ma destination…
Je comprends les immigrés, les sentiments d’ »étranger ». Regarder autours. Ne pas sentir rassuré, en familiarité.
Je comprends mon atonie. Mon manque d’investissement en quoi que ce soit. En qui que ce soit.
Je ne pense pas que les Japonais sont beaux.
Je me sens familier au milieux de leurs gestes. « Moi? », dis la jeune fille en pointant l’index vers son nez. « Oh, non, non », répond le garçon en levant la main et en la secouant un peu. « Après vous », dit le monsieur en se courbant un peu, une main désignant une direction. « Non non, allez y », répond la dame en se courbant un peu plus, un sourire discret sur le visage. Les jeunes, eux, passent, en vrac. Le sac à commission sur l’épaule d’un garçon, la fille regarde son portable, ils avancent, les pieds toujours légèrement tournés vers l’intérieur. Le T-shirt Marcel rayé pendouille sur le T-shirt violet du dessous, trop long, la chemise flotte au dessus, une veste noir en coton encore au dessus. trop grande.
Une autre esthétique.
A Paris, énergie zéro. Déprime. Les murs bouchent l’horizon.
Je vais avoir 40 ans en septembre.
Je ne me vois plus, je ne me sens plus, je ne me désire plus, je ne me conçois plus que dans la grande tranquilité japonaise.
Aucune décision que je ne puisse prendre sans repenser à cela.
Je suis suspendu à un bilan de santé. Est-ce qu’il sera comme-ci, est-ce qu’il sera comme ça.
L’ennui, c’est que je ne crois en aucun dieu, et que je n’accorde aucune valeur au très catholique « courage ».
Comme il a du courage, ce malade, d’affronter ainsi sa maladie. Il a perdu 40 kilos, est sous assistance respiratoire mais il n’a pas perdu l’espoir.
L’espoir de quoi ?
L’espoir de faire quoi ?
D’attendre sa fin la plus lointaine possible ?
La chaleur humide du Kansai. La lumière particulière de Kyoto. La verdure luxuriante. Un temple quelquonque, une marche dans un sanctuaire. Le temps peut bien s’arrêter, ce n’est pas grave, le moment est parfait…
Je n’ai rien, je n’ai personne qui me retienne ici. Rien. Que du travail. Que des rendez vous chez un médecin. Qu’une « raison » inspirée de considérations vagues. Prendre « un jour » des médicaments. Puis passer des examens. Trouver un autre travail.
Prendre des vacances.
J’ai lu à plusieurs reprises qu’il y a beaucoup de suicides chez les séropositifs (documentation Terence Higgins Trust, GB, trouvable dans n’importe quel bar. En France, nul part, le sujet étant visiblement tabou. En France, on peut téléphoner à SIS « pour en parler »).
Ca ne m’étonne pas. C’est naturel. Le vieil éléphant, le vieux lion, la vieille antilope, tous les animaux sentant leur fin se laissent mourir. C’est tout à fait naturel. Tout aussi naturel que l’acharnement à vivre, à durer le plus longtemps.
Mais c’est quoi, ce qui est humain ?
Ce qui fait la part des choses.
Ca sert à quoi, vivre, « en soi » ?
A rien… Et c’est bien le problème… Je ne « crois pas » en un dieu, pas plus qu’en des « traitements » s’ils ne servent qu’à reculer une échéance, sans éviter la déchéance de ce qui fait l’humain, la capacité de (se) choisir.
Moi, je n’ai pas choisi de vivre, et ce qui me fait vivre est extrèmement limité.
Je vais voir mon médecin dans 3 semaines.
Selon les résultats, que devrais-je choisir ?
Une pulsion sourde au fond de moi me dit qu’elle s’en moque. Une pulsion sourde me dit que si ma vie doit être :
traitement
suivi médical mensuel pendant 6 mois minimum
petits problèmes d’ajustement du traitement pendant un an
fatigues, insomnies dues aux traitements, anémie, pertes d’appétit
donc impossibilité de prendre un long congé pour cause de suivi rapproché
donc retour de l’instabilité professionelle, financière
donc impossibilité de prendre un long congé au Japon pour raison financière
quand tout est stabilisé, vers 41 ans
modification de la composition sanguine
suivis rapprochés
etc
Une pulsion sourde me dit que si ma vie doit être celle là… Est-ce que je ferais pas mieux d’en profiter un bon coup ?
J’attends un avis de NOVA France.
Selon les résultats, que devrais-je choisir ?
Une pulsion sourde au fond de moi me dit « pourquoi pas ». Une pulsion sourde dit que si ma vie doit être :
Départ
contrat d’un an, durée hebdomadaire de 35 heures
probabilité statistique avant les premières maladies opportunistes 2 ans (moins de 200 T4, etc)
voyage dans le Kansai, à Hokkaidô
la chaleur moîte de Kyôto, les fugues vers Kyûshû
quelques visites chez le médecins en attendant que ça ne bascule
Et après on voit venir.
Revenir sur un brancard, c’est vivre.
Attendre à Paris entre 2 brancards, je ne pourrai jamais faire. C’est ça, mourir.
Comme c’est compliqué, avoir à choisir.
Derrière se glissent d’autres choix encore.
Je suis atone depuis 2 ans. Je ne conçois même pas de me dire l’an prochain, je suis atone depuis 3 ans.
Pas possible, pas concevable.
Un psy ne m’aidera pas. C’est à moi seul désormais d’ouvrir une brèche et de m’y glisser.
Mais qu’est ce que c’est dur… de réaliser ce que l’on sait devoir / vouloir faire.
Mais tout plutôt que l’atonie.
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