J’ai traversé un désespoir sombre le weekend dernier. C’était le contre-coup de l’orgie des cerisiers la semaine avant. J’ai haï ce premier sinistre, ce gros connard de Abe et toute sa clique de vieillards affairistes mafieux.
J’ai retrouvé Jun, la seule personne qui compte vraiment dans ce pays, pour moi, et je lui ai flingué sa soirée en le déprimant, en lui faisant du « tu veux pas piger », etc Quand on s’est séparés, plus tard, il m’a donné une pochette de masques. C’était sa façon de me dire qu’il avait très bien pigé sans rien dire. Il y a deux semaines, je lui ai dit que j’étais inquiet pour lui, que je ne voulais pas qu’il tombe malade. Il m’a dit qu’il était inquiet pour moi parce que lui, il allait au travail en voiture et qu’il bossait quasiment tout seul alors que moi je devais prendre le train tous les jours et rencontrer des étudiants en permanence.
Dimanche et lundi, je ne suis pas sorti, je me suis calmé. J’ai décidé de débrancher. J’ai appelé mes amis, j’ai commencé à me focaliser sur l’économie, la finance, à imaginer le monde d’après et à couper mes derniers liens avec ce monde qui agonise sous nos pieds et qui peut-être m’emportera avec lui.
J’ai décidé de ne plus partager de nouvelles affolantes, sombres. De me détacher de l’immédiat, de retrouver le temps long. Qu’importe l’immédiat, il nous emporte dans son abime. L’historien en moi a triomphé, je regarde le temps présent faire l’histoire et soudain j’entrevois le futur. Il est ce que nous ferons, ce que nous en ferons, j’espère juste que nous y aurons été suffisamment préparés pour ne pas en être dépossédés comme nous le sommes actuellement.
Je ne sais pas comment éveiller les japonais. Quand je leur parle, ils ne m’écoutent pas, ils entendent un étranger. Mais Jun m’écoute et si je parviens à l’aider à traverser cette tempête comme nous avons traversé le séisme, ce sera déjà ça. J’essaie d’informer mes étudiants. Mais j’ai passé le stade de tout désespoir.
Il y aura un après, et je veux en être ou en tout cas y avoir contribué. Je laisse à la tristesse qui m’assaille le soin de me laisser exprimer mon amour des autres.
Amitiés. Prenez soin de vous.