Il fait beau sur Tôkyô comme il faisait beau hier sur Kyôto. Voilà, la nouvelle année vient de commencer et nous en avons déjà grillé un centième, comme ça passe vite…
Cela faisait trois ans que je n’avais pas passé la fin d’année à Kyôto, il y a deux ans j’étais allé à Paris, l’an dernier c’était à Paris, Lille et Londres. Cela m’a fait du bien, arpenter la colline de Fushimi le jour de mon arrivée, même si les pensées allant ici et là m’ont cette fois rendu la longue marche extrêmement rapide, je ai eu le temps de ne rien voir. Mitterrand avait Solutré, moi, j’ai Fushimi, serais-je tenté de dire. Fushimi est une colline assez haute, elle est le domaine de Kitsune le renard, un lieu assez magique, si si, même si on ne croit pas à la magie. Le chemin de montée est bordé de torii, ces portiques rouges, offerts par des personnes, des sociétés, des familles, pour s’attirer les bonnes grâces de la Divinité. On dit que ce sanctuaire est très bon pour les affaires, les paysans autrefois y apportaient leurs premiers épis de riz.
Moi, j’en aime le côté insurmontable, ce chemin qui monte, qui monte, qui monte, on a l’impression que jamais ça ne s’arrêtera, des fois j’ai envie de m’arrêter et de rebrousser chemin, et puis dans l’effort, exactement comme dans un sport, tout le stress produit des pensées nocives qui tournent et retournent dans la tête. Moi, cette fois-ci, à Tôkyô, je m’étais mis en tête d’y faire une vidéo politique de voeux de fin d’année, quel idiot! Je me suis donc mis à tourner des idées et des phrases et, alors que je commençais à transpirer dans l’effort malgré le froid de décembre, je me suis aperçu que ces idées, toutes, malgré le message que je voulais faire passer, toutes tournaient et butaient sur les victimes des attentats, et je n’en éprouvais que plus de mépris pour le cynisme d’hommes politiques qui n’ont d’autre stratégie que d’utiliser la souffrance des gens pour brusquer la société, et au fur et à mesure de mes pas, j’ai compris que cet exercice était vain, et je n’ai pas fait la vidéo. Arrivé tout en haut, l’esprit délivré de ma tristesse et de mon impuissance, j’ai simplement prié pour que les esprits se calment et surtout pour que les familles, les proches et tout le monde parvienne à panser les plaies de novembre 2015, et, dans ma prière j’ai pensé à celles et ceux pour qui ce calvaire est quotidien.
La descente a été d’une légèreté incroyable et, comme je vous l’ai dit, je n’ai même pas eu l’impression de souffrir comme parfois. Je vous recommande Fushimi, si vous passez par Kyôto, et je vous recommande de le faire comme un pèlerinage avec vous même, pas en touriste émerveillé par tous ces torii, même s’il y a de quoi, mais en savourant le lieu lui-même, en prenant ses rudes montées pour autant de défis avec vous même, en tachant de garder le rythme, sans bavarder, fatigue, sueur, et savourer quand vous arrivez au somment, tout le stress derrière vous, et toute votre vie devant vous. La magie de Fushimi, elle est en vous si vous savez la capter.
Enfin, bon… Je vous dis, c’est mon Solutré…
Du stress, j’en avais à revendre.
Novembre a été un véritable calvaire. Je n’en ai pas parlé sur ce blog, alors allons-y. Un matin, alors que j’étais, justement, en train d’écrire, je vois passer sur mon écran une de ces notifications d’e-mail, je les ai activées car parfois je reçois un message d’un de mes étudiants ou de mon école. Là, c’était ma société de carte de crédit, je jette un coup d’oeil, deux paiements de 11.000 yen au Google-Play. Problème, je n’utilise pas les services payants de Google. Ça a été le début d’un calvaire qui a duré une dizaine de jours, obligé de téléphoner, d’envoyer des messages, d’écrire des courriers, la plupart du temps en japonais, d’annuler ma carte de crédit, etc… Le plus dur aura été le premier week-end, car en consultant le web, j’ai appris que des gens avaient été débités pendant des jours et des jours. J’imaginais vraiment le pire. Mais bon, le paiement est suspendu, ma société de carte de crédit a demandé le remboursement à Google et, depuis le début du mois de décembre, j’ai une nouvelle carte.
J’étais encore en plein dans ce stress là quand les attentats ont eu lieu, j’ai pu écrire des billets de blog « sérieux » et non personnels malgré ce truc qui en réalité m’a empêché de dormir pendant au moins une semaine. Je faisais des cauchemars incroyables qui me laissaient au matin dans un sentiment de solitude nauséeux, et quand le samedi matin, chez vous c’était encore vendredi soir, j’ai entendu la nouvelle des attentats (c’était après une première nuit de sommeil normal bien que plongée dans un rêve étrange, ce « Paris labyrinthe » situé entre la gare du Nord et les boulevards dans lequel je me perds parfois les nuits de grande fatigue, quand je suis débordé de travail, une ville recomposée dans laquelle je me plais et où je ne me perds pas mais où je me demande toujours, quand j’atterris dans mon ancien immeuble, ce que je viens y faire car tout y a changé et je sais que je n’y ai plus ma place…), j’ai eu une montée de stress incroyable, des sentiments confus, la peur pour mes amis et pour mon frère – une balle est si vite perdue -, la fatigue à la perspective d’avoir à travailler malgré tout, et à sourire, et être concentré, toute l’absurdité de la situation d’être ici à Tôkyô quand tout me ramenait à Paris, dans mon quartier, exactement comme dans mon rêve finalement (et alors toute l’évidence de quelque chose de refoulé durant toutes ces années, oui, j’y ai toute ma place, et vous comprenez mieux pourquoi c’est le moment où j’ai décidé que je devrai recommencer à faire de la politique, et que cela avait toute sa place sur ce blog), et puis la fatigue accumulée les jours précédents, cette histoire absurde de carte hackée précisément après deux mois passés à avoir fait des économies. Ce samedi a été quelque chose d’irréel, entre mon travail, une lettre de ma banque, un email de Google, les attentats et d’autres choses encore dont je vous parlerai plus tard, comme ma télévision qui tombe en panne, que le fabriquant ne peut pas réparer. Et très vite aussi le sentiment que l’étau se resserrait autours de « nous », comment ne pas me penser « musulmans », « arabe », « algérien », « immigré » quand je savais pertinemment que tout allait m’y ramener, comme le disait Beauvoir, c’est celui qui détient le pouvoir qui définit l’autre, et ça n’a pas tardé, la suite des attentats a été un feu d’artifice, entre lieux de cultes perquisitionnés et vandalisés par les forces de l’ordre, dérapages verbaux des hommes politiques, politique ultra-sécuritaire, tout cela visant une communauté particulière, l’une des miennes, avec l’interdiction formelle de ladite communauté de se définir comme communauté sous peine d’être communautariste, grrrrrrr… Le pogrom anti-musulman en Corse n’a déclenché aucune « grande marche de solidarité ».
J’écris « nous », oui, et pourtant, vraiment, on ne peut pas être plus parisien que moi, et j’avoue que je pourrais corriger leur interprétation de l’histoire de France à bien des politiques ainsi que leur enseigner beaucoup de choses sur la foi catholique qu’ils ignorent visiblement quand ils y font référence, et vraiment, on ne peut pas être non plus plus individualiste que moi tant je refuse d’être mis dans une case quelconque, mais hélas, le discours dominant a voulu à ce moment là plus encore qu’en janvier que je me « désolidarise », que je m’unisse (ce truc de droite m’est toujours sorti par les trous de nez, car il est toujours assorti de la suspicion d’être un mauvais français…), le tout assorti de « maintenant ça suffit », pas vraiment dit par le pouvoir mais dont chaque décision politique semblait indiquer que la fin de partie avait commencé, de quelle partie il s’agit, il faudra qu’il nous le dise, mais pour le coup ce serait annoncer sa conversion au néo-conservatisme américain…
Tout ça dans la même journée, ça faisait beaucoup… Mais bon, c’est ça, la vie, en fait. Appeler mes amis, me sentir proche, ça a été le réflexe. J’ai mis de côté mon gyroscope politique, ça faisait trop de choses, la priorité était d’être avec. Pas « unis ». Juste avec. Se tenir la main. Partager. Je n’ai eu aucun mal à partager mes sentiments dans un billet sur Paris, tant il était évident que si j’avais été à Paris ce soir là, j’aurais pu être une des victimes des attentats, en terrasse de café, avec Nicolas, avec Alain, par exemple, il faisait si bon à ce que j’ai lu, et c’était mon quartier, et les vendredis soir, j’aimais tant retrouver Nicolas et Alain autours d’un kir…
Mais en même temps mon cerveau est comme un ordinateur, il continue toujours de travailler « en tâche de fond », je savais que je devrais désormais recommencer la politique, le monde a besoin de moi comme j’ai besoin du monde. Ce n’est pas de l’orgueil, c’est la base de l’existentialisme, chacun a sa place dans l’ordre et le désordre du monde et ne rien faire, c’est laisser faire…
Quand mes congés ont commencé, j’avais retrouvé une carte de crédit, mis en place le squelette d’un site destiné à la politique, tout était prêt. Avant mon départ pour Kyôto, j’ai écrit un long mail à des proches pour les inviter à se joindre à moi dans cette aventure politique, plus par honnêteté que pour forcer quoi que ce soit, et puis j’ai fait ma valise, et le dimanche matin du départ est arrivé…
Le temps à Kyôto a été assez froid, le vent surtout, mais en comparaison des autres années c’était très supportable. Hier, il a fait 16 degrés, on se serait cru au printemps.
Partout, l’abondance des pluies a favorisé les mousses, les paysages étaient encore relativement verts, ce qui est aussi inhabituel. Généralement, les mousses jaunissent très tôt. Chaque jour, avec Jun, nous avons pris notre temps, à vélo, vu beaucoup de jardins, nous avons retrouvé des lieux familiers, d’autres qui le sont moins. Nous avons même mangé des crêpes bretonnes. De vraies vacances, assez différentes de l’exploration du mois d’août dernier, au Mont Hiei, à Hase…
Je me suis acheté un nouvel objectif pour mon appareil photo, un 40-150 pas cher mais très correct, hélas je n’ai pas vu la lune de la semaine…
Cette année je vais beaucoup écrire dans ce blog.
Tout d’abord, si Qobuz continue, je vais essayer la critique musicale, pas celle dont vous avez l’habitude et qui consiste à dire que X joue mieux A que Y bien qu’il soir plus subtile pour jouer B. Non. Depuis l’enfance, je me raconte des histoires quand j’écoute de la musique. Ce sera essentiellement de la musique baroque, bien entendu.
Ensuite, il y a des tas de textes que je n’ai jamais publiés, pas finis, mal ficelés, abandonnés. Je les publierai tels quels assortis d’un avertissement pour expliquer de quoi il s’agissait; je pense que c’est la meilleure façon de clore quelque chose en suspens.
Je ne renouvellerai pas le domaine Nedjma, les serveurs, ça coûte cher. Je pense que j’avais une idée interessante, mais ce n’était pas un projet pour moi, à moins de vivre en Algérie, d’y rencontrer des gens, ce qui n’est pas mon cas. Je n’ai aucun regret, le peu qui a été fait était bien fait, et le nombre de visiteurs ainsi que la variété des pages consultées me font penser que les lecteurs ont aimé le site, ça me suffit largement.
Je ne publierai plus d’albums photo brut comme avant, je vais juste éditer quelques photographies et les mettre en ligne avec quelques lignes de commentaires.
Ma campagne électorale va m’occuper, plusieurs proches m’ont fait part de leurs craintes de me voir m’éparpiller. En réalité, c’est le contraire que je ressens, il est grand temps que je sorte du « Paris Labyrinthe », vivre à Tôkyô ne me fait pas moins français et je veux (re-)faire toute ma place en France. Pour tout dire, c’est au contraire une véritable motivation pour faire, pour lire, pour penser, pour écrire, et sortir d’un quotidien sans cesse répété dans un travail qui ne m’apporte guère qu’un salaire mais fort peu motivant.
Il est 11 heures passées. Je vous laisse, je vais aller me promener cet après-midi à Shibamata, la ville de Tora-san, c’est à 20 minutes de chez moi en train.
De Tôkyô,
Madjid
Alors vivement la suite.
Elle arrive, elle arrive 🙂
Alors vivement la suite.
Elle arrive, elle arrive 🙂