Le métro, vers 13 heures quarante.
Ce n’est jamais facile de revenir à son blog après une longue absence. Je regarde l’écran quasiment vide de mon iPad, et une très grande lassitude m’envahit. Non pas que je n’ai rien à écrire, mais simplement, ça ne vient pas. J’aurais presque envie de dire « ça » ne vient pas.
Freud avait raison dans sa réponse à Rilke, au sujet de l’analyse. Rilke avait trouvé dans l’écriture un moyen de s’exprimer et d’exprimer ce qu’il avait au fond de lui, pourquoi alors aller y chercher ce qui, finalement, parvenait à trouver une certaine harmonie ? Quand je vous écrit que « ça » ne vient pas, c’est exactement cela dont je parle. La feuille blanche, la peur qu’elle inspire, c’est l’expression de la disharmonie en soi. Dans mon cas, cette disharmonie, c’est d’avoir perdu de vue ce blog, mon lien avec tous ces curieux que vous êtes, que je vous connaissent ou pas. De qui j’exige de passer leur chemin s’il n’apprécient pas ce que j’écris, mais dont pourtant j’apprécie la lecture, même quand ils m’écrivent qu’ils ne m’apprécient pas. Étrange non, la relation que l’on peut entretenir avec un blog. Je n’y raconte pas tout, juste ce qui me passe par la tête et, finalement, je me censure très peu. Et la peur de la feuille blanche c’est, si l’écriture se libère, cette peur de l’inconnue où elle nous mène, car comme je l’ai maintes fois écrit, ce blog n’est pas qu’un blog, il est un journal. Ce que j’y écris est le reflet de ma pensée à un moment donné, rien n’y est gravé dans le marbre car la pensée est un matériaux terriblement volatil et changeant, elle se nourrit de l’autre, de la curiosité, de la réflexion et des sentiments. Elle entretient avec « ça » une relation complexe, car la pensée est également le produit d’une histoire individuelle dont les contours parfois très nets, peuvent par moment s’avérer très flou, du côté d’où « ça » peut faire mal. Et personne n’aime se faire mal.
Celui qui écrit doit être prêt à avoir mal, et il doit aimer cela. J’aime la douleur que je ressens parfois en écrivant, en fait, elle alimente mon travail : la douleur est une force. On la sent à l’oeuvre partout où existent des émotions. C’est, au delà de la qualité elle même des œuvres, l’absence totale de douleur qui fait la différence entre Rondo Venezziano et Vivaldi, malgré tous les efforts des premiers pour ressembler au second. Vivaldi avait mal, au fond, tout au fond, très très profondément, mais il aimait la vie, c’était un jouisseur enfermé dans la vie cléricale. Sa musique oscille, très souvent, sur le fil du rasoir, son âme s’entr’ouvre sur des abîmes sombres où jamais le soleil n’entra, à moins que par le hasard d’une harmonie, il ne l’y invita, très brièvement, et regorge l’auditeur d’un très court moment d’espoir, et puis voilà, on referme, c’est fini, le violon repart. Aucun apitoiement, chez Vivaldi. Juste un rappel ici et là de notre profonde imperfection, de notre très grande fragilité de nous, les humains, de notre solitude et de sa marque indélébile, maman, maman, pourquoi ne me nourris-tu pas encore, il fait nuit, j’ai peur, donne moi encore un peu de ton lait, au creux de ton épaule si chaude, je n’ai pas faim, je veux juste encore un peu sentir ta chaleur, maman, pourquoi ne viens-tu pas, et le bébé pleure, et il pleure encore, et cette fois, hélas ou tant mieux, maman ne viendra pas, maman n’obéira pas, et il faudra alors que le nourrisson accepte de vivre sa vie, telle qu’elle est, dans un monde dont il n’est ni le centre, ni même un élément essentiel. La solitude. C’est un sentiment que j’ai toujours ressenti dans la musique de Vivaldi. Aux commentaires et aux emails que je reçois parfois, il me semble que c’est un sentiment que je parviens à partager avec certains d’entre vous. Pas la solitude du geignard qui se plaint toujours d’être seul. Non. Celle qui est là, quand on ne s’y attend pas, et qui vous force à allumer la télévision. Celle dont vous ne parlez à personne parce que vous savez que c’est comme ça, il faut vivre avec. C’est comme « ça », il faut vivre avec.
Comme vous le voyez, ouvrir sa boite de Pandore brise la glace, soudain l’écriture se libère. Je n’ai pas raconté grand chose, mais désormais l’écran n’est plus tout blanc, et vous avez compris que je suis tout en introspection. Pour être plus clair, je me réinvente.
J’aime bien, l’idée de réinvention de soi. Parce que cela veut dire que l’on recrée du même, tout en apportant de petites corrections ici et là. Et puis, se réinventer, irait avoir une certaine idée de ce que l’on aime chez soi, en soi, et puis aussi le réalisme nécessaire concernant ce qui ne changera jamais. J’ai 45 ans, et cela, ça ne changera jamais, si ce n’est pour aller vers 46. J’ai longtemps vécu en décalage avec mon âge. J’ai pleinement envie de vivre dans mon âge pour, disons, une bonne dizaine d’années. À partir de 55 ans, en revanche, il faudra revoir la copie, opérer de très nets renoncements, et préparer ma vieillesse. Ce sera peut être le moment où je lirai « La vieillesse », de Beauvoir, le seul que je n’ai pas encore lu. Imaginez, un essai sociologique, philosophique et anthropologique sur la vieillesse, écrit en 1961… Qui veut lire ce truc… ? Il fut pourtant, à son époque, un OVNI car il coïncide avec l’année de sortie du livre qui allait précipiter Edgard Morin sur le devant de la scène, consacré aux baby-boomers et à un concept promis à un bel avenir dans cet âge d’or du keynesianisme, « la jeunesse ». Écrire sur la vieillesse avait quelque chose d’incroyable, surtout quand l’auteur se proposa de le faire pour casser l’image du vieux et développer l’idée d’une vieillesse qui soit, aussi, une nouvelle de la vie, et non ce placard à mourir dont il est, encore aujourd’hui, synonyme.
Je reprends ici l’écriture car il m’a fallu travailler. Me réinventer passait par un déménagement. J’avais visité quelques appartements. J’en avais trouvé un de bien, à Asakusa. Propre, clair. J’ai reçu cet après-midi un mail de refus. Pas d’étrangers. C’est la deuxième fois. Toujours, quand je demande un endroit propre, clair, on me dit que « hélas quelqu’un vient de le réserver », ou bien que « c’est neuf, ce n’est pas possible pour les étrangers » ou alors aujourd’hui « la société de gestion préférerait, comme vous êtes étranger, que ce soit votre société qui loue cet appartement, autrement ce ne sera pas possible ». En revanche, on m’a montré plusieurs offres, des trucs pas refaits, exposition nord, à tatamis toujours, au deuxième étage souvent, et l’un avait même cet charmant commentaire, « animaux admis, colocation d’étrangers acceptées ». Par principe, je n’ai même pas voulu visiter. J’ai eu droit au racisme en France, mais encore est ce une question d’individus. Il y a des propriétaires cons, et il y a les autres, une grande majorité. Dans le cas du Japon, je l’avais souvent lu. Il y a même une commission gouvernementale sur le sujet, et il y a une rencontre des professionnels de l’immobilier en juin, à ce sujet. Car en fait, le Japon se taille une réputation affligeante auprès des entreprises étrangères à ce sujet là, et Singapour offre, outre des coûts moins élevés, une relative relation de confiance envers les étrangers. Ici, c’est simple, on est considérés comme sales et causeurs d’ennuis. Aux étrangers les taudis. Maintenant, il faut avouer que les Japonais ne sont pas toujours mieux traités. Mais là, ce sera un triage social. Si un Japonais peut payer, il habite où il veut. Pas un étranger.
Il y a d’ailleurs tout un business autours de cela. Des propriétaires, des agences spécialisées dans les étrangers. Qui louent à des prix incroyables. Ou bien qui louent des chambres dans des guesthouses soit disant pas chères, mais où bien souvent le loyer de l’un est le prix de l’appartement ou de la maison elle même. Où j’ai habité à Kagurazaka, ma chambre de 6 tatamis me coûtait 85000 yen. Il y avait 6 étrangers dans cette maison de deux étages. Soit deux appartements en colocation. En fait, un piaule comme ça, ça vaut 20000 yens à tout casser… Et encore, Jun, en riant, m’a dit que ce serait même le prix pour la maison entière…
Donc, voilà…
Tellement énervé par cette histoire que je n’ai ni terminé ni publié le blog. Longue conversation avec Yann ce matin. Comment un pays ayant tant d’abords plaisants peut il a se point se révéler haïssable ? Méprisable ? Et petit, mesquin ? Je dis cela en ayant conscience que les habitants ne se font pas, eux non plus, de cadeaux. Un pays archaïque, où le maire de la capitale, machin chose Ishihara, a encore récemment fustigé les homosexuels, et où son discours passe, finalement, comme une lettre à la poste…
J’ai vu des images de Paris et, pour tout dire, je n’en reviens pas, je ne pense pas avoir jamais vu autant de neige. Peut être si, durant l’hiver 1987…
(message non terminé)
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