Hier encore, à cette heure, j’étais à Kyôto, à vélo, allant ici et là et profitant des derniers moments de cette paix un peu factice mais nécessaire.
De retour à Tôkyô depuis hier soir, la vache, qu’est-ce que ça file, le temps, je ne suis même pas en chemin, je suis bel et bien là, chez moi, devant mon ordinateur et mon clavier français, j’ai déjà fait les deux heures et quelques en Shinkansen, j’ai déjà fait l’incroyable lessive qui accompagne chaque retour, je suis dors et déjà allé faire les courses au supermarché Seiyu ©, j’ai déjà pris ma douche du soir, j’ai dormi, j’ai pris mon petit déjeuné et voilà, dans quelques heures il me faudra aller travailler…
Hier encore, à cette heure, j’étais à Kyôto, à vélo, allant ici et là et profitant des derniers moments de cette paix un peu factice mais nécessaire.
Je me suis couché tard hier soir, j’ai commencé à regarder un documentaire sur YouTube © après avoir monté la vidéo illustrant ce billet et préparé cet album photo… Je suis un peu fatigué, mais j’ai voulu me lever de bonne heure pour pouvoir profiter de cette matinée, une matinée toute en lenteur comme je les aime.
Sur cette vidéo, donc, comme vous le voyez, des visiteurs du sanctuaire Kitano Tenmangu 北野天満宮 à Kyôto saluent les divinités et se prosternent après avoir tapé dans leur mains (pour attirer leur attention) et fait retentir le plus fort possible l’une des cloches (pour montrer leur détermination). On leur demande la réussite aux examens, un beau mariage ou une bonne santé: le Shintô 神道 ignore la transcendance, le péché ou le pardon, il se limite à une relation avec les divinités qui sont un peu entre des ancêtres lointains et des esprits qui veillent sur eux, présent un peu partout, un peu en toute chose et dont on doit s’assurer la bienveillance.
Une de ces enquêtes parue récemment sur la place du religieux dans la vie plaçait l’Islam parmi les religions les plus prégnantes dans la vie des gens et mettaient le Japon à la toute fin, faisant des japonais des « super-laïcs » à l’opposé des « super-archaïques » musulmans. Une belle crétinerie. Les « laïcs » athées militants de l’espace culturel monothéiste appelé couramment « Occident » ne se rendent même pas compte à quel point leur vision, leur compréhension du « religieux » est à ce point imprégné des préjugés de ce même espace culturel monothéiste, mais avec une différence de taille sur ceux qui sont croyants, qu’ils soient Juifs, Chrétiens ou Musulmans.
Un croyant d’une des trois religions monothéiste saura toujours reconnaître ce qui participe d’une fois, fut-elle différente, fut-elle incompréhensible à leur yeux voire même fut-elle fausse à leurs yeux, et je suis persuadé qu’un voyage au Japon les convaincra très rapidement qu’en réalité la vie quotidienne de ce pays est imprégné du religieux qui, ici, faut-il le rappeler, est même double puisque les japonais suivent les rîtes du Shintô (la « voie des Divinités ») tout en trouvant une transcendance, une réponse à leur angoisse de la mort, dans le bouddhisme. Les temples sont partout et ce sont eux qui prennent la mort en charge, gérant les cimetières, mais également l’éducation des tout-petits, avec de très nombreuses écoles maternelles les jouxtant.
Dire, affirmer que le Japon n’a aucune pratique religieuse et est ainsi un modèle de « laïcité » est donc un non sens, une crétinerie et même un déni de la place qu’occupe le Shintô dans la politique du pays. Je n’ai jamais vu de drapeau français flotter sur les églises en France et je ne pense pas que les mosquées fassent flotter des drapeaux dans une majorité de pays musulmans. Ici, le Hi-no-maru, le drapeau japonais, flotte au fronton des sanctuaires. Il y a même une campagne intitulée « quel bonheur d’être japonais » qui a fleuri dans un grand nombre d’entre eux (l’ironie a voulu que le modèle en photo sur le poster était… chinoise: la campagne a été suspendue!). Les liens avec le parti au pouvoir sont nombreux, et l’un des sanctuaires de Tôkyô, le sanctuaire Yasukuni, abrite les restes de 7 criminels de guerre de classe A, coupables d’avoir mené en Chine et en Corée des crimes ayant conduit environ 20 millions de personnes à la mort (avec expériences médicales, épandages de maladies, travail forcé…).
Loin de moi l’idée d’accuser les pratiques du Shintô, dont j’aime l’amusante et tendre humanité. Je pointe juste le fait qu’ici, comme ailleurs, le religieux existe, qu’il imprime profondément la société jusque dans des gestes quotidiens, et qu’il est donc utilisé politiquement pour justifier des choix, des actions qui n’ont trait que de très loin avec la religion.
Le résultat, c’est que même si les japonais ne se revendiquent pas « religieux », il n’en demeure pas moins que le Shintô est partout et que les sanctuaires ne désemplissent pas, qu’ils agissent même très souvent comme des outils du contrôle social à travers des fêtes auxquels sont « cordialement invités » à participer les habitants du quartier. Comme vous voyez sur cette vidéo, par une banale journée d’août, on vient saluer les divinités. Imaginer les jours de fête, comme le nouvel an, des queues de plusieurs heures avant de pouvoir approcher…
La prochaine fois que vous lisez ce type d’enquête, repensez-y, et vous conclurez avec moi que le but de ce type d’article n’est autre que faire passer les Musulmans pour de vilains archaïques dangereux (sur le dos des Japonais qui, au passage, n’ont rien demandé à personne et en réalité, en bons polythéistes qu’ils sont, se révèlent très curieux des autres religions).
Promenade donc vers Kitano, puis dans un des jardins du temple Myôshin-ji 妙心寺.
Il est 10 heures 45, on est vendredi, je suis à Tôkyô, tout est redevenu normal. La grisaille de la ville…