Ramadan, le temps suspendu

Allez, je traduis, ma famille française, ce ne sont que des sous-dev, quoi. On ne peut pas trop en vouloir à une bande de sauvages arriérés de la Sarthe. Depuis, j’éprouve une certaine empathie à leur égard.

Un bien long moment sans écrire, et entre ces deux moments, le Ramadan, beaucoup de documentaires sur Youtube, beaucoup de remises au point, mais avant tout le mois Ramadan comme un pivot, un point d’appui, un avant et un après, et qui continue de me nourrir sans que j’y prenne garde, avec une nostalgie pour ce qui a été pour moi une expérience à laquelle je ne m’attendais pas.

Oui, j’ai fait le Ramadan. Je voulais le documenter, le raconter au jour le jour, le bloguer, le vloguer même et finalement, j’y ai renoncé sous le poids de ma propre pudeur et après m’être pris ma propre vanité en pleine poire le premier jour, parce qu’en me gavant comme une oie la veille, je me suis aperçu que je ne me faisais même pas confiance, et que cette décision très sérieuse prise il y a longtemps, et mûrie, alors que le jour arrivait, n’était plus qu’un jeu, qu’un caprice égocentrique, ou bien une sorte de vengeance face à ce climat islamophobe qui règne en vos contrées, mais ni ce narcissisme, ni cet hédonisme érigé en politique ne me ressemblent, alors, je n’ai ni blogué, ni vlogué. Et au lieu de commencer en fanfare, j’ai timidement fermé la boutique et égrainé les jours sur Facebook.

J’ai lu des passages du Coran, oui, moi. Je me suis nourri, mais autrement, j’ai ouvert la porte sur mon moi profond, sur mes regrets, sur mes tristesses, j’ai donné la parole à mon père et je lui ai enfin donné la chance de me convaincre et de me raconter les arbres, puisque c’est en me racontant les arbres qu’il avait, une dernière fois, tenté de me convaincre de l’existence d’Allah. Comment pouvais-je l’entendre, il n’y a rien de plus étranger à la culture occidentale qu’un arbre, mais depuis que je vis au Japon, j’ai appris à regarder les arbres, mieux, j’ai appris les arbres, et j’ai même appris à regarder la force de la vie dans ces arbres cassés cent fois et rafistolés, couverts de lichens et de mousses, bancales, avec leurs supports comme des béquilles, et j’ai même appris à les voir plus beaux que les autres encore -en France, on les aurait sans aucun doute coupés.
J’ai entendu dire que durant le mois de Ramadan, les portes de l’enfer étaient fermées et que celles du paradis étaient ouvertes et j’atteste, oui, je crois bien qu’il y a quelque chose comme ça.

Bien sûr, il vous faut vous débarrasser de vos idées préconçues sur l’enfer et sur le paradis, il vous faut oublier les flammes et les récompenses. Si l’enfer est la torture de soi et si le paradis est la réconciliation de soi dans la miséricorde, alors oui, il y a bien de cela dans le mois de Ramadan. Je ne parlerai que pour moi, mais pour faire simple, je me suis senti beaucoup plus lucide, beaucoup plus calme, beaucoup plus ouvert et, quand une pensée négative sur quelqu’un ou au sujet de quelque chose m’effleurait, alors me venait à l’esprit que ce n’était pas très gentil de penser cela, et plutôt que me culpabiliser, j’oubliais la pensée dans un sourire. Pendant un mois, j’ai eu le coeur léger, et aujourd’hui encore, je regrette que tout cela soit terminé, et en même temps, je sais que ce n’est pas terminé, et que ce n’était, si je le désirais, que la porte qu’il me suffisait de franchir pour prendre ma route. Une invitation.

Ce qui m’a le plus touché, durant ce mois de Ramadan, c’est l’incroyable proximité de mes cousins algériens. Au delà, c’est l’incroyable sentiment de communauté, un lien invisible qui nous relie dans ce moment où le temps est comme suspendu. J’ai fait un Ramadan qui me ressemble, solitaire, seul, à l’image de la famille où j’ai grandi. Nous vivions isolés, la famille qui nous aimait et demandait de nos nouvelles était loin, la famille qui était proche nous dédaignait et nous critiquait. Combien de fois maman a du l’entendre, ce « on te l’avait bien dit », un truc avec lequel j’ai dû grandir sans même m’en rendre compte mais dont tout le poids s’est effacé quand papa m’a dit, c’était une des dernières conversations, une conversation très difficile, où il a été très dur avec moi mais où j’ai pu aussi vraiment parler avec lui, et où nous avons pleuré, aussi, quand il m’a dit, donc, qu’il avait eu une chance incroyable de rencontrer une femme comme maman, et que je devais cesser de la critiquer comme je le faisais beaucoup à l’époque, et que je devais aussi arrêter de critiquer la famille de maman, que ce n’étaient que des paysans peu éduqués qui ne connaissaient rien au monde. Allez, je traduis, ma famille française, ce ne sont que des sous-dèv, quoi. On ne peut pas trop en vouloir à une bande de sauvages arriérés de la Sarthe. Depuis, j’éprouve une certaine empathie à leur égard.

Chez lui, tout passait dans la parole. Pendant un mois, ce sont ces mots digérés qui m’ont habité. Le mois de Ramadan, ce n’est pas une question de jeûne, c’est une question de remise au centre de soi, de réunification de soi. C’est être avec soi, pour être mieux avec les autres.

C’est une expérience unique.

Bien sûr, au moment de commencer, j’avais écrit pour ce blog, et puis j’ai vite renoncé, réalisant que tout ce que je dirais à ce moment là serait superflu et inutile, une sorte de « j’ai tout compris » débile, mais maintenant, je peux m’attarder sur ce moment, revenir dessus et vous livrer ce billet, très long, que je n’ai pas posté.

Voici dont le billet que j’ai écrit au début du mois de jeûne de Ramadan.

« Quel titre, direz-vous… Voici une semaine maintenant que le mois de Ramadan est commencé. Et pour la première fois, je jeûne moi-aussi, comme et avec des centaines de millions de musulmans à travers le monde, riches ou pauvres, instruits ou illettrés, conservateurs ou libéraux, dans des pays du Nord et dans des pays du Sud, que je ne connais pas ou qui appartiennent à ma famille.
Je le fais comme j’ai arrêté de fumer, en me gardant l’option de l’interrompre, c’est à dire dans la totale liberté de ma volonté, de mon choix, sans aucune contrainte. Mon Ramadan est une promesse que je renouvelle chaque matin, avec ses hauts, ses bas et ses presque oublis dans la journée, la bouche pâteuse de ne pouvoir boire, la fatigue du sommeil boulversé, il est aussi une petite touche d’amusement de me savoir, moi, en train de jeûner, un bonheur très particulier. Du bonheur, tiens, oui.
Cela faisait plusieurs années que l’idée me trottait, je ne sais pas trop pourquoi. Et cette année, voilà. Il suffit de le faire. Je vous le disais dans mon dernier billet, avancer d’un pas… Peut-être n’attendiez-vous pas cela, mais moi, je savais.

Pourquoi jeûner, pour faire ce jeûne du mois de Ramadan?

Je pourrais faire le jeûne du mois de Ramadan pour me réconcilier avec mes origines, comme on dit, me relier au passé, à une tradition, mais cela n’est pas mon genre, je n’ai pas besoin de jeûner pour savoir de quelle histoire je suis le fruit. Jeûner pour sentir le poids de ses ancêtres, non, en fait non, et même si c’est peut-être ainsi que l’idée a germé il y a quelques années, elle s’est dissipée au fil du temps. Je ne jeûne pas pour me rattacher au passer ni à des ancêtres.

Par contre, par moments, j’ai presque eu envie de le faire pour me venger de la société française, lui balancer une bonne fois pour toute à la figure, moi, « l’intégré » qui « n’est pas comme les autres » – « t’es pas pareil », mon Ramadan contre ses obsessions, ses Manuel Valls, ses Alain Finkelkraut, ses Caroline Fourest, ses Élisabeth Lévy, ses Gérard Colomb, ses Jean-Pierre Chevènement, ses Florian Philippot, ses Valeurs Actuelles, ses Point et autres Express… Les limbes de cette égocentrique, stupide et narcissique idée se sont évaporées une bonne fois pour toute dès la première journée. Si vous pouviez vous imaginer comme je me soucie d’eux…

J’aurais pu faire un jeûne de Ramadan pour donner leur leçon à tous ceux et toutes celles qui ferment les yeux sur les morts de Gaza mais vocifèrent pour un foulard, un mois de Ramadan de colère et de vengeance, et cela aussi s’est dissipé dès la première journée même si j’avoue ici qu’à peine l’idée m’avait germée, elle me faisait honte. On ne jeûne pas par colère, c’est débile.

J’ai effleuré l’idée du jeûne de Ramadan-régime, un moyen de perdre du poids ou de corriger ma façon de manger, je ne vous raconte pas comment cette idée me fait sourire. Un jeûne hédoniste, en quelque sorte, un peu le genre d’un mois de Ramadan américain si les USA étaient un pays musulman, avec les conseils diététiques et beauté ainsi que la réduction de 10% sur les crèmes drainantes aux dattes et à la figue pour aider à la purifications des cellules.

Alors, pourquoi je le fais, est-ce la bonne question?
Oui, et non, tout est question de regard. Et en fait, botter en touche pour y répondre, c’est la vraie réponse, mais alors, je dois élaborer.

Me revient en mémoire cette vidéo d’Alain Soral déblatérant sur Houria Bouteldja, et vomissant l’insulte finale, « s’il n’y avait pas eu la France, elle serait dans son douar mariée avec 5 gosses et des tatouages rituels ». C’est cela, Alain Soral. Maintenant, vous me direz, d’autres prennent des gants, mais la pensée dominante, c’est quand même globalement penser la même chose, le même mépris condescendant pour les cultures et les peuples extra-européens, la même certitude positiviste que l’Occident a trouvé le fil à couper le beurre du progrès.

Moi, ça m’avait fait sourire et j’avais pensé simplement « et peut être elle aurait été heureuse ».

Alors disons que je fais le Ramadan, pour la première fois, parce que j’aurais pu naître dans une famille, dans un village ou une ville, un pays ou un continent où la question ne se serait pas posée et où jeûner aurait été de soi, et cela ne m’aurait pas empêché d’être heureux.
Voilà. À la base, c’est juste cette idée qui a germé, et penser cela, c’est un peu comme si je l’avais fait chaque année depuis toujours, le jeûne de Ramadan, il devient presque naturel. Papa le faisait, et il faisait ses prières, et ce n’est pas le Ramadan qui le rendait malheureux. Au contraire, je l’ai vu le faire en Algérie, et ça le rendait même plutôt heureux, le mois de Ramadan. D’ailleurs, Ramadan, en Algérie, j’en garde un souvenir merveilleux…

Ce n’est pas une question d’origine, c’est une question d’où je suis, d’où je me situe dans ma vie et dans le monde, c’est ce pas en avant et pour tout vous dire, c’est presqu’une aventure, pour moi. Un continent, et c’est même plus vaste qu’un continent.
Les derniers jours avant qu’il commence, j’ai hésité, trouvé moult raisons de le remettre à l’an prochain pour « mieux me préparer », ça a été un peu comme le départ pour le Japon, il y aurait un avant, et après, on ne sait pas trop ce qu’il se passerait.

Alors j’ai commencé, en me jetant à l’eau, de façon totalement improvisée. Pour commencer, la veille, mercredi, je suis allé faire des courses et j’ai acheté des trucs dont je n’ai pas ou plus l’habitude, j’ai finalement trop mangé le soir, peur d’avoir faim, yeux plus grands que le ventre et j’en ai mal dormi, ventre gonflé.
Et quand le jeudi soir est arrivé après la première journée de jeûne, j’ai pensé « ce n’était que ça? », et j’ai été étonné que ce ne soit pas aussi difficile que je l’avais pensé. J’étais content d’avoir accompli une journée. Et je suis heureux de vivre avec l’idée que je peux l’arrêter quand je veux. Personne ne m’y oblige, c’est entre moi et Allah.
Jeudi soir, j’ai pris le temps de me préparer à manger, et depuis je mange les mêmes choses que si je ne le faisais pas, avec peut être un peu plus de fruits.

C’est une expérience vraiment intéressante, profonde. Les médecins disent que l’intestin est notre second cerveau, et je le ressens vraiment.
Je ne me précipite pas sur la nourriture, d’abord, et je ne me bâfre pas. J’espère ni grossir ni maigrir. Ni gloutonnerie, ni régime. Depuis le commencement, mon poids ne varie pas. Par contre, on le sent vraiment, ce besoin vital de liquide. Je bois beaucoup plus qu’à l’accoutumée.

Ensuite, je prends mon temps, ce n’est pas parce que c’est l’Iftar (« Ftour ») que je mange. Et je ne mange pas jusqu’à la dernière minute. Non, j’essaie plutôt de garder une sorte de structure régulière, une grande assiette de fruits variés, puis deux heures plus tard une grande salade de légumes avec des œufs aux plat, et puis des céréales plus tard, avec du yaourt. Et voilà. Je ne mange ni viande ni poisson (sans me l’interdire éventuellement) car habituellement je n’en mange quasiment jamais. Ni pâtes ni riz car j’en mange habituellement assez peu. Je vous dis, j’essaie de garder mon alimentation habituelle.

Je veille à bien faire la vaisselle, à tout bien présenter bien que je sois tout seul. C’est comme si j’étais en train d’apprendre le respect que l’on doit à la nourriture. Quelque chose qui ne m’était jamais venu à l’esprit avant, un regard différent, déférent, sur ce que je vais manger.

Maintenant, il y a ce mois de Ramadan lui-même, sa signification, ce que cela fait, et comme je l’ai écrit plus haut, l’intestin est indéniablement un second cerveau. Je me sens plus calme en dedans. Je n’ai pas de sensation de faim particulière, juste un peu en milieu de matinée et un peu avant de rompre le jeûne mais rien de bien différent d’une sensation de faim habituelle.

C’est surtout au sujet de ma vie, des autres, de plein d’habitudes que le Ramadan me renvoie face à moi-même. Je pense à moi, un moi-s réflectif, un moi-s avec les autres. La superficialité de mes habitudes m’apparaît évidente. C’est étonnant ce qu’un jeune partiel occasionne. Beaucoup de gens disent que la signification du mois de Ramadan, c’est le partage, et je le confirme, c’est comme si en ce moment mon coeur était grand ouvert.

Je pense à ma vie, à la vie, à cette vanité qu’il y a à vouloir lui donner un sens quand il suffit de la vivre pour qu’elle ait un sens en elle-même. Je pense à mon enfance et je regrette de ne pas avoir fait le jeûne du mois de Ramadan à l’époque où papa était là. Pas pour la religion, mais pour le partage, pour partager cela et être vraiment son fils, partager cette complicité. J’étais incroyablement égoïste, capricieux, c’est dommage. Pas parce que je n’étais pas ouvert ni généreux, non, mais parce que je n’avais pas appris à être autrement. Avec les ans ce trait s’est adouci, j’ai appris, et puis les regrets de ce que j’ai loupé se sont estompés, peut-être suis-je mûr, alors, pour faire ce jeûne du mois de Ramadan en ayant une pensée pour mon père qui, je le sais, espérait qu’un jour je le fasse. J’exhausse une prière.

La tradition dit que durant le mois de Ramadan, les portes de l’enfer sont fermées et que les portes du Paradis sont ouvertes. C’est vrai. Je vous l’ai dit, c’est comme si mon coeur était grand ouvert et que je pouvais lire dedans, mais surtout que quiconque pourrait lire dedans.

Cela me conduit bien entendu à réfléchir au sens de tout, de mes actes, et surtout à ce qui transcende toute chose, le Divin.
Je n’ai jamais été athée, jamais. J’ai résolu l’absence de réponse à mes question d’une façon très différente de celle de Simone de Beauvoir qui raconte dans ses mémoires que, ne recevant pas de réponses à ses appels, décida qu’il n’y avait rien. Je ne pourrais jamais « décider » qu’il n’y a rien, parce que dans ma vie il y a eu le Bouddhisme, et qu’à la question de savoir s’il y avait un Dieu, une vie après la mort, le Bouddha toujours répondait qu’il n’avait pas la réponse et qu’il était impossible pour un quelconque humain d’y apporter une réponse à moins de mourir, et que par conséquent se poser la question était une de ces futilités qui agitaient l’esprit et rendaient les humains malheureux.
Pour Bouddha, la question du Divin et de l’âme était une non question. J’ai progressivement élaboré ma propre réponse à cette question. Ne recevant pas de réponse, j’ai décidé de ne plus me poser la question. Cela a fait de moi ni un athée, ni un agnostique, ni même un déiste.
L’athéisme est à mon avis une forme du monothéisme, elle est son négatif, et c’est précisément pour cette raison que les athées « militants » sont souvent si agressifs avec les croyants « militants », ils sont exactement pareils, aussi sectaires, desséchés, inhumains, bigots et cucu, se plaisant à régenter la vie, que dis-je, l’esprit d’autrui avec le même zèle sectaire. Comme si on pouvait forcer quelqu’un à ne pas suivre sa foi, comme si on pouvait la réglementer, comme si on pouvait régenter la peur de la mort, de la solitude, du néant et le poids de la vie. L’athéisme est une forme du monothéisme car dans les cultures polythéistes, comme ici au Japon, c’est une question qui ne se pose même pas.

J’ai donc résolu cette (non)question en refusant d’y répondre, mais en confiant une dernière pensée, j’ai demandé pardon à Allah de n’avoir pas su voir le Divin, et j’ai même élaboré cette idée qu’en réalité si je ne croyais pas en Allah, j’avais profondément la foi, c’est à dire que s’il y avait vraiment un Allah, et que cet Allah lisait mon coeur comme on raconte qu’il le fait, alors j’avais profondément confiance en son jugement et en son pardon car, précisément, Il serait celui qui sait.

Et alors, j’ai vécu ma vie, débarrassé de ce dieu à qui je posais des questions et avec qui je parlais quand j’étais enfant, qui me culpabilisait, qui me jugeait et en qui j’espérais aussi d’une façon chaotique et arrogante aussi en me fichant de lui.

Une phrase, une seule, venue du Coran, a continué de me visiter. Un fil. Contempler la Lumière d’Allah.
Le matin, j’ouvre les volets sur la ville endormie, le soleil frôle les murs, tout est calme. Et toujours un bonheur indescriptible en moi. La lune dans le ciel sous toutes ses facettes, un spectacle magnifique qui existe par mes yeux, là, devant moi. Un coucher de soleil aux couleurs de feu encore plus fortes que leurs pâles copies d’un feu d’artifice.

Toujours cette phrase, contempler la Lumière d’Allah.

De fil en aiguille, je vous l’ai raconté récemment, ce regard nouveau sur tout ce qui m’entoure, la nature, le vent, les arbres, tout ce spectacle gratuit, cette symphonie de verdure ici, et même ces dunes à pertes de vue là-bas, ces océans aux forces déchainées…
Je ne crois pas en Allah, et l’idée même de croire est une des idées les plus stupides qui ait jamais pu être inventée. Je le contemple, Allah.
Allah n’est pas un vieux monsieur avec une barbe et des vieux grimoires entouré d’anges avec des ailes et des cheveux bouclés. Il n’est pas un téléphone auquel on s’adresse quand on a problème d’argent.

Allah se contemple, et c’est seulement dans sa contemplation que l’on mesure sa puissance. Ce n’est pas une question de croire, de ne pas croire ni encore moins de décider de ne pas croire, c’est au delà. Pas au dessus ni au dessous. C’est une question de laisser son coeur s’ouvrir en contemplant ce qui est.

Je fais donc aussi, et finalement avant tout, le jeûne de Ramadan pour ouvrir mon coeur à ce qui est. Parce que si vraiment je contemple cette Lumière et qu’elle me fait du bien depuis toute ces années, et qu’elle m’a appris à regarder tout autour de moi, alors je dois l’accepter pour ce qu’elle est. Un message. »
Fin de ce billet non posté de mai dernier.

Le mois de Ramadan est passé très vite, et chaque jour, après avoir posté sur Instagram les photographies de mes repas du soir, mon cousin Abdenour me laissait un message, et cela fait partie des choses qui me manquent beaucoup, maintenant que le jeûne est terminé.
Que reste-t-il de ce mois, alors. Une expérience profonde, encrée au fond de moi, et qui me travaille. Et puis il me reste ce que j’ai décidé pendant, ce que j’ai réalisé pendant, et puis quelques projets qui ont refait surface.

J’ai vite repris les mauvaises habitudes alimentaires, pas que je mange mal, mais je mange vite, et puis des fois j’achète des trucs tout prêts, ça m’est arrivé trois ou quatre fois depuis la fin de Ramadan. Ce n’est pas que je culpabilise pour cela, mais j’ai une sorte de conscience aiguë de ce que je dois aux autres, de ce dont je suis redevable et de l’absurdité de toute cette bouffe industrielle.

Qu’on ne se trompe pas, cette histoire de nourriture est profondément spirituelle, religieuse. La façon dont on mange montre bien le rapport que l’on entretient au monde, la place qu’on y occupe et, concernant l’humain occidental, son caractère terriblement capricieux, narcissique, égoïste. Parmi les choses que j’aimerais accomplir, il y a me préparer entièrement ce que je mange, retrouver ce qui me lié à ce que j’absorbe. Peut-être je devrais recommencer à prendre mes repas en photos…

Je ne parlerai pas ici de ce que j’ai décidé, de ce que je vais faire, de mes objectifs, tout ce que je peux affirmer, c’est que j’ai décidé de prendre la route que j’ai vu s’ouvrir devant moi. Tout seul. Bah, de toute façon, je ne suis pas vraiment tout seul. Et il y aura du monde.

Pour finir, j’aimerai mettre ici une situation de Albert Memmi que j’ai vu passer sur mon mur Facebook il y a des mois et à laquelle j’ai longuement pensé et repensé car elle mettait les mots exacts à des sentiments que je sentais mûrir en moi depuis longtemps.
« Alors le jeune intellectuel qui avait rompu avec la religion, du moins intérieurement, et mangeait pendant le Ramadan, se met à jeûner avec ostentation. Lui, qui considérait les rites comme d’inévitables corvées familiales, les réintroduit dans sa vie sociale, leur donne une place dans sa conception du monde. Pour mieux les utiliser, il réexplique les messages oubliés, les adapte aux exigences actuelles. Il découvre d’ailleurs que le fait religieux n’est pas seulement une tentative de communication avec l’invisible, mais un extraordinaire lieu de communication pour le groupe entier. Le colonisé, ses chefs et ses intellectuels, ses traditionalistes et ses libéraux, toutes les classes sociales, peuvent s’y retrouver, s’y ressouder, vérifier et recréer leur unité. Le risque est considérable, certes, que le moyen ne devienne fin. Accordant une telle attention aux vieux mythes, les rajeunissant, il les revivifie dangereusement. Ils en retrouvent une force inattendue qui les fait s’échapper aux desseins limités des chefs colonisés. On assiste à un renouveau religieux véritable. Il arrive même que l’apprenti sorcier, intellectuel ou bourgeois libéral, à qui le laïcisme semblait la condition de tout progrès intellectuel et social, reprenne goût à ces traditions dédaignées (…)
Dorénavant, il a découvert le principe moteur de son action, qui ordonne et valorise tout le reste : il s’agit d’affirmer son peuple et de s’affirmer solidaire avec lui. Or sa religion est d’évidence un des éléments constituants de ce peuple. A Bandung, à l’étonnement gêné des gens de gauche du monde entier, l’un des deux principes fondamentaux de la conférence fut la religion. » Albert Memmi.

Voilà. Amitiés à toutes et tous


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