Minorités| L’agence |Crise financière: haro sur l’eau tiède

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Paru dans la revue Minorités.org / L’agence/ le 30 septembre 2011
La lecture de l’article publié par Minorités il y a 10 jours m’a véritablement hérissé les cheveux. Non pas parce que ses auteurs sont de vilains réactionnaires, mais parce que, justement, s’y résume toute l’impasse idéologique dans laquelle le progressisme se retrouve piégé depuis plus de 30 ans. Car sans peut-être même s’en rendre compte, nos auteurs y détaillent les postulats et les solutions en oeuvre depuis les années 80, celles-là même qui nous ont conduit où nous sommes. Politiquement, avant de répondre à une question fondamentale, il faut toujours commencer par interroger sa pertinence. La dette est une de ces fausses questions (d’où le titre de ma nouvelle Debt fiction). Riposte.

Comme l’écrivait très justement Karl Marx, et comme le pensent également un grand nombre d’économistes de l’école classique, les théories économiques sont de vastes supercheries destinées à théoriser l’inexplicable (classique) ou à justifier la domination d’une classe sociale (Marx). Il en ressort que la théorie économique dominante à un moment donné correspond à un ensemble de rapports de forces dans la société, à son organisation sociale et économique et à la perception communément admise que celle-ci a d’elle même.

Pour prendre un exemple récent, s’il est aujourd’hui à la mode de commenter l’instabilité des marchés, leur volatilité voire éventuellement la relative inefficacité de ceux-ci à réaliser une bonne allocation des ressources, il n’y a pas plus de cinq ans, les mêmes économistes tissaient des louanges à la théorie dominantes des années 90 et 2000, la théorie de l’« efficacité des marchés à se stabiliser eux-mêmes » (Market efficiency Theory), dérivée des travaux de l’École de Chicago et de son maitre, Milton Friedman, régulièrement défendue et expliquée par le mentor de cette période, Alan Greenspan, gouverneur de la Federal Reserve des années 80 aux années 2000 (lire Zombie economics, Press of Princeton University, 2010).

Pour faire plus simple, le discours dominant en économie ne traduit pas forcement la réalité de l’économie. Il en va de la dette aujourd’hui comme de l’inflation dans les années 80. Loin de moi l’idée de défendre la dette, les déficits ou l’inflation, mais constatons qu’il est quand même un peu curieux que les promoteurs de la dette dans les années 90 et 2000 en soient aujourd’hui les plus ardents pourfendeurs, que ce soient les gouvernements, les banques, ou les agences de notation Fitsch/ Moody’s ou S&P.

Pourtant, un mal gangrène les pays dits développés depuis une trentaine d’années, un mal qui avait disparu dans l’après-guerre et qui fit sa réapparition à la fin des années 1970: la précarisation des salariés à travers le chômage, l’instabilité professionnelle, la baisse des salaires, le recul des services rendus par les états et la montée exponentielle concomitante du coût de la vie (santé, éducation, logement).

Une fragilité sociale ayant elle-même entraîné un endettement des particuliers dans des proportions inconnues jusqu’alors. Quand dix à quinze ans suffisaient à payer son crédit immobilier vers 1980, il n’est pas rare désormais de dépasser les 30 ans, des durées de 40 ans ayant même été atteintes dans les pays anglo-saxons avant 2008. Un sentiment de déclassement qui domine dans les classes moyennes a succédé à cette sorte d’assurance nonchalante en l’avenir dans la période précédente. Les parents voient leurs enfants accéder difficilement au marché du travail, et la génération montante a déjà intégré qu’elle n’atteindra jamais le niveau de vie de ses parents, se protégeant dans le chacun pour soi et des satisfactions hédonistes achetées bien souvent à crédit, et de plus en plus souvent, génératrices chez les plus jeunes d’un sentiment d’envie se manifestant dans la violence.

Cette société qui s’est mise en place insensiblement dans les années 80, poussée par les gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et Ronald Reagan d’abord, avant d’être reprise avec quelques aménagements sociaux par les social-démocraties un peu partout dans le monde, a bénéficié dès le départ d’un changement de paradigme idéologique majeur permettant de faire de l’idéologie qui domina après-guerre une aberration majeure.

Ruinées par la faillite du capitalisme dérégulé de libre-marché par le krach de 1929, entrainées dans une des plus effroyables boucheries guerrière après avoir cédé à une des plus fantastiques faillites morales et sociétales par la dépression qui suivit l’écroulement de la finance, les sociétés de l’après-guerre adoptèrent une approche idéologique nouvelle, celle-là même expérimentée aux USA depuis 1933 et théorisée en 1936 par John Maynard Keynes.

Le plein-emploi devint le critère numéro un d’une bonne gestion. Et que l’on s’entende bien sur l’idée de plein-emploi. Il s’agissait bien de n’avoir aucun chômeur. La France eut ainsi un solde de chômeurs inférieur à cent mille personnes jusque vers 1967, et même au plus fort du choc pétrolier, le taux de chômage ne dépassa que très brièvement les 4% pour revenir ensuite autour de 3,5%, ce qui était considéré à cette époque encore beaucoup trop. À cela faut-il préciser que ces 3,5% étaient le total des gens à la recherche d’un emploi, qu’ils aient ou non travaillé dans le mois, qu’ils aient ou non plus de 55 ans, qu’ils aient suivi une formation ou non, toutes catégories de nos jours sorties du décompte officiel et totalisant aujourd’hui approximativement 21% quand le décompte officiel s’établit à 10%.

À comptage statistique égal, 21% de chômeurs en 2011, 3,5% en 1978. Ce sont des chiffres qui parlent d’eux-mêmes mais étrangement absents du débat. On leur préfère « la dette ».

Et c’est là que l’on revient au fait que l’économie est avant tout une construction idéologique.

Keith Joseph

Ceux qui me connaissent savent que je reviens toujours à Keith Joseph, le mentor de Margaret Thatcher, car il est le génie qui a su poser les jalons de ce retournement idéologique. Certes, Milton Friedman avait créé les conditions universitaires de ce retournement de la théorie économique, mais le génie propre de Keith Joseph est d’en avoir fait un outil politique. Car une théorie économique, aussi pertinente soit-elle, n’est rien si on ne la traduit pas en une idéologie de masse.

Pour Margaret Thatcher, l’ennemi désigné fut donc l’inflation. Et c’est vrai que le quadruplement des prix du pétrole amena les prix à augmenter de 25% en 1975 en Grande Bretagne. En France, l’inflation approcha des 20%. Pour compliquer la situation, dans les deux pays, les entreprises avaient peu investi dans la décennie précédente, préférant empocher des dividendes qu’acheter des machines et former les hommes.

La principale explication au chômage qui commença donc à se développer est donc avant tout dans la conjugaison d’entreprises vieillies et de matières premières devenues plus chères. L’Allemagne avait, elle, beaucoup investi, le Japon aussi, et les produits de ces deux pays déferlèrent sur les marchés français et anglais. Les entreprises se mirent à faire faillite. Voilà pourquoi, malgré le retour de la croissance et le reflux de l’inflation dès 1976, les deux pays gardèrent un nombre important de chômeurs. 3,5% en France, et 4% en Grande-Bretagne.

L’offensive idéologique fut donc une offensive sur l’inflation, portée en France par l’économiste conservateur Raymond Barre, devenu Premier ministre, et par la nouvelle leader conservatrice Margaret Thatcher au Royaume-Uni. L’inflation ruine la rente, et la rente est le fond de commerce de l’électorat le plus conservateur. En revanche, elle ne ruine pas vraiment les salariés, puisque les augmentations de salaires viennent la compenser.

Mais le discours sur le danger de l’inflation finit par s’incruster dans l’inconscient collectif, avec un très grand succès. De nos jours, il est presque admis que 3% est « élevé ». Personne n’explique par rapport à quoi, mais c’est admis.

En fait, seuls les rentiers et les banques ont un intérêt à voir l’inflation proche de zéro: la stabilité des prix garantie la rentabilité de leur investissement sur le long terme.

La guerre à l’inflation

Les mêmes gouvernements qui firent la guerre contre l’inflation, reléguant le plein emploi aux oubliettes en en redessinant les contours à coup de modification des statistiques et de radiations sauvages, voir de son niveau lui-même avancèrent de nouveaux outils pour parvenir à restaurer l’économie (note: le Royaume-Uni de Tony Blair se targua de l’avoir atteint, avec des taux tout de même proches de 3,5%, bien loin du 1% des années 50/60, et excluant des pans entiers de la population, personnes de plus de 50 ans, en formation, handicapés, notamment dans le Nord du Pays dont les jeunes continuent de nos jours à fournir des contingents de SDF et de prostitués « sauvages », population fragilisée dans la capitale où ils sont regardés comme des parasites et des fainéants, quand ils ne sont pas en situation d’échec éducatif total faisant de Liverpool la ville d’Europe avec le plus fort taux de natalité, notamment adolescente).

Ce serait d’abord faciliter l’accès au marché financier, et donc une série de mesures de dérégulation dont l’une, la plus spectaculaire, restera le « big bang » en 1986 (dématérialisation des titres devenant de simple écritures comptables et non plus des certificats en papier, cotation 24 heures sur 24 accessibles du monde entier), et l’autre, destinée à une belle prospérité, la privatisation d’entreprises publiques puis de services jusqu’alors rendus par l’Etat.

On facilita également l’achât des appartements en HLM par leurs locataires, on mît les universités en concurrence en les autorisant à fixer librement le pris d’entrée (au Japon, les prix vont de 5000 euros par an, à 30.000 euros pour les études de médecine). La facilité à accéder aux marchés financier et le développement des crédits dérivés (comme je le raconte dans mes deux fictions Mortgage Story et Debt Fiction) permit de développer le crédit aux particuliers. On autorisa de nouveaux opérateurs dans des domaines jusqu’alors maîtrisés par l’Etat. Communication, poste, transports terrestres et transports aériens.

Cette généralisation de l’économie marchande était sensée permettre la baisse des prix grâce à la concurrence. De nouvelles compagnies aériennes virent le jour, de nouveaux opérateurs de téléphonie émergèrent.

Enfin, l’expression « jobs, jobs, jobs » remplaça le « full employment » de la période précédente. En France, on parla donc de plus en plus de « baisser le chômage » et « créer des emplois », notamment dans les services, et non plus de supprimer le chômage, comme on l’avait fait en 1933 dans l’Amérique de Roosevelt. Cette possibilité fut d’ailleurs regardée dès les années 80 comme impossible, archaïque, contraire aux règles de bases de l’économie de marché.

Progressivement, tout le monde admit ce nouveau postulat, ignoré pourtant de 1945 à 1975 dans l’ensemble des pays développés, prouvant à quel point l’économie est avant tout une création idéologique.

Changer de boulot toute sa vie

Désormais, pour créer de l’emploi, on décréta donc qu’il fallait mettre de la souplesse, et qu’après tout il fallait s’habituer à changer de travail au long de sa vie, et que finalement, un boulot, c’est un boulot. À une période d’emploi sûr, encadré par des conditions collectives négociées, cette forme d’organisation sociale qui domina de 1945 à 1980, on entra dans la période des contrats à durée déterminée, alternant avec le chômage, des stages. L’insécurité des parcours professionnels s’accroît depuis cette époque.

Enfin, le dernier volet, ce furent les baisses d’impôts, sensées récompenser les créateurs, le travail. En France, la célèbre phrase martelée par les conservateurs finit par passer jusque dans la gauche où un Laurent Fabius, devenu ministre de l’économie se prenant pour le Tony Blair français la reprit à son compte dans une tribune libre du Monde: trop d’impôts tue l’impôt (Laurent Fabius se contenta de dire que l’impôt décourage).

Donc, à une société de plein emploi, dotée d’un état offrant des services (santé, éducation, culture…) et reposant sur des régulations destinées à apporter un cadre sûr et à modérer les écarts de richesse, nous passâmes à une société où il fallait toujours payer plus de services désormais aux mains d’entreprises privées cherchant un retour de 15%, et prendre des crédits de plus en plus chers proposés par des banques développant de façon exponentielle les outils nécessaires à l’offre de ces crédits.

Le serpent de mer qui revient comme un refrain à partir de cette époque s’appelle le déficit budgétaire, un inconnu de la période précédente.

Ainsi, la dette totale de la France, jusqu’aux années 80, ne dépassa qu’exceptionnellement les 20%. Pour la financer, les gouvernements entretenaient la croissance, investissaient dans la recherche, des programmes de développement (on leur doit, en France, pour le meilleur comme pour le pire, l’électrification en 20 ans, le programme électronucléaire, le plan téléphone, Airbus, Arianne, etc). Mais également des allocations de chômage destinées à ne pas transformer un choc économique conjoncturel en récession prolongée, une Sécurité sociale généreuse destinée à ne pas transformer la maladie en une fatalité et plonger les gens dans la pauvreté.

Les pays du nord de l’Europe, gouvernés par des gouvernements sociaux démocrates, étaient parvenus à élever le niveau de vie à un tel niveau que les éventails de salaires n’y excédaient pas 6 fois, le chômage n’y dépassaient jamais les 2%, et l’investissement actif dans les nouvelles technologies permettait de ne jamais dépasser 5% d’inflation, maintenir la dette à moins de 20% et parvenir, la plupart du temps, à l’excédent budgétaire. Tout cela au prix, certes, d’impôts très lourds, compensés par une gratuité de la télévision, du téléphone et une prise en charge des frais engendrés par un changement de profession ainsi que l’éducation, la santé, la culture.

Dans la période qui s’ouvre à partir des années 80, la spirale de la dette se met en place sous les effets des politiques elles-mêmes. Ainsi, s’il est vrai que certaines années les entreprises publiques faisaient des déficits, c’est oublier toutes les années où, rentables, elles reversaient une part de leurs bénéfices à l’Etat. En 1991, ainsi, alors que la croissance ralentissait suite à la guerre du Golfe, le gouvernement de Pierre Bérégovoy put trouver 30 milliards supplémentaires de ressources dans un prélèvement exceptionnel des bénéfices d’EDF-GDF, de Renault, de ELF, de BNP, de France Telecom et du réseau autoroutier. Une ressource qui a désormais disparu pour l’état et va directement dans les poches des actionnaires de ces sociétés.

Par ailleurs, les baisses d’impôts sont majoritairement allées s’investir dans l’immobilier et dans le marché des actions, faisant monter les prix de l’un jusqu’aux niveaux irrationnels actuels (deux bulles ont d’ores et déjà explosé, l’une entre 1990 et 1996, l’autre depuis 2007 et les prix ne sont toujours pas stabilisés), et dans le marché boursier (un krach en 1987, un second en 2000, un troisième depuis 2007), ces deux bulles permettant la création d’une troisième bulle, l’envolée des crédits dérivés, adossés à des actifs dont les prix sont supposés s’envoler indéfiniment.

Parallèlement, les ressources de l’état se sont taries. Alors qu’autrefois l’état s’endettait peu et contrôlait l’émission monétaire via une banque centrale sous son autorité, il s’endette désormais sur les marchés, et ce sont les banques qui vont se financer auprès de banques centrales désormais indépendantes. Cela fait une grande différence, car quand autrefois les Etats se finançaient au taux des banques centrales, les Etats confient leur dette aux marchés financiers, et celle-ci coûte donc plus cher aux Etats au même moment où ceux-ci baissent les impôts.

On voit donc les Etats accumuler de la dette, celle-ci franchissant 30%, puis 40, puis 50 jusqu’à atteindre les 85% actuels constatés un peu partout.

Mieux, cette économie dérégulée dont les baisses d’impôts alimentent des bulles, prospère désormais par à-coups en créant à chaque fois un fort volant d’emplois précaires dans les services, une envolée de la construction d’immeubles destinés à satisfaire la demande de classes moyennes supérieures désormais transformées en classes rentières, s’endettant pour réaliser des plus-values lors de revente ou recevoir des loyers, le tout réinvesti en bourse, cette société, donc, connaît des récessions de plus en plus profondes, violentes qui, à chaque fois, transforment le budgets des états en gouffres financiers encore plus grand que la fois précédente.

Les impôts pour la finance

Des Etats qui donc financent leur déficit sur le marché financier. Ainsi, en France, le remboursement des seuls intérêts de la dette est nettement supérieur à l’impôt sur le revenu. En d’autres mots, vous versez vos impôts non pas aux « assistés », comme le prétendent certains politiciens, mais à la finance.

Il est clair que le seul moyen, pour les Etats, de limiter la catastrophe d’une augmentation exponentielle de la dette, est de privatiser encore plus. En France, le gouvernement Raffarin a ainsi vendu les derniers bijoux de famille, des immeubles, et le réseau autoroutier qui, pourtant, à lui seul, rapportait à l’Etat, une rente de près de 5 milliards d’euros par an. Nul doute que la SNCF et La Poste y passeront pour renflouer les caîsses de l’état. Et pour remplir celles des plus riches.

C’est que la dernière explosion de la dette est sans aucune mesure avec celles jusqu’ici rencontrées, car durant les années 90 et 2000, les impôts ont plusieurs fois été abaissés, alors que la croissance, bien moins forte qu’auparavant du fait d’un désengagement de l’état et beaucoup plus orientée sur des investissements précaires, n’a pas été suffisante pour réduire significativement la dette, ainsi que des intérêts à environ 4,5% en moyenne sur la même période.

Cerise sur le gâteau, la finance, qui a pris le relai d’un état devenu simple spectateur économique et force de répression destinée à maintenir une paix sociale de plus en plus menacée par la violence économique et l’égoïsme moral de l’idéologie dominante, a tellement agi pour multiplier ses profits qu’elle a entraîné le monde au bord du gouffre dans une crise économique d’une rare violence, obligeant les états à la renflouer et les banques centrales à racheter pour des trilliards de dollars d’actifs à la valeur douteuse, gonflant de façon impressionnante leur dettes de dizaines de centaines de milliards d’euros alors que ces mêmes états, comme la France il y a encore quelques années, rechignaient à augmenter le RMI ou l’ALS à un niveau un peu plus décent sous prétexte que les quelques milliards que cela coûterait gonfleraient le déficit.

Croyez vous que ces trilliards injectés dans la finance s’investissent dans nos économies ? Non, elles ont alimenté une nouvelle bulle boursière qui vient d’exploser, nous replongeant dans une récession, ce qui fera encore plus de déficit, et donc de dette, une dette que nos gouvernements financeront sur le marché financier, qui en tirera, comme toujours car c’est son métier, de substantiels profits. Et conduiront les états à encore plus de dérégulation et d’austérité.

Voilà pourquoi, donc, cet article, bien que pétri de bonne volonté évidente, hein, si tous les gars du monde, ne correspond en rien au problème posé: celui d’une dépendance accrue, presque définitive, des Etats à la volonté et au pouvoir de la finance. Non pas parce que la finance serait méchante, mais simplement parce que ses règles ne sont pas celles des Etats. Confiez donc votre assiette à votre médecin, vous pouvez dire adieu aux sauces, aux gâteaux, aux frites: il n’a pas les yeux rivés sur votre plaisir, son travail est de veiller à garantir le taux le plus bas de cholestérol.

La finance fonctionne de la même façon. Le rôle de la finance de marché est de veiller à éviter les risques, ou jouer avec pour dégager des profits. Elle s’est engouffrée dans les législations mises en place depuis 30 ans. Elle a apporté ses réponses à la démission des Etats. Elle est l’outil qui agit dans un monde régi par l’idéologie de l’efficacité des marchés.

Les solutions énumérés dans cet article sont celles-là même que le gouvernement Grec applique, et qui a accru la dette en plongeant le pays dans une récession encore plus forte, obligeant le gouvernement à vendre encore plus d’entreprises publiques, augmenter encore plus les impôts et plongeant le pays à chaque fois encore plus bas.

Puisque l’article se voulait une invitations à adopter une politique courageuse, je vais suggérer ici quelques pistes d’une réelle politique anti-crise.

L’outil de la fiscalité

La fiscalité joue un grand rôle dans cette histoire.

Il faut réinstaurer des tranches supérieures de 50%, de 60%, de 70% et même de 85% sur des revenus absurdement hauts. Et qu’on arrête de pleurnicher sur les gens qui « donnent 60% à l’état ». Une personne dans la tranche à 30% paie en fait environ 8,5% d’impôts, puisque l’impôt est progressif.

Il faut étatiser la Sécurité sociale, et la financer par un second impôt, lui-même progressif et payé par tous les revenus, capital compris, remplaçant les charges sociales. Il faut taxer le profit, pas le travail. Cela permettra, au passage, la mise en place d’un plan de développement de l’artisanat et des métiers manuels, car le système de charges sociales a tué l’artisanat. En taxant les revenus et les profits, de façon proportionnelle, les artisans pourront se developer. Et le travail artisanal, indépendamment de sa qualité, de sa créativité, et un travail non délocalisable. En outre, il procure l’estime de soi, il est l’âme de la démocratie.

La suppression des charges sociales et leur remplacement par l’impôt permettront d’ouvrir une négociation générale sur une création massive d’emplois et une forte baisse du temps de travail. En effet, un smicard, qui reçoit à peine 1000 euros net, coûte en réalité près de 2000 euros tout compris. Il y a là une marge de manoeuvre incroyable de négociation pour baisser le temps de travail, créer des emplois dans les entreprises de main d’œuvre et dans l’artisanat.

Certains pointeront la perte de ressources de la Sécurité sociale. C’est oublier que ce seront les revenus qui paieront, comme un impôt. Et que ce qui n’est pas pris ici, est repris là. Soit sous forme d’impôts sur les sociétés, soit sous forme d’impôts sur le revenu. Soit sous forme d’économies réalisées dans les 100 milliards exonérations de charges qui, de fait, disparaissent, ou tout simplement d’économies d’allocations de chômage puisqu’en fait, le but d’une réelle politique de sortie de crise est de lutter contre le chômage avec la même force et la même détermination qu’on a lutté contre l’inflation.

Un gouvernement décidé à rompre avec la spirale de la dette doit donc se fixer comme objectif de supprimer le chômage, et non le faire baisser: ce sont 5 millions d’emplois que nous devons générer, le plus vite possible. Disons, en un an. Roosevelt en créa 5 en six mois, et près de 20 en deux ans. Ce n’est donc pas si impossible que cela. Et contrairement à ce qu’affirme l’article, cela passe par une forte baisse du temps de travail. La réforme de l’ensemble des impôts, l’augmentation des tranches supérieures, une taxation du capital comme du travail génèrent les ressources d’une telle négociation.

L’Etat doit retrouver les ressources de son action et de son pouvoir. La gestion de la dette doit redevenir une de ses prérogatives. Mais pour qu’une réelle confiance s’instaure, il faut que la Cour des Comptes devienne une autorité indépendante, élue au suffrage universel ou tirée au sort comme un jury, dotée de pouvoir de coercition: son but doit être de veiller à ce qu’un déficit serve uniquement à investir, préparer l’avenir, donner des marges de manoeuvre nouvelles, et non favoriser des clientèles, ou pire, la finance de marché.

La dette doit donc être émise directement par l’Etat auprès des particuliers, ce qui passe, avant tout, comme ce fut le cas après la guerre, par la réalisation de l’équilibre budgétaire grâce à une politique fiscale et économique (j’insiste encore une fois sur cette histoire d’artisanat car il y a une clef du développement économique bien supérieure aux sirènes d’une réindustrialisation qui ne doit rien à Francois Bayrou, mais plutôt au Parti Communiste, à Jean-Pierre Chevènement, à Charles de Gaulle et aux nationalisations de 1981, politiques auxquelles le mentor du Béarnais Jean Lecanuet ainsi que Bayrou lui-même se sont toujours opposées).

Je pourrais développer plus en long, ce n’est pas le but.

Je voulais juste rappeler que des politiques assez proches de celles préconisées dans l’article ont déjà été mises en oeuvre, sans aucun succès, comme l’atteste les résultats calamiteux du gouvernement grec. Je voulais également rappeler les responsabilités dans ce qui est nommé crise de la dette, mais qui est d’abord la faillite apparente d’une idéologie, je dis apparente parce qu’en fait cette politique enrichit ses promoteurs comme aucune autre politique ne l’avait fait depuis près de 100 ans.

Et qu’il est donc, injuste, immoral autant qu’inefficace de faire porter de quelconques sacrifices sur une population dont il faut rappeler que, pour la seule France, un quart vit en dessous du seuil de pauvreté, même quand on y travaille, qu’un autre quart boucle ses fins de mois difficilement et a vu ses conditions de vie baisser continuellement depuis vingt ans, qu’un tiers ne va plus chez le médecin, que tout ce monde là doit payer de plus en plus cher les services privatisés, poste, énergie, que la nourriture et même l’eau, financiarisées depuis l’Uruguay Round et les accords du GATT, sont réduites à de simples commodités négociées au marché des Futures de Chicago, plongeant les producteurs dans la pauvreté sans empêcher l’envolée des prix pour les consommateurs. Que tout ce monde-là, pour vivre, ou survivre et « s’adapter », doit s’endetter pour étudier, se loger et parfois même pour se soigner (une grippe pour deux enfants coûte environ 30 euros à une famille, la Sécurité sociale laissant à la charge 30% du prix de la consultation au patient, et 35% du prix du médicament, et 30 euros, cela représente beaucoup, et parfois un découvert sur le compte, tarifé à 12%/annuel par la banque).

Et que tout cela a enrichi le quart restant, parfois de façon aberrante, puisque désormais 10% des Français possèdent 60% de la richesse nationale, bien souvent sans travailler, mais sous forme de rente, produite par ces dérivés et la distribution de dividendes boursiers.

S’il convient de restaurer l’équilibre budgétaire et réduire la dette, ce n’est donc pas en pressurant encore plus les gens, en faisant travailler ceux qui travaillent encore plus ni en augmentant leurs impôts, c’est en rendant à l’état les moyens de réorienter l’économie, en distribuant des allocations sans conditions, en créant d’urgence les emplois qu’il convient aux chômeurs et en faisant fleurir, en plus d’une industrie de pointe grâce à une fiscalité encourageant la recherche et l’investissement, sur l’ensemble du territoire une économie de proximité, artisanale ou coopérative, et paysanne aussi, non délocalisable, non financiarisable, écologiquement propre et créatrice de ce lien social brisé dont l’absence, créatrice d’insécurité, coûte chaque année de plus en plus cher en transformant nos démocraties jusqu’ici bien imparfaites en états policiers.

Madjid Ben Chikh

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