Paru dans la revue Minorités.org le dimanche 19 juin 2011.
Il y a un argument imparable utilisé par les militants de tous les partis, de toutes les associations, quand on leur dit que l’on n’a pas confiance en eux, que l’on n’est pas d’accord. « C’est facile, vous critiquez, vous ne faites rien, vous n’avez qu’à venir avec nous et militer, vous verrez, si c’est facile. » Imparable. Voici mon histoire militante, ce qui m’a conduit à ne plus militer, et à critiquer les organisations politiques ou associatives « installées », et à en avoir parfaitement le droit. Je serai sans aucune pitié pour le parti où j’ai milité et pour lequel j’ai désormais un profond mépris, avec son appareil fermé au bruits de la société et aux vents du monde, le Parti Socialiste. En sachant parfaitement que c’est la même chose ailleurs, voire bien pire.
Ma formation politique fut marquée très tôt par divers facteurs. Mon homosexualité, pour laquelle je me formai « intellectuellement » sur le tas, dès l’âge de 14 ans, en lisant Guy Hocquenghem (que je considère mon « père » en homosexualité). Et le Gai Pied, que je lisais en cachette chez le marchand de journaux.
Ma classe sociale. J’avais vu mon père au lendemain de la nuit électorale de mars 1978, il avait visiblement pleuré. Le programme commun PS/PC prévoyait de nationaliser son entreprise où, depuis trois ans les grèves et des périodes de chômage partiel alternaient, et où tout le monde était venu. Georges Séguy, Georges Marchais, Arlette Laguillier, Alain Krivine, et bien entendu, François Mitterrand. Deux fois. L’entreprise ferma un mois après la victoire inattendue de la droite, et nous rentrâmes vite dans la pauvreté, puis la grande pauvreté. Mes parents ramassaient les fruits et les légumes à la fin des marchés et les vêtements jetés pour nous habiller. Ma Catholique de mère et mon Musulman de père s’enfermèrent dans le silence en s’accordant sur un point : ils ne se plaignirent jamais.
Mes origines. Mon père était un militant. Cégétiste jusqu’en 1969, il avait rejoint la CFDT (métallurgie). Il avait été militant indépendantiste au FLN jusqu’à l’indépendance. Il était très politisé, oscillant entre républicanisme Pan-Arabe, communisme, et conservatisme. Il était pétri de morale musulmane. Il n’a pas prié jusqu’à sa cinquantaine,mais respecta toujours le Ramadan. Je me souviens l’avoir vu lors d’une veillée en Kabylie avec ses amis réciter des sourates prises au hasard dans le Coran. Il ne les récitait pas, il les chantait.
Ma vie bascula quand après m’être interrogé sur mes désirs sexuels, je tombai amoureux du surveillant, allez comprendre, en fin de troisième. Je m’étais ouvert à une amie, qui éventa l’histoire. Je venais de présenter un livre de Bory et Hocquengem en cours de Français. J’avais lu une scène de drague et une scène de sexe. La professeur, une « catho de gauche » assez âgée, m’avait laissé faire. Et pourtant je revois son visage, son étonnement, son malaise, peut-être. Madame De Witt. Longtemps après, je suis allé lui rendre plusieurs fois visite avec mon amie Frédérique, et une fois nous avions abordé cet épisode. J’ai appris son décès depuis, cela m’a attristé.
L’été arriva, et j’oubliai mon amour solitaire pour le surveillant…
Bondy et le PCF
Peu après la rentrée en seconde, il y eu un tremblement de terre en Algérie, à El Asnam. Un petit groupe se forma autours d’un professeur d’histoire du lycée, Gérard Clergue, communiste. Il faut avoir à l’esprit que l’époque était politisée, et qu’à Bondy, ville socialiste d’union de la gauche où j’habitais, le PCF était très fort, même si son autorité était contestée par d’autres formations, la CFDT, le PS, le PSU et myriade de formations. Nous montâmes autour de cet enseignant un PACTE (Projet d’Activité Culturelle et Educatif) sur l’Algérie. Son histoire, la guerre d’indépendance, sa culture, etc, et nous organisâmes une collecte de solidarité, 30.000 francs, ce qui était beaucoup. C’est dans le cadre de cette activité que je me rapprochai de celle qui reste ma meilleure amie, Frédérique, et acquit le début de mon autonomie. Elle était fan de Bernard Lavilliers, politisée, anarchiste. Je me mis à lire Guérin, Bakounine, Proudhon, Kropotkine.
Toutefois, j’avais du mal avec l’idée de révolution. Même si elle me semblait nécessaire, je restais témoin de la pauvreté à la maison. Je regardais donc du côté d’un petit parti politique sur le déclin, en fin de course, le Parti Socialiste Unifié, PSU, qui réconciliait très bien mes aspirations libertaires, l’autogestion, le féminisme, l’idée de « vivre et travailler au pays », « travailler moins pour travailler toutes et tous », « prendre en main notre quotidien ». Le PSU était le seul parti à parler du droit des homosexuels et de sa dépénalisation, des immigrés, de leur place et de leur culture. Et je savais par mon père que c’était le refus de la guerre d’Algérie qui était à son origine, qu’en mai 1968, ç’avait été le seul parti dans les luttes. J’admirai la performance d’Huguette Bouchardeau en 1981, interdite d’antenne, car elle voulut donner la parole à un homosexuel.
La victoire de Francois Mitterrand restera pour toute ma vie un moment inoubliable où la politique, mes premiers amants et mes 16 ans me donnèrent, sur l’air de Chagrin d’amour, un sentiment d’invincibilité.
Le 10 mai 1981, je vis le sourire de mon père, ses larmes. À Bondy, Mitterrand fit 73%. NOUS avions gagné. Le soir, avec mon amie Freddie et d’autres du PACTE, nous retrouvâmes Gérard Clergue chez lui. Il y avait d’autres professeurs, nous partîmes à la Bastille. Le lendemain, je n’avais plus de voix. Des professeurs mettaient l’Internationale à plein tube dans leur classe, il y avait des banderoles aux fenêtres. Même la petite bande d’Autonomes du lycée était de la partie. La proviseur faisait profil bas, elle ne souriait pas. Pendant quelques jours, son monde s’effondra. Mon professeur de mathématique portait un jeans. Il était de droite, et j’ironisais : maintenant, c’était nous qui allions mettre des costumes!
Entre Broad et LO
Les trois années qui suivirent furent pour moi l’entrée dans la vie gay. Je n’avais pas 17 ans quand j’allai au Broad, LA boîte, pour la première fois.
Au lycée, il y avait Pascal, de Lutte Ouvrière. On allait « discuter ». Ils ne m’ont jamais séduit, avec leur côté austère, mais il me transmit une culture : étudier pour penser le monde, l’idée que le sort des travailleurs est le même partout, et qu’il faut donc lire des auteurs étrangers, que la force des capitalistes est leur connaissance des rouages de leur société sur lesquels ils bâtissent leur pouvoir. J’appris la lutte des classes.
Je garde pour LO un attachement particulier. Je comprends de quoi ils parlent, je peux le ressentir, même si je suis en profond désaccord.
Mais ma vie était invariablement « gay ».
L’identité homosexuelle est indissociable d’une vie homosexuelle. On peut prendre ses distances, on peut rencontrer l’amour et se fixer, mais celui qui n’a pas vécu sa sexualité manque de quelque chose, car c’est le sexe qui fait notre différence.
À 18 ans, je saisis l’opportunité de pouvoir habiter seul. Ma mère avait une chambre en plein centre de Paris. Là, ce fut un peu tout et n’importe quoi, entre les soirées du jeune rocker que j’étais, les concerts, l’alcool, la drogue, le sexe et, par exemple, l’inauguration de Haute Tension, mes sorties au Broad et au Limelight, mes copains des Gays PTT et le projet associatif l’Escargot. Je m’étais rapproché de militants homosexuels avec lesquels je passais pas mal de temps.
En 1984, alors que je commençais une conversion au psychédélisme, je reçu trois chocs politiques qui allèrent réorienter mon engagement.
Une queue de manifestation de droite contre la loi Savary sur les universités, avec des militants d’extreme droite habillés comme en 1940, vendant des journaux titrant sur le complot judéo-maçonnique, alors que j’arrivais aux Tuileries pour draguer.
La manifestation contre la loi sur l’école privée, avec des cortèges de bonnes soeurs accusant « l’avorteuse », les émeutes entre néo-nazis et forces de l’ordre en soirée dans le quartier latin.
Et enfin le score du PS aux élections européennes: 20%, le PCF à 11%, juste devant le FN qui émergeait pour la première fois au niveau nationale. On parlait du Chili, Jacques Chirac réclamait la démission de François Mitterrand et « la fin de l’expérience socialiste ». Cette perspective nous terrifiait car nous pensions qu’il gouvernerait avec le FN, contre les immigrés, et mènerait la même politique que Margaret Thatcher, contre les travailleurs.
La Marche des Beurs
C’est à cette époque, vers 1983/1984, suite à la résurgence du discours xénophobe et sécuritaire à droite ainsi qu’une série d’échauffourées estivales dans la banlieue de Lyon qu’avait été organisée une marche anti-raciste, la Marche des Beurs, première tentative des jeunes issus de l’immigration afin de s’organiser politiquement pour peser.
Pour replacer dans le contexte, il faut rappeler que Beur est un terme créé par nous, la « deuxième génération », avant qu’il ne soit récupéré. Radio Beur, née durant l’été 1981, premier média communautaire d’une France « socialiste » qui tenta l’aventure multi-culturelle, et qui diffusa enfin des musiques et des informations qui pouvaient intéresser les parents, dans leurs langues, et qui aida aussi à la diffusion du rai et à diffuser la renaissance culturelle Berbère.
La marche des Beurs fut un succès en 1983, mais les résultats politiques de 1984 les effacèrent, en tout cas visiblement, d’un coup. À Bondy, des amis connus dans l’enfance au cours d’arabe ou au lycée créèrent une association, Ça bouge. Nous avions été marqués très tôt par l’extrême droite, en 1980, quand une bande de néo-nazis agressèrent trois jeunes de la cité De Lattre de Tassigny. Ce genre de crimes etait assez frequent et restait impuni.
Le soir des Européennes de juin 1984, j’étais avec un ami, on s’essayait à chanter du Cure avec un synthétiseur, une guitare et de la bière. On alluma la télévision. Le score du FN me glaça. La semaine suivante, ma décision était prise : j’adhérerais au PS.
Nous fûmes très nombreux dans mon cas.
Cet été-là, je bavardai pour la première fois avec Patrick Bloche : il vendait des canettes pour le CUARH au bal du quai des Tournelles. Il me dit qu’ils reprenaient la structure pour en faire quelque chose de nouveau…
L’adhésion
Je ne savais pas comment on adhérait à un parti politique. Je contactai la Fédération de Paris, mais pendant des mois aucune réponse ne vint. Je finis par convaincre mon amie Maria de m’y accompagner. Fidèle à la leçon de Lutte Ouvrière, j’avais dévoré en quelques semaines l’intégrale de Mitterrand, Pierre Mauroy, deux livres sur Jaurès, Michel Rocard, Jean Poperen, un livre sur Bruno Kreisky, un autre sur Olof Palme, des essais sur la social-démocratie, Pierre Mendes-France, une histoire du Parti Socialiste. Enfin, la démission de Pierre Mauroy et son remplacement par Laurent Fabius avaient été l’occasion pour Le Monde de publier des bilans tous azimuts sur les trois ans de « changement » et « d’expérience socialiste ».
Mon image des socialistes était très simple. Les communistes, c’étaient les ouvriers. Les socialistes, c’étaient donc Michel Pollack (Droit de Réponse) et Philippe Calloni (les matins de France-Inter commençaient par du jazz, et ça parlait littérature), bref, les intellectuels. Armé de toutes mes lectures, j’espérais réussir un examen d’entrée. À noter que la même année, je n’avais pas fait grand-chose à l’université où je ne me sentais pas à ma place, les étudiants me donnant l’impression de ne pas appartenir à mon monde.
Je ne me rappelle plus comment s’appelait la permanente blonde d’une trentaine d’années qui me reçut. Je pense l’avoir saoulée. Elle me dit qu’elle demanderait à la section de mon arrondissement de me contacter rapidement.
En partant, j’étais content. J’avais réussi mon examen.
Je fus reçu quelques semaines plus tard par la secrétaire de section du dixième arrondissement, Cécile Marcovicz, chez elle. Il y avait un jeune, Philippe. Ils me posèrent des questions et finirent par s’excuser de m’avoir fait attendre si longtemps : ils avaient des problèmes dans la section. Sans le savoir, je venais d’atterrir dans une des sections où se jouait alors toute l’histoire du PS jusqu’à nos jours.
Vous ne me croyez pas ?
Le parti de Mitterrand
Pour prendre la tête du Nouveau Parti Socialiste, créé à partir de la SFIO en 1969, lors du congrès de réunification d’Épinay en 1971, parti dont il n’était pas membre, François Mitterrand se rapprocha de tendances minoritaires à qui il promit la promotion de l’idéologie (CERES de Jean-Pierre Chevènement, proche idéologiquement du PCF ainsi que Jean Poperen et ses amis transfuges du PSU), la garantie de l’inamovibilité électorale (Gaston Deferre), et l’assurance que les clefs de la «vieille maison », dans le nord, seraient toujours entre les mains de son détenteur (Pierre Mauroy). Son rapprochement avec Jean-Pierre Chevènement garantissait, en gauchisant le parti, l’alliance avec le PCF, condition nécessaire à la victoire dans l’analyse, très juste, de Mitterrand.
En 1974, la gauche perdit les élections à 100.000 voix. L’idée d’une victoire faisait son chemin. Il faut bien avoir à l’esprit que la gauche était dans l’opposition depuis 1958. Et encore, même avant 1958, on peut s’interroger sur « quelle gauche »…
Mitterrand organisa les « Assises du Socialisme ». Des courants réformateurs chrétiens (Jacques Delors) et un gros bloc du PSU, derrière Michel Rocard, rejoignirent le PS. L’arrivée de la deuxième gauche donna à Mitterrand la possibilité de s’éloigner de Jean-Pierre Chevènement et du CERES qui furent renvoyés à la minorité.
Une nouvelle garde entourait Francois Mitterrand, des gens neufs, nouveaux, venus de sa Convention des Institutions Républicaines, la CIR. Pierre Joxe, Louis Mermaz, Yvette Roudy, Edith Cresson, Charles Hernu… Et des plus jeunes ayant adhéré au nouveau parti, comme Laurent Fabius. Jacques Attali, Robert Badinter, Jack Lang s’en rapprochèrent. Ces groupes étaient le coeur du « mitterrandisme ». Lionel Jospin, agissant clandestinement pour le compte d’une organisation trotskiste, l’OCI, en était. À la base également, la renaissance du parti amena une nouvelle génération, jeune, volontaire, imprégnée d’idéaux socialistes renouvelés, croyant en l’Union de la Gauche, au Front de Classe et en une politique qui engagerait la transition vers une société fondée sur l’égalité et la liberté. Jusqu’au syndicalisme étudiant, il fallut apprendre à composer avec le retour de ces militants volontaires, décidés, et cela entraîna des manoeuvres incroyables entre les différentes familles du trotskisme qui, jusqu’alors, avaient eu un monopole.
Giscard d’Estaing, le nouveau président, avait lui aussi « ouvert » son gouvernement aux « réformateurs » mendésistes, comme Yvette Giroud, qui ne mirent pas longtemps à être déçus. Ils se tournèrent vers Mitterrand car ce dernier, en rassemblant à ses côtés la « deuxième gauche », avait préparé leur ralliement.
La victoire de la gauche était désormais inéluctable. Les mitterrandistes contrôlaient plus de 50% du parti et s’appuyaient soit sur le CERES, soit sur les rocardiens pour garder ce contrôle. Les congrès étaient l’occasion de guerres intestines invisibles de l’extérieur, mais où se jouait le contrôle des fédérations, des sections, et donc des futures candidatures aux élections. Il y avait toutefois beaucoup de grain à moudre pour ce jeune parti, et beaucoup de places à prendre. Les luttes de pouvoir étaient donc des luttes relativement classiques. Légitimes, je dirais.
Le Parti était mitterrandiste, mais Paris était CERES. C’était un bastion que contrôlaient, entre autres, Georges Sarre, conseiller de Paris pour le 11e arrondissement, et Michel Charzat, dans le 20e arrondissement. Ce contrôle fut confirmé par le congrès de Metz en 1979. La Fédération de Paris était ultra-gauche.
Ce subtile équilibre fut pourtant rompu par la victoire de 1981. Tout d’abord avec l’afflux de nouveaux adhérents désireux d’aider « le changement ». Ensuite avec la vague rose qui permit l’élection de figures montantes du mitterrandisme. Lionel Jospin dans le 18e arrondissement, et Paul Quilès dans le 13e arrondissement. L’argent commença à irriguer cette fédération jusqu’alors austère et militante. L’argent des élus, le travail de leurs assistants, l’envoi de courrier. Et puis l’argent des ministères, leur « caisse noire », cette pratique ancienne héritée du gaullisme dont on pouvait espérer qu’elle disparut avec l’arrivée d’un pouvoir « socialiste ».
Jospin en sa fédération
François Mitterrand fut remplacé à la tête du parti par Lionel Jospin, dont l’arrondissement, le 18e, était un bastion mitterrandiste et le fief du fidèle sénateur Claude Estier, qui dirigeait parallèlement l’Unité, l’hebdomadaire des socialistes. En tant que nouveau premier secrétaire, Jospin se fixa l’objectif d’un contrôle de la Fédération.
Le courant mitterrandiste était alors assez homogène, et les luttes internes étaient directement gérées par Francois Mitterrand avec celles et ceux qui lui avaient été fidèles. En revanche, Jean-Pierre Chevenement, inspiré par son mentor Didier Motchane, s’apprêtait à décréter que l’heure n’était plus au socialisme, mais à la République. Le CERES se saborda en 1983 et devint donc La République Moderne, déstabilisant profondément une base qui, au même moment, se désillusionnait. L’hémorragie de militants du CERES commença. Au congrès de Bourg-en-Bresse, en pleine rigueur, l’influence de l’ex-CERES n’était plus que la résultante de la coalition formée avec les mitterrandistes au niveau national et dont les rocardiens étaient les perdants. Ces derniers, pourtant, piaffaient dans les sections, « on vous l’avait bien dit », décourageant un peu plus les militants de l’ex-CERES qui voyaient leur parti se « rocardiser ».
C’est dans ce contexte qu’il faut revenir aux trotskistes, ceux de l’OCI et de la LCR. Au sein de ces deux organisations, on avait mal vécu la victoire de la gauche et d’innombrables débats les traversaient. Un petit groupe avait quitté la LCR autour de Julien Dray, Bernard Pignerol, Laurence Rossignol et d’autres, et fit son entrée au PS en 1981. Un autre commençait, à l’OCI, autour de Jean Christophe Cambadélis et Marc Rosenblat, à s’interroger sur l’opportunité d’un tel rapprochement. De discrètes tractations avaient lieu dans les arrières boutiques du Parti Socialiste pour essayer de voir comment, sous quelle forme, on pourrait « digérer » ces troupes, mais pour Lionel Jospin, c’était du pain béni car elles viendraient renforcer ses rangs.
L’UNEF, le syndicat étudiant, avait d’ailleurs connu sa « réunification » à la fin des année 70 et l’UNEF-ID en naquit en 1981, créant les nécessaires passerelles. Jean-Christophe Cambadélis, Marc Rosenblat, Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, Alain Bauer, toute une génération de militants entre socialisme, trotskisme, gestion de l’UNEF-ID et de la mutuelle étudiante MNEF partageaient, au delà de désaccords idéologiques, une même pratique militante : celle du contrôle des appareils et de la mise en réseaux pour affirmer ce contrôle et prendre le pouvoir.
Autour de Julien Dray et de celui qui allait se faire appeler « Harlem Désir » se constitua au PS Questions Socialistes, sorte d’aile gauche néo-trotskiste comme il en existait à ce moment en Grande-Bretagne dans le Labour, pendant que le même groupe rejoignait à l’UNEF-ID la tendance PLUS animée par Jean-Marie Le Guen.
La seule section disponible pour accueillir ces transfuges de la LCR était la section du 10e arrondissement où adhérèrent Julien Dray, Bernard Pignerol, Laurence Rossignol et leurs amis, qui passa ainsi entre les mains des mitterrandistes, accélérant l’hémorragie militante. Le plus amusant dans cette histoire, c’est que la LCR était, indirectement, par l’entrisme trotskiste organisée entre autres par Jacques Kergoat, des deux côtés. Voilà pour Paris.
Fabius, la cassure
Au niveau national, 1984, ce fut la nomination inattendue de Laurent Fabius.
Autant Mauroy appartenait à l’héritage historique, à la « vieille maison », et en ce sens ne rompait pas les équilibres internes du parti, autant la nomination de Laurent Fabius bouscula l’édifice de fond en comble car, alors que la gauche semblait ratatinée électoralement après l’élection européenne et la manifestation des droites pour l’école privée, chacun avait en tête le prochain scrutin, la succession de Mitterrand, et le contrôle du parti. À Paris, Paul Quilès et beaucoup de mitterrandistes se rangèrent du côté du premier ministre. Il y avait pour Lionel Jospin un risque de perte de contrôle de la Fédération, du Parti et de la campagne législative à venir. Des négociations commencèrent donc dans le but d’opérer l’absorption des trotskistes de l’OCI, dont il avait été membre et où il avait gardé des contacts.
La rivalité entre « jospinistes » et « fabiusiens » allait donc se régler par ex-trotskistes interposés.
Dans le 10e arrondissement, où j’allais adhérer, la situation tourna à la catastrophe car c’était une section où désormais ne dominait aucune tendance ni aucun courant, mais que Julien Dray, Laurence Rossignol et leur groupe de QS étaient bien décidés à ne pas lâcher. Ma première réunion reste un souvenir mémorable, une guerre sourde, des conflits idéologiques majeurs, des disputes. Une section ingérable.
Pour contrôler cette section après le congres de Bourg-en-Bresse en 1983, les mitterrandistes avaient composé avec QS. Or, cette faction issue de la LCR, qui prétendait faire du PS un acteur des luttes sociales au sein d’un front de classe à ses adhérents tout en servant le discours officiel mitterrandiste en réunion, venait de se voir présenter l’opportunité d’être le fer de lance de l’opération reconquête menée par Matignon et l’Elysée. SOS Racisme.
Et si pour les mitterrandistes fédéraux cela ne posait aucun problème, la situation était très différente localement. L’adhésion en masse de membres de la jeune association, alors en plein essor, rompait les équilibres internes. Mon adhésion fut donc retardée. Cécile Marcovicz avait décidé, pour se maintenir, de putscher sa propre direction en s’appuyant sur toutes les autres tendances. Elle n’avait pas eu de mal en cela car tout le monde s’inquiétait du poids que prenait SOS racisme. Harlem Désir n’était pas resté longtemps, Julien Dray venait de partir pour l’Essonne.
Il avaient importé les méthodes du syndicalisme étudiant et de la LCR : l’adhésion en nombre, le fagocitage. Je vis adhérer Malek Boutih, Malik Lounès, Fode Silla, trois marionnettes à qui visiblement on demandait de se taire. Parmi les mitterrandistes, il y avait ceux qui étaient pour, et il y avait ceux qui désapprouvaient et qui se rapprochèrent progressivement de Lionel Jospin.
J’avais pensé que le PS était un lieu de débat, de discussions. Avant la première réunion, j’avais avalé l’audace et l’enlisement d’Alain Lipietz, et la contribution d’André Gorz au congrès du SPD allemand publiée par Les Temps Modernes m’avait beaucoup plu. Je rêvais de discuter de refondation des objectifs de la social-démocratie par l’écologie politique. Mon accueil fut des plus froids.
— Pourquoi adhères-tu au Parti Socialiste ?
— Je suis social-démocrate, je ne crois pas à la révolution.
Les CERES se sont effondrés.
À cette époque, pour adhérer, on devait ainsi répondre à des questions. J’adhérai donc au pire moment, car à ce climat délétère s’ajoutait la perspective du congrès qui se tiendrait à Toulouse.
Michel Pollack ?
Il y avait heureusement ce jeune, Philippe, qui avait construit son espace alternatif : un MJS. J’y adhérais donc malgré ma profonde réticence. De Michel Polack à la classe baigneur, en quelque sorte. Très vite pourtant, je rencontrais celles et ceux avec qui j’allais militer pendant plusieurs années. Et deux amis.
Je « relookai » le bulletin du MJS local pour lequel nous militions beaucoup. Nous voulions peser dans la section.
Philippe était un garçon rare. Il m’apprit les rudiments de l’appareil, on faisait des virées à Solférino où nous prenions de vieilles affiches, des stocks de livres invendus : nous créâmes une petite bibliothèque dans le local de la section, rue de la Grange aux belles. Grâce à notre activisme, nous étions à égalité avec les MJS à têtes montantes, celui de Christophe Carèche ou celui de Patrick Bloche, nouveau patron de Homosexualité et Socialisme, assisté en cela par son partenaire platine Philippe Ducloux. Nous finîmes par atteindre la trentaine de personnes et fournissions un contingent non négligeable d’adhérents à la section où le flot SOS, encore domiciliée dans le 10e, rue Martel, ne tarissait pas.
Les membres de la commission administrative proches de SOS, Laurence Rossignol au secrétariat administratif, Bernard Pignerol à la trésorerie, démissionnèrent. La trésorerie fut rendue dans trois sacs poubelles après un mois de guerre, liquide, chèques, courriers de demandes d’adhésions non ouverts, et enfin, après trois mois de réconciliation comptable qui donna du travail à plus de 5 militants, on retomba, à quelques milliers de francs près, sur nos pieds. Ils avaient bloqué toutes les adhésions, n’avaient pas mis à jour les adhérents présents pour au final ne faire voter que les leurs.
Notre section réunissait environ 100 adhérents.
Je me décidai à présenter la contribution de Pierre Mauroy lors du Congrès qui se préparait en octobre de cette année-là. Les textes se valaient tous, sauf quelques uns. Il y avait le texte de H&S, que j’introduisis, le texte des Gays pour la Liberté. Il y avait aussi un curieux texte, que personne n’aimait, mais dont j’aimais bien la problématique, Démocratie 2000. Les « trans-courants ».
On dit souvent que l’héritier de Mitterrand est Laurent Fabius. À mon avis, c’est une erreur. Laurent Fabius était une carte dans les mains d’un joueur. Brillant toutou fidèle à son maître, servant à faire diversion avec ses 36 ans, destiné à rivaliser avec les « quadras » de la droite, les Juppé, Léotard, Noir, Barzac, Madelin, Longuet, Toubon, et pour « faire moderne ». Un pendant gouvernemental de SOS Racisme, une France jeune, moderne, multiculturelle face à une droite agressive, xénophobe, ultra-libérale et déconnectée de la société. Autour de Fabius, les clubs se multipliaient, l’argent de Matignon et de l’Élysée coulait à flot. Personne ne se posait de questions car à droite, c’était l’argent du CNPF et de la Mairie de Paris qui coulait, encore plus, à flot.
Démocratie 2000 était un club différent, on le disait « téléguidé par l’Élysée », espace « trans-courant », jeunes énarques repérés par Jacques Attali qui inspira certaines options de la contribution, l’une des moins pauvres de ce congrès. Le thème central était la question toujours en suspens : si nous acceptons les règles qu’imposent l’exercice du pouvoir, de quels leviers disposons-nous, quelles sont les transformations possibles, et par conséquent, nécessaires… Parmi ses signataires, Ségolène Royal, Francois Hollande, Martine Aubry. Les vrais héritiers.
Je présentai donc le texte de Mauroy avec le camarade et ami que je m’étais fait au MJS, David. Il était très fin, très amusant, et j’admirais sa culture.
Bisexuel…
Rocard fit cavalier seul et la rocardienne Violette Bakovic entra au bureau de la section sur sa contribution (le PS est un parti démocratique où les postes sont attribués à la proportionnelle sur la base des textes soumis au vote). Au titre de la contribution Mauroy, j’entrai au bureau. David, lui, prit place en CA et devint secrétaire du MJS local pendant que Philippe Aymard devint secrétaire de section. Le MJS prenait la section! Les amis de Julien Dray était marginalisés même s’ils restaient présents.
Un soir, en petit comité, je fis une première tentative de coming out. Je voulais voir les réactions. Je dis donc que j’étais bisexuel. Ça peut paraitre bizarre, mais bisexuel, ça me semblait « moins pire » car c’était « à moitié hétérosexuel ». Dans les cités, à mon époque, mes copains Algériens raisonnaient comme ça. « T’aimes un peu les filles, quand même, hein… ». Cependant, un mois plus tard, Philippe me demanda si j’avais déjà eu une copine et je répondis que non. On en rit pas mal. J’étais désormais outé. David, lui, n’avait rien dit, mais il avait entendu. L’été 1987, il débarqua chez moi avec un Gai Pied, et il fit son coming out. Quand il s’est éloigné de la section, il s’est investi dans le Beit-Averim qu’il a présidé pendant trois ou quatre ans…
Il y eu une université d’été durant l’été 1986 réunie autour de Pierre Mauroy. Je me souviens d’une vieille militante détestant Laurent Fabius qu’elle accusait d’être un « radicreux » (appellation socialiste pour les « radicaux » dans les années 30, un peu équivalent de socialope, ou de Verts moulus). Il y eu une rencontre entre « jeunes » mauroystes. À trois d’entre eux qui me demandaient quelles étaient les options politiques, je leur dis que plus jeune j’avais été proche des militants de LO, du PSU et de la FA, mais que j’étais social-démocrate car je ne croyais pas en la révolution, mais que, dans le fond, j’étais un peu communiste. Ce fut un électrochoc pour mes interlocuteurs dont l’un d’entre eux, Bruno Le Roux, voulant jouer au bon élève alors que Pierre Mauroy passait par là, saisit l’ancien premier ministre et lui rapporta mes propos. Ça le fit rire, il me mît la main sur l’épaule, puis il passa son chemin. Bruno Le Roux était vanné. Son camarade Franck Contat aussi, mais son attitude fut assez différence. Il chercha à en savoir un peu plus. Par la suite, nous nous rencontrâmes assez souvent, il était ami de Philippe. Pour le reste, je garde assez peu de souvenirs, si ce n’est que, tout de même, cette Université d’été était chiante à mourir.
Pour le congrès de 1987, nous présentâmes David et moi une contribution locale (elle comprend, au passage l’égalité des droits pour les gays), puis nous rejoignîmes le texte Rocard alors que nous avions été marqués « mauroystes » pendant ces deux années. J’aurais éventuellement aimé rejoindre Rocard plus tôt, mais j’en fus découragé par la rocardienne, Violette Bakovic, la personnalité qui a le plus marqué ma formation politique.
Violette Bokavic
Elle planifia une très belle prise de pouvoir : à quelques uns en 1985, nous allions arracher cette section des calculs de l’appareil, et devenir majoritaires en deux ans.
Les deux ans qui séparent le congres de octobre 1985 à octobre 1987, c’est l’histoire de combinaisons à géométrie variables dont Violette avait le secret, et de présence militante aux quatre coins de l’arrondissement, seul moyen de peser contre un appareil qui ne cessa d’interférer pour reprendre le contrôle. SOS tenta un dernier coup en envoyant son avocat Francis Terquem. À l’annonce de son arrivée prochaine, Violette Bakovic obtint du renfort de chez les rocardiens, dans l’indifférence des autres courants. Nous accueillîmes des militants venus du 15e, et au milieu un renfort de poids, Alain Bauer, au printemps 1987.
Violette Bakovic réglait son compte à l’appareil. Nous, nous voulions des débats théoriques. Nous en eûmes.
David et moi allions souvent chez elle. Nous y buvions beaucoup, elle nous détaillait sa stratégie, et puis nous racontait sa vie. L’UEC, la guerre d’Algérie, mai 68, Récanaty, le MLF, l’Espagne, ou le service d’ordre pour protéger le CUARH de la CGT en 1973. Elle nous fit écouter Léo Ferré, Il n’y a plus rien, nous conta la fin du gauchisme. Elle redoutait l’appareil, et son passé militant comme ses riches lectures, que ce soit Trotsky, Broué, Marx ou Bernstein, Luxembourg ou Stendahl lui permettaient de manoeuvrer. Fille d’immigrés Espagnols, professeur de français, elle était mariée avec un Yougoslave Chilien, Danko. Le pouvoir de Philippe s’affaiblissait au fur que s’affirmait l’influence de Violette. Elle ne le détestait pas, voyant juste en lui un pion de l’appareil mitterrandiste. Ce qui est rare en politique, ses intérêts convergeaient avec ceux des militants : elle avait besoin de la section pour exister, il lui fallait que la section reste indépendante car elle n’était pas de l’appareil.
Nous étions parvenus pour la première fois à faire plus de 34% dans l’arrondissement aux élections de 1986 : ce score accentuait la pression et accroissait les appétits.
Nous avions circonscrit SOS, mais un autre danger planait.
L’UNEF-ID
En avril 1987, Violette arriva en section, nous prit à part, David, moi et la responsable SR (le nom du courant de Jean-Pierre Chevenement, Socialisme et République). Dans Le Monde, un article parlait de « Convergences Socialistes ». Après la déferlante des ex-LCR de SOS Racisme, c’était désormais au tour de l’OCI, téléguidée par les mitterrandistes proches de Lionel Jospin pour reprendre la main sur les fabiusiens que SOS soutenait. On parlait de plus de 400 militants, et Jean Christophe Cambadélis ou Marc Rosenblatt pensaient atterrir dans le 10e arrondissement. Nous verrouillâmes les procédures d’adhésion. SOS, se sachant vaincu, se joint à nos efforts pour empêcher le débarquement de leurs ennemis historiques, les « lambertistes ». Violette aimait d’ailleurs appuyer sur « lambertiste » et rappeler qu’avec les « lambertistes », les désaccords politiques se réglaient « à la bâte de base-ball ». Elle souda toute la section et réussit à importer encore une vingtaine de rocardiens d’autres sections en encourageant le transfert de quelques SR de chez Georges Sarre. Tous se résignaient à voir la section passer dans son giron. Alain Bauer ne participa pas à cette guerre contre les ex-OCI de Convergences Socialistes, et pour une bonne raison.
Cette absorption dans le PS de deux ex-tendances trotskistes mettait en scène la MNEF et l’UNEF-ID : le point culminant avait été les manifestations de novembre-décembre 1986 contre la « loi Devaquet ».
Fin octobre 1986, une « jeune étudiante », passionaria anonyme comme sortie de nulle part, lança un appel à la grève de l’Université de Paris 13. Isabelle Thomas, membre de SOS, de QS et du PS, que nous avions « bloqué » dans la section du 10e, était née. Cette grève qui mobilisa la France étudiante, pour des raisons légitimes, permit de terminer à l’UNEF-ID et à la MNEF la prise de contrôle commencée en 1981 entre certains groupes trotskistes (Dray, Cambadélis) et certains membres du PS (Jean-Marie Le Guen).
Ces manifestations furent donc pour le Parti Socialiste et l’UNEF-ID une cuisine interne. « Apolitiques » aux tribunes, les leaders du mouvement se répartissaient les postes à la MNEF et à l’UNEF-ID, préparaient leur entrée au PS et, pour SOS, s’apprêtaient à entrer au conseil national du PS. Même le vice-Président de Paris I, Alain Bauer, tout en costume-cravate, chauffait les étudiants à Tolbiac. Il fallait « refuser la sélection ». Curieux quand on sait qu’il conseille Sarkosy depuis 2002.
Le mouvement terminé, la situation du Parti Socialiste allait complètement changer, ce ne serait plus le même parti. Si les amis de Julien Dray pouvaient être regardés comme des militants experts en jeux d’appareil, les ex-OCI allaient importer leurs pratiques, jusqu’ici absentes du parti : l’appareil uniquement, le verrouillage, la prise de contrôle, l’infiltration, la neutralisation par l’utilisation de réseaux. Jospin allait enfin avoir son courant.
Après être parvenus à bloquer Jean-Christophe Cambadélis et et Marc Rosenblat, le courant rocardien dominait la section, unifié dernière la personnalité particulière de Violette dont il faut reconnaitre toutefois que le comportement irrationnel et paranoïaque alimentaient des doutes sur ses capacités. Elle « les » connaissait, comme elle disait, et savait que tant qu’elle n’aurait pas de poste de pouvoir, conseillère de Paris, par exemple, elle pourrait être évincée à tout moment. Elle était donc de plus en plus manipulatrice. Chez les rocardiens, elle était en guerre avec Alain Bauer et Manuel Valls qui incarnaient ces liens avec la MNEF et l’UNEF-ID et, déjà, l’aile droite.
Les rocardiens
Le MJS était désormais un espace riche et varié, militant. Francois Geismar, le trésorier, avait fait adhérer son frère Pierre, récemment décédé. Certains soirs, ils nous racontaient leurs parents, Jean-Paul Sartre, ou Mimi Perrin.
Il y eut donc un raz-de-marée « rocardien » local au congrès fin 1987. Beaucoup « devinrent » rocardiens pour préserver notre autonomie. Pour y parvenir, car SOS avait jusqu’au bout représenté une menace, on avait fait adhérer nos amis. Je fis adhérer mon ami Olivier, et même Pascal Abel Basque qui, bien qu’il n’y milita que quelques mois, trouva un réel plaisir à la politique qui ne se démentit pas par la suite.
Mais tout cela me fatiguait. J’eu envie de tout plaquer à l’automne à la suite du krach boursier. Je ne parvenais plus à penser par moi-même avec tous ces jeux d’appareil. Je me repliai sur moi-même après avoir envisagé de quitter le PS pour rejoindre le PSU…
J’en fus découragé par Philippe qui me suggéra une autre idée. Il m’invita à adhérer au groupe sous-marin de la LCR que pilotait Jacques Kergoat. Notre MJS était une belle réussite, comme quelques autres en Seine Saint-Denis, et le vieux journaliste trotskiste s’etait approché en proposant un travail sur l’histoire du Parti Socialiste. Puis, de fil en aiguille, avait repéré ceux qui pouvaient éventuellement faire le pas et intégrer « le réseau ». Nous passâmes un week-end dans une maison dans la Sarthe, destiné à « discuter ». Je tentai de résister. Pour moi, ça avait toujours été très clair : le jour où je croirai une révolution possible, ce serait Lutte Ouvrière ou la Fédération Anarchiste.
Je fis le mort pendant deux semaines espérant que les camarades qui allaient tenter l’aventure comprendraient. Trois ans plus tard, je croisai Jacques Kergoat dans une manifestation. Je me dirigeai vers lui et il fit mine de ne pas me voir : il était persuadé que j’avais dénoncé leurs activités, peut être parce que je suis homosexuel et qu’à cette époque encore, beaucoup à l’extreme gauche pensaient que c’était un vice bourgeois qui disparaitrait après la révolution. Malgré toute sa culture, Jacques Kergoat n’était qu’un vieux con puant, homophobe. Un de ceux qui rapporta l’existence du « réseau » au PS me fit lire un jour un rapport interne de la LCR, et j’en éprouve depuis un mépris profond pour cette organisation, une organisation homophobe (je ne commente pas comment a été présenté le décès d’un de ses membres éminents), blanche et machiste, sectaire, juste bonne à infiltrer les associations qui marchent, les noyauter et les vider de leur énergie. DAL, Act Up…
Je finis par retrouver un équilibre, et la présidentielle arriva. Entre temps, mes prises de distance avec la section et avec la manipulatrice Violette m’avaient valu de me brouiller avec mon ami Olivier. L’amitié fut la plus forte, mais il me rapporta ce qui se disait dans mon dos. J’étais une folle, pas fiable.
L’idée selon laquelle la gauche est pour les homosexuels est une illusion. Des militants ouvertement homosexuels, comme moi, il n’y en vraiment avait pas beaucoup, et aujourd’hui non plus. Je ne trouvais aucun soutien sur ce sujet, notamment de la part de ceux dont je savais qu’ils étaient homosexuels dans la section, toujours très discrets dans l’espoir d’obtenir un poste qu’il n’obtiennent qu’à force d’obéissance, par cooptation.
Malgré tout, les quelques mois qui allèrent de février 1988 à juin 1988 furent une sorte de parenthèse enchantée. Je n’étais plus qu’à la CA, j’avais de nouveau du temps pour moi. Et j’aimais l’ambiance militante dans cette section. Nous collions désormais plus d’affiches que le RPR. Nous recouvrions leurs affiches de tout ce que nous pouvions, avec art. Nous avions confectionné des balais de 10 mètres, les militants du RPR n’en pouvaient plus. Nous finîmes par négocier une trêve que certains parmi eux rompirent. Nous nous vengeâmes de la pire façon : en se divisant en trois voitures. Deux pour coller, une troisième pour décoller leurs affiches en les suivant. Nous renegociâmes une trêve, qu’ils respectèrent. Le maire du 10e était Juif, et le RPR y était donc très anti-FN : un soir, nous nous nous partageâmes l’arrondissement pour recouvrir les affiches Le Pen : sur cette base, on avait fini par nous entendre relativement bien avec eux.
Les vrais militants respectent les vrais militants.
Eux étaient un groupe masculin, nous étions un groupe mixte avec autant de filles que de garçons, quelques Juifs, deux Kabyles, un Comorien et deux pédés outés. C’était pas si mal…
Je ne votai pas pour Mitterrand au premier tour en 1988 : ce n’était pas possible. J’avais fait sa campagne, c’était déjà pas si mal, mais quand on s’appelle Ben Chikh, on ne vote pas pour l’ancien ministre de l’intérieur de la quatrième république, eut-il changé, au premier tour. Je choisi Arlette Laguillier. Je n’ai eu en revanche aucune hésitation au deuxième tour. Il fit un beau score dans l’arrondissement, et notre section était désormais une grosse section.
Cela n’empêcha pas la Fédération de Paris, pilotée par les mitterrandistes désormais fusionnés avec les ex-OCI, en accord avec l’appareil rocardien, de planifier un parachutage. Le nom de Marc Rosenblatt refit surface. Violette Bakovic fit jouer ses relais et elle alla chercher elle-même un candidat avec l’aide de Philippe Colanéri, un papy qui, l’air de rien, était Grand Maitre du Grand Orient, et appartenait à l’aile gauche du courant. Gilles Martinet fut notre candidat et il souda la section derrière lui. Résistant, fondateur de France-Observateur, opposant à la guerre en Algérie, ami de Rocard et de Mendès, écrivain. J’étais sous le charme, je devins permanent pour un mois. C’est la seule fois où j’ai accepté. Martinet racontait notre histoire, il avait une culture incroyable.
Les bénévoles
Souvenir. Il faut savoir que quand vous allez voter, les gens qui vous font signer, derrière l’urne, sont des bénévoles qui chacun représente un parti politique. Un militant. À cette époque là, à Paris, lors des élections, seuls les assesseurs RPR avaient droit à un plateau repas municipal. Les autres assesseurs devaient se débrouiller. Longtemps, les socialistes mangeaient de vagues sandwichs. Avec Philippe, François, Violette et David, en 1986, nous avions organisé un meilleur ravitaillement, avec des fruits, des croissants le matin, du café. Comme je vous l’ai écrit, le principe était de mettre les compétences en commun. Pour les législatives de 1988, nous nous dépassâmes, car malgré des divergences et des ambitions différentes, nous avions le sentiment de partager notre section, et que le candidat était vraiment notre candidat. Nous nous réunîmes donc un samedi après-midi. Nous préparâmes des salades, des rôtis, et des plateaux repas. Le lendemain, nous eûmes le choix entre café, thé ou chocolat avec nos croissants, le midi nous avions deux types de plateau repas, on devait « passer commande » vers onze heures pour que des camarades volontaires au ravitaillement les préparent. Nous eûmes un goûter et le soir une collation, à ce moment où il y a le dépouillement, et où ça creuse un peu. Le RPR, qui avait pâli durant toute la campagne de nous voir si unis, eut la malchance de recevoir vers midi une mauvaise nouvelle : leurs plateaux repas étaient contaminés. Ils ne mangèrent que vers 16 heures.
J’eu du mal à ne pas en rire.
Nous n’avons pas gagné, mais pour la première fois, la droite était en ballotage dans l’arrondissement, de nombreux quartiers avaient basculé, et nous avions dépassé les 45%, un score inimaginable dans ce bastion du RPR. Avec Martinet, de vieux réseaux militants du PSU, de la CFDT, du Nouvel Observateur, mais aussi les associations de quartier (comme La Gazette du Canal, animée par Hervé Latapie) dialoguaient avec nous. Nous étions une force militante riche, variée, ouverte, mixte et à ce titre, incontournable. Nous étions convaincus que nous pouvions gagner la municipale, l’année suivante.
Hélas, rien de pire qu’une presque victoire d’une équipe militante dans un parti reconverti aux pratiques d’appareil du syndicalisme étudiant. Surtout avec la personnalité paranoïaque de Violette Bakovic. Après maintes péripéties qui m’éloignèrent progressivement de la section, j’appris que l’appareil du parti organisait le parachutage du secrétaire d’Etat auprès de Michel Rocard, Tony Dreyfus, propriétaire d’un imposant cabinet d’avocats dans le 12e arrondissement et résident du 7e arrondissement. Il débarqua avec une vingtaine de types en costumes cravattes. Et négocia une liste municipale à sa façon. À partir de février 1989, de gigantesques portraits de lui sillonnaient l’arrondissement sur de gros camions. Il y avait ses pins façon bébête show, ses badges. La campagne coûta « officiellement » 600.000 francs, soit trois fois plus que celle de Gilles Martinet un an avant, il y avait un local à côté de la mairie, avec trois permanents dont je ne connaissais personne et m’accueillirent une fois que je passais par là comme un espion venu du RPR et me renvoyèrent presque avant qu’un militant n’arrive et ne me reconnaisse. L’argent de Matignon coulait à flot. Ça me dégoutait. Les électeurs du 10e non plus ne comprirent pas, et le résultat fut sans appel : 35% pour toute la gauche. Mais « Tony » venait de se faire élire conseiller de Paris, et il s’apprêtait à dégager Violette Bakovic. Il redistribua des postes, ce moyen éternel d’acheter les militants un peu naïfs, et divisa les rocardiens puis, s’appuyant sur les mitterrandistes jospiniens, assit son contrôle. C’est cette tendance qui dirige le Parti Socialiste jusqu’à nos jours, et elle a été expérimentée dès 1989 dans le 10e pour « rendre » la section à l’appareil. Le congrès de Metz fut l’occasion pour Tony Dreyfus d’accroitre son influence en plaçant ses pions dans le bureau et la commission administrative. Il laissa, toutefois, le secrétariat à Violette pour ne pas l’attaquer de front.
Dreyfus s’achète la section
Je me souviens de Tony Dreyfus me répondant alors que j’étais venu, au cours des débats du congrès de Metz, exceptionnellement défendre la contribution de Homosexualité et Socialisme, en insistant sur l’épidémie de sida et la nécessité d’adopter rapidement une loi instaurant un partenariat civi. Il répondit à sa façon, en blaguant, « sacré Madjid », que la tontine pouvait suffire pour régler les problèmes de succession liés au décès d’un partenaire. Je le haïs, et je le hais encore.
Je revins en section en décembre 1990. Pour voir. La guerre du Golfe allait commencer, Tony Dreyfus sortait la propagande officielle. Seul un courageux militant, folle comme c’est pas permis, Michel Roussel, critiquait. Violette Bakovic n’était plus que son ombre, elle savait qu’elle avait perdu. La réunion se tenait dans une petite salle, comme quand j’adhérai en 1985 : il y avait des costumes cravattes, et beaucoup moins de militants.
La guerre vit partir les derniers chevènementistes, Dreyfus avait gagné. Il tenta une manoeuvre dont j’ai entendu parler mais que je maitrise mal : je sais juste que Violette « passa chez Fabius » pour obtenir une protection, il obtint de Lionel Jospin, ministre de l’éducation, sa mutation en province. D’une section ouverte sur l’extérieur, sur le monde, militante, l’appareil avait fait une coquille vide destinée à prendre le pouvoir. Un appareil qui ne voyait pas que le monde changeait, et qui ne le voit toujours pas.
Le sida, d’abord. Act Up n’était pas encore l’association qu’elle allait devenir, mais pour moi, depuis 1989, elle alimentait mes doutes, mes réflexions. Mon ami Olivier, contaminé en 1990, la rejoignit et m’invita à nous retrouver un matin vers Notre Dame. Ce fut mon premier zap. Je ne comprenais pas l’action, mais je retrouvai devant la cathédrale, alors que dedans il se passait des choses, ce que j’avais toujours aimé dans le militantisme. Les sourires de connivence, la satisfaction d’« être là ». Peut de temps après, Olivier me téléphona, il voulait que j’adhère car il n’avait pas confiance dans la direction. Il se sentait « manipulé », il voulait connaître mon avis. J’adhérai. J’assistai à une réunion où Rocard, le PS et l’AFLS s’en prenaient plein la vue. Je n’étais pas d’accord sur un point : l’AFLS, c’était les associations bref, il aurait aussi fallu taper sur les associations. Mais en même temps, j’entendais exactement ce que je pensais du bilan de ce 2ème septennat. Des Renault 25 avec des passagers en costumes cravates qui traversaient Paris avec escortes. Voilà ce qu’était devenu ce parti, mon parti. Concernant Act Up, j’expliquais à Olivier qu’à priori il y avait trois groupes qui visiblement s’opposaient, mais que c’était naturel, et que Didier Lestrade tâchait de garder la cohérence. Je n’ai jamais rien eu contre cela, à partir du moment où le contrat « militant » est rempli, comme au temps de Violette. Je n’étais pas séropositif, mais je continuai à fréquenter les AG pour donner des coups de main. Pendant les poses cigarettes, je surmontais une timidité que ma séronégativité exacerbait, et je bavardais. Je participai à quelques collages, je participai au picketing devant le ministère de la santé.
Et puis j’avais gardé le contact avec un petit groupe, en gros ceux du « réseau » de la LCR au PS. Ils s’étaient tous regroupés au sein du courant de Jean Poperen pour faire une « aile gauche » opposée à la guerre en Irak. J’y retrouvai entre autres Franck Contat, et fis connaissance d’une apparatchik de l’UNEF-ID qui me détesta à la première conversation, Sylvie Scherrer. Ce fut réciproque. Je l’ai suivi, dans le 10e, sur les professions de foi à chaque élection, dans des formations politiques différentes où elle dégommait le PS, pour mieux devenir ensuite conseillère de Paris, avec Tony Dreyfus.
Ils causaient, ils causaient. Ils étaient tous imprégnés de culture d’appareil, leur critique sociale était abstraite, et ils me faisaient chier. Pour leur « apprendre la vie », je leur suggérai de venir diffuser des tracts à une manifestation d’Act Up. Ce fut houleux. Sylvie Scherrer était contre. Mais finalement, ils acceptèrent. Nous y entrainâmes une sénatrice popereniste, Maryse Berger-Lavigne, ainsi que Jean-Yves Autexier, conseiller de Paris, chevènementiste, et homosexuel.
Je pense que ce que ce groupe les troubla. Ils attendaient une manifestation, ils virent Act Up, une force militante montante pointant d’un doigt accusateur une maladie qui révélait tous les dysfonctionnements de la société, sorte de bilan involontaire de 10 ans de socialisme. Ils étaient troublés. La sénatrice fut bouleversée par le die-in. Elle me dit, des sanglots dans les yeux, « il faut faire quelque chose ». Jean-Yves Autexier, d’abord un peu mal à l’aise, était lui aussi bouleversé. Je pris une photo, on y voit son désarroi.
Je quittai le petit groupe militant. J’appris plus tard que l’un d’eux avait commencé à prendre ses distances, Franck Contat, mais que ce fut comme les procès de Moscou.
Pour moi, cette manifestation me confirmait que les cercles militants, à gauche comme à l’extrème-gauche ignoraient ce qui se passait autours d’eux.
Voter ailleurs
En 1993, je m’apprêtais donc à ne pas voter socialiste, comme aux régionales de 1992, où j’avais voté pour les listes Waechter.
Dans le dixième, avec le départ de Violette Bakovic, les guerres intestines, le départ de Chevènement, les scandales à répétition, le sang contaminé et la politique conservatrice de Pierre Bérégovoy, la section s’était vidée. Tony Dreyfus, désigné par lui-même pour être candidat, se désista en janvier, les sondages prévoyant une bérézina. Il céda la place à son suppléant, la folle que j’avais vu s’opposer à la guerre du Golfe en 1990. Michel Roussel. Un catholique de gauche, cédétiste.
Celui-ci, aidé des dernier cinq militants, confectionna son propre programme : 35 heures, partenariat civil. Je le croisai qui distribuait ses tracts, et je me décidai à lui donner un coup de main. Rocard putscha le parti, se déclara pour un « big bang ». Nous réactivâmes les réseaux de 1988, et d’un petit groupe, nous atteignîmes rapidement les cinquante personnes. Je me retrouvai coopté à l’accueil des nouveaux adhérents. Michel, militant ouvertement outé, me disait qu’on était la section la plus folle de toute la France et qu’avec moi, en plus, on avait un Arabe. Généralement, ça me file de l’urticaire, mais venant de lui, je comprenais parfaitement ce qu’il voulait dire. D’autant qu’il avait corrigé, « enfin, un Berbère ». Il avait travaillé au lycée d’Alger.
Non seulement nous mîmes la droite en ballotage, mais nous dépassions le score de 1986. De nouveau, les associations se rapprochèrent de nous, il y avait des volontaires pour prendre des tracts. Le soir du premier tour, à cinq, dont trois pédés, deux outés (Michel et moi) et un « çassait » (Michel Ottaway), nous allâmes à la Fédération de Paris rédiger la déclaration de foi pour le deuxième tour. Les copines Patrick Bloche et Bertrand Delanoé n’en revenaient pas. Le 10eme avait passé le premier tour, avait fait un score qui n’avait rien à leur envier. En riant, nous parlions de Marx, de mariage gay et de couscous en rédigeant le document, nous étions euphoriques. Eux, non.
Au niveau national, hormis Ségolène Royal qui fut réélue en progressant par rapport à 1988, le résultat du deuxième tour fut vraie une chasse d’eau javellisée sur des toilettes pas très propres. Le message était clair. Et pour nous aussi, le message était clair. Nous pouvions battre la droite.
Alors Tony Dreyfus revint, discrètement d’abord, puis de plus en plus visiblement, il donnait l’impression d’arbitrer, affirmant son emprise sur les nouveaux adhérents qui ne connaissaient pas la mécanique du pouvoir. Ses assistants en costume cravates aussi revinrent. Puis de jeunes militants de l’UNEF ID et du MJS, parmi lesquelles un très jeune garçon obéissant qui allait devenir son héritier coopté, l’actuel maire du 10e, Rémy Féraud. Je quittai la section en juillet pour ne plus y revenir. Ils avaient de nouveau tous les postes, et Michel était mis sur la touche de façon visible. Il abandonna en 1995 : Tony Dreyfus lui proposa la dernière place de la liste municipale, celle dont on dit qu’elle est honorifique, qu’elle « pousse la liste ».
Au niveau fédéral, Jean Marie Le Guen, député du 13e depuis 1988 après que Paul Quilès lui eut cédé la place en devenant ministre, avait repris la Fédération en main. Un plan drastique d’économies était en cours pour la désendetter. L’UNEF-ID et de la MNEF avaient triomphé. Ayant besoin de taper des documents dans les nouveaux locaux, je fis connaissance de Stéphane Martinet, qui relançait Homosexualité et Socialisme. Patrick Bloche et Michel Charzat n’avaient pas suivi Jean-Pierre Chevènement, ils étaient désormais membre de ce courant informe, le courant jospinien en devenir, fait de rocardiens, d’ex-OCI, d’ex-UNEF-ID et d’ex-MNEF.
Les divisions claniques du parti conduisirent un certains nombre de socialistes, pour la plupart Fabiusiens, à se présenter aux élections européennes de 1994 sur les listes Radicales de Bernard Tapie. Sitôt les élections passées, un nouveau putsch conduisit au pouvoir les derniers quarterons mitterrandiens, soutenus par les Fabiusiens. Ce fut la fin de la carrière de Michel Rocard. Et par conséquent, la fusion définitive de son courant avec les Jospiniens. Henry Emmanuelli devint premier secrétaire, sorte de miroir crépusculaire, au Parti Socialiste, de la phase finale du septennat.
Jospin candidat, l’appareil aux commandes
Lionel Jospin n’eut donc aucun mal à être désigné candidat à l’élection de 1995 : il avait avancé ses pions patiemment depuis près de 10 ans, et s’était « retiré de la vie politique » en 1991, laissant à d’autres le soin de gérer cette fin de règne et d’écrire un livre rempli de banalités destiné à se présenter comme un homme simple, nouveau, et moderne. Les militants se jetèrent dans ses bras tant Emmanuelli leur semblait usé et peu crédible.
Jospin trouva donc un courant taillé à sa mesure, des têtes renouvelées venues directement du syndicalisme étudiant et de l’OCI, du 18e arrondissement, du rocardisme et des ministères : l’ancien ministre de Pierre Bérégovoy Dominique Strauss-Kahn, l’ancien OCI et fondateur de la coquille bureaucratique « Le Manifeste » Jean-Christophe Cambadélis, Pierre Moscovici, Jean-Marie Le Guen, la fille de Jacques Delors Martine Aubry, l’ombre de Lionel Jospin et ami de Dalida pas encore outé Bertrand Delanoé, et la conseillère de Francois Mitterrand Élisabeth Guigou. Le renouvellement des têtes et son discours simple le placèrent en tête, contre toute attente, au premier tour. Il réalisa l’honorable score de 47% au deuxième tour.
Il reprit sans difficulté le parti en main sitôt l’élection passé. Les querelles du passé, rocardiens contre le monde entier, avaient disparu. Seul Laurent Fabius était marginalisé…
Comme je l’ai déjà écrit, vers 1992/93, j’entamai une analyse. À la rentrée 1993, je me décidai à reprendre mes études. Parallèlement, je travaillais en CES pour une compagnie théâtrale, un cirque, pour être exact. J’étais RMIste.
À l’Université, je retrouvai le même appareil qu’au PS. À Tolbiac, les militants UNEF-ID étaient au 12e étage. Certains étaient permanents, payés par la MNEF. On ne les voyait jamais en cours, sauf pour venir se plaindre que « c’est dégueulasse ». On voyait leurs affiches écrites au marqueur, avec des fautes d’orthographe, leur vocabulaire clos. Invisibles physiquement, ce que l’on voyait d’eux était crade. Je confectionnai quelques affiches à l’esthétique particulière, je les signai Arnantulfe Blazor, et SPONT’EX, comme Spontané et Existentialiste. Je venais de dévorer presque tout Beauvoir et durant l’été, France Culture avait retracé l’histoire de la résistance.
Je rencontrai pas mal de gens, et SPONT’EX eut son heure de gloire. Un groupe qui fut classé comme « situationniste » parce que nous nous nous appelions SPONT’EX, et que nous utilisions tous les médias possibles pour introduire du débat politique. Nous fûmes partie prenante et leaders de la grève à Tolbiac contre le CIP, et fûmes suivis par une équipe de Canal Plus qui, finalement, ne diffusa pas les images. Je rencontrai également une journaliste qui nous suivit pour la collection Combien de Divisions, qui avait également publié un livre sur Act Up, et préparait une enquête sur « les étudiants ». Un type de l’UNEF-ID vint me voir un jour et nous proposa de travailler ensemble, de faire des choses. Les SPONT’EX ne savaient pas trop quoi en penser mais ma réponse fut très simple. Commencez par faire quelque chose, on verra si on peut travailler ensemble. Nos relations s’arrêtèrent là. Je raconterai ça un jour… Nous ne continuâmes pas l’année suivante, ce n’avait pas été le but. Cette expérience m’avait fait revivre, cheveux blonds platines et idôle des foules…
La main à la pâte
En septembre 1995, je proposai donc à d’anciens SPONT’EX de créer une section socialiste à la Sorbonne. Ils étaient septiques, mais je leur expliquai que d’abord, on nous ficherait la paix, qu’ensuite j’étais connu au PS et que ça ne poserait aucun problème.
J’imposais le nom : ce serait la « Section Socialiste de l’Université Panthéon-Sorbonne, Charles Louis Secondat, Baron de la Bresdes et de Montesquieu ».
L’extrème gauche et les socialistes de l’UNEF-ID ne nous prirent pas au sérieux car ils n’avaient pas pris SPONT’EX au sérieux : nous ne squattions pas au 12eme étage de Tolbiac. Seuls deux militantes du SCALP que j’aimais beaucoup et un militant de LO me signifièrent une certaine déception.
Mon camarade et désormais ami Nicolas et moi déposâmes la section, j’eu une vague discussion avec Jean-Marie Le Guen et ce fut fait. Puis nous rédigeâmes un tract « en mode majeur », entièrement positif, sans aucune formule négative. Nous nous mîmes d’accord sur notre devise : contre le capitalisme et sa société brutale et archaïque, pour une société douce et moderne.
Autant les étudiants à la Sorbonne réagissaient assez bien, autant les socialistes de l’UNEF-ID et le MJS « rive gauche » l’avaient mauvaise : nous diffusions beaucoup, pas eux, et nous parvînmes à trouver des militants. Et quand les jeunes FN vinrent distribuer, c’est aux côté du SCALP que nous nous retrouvâmes à impulser une gigantesque mobilisation spontanée en allant vider les amphithéâtres au cri de « les fachos sont là », ce qui nous valut un respect unanime. Sauf au MJS, justement, et leur annexe, l’UNEF-ID.
Concernant l’appareil, j’expliquai à mes camarades un principe simple : on ne va pas se prendre le chou à choisir tel ou tel courant, de toute facon, les textes sont idéologiquement extrêmement pauvres. Débattons. Nous commençâmes chichement, je ne voulais pas passer par l’UNEF-ID pour les salles. Nous finîmes par nous réunir au sénat, ou à la Fédération.
Nos meilleurs moments furent une réunion sur la guerre civile au Congo-Zaïre, qui réunit plus de 40 personnes de plusieurs sections parisiennes ainsi que des membres de l’opposition, la publication d’un 6 pages un jour après l’annonce de la dissolution en 1997, un tract format A6 lors d’une manifestation anti-FN qui fut cité par les Inrockuptibles, une présence remarquée lors de la manifestation de Strasbourg en février 1997, deux passages à l’émission de Gildas grâce à la journaliste rencontrée lors des événements de 1994. Nous ne nous mêlions pas de courants, nous ne gênions donc personne. Jean-Marie Le Guen nous regardait d’un oeil bienveillant. De rien du tout, rassembler une quinzaine de cartes en un an, c’était un beau résultat. Mais le MJS et les jeunes apparatchiks nous considéraient comme des intrus.
Après le retour de la gauche, nous votâmes une motion pour la régularisation des sans papiers quand déjà le parti s’aplatissait. Elle fut remarquée, nous eurent quelques soutiens à la Fédération, dont un député. Je transmis les clefs à l’un d’entre nous, je ne voulais pas garder le pouvoir. Je commençai de mon côté à m’intéresser à la commission internationale. À l’Algérie, en particulier.
Crise Algérienne…
Et j’arrive à ma vraie rupture, définitive, avec le Parti Socialiste, en 1998, un moment extrêmement douloureux pour moi, très éprouvant.
Mes trois années de secrétaire de section à la Sorbonne, une section que j’avais créée pour y faire un peu ce que je voulais, loin des « courants », furent interrompues devant l’implacable logique d’un appareil devenu autiste, rigide, verrouillé.
La guerre civile Algérienne atteignait en 1998 des proportions intolérables.
L’histoire était simple. Le parti unique FLN était dès le départ partagé en tendances antagonistes que le raïs, Houari Boumedienne, arbitrait. À sa mort, le FLN, parti unique, fut le théâtre de divisions et de luttes internes violentes: la manne pétrolière représentait des fortunes pour ceux qui mettraient la main dessus. Le Président Chadli émergea. Sa présidence fut marquée par un rapprochement de l’Algérie avec les USA d’où, à son retour de voyage officiel, il rapporta l’idée de faire peindre tous les taxis en jaune. Il encouragea la tendance conservatrice au sein du FLN, et on sait maintenant que ses proches initièrent les émeutes de 1988 qui conduisirent à la démocratisation de 1989. Son but était d’encourager l’intégrisme religieux, le FIS, pour rendre le système politique ingérable et garder le pouvoir politique. À partir de 1990, Alger était livré à des fanatiques qui fanatisaient une jeunesse en déshérence.
Le FIS gagna les municipales, interdit les maillots de bain aux femmes, le raï à Oran.
Parallèlement, une presse incroyablement libre avait vu le jour, et politiquement, les Berbères furent heureux d’accueillir l’opposant historique Hocine Ait Ahmed, qui reprit les rênes du Front de Forces Socialistes, FFS, membre de l’internationale socialiste. Le retour de ce héros de la guerre de libération nationale après un exil de 40 ans fut diversement apprécié, et beaucoup de militants de l’époque de la clandestinité refusèrent cette reprise en main, quittèrent le FFS et créèrent le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, RCD. Le Mouvement Culturel Berbère, créé en 1980, se divisa entre ces deux tendances. La position de l’un trouvait toujours la position opposée chez l’autre.
Le RCD boycotta les élections législatives de décembre 1991, arguant qu’elle étaient truquée et que le climat de terreur que faisaient régner le FIS ne permettait pas une réelle transparence. Le FFS se présenta, et espérait remporter 17 sièges au deuxième tour, mais le grand vainqueur fut le FIS qui, grâce à la forte abstention, 50%,, remporta 45% des voix. Le lendemain du premier tour, les associations de femmes, d’écrivains, le RCD, le petit Parti Communiste et d’autres mouvements se retrouvèrent à plusieurs centaines de milliers de manifestants pour demander l’arrêt du processus électoral. Le FFS organisa de son côté des marches pour demander la poursuite du processus.
Au FFS, l’idée était que le FIS ne pourrait pas faire ce qu’il voudrait, que sa victoire chasserait les généraux et le FLN et qu’après une période instable, les Algériens choisiraient d’autres partis. Au RCD et dans les organisation qui marchèrent, la crainte était que les violences que l’on avait vu se multiplier depuis 1990 se développeraient et que ce serait vraiment une chasse ouverte aux démocrates.
Les deux arguments sont fondés, ils reposent chacun sur des arguments sensés. Me concernant, je me sentais plus proche du RCD : je suis homosexuel, et je réagis en homosexuel. Or, les prêches hystériques de Ali Belhadj et Abassi Madani n’étaient pas équivoques. Ce qui arrivait était pour moi une catastrophe.
Le processus fut arrêté. L’opposant historique Mohammed Boudiaf fut rappelé de son exil par les généraux et mis a la tête d’un exécutif provisoire que le RCD et les organisation de « démocrates » soutinrent. Le FFS s’y opposa. Il découvrit l’ampleur de la corruption et se décida à « sauter une génération » politique tout en faisant la chasse aux mafias. Il fut assassiné en juillet par un membre de l’armée. Intégriste pour les uns, aux ordres des militaires pour les autres. La guerre civile commença. Intellectuels, syndicalistes, féministes étaient assassinés.
En 1995, le FFS mît au point une plateforme politique avec le FLN, désormais opposant à la tendance au pouvoir pourtant issue de ses rangs, le FIS et le Parti des Travailleurs, Trotskiste. Ce texte prévoyait une amnistie des crimes commis, une libération des leaders du FIS. Ce texte radicalisa le RCD à soutenir encore plus la politique dite d’éradication du FIS.
… et rupture sans retour
Quand je commençai à aller en commission internationale, je découvris que le PS soutenait intégralement le FFS et sa plateforme, appelée accords de Rome, ce qui me surprenait : le PS commençait en France à développer un discours anti-islamiste.
Seul, je m’invitai à une réunion du RCD, je rencontrai des gens, et même Saïd Saadi, le président du RCD, deux fois. Son intelligence me rappela immédiatement celle de Michel Rocard. Je rencontrai souvent Rafik Hassani, représentant du RCD en France. Nous bavardions, et je me rapprochai de groupes proches de cette tendance, communistes algériens, féministes en exil. Mon but n’était pas de les rejoindre. Je suis beaucoup fin que ça. Mon analyse n’aurait plus ni à l’une ni l’autre tendance.
Je suis Français. Mes urgences et mes problématiques ne sont pas algériennes. En Algérie, ma famille est partie prenante du mouvement Berbère, et parmi les quelques députés élus, il y avait mon oncle Madjid, mon homonyme, membre du FFS. Mon parti était le PS. Mon idée était de parvenir à introduire le RCD au sein de cette commission internationale, directement pilotée par le Bureau du PS et Pierre Guidoni, ami de Ait Ahmed, le président du FFS. Mon analyse était la suivante.
La situation Algérienne — un parti unique et un président calculateur, des généraux avides d’une mise sous contrôle des matières premières à leur profit, des islamistes ayant fanatisé les masses urbaines paupérisés par l’accaparement des richesses par quelques-uns, ainsi que des classes moyennes frustrées, les crimes de masse produits par ces 3000 « afghans », jeunes algériens partis s’entrainér en Afghanistan à la fin des années 80 et devenus incontrôlables, agissant en quasi-impunité, permettant au pouvoir de privatiser les entreprises sans que la population, terrorisée, ne réagisse — avait conduit les démocrates à des analyses différentes pour des raisons diverses, des « situations ». Il n’en demeurait pas moins qu’ils étaient tous les deux démocrates.
Mon idée était que le PS pouvait offrir un espace où les deux courants irréconciliables, en Algérie, pourraient dialoguer, car la vraie solution était, et reste toujours, la réconciliation des différentes tendances démocratiques, les « dialoguistes » comme les « éradicateurs ». Je dialoguais bien, moi, avec les uns et les autres. On pouvais au moins bien essayer.
J’allai a la préparation de la journée Un jour pour l’Algérie, en 1997, opération téléguidée par le PS, les amis de Jean-Christophe Cambadélis en particulier. La Fédération de Paris était fortement impliquée, le ministère de la culture poussait à fond. Je fis connaissance de Nadia Amiri, candidate Radicale en 1994. Nous discutâmes, elle était d’accord sur le fait que cette journée ne devait pas être purement sur la ligne du FFS (« c’est l’armée qui tue »), mais devait pointer la responsabilité des mouvements terroristes intégristes et réaffirmer la réalité d’une Algérie laïque, féministe et Berbère. Je la retrouvai une semaine plus tard et elle me tint cette fois le discours du PS, donc celui du FFS.
Oubliés la berbérité, la condamnation de l’intégrisme. J’appris aussi qu’elle était la compagne de Marc Rosenblat, et les élections européennes approchaient. Elle avait obéi.
Qu’on soit clair. Je ne sais pas qui tuait, en Algérie, et quelque part, je m’en suis toujours un peu fichu. Les intégristes tuaient et, au minimum, le pouvoir les protégeait. Il est certain que ces meurtres d’intellectuels, de militants et militantes démocrates arrangeaient la clique qui manipulait le jeu politique depuis l’indépendance. Mon point de vue est ailleurs. Je suis démocrate et pour la pluralité des vues. La division des démocrates est une aberration, quelque soit leur rapport aux islamistes ou à l’interruption des élections.
À la base, je le constatais. Les militants du FFS n’étaient pas si chaud pour une « réconciliation » avec le FIS, et les accords de Rome ne les excitaient pas. Et les militants du RCD, tout « laïcs » qu’ils étaient, admettaient qu’on ne décrète pas ce que pense le peuple, que ce qui compte est la promotion d’un projet culturel et l’éducation. Il était évident pour moi qu’à la base, le dialogue était possible car ces deux organisations avaient les mêmes origines politiques : l’opposition au parti unique FLN et la Berbérité. De plus en plus de Kabyles étaient quand à eux dégoutés par cette division qui avait ruiné la revendication berbère en la réduisant à un jeu politicien qui, finalement, n’arrangeait que les généraux en place et les intégristes, les deux frères jumeaux. Mahtoub Lounès, avant d’être assassiné, portait un regard anarchiste sur cette situation où il renvoyait dos à dos les partis, le pouvoir et les islamistes, après avoir un temps, lui aussi, soutenu l’annulation des élections.
Or il faut toujours, en France, que dans les questions étrangères on choisisse un camp. Me concernant, je pense que notre rôle, ici, aurait plutôt pu être d’encourager le dialogue et la pluralité. Par la suite, j’ai lu des articles de Nadia Amiri, devenue une « laique radicale », suivant encore une fois le PS. Voilà le problème de beaucoup de militants « Beurs » et « Gays ». Ils obéissent aux injonctions : lors de cet événement, elle défendit le dialogue avec le FIS, et la voilà depuis devenue passionariat laïque et défenseur de Caroline Fourest.
Je participai en pointillé à la journée, sans trop y croire. Je continuai de tisser une toile de relations, de gens aux opinions variées, réfugiés proches du FFS ou du RCD, ce qui pouvait être utile pour, un jour, organiser un débat contradictoire, une confrontation, des rencontres. Je fus invité par Gildas au sujet de l’Algérie et, dans les coulisses, je fus coatché et recoatché par des militants du FFS, extrêmement gentils. Nous n’étions pas d’accord, mais on était d’accord sur le point principal.
Le régime algérien était pourri jusqu’à la moelle. Et oui, en effet, l’état Algérien devait garantir la liberté religieuse et la pluralité culturelle, ce sur quoi les militants du FFS ne transigeaient pas. Je leur donnais d’ailleurs raison sur un point. La volonté d’« éradiquer » le FIS, au RCD, posait la problématique des 9000 prisonniers envoyés dans le sud du pays. Je rencontrai une militante RCD qui convenait qu’en effet, c’était problématique, mais que le vrai problème était que le pouvoir restait confisqué mais que si le pouvoir se démocratisait, alors ces prisonniers pourraient être jugés. Je ne trouvai pas les points de vue si éloignés.
La commission organisa une rencontre avec Yvette Roudy. Je me vis fermement signifier par Jérome Coumet, alors assistant de Jean-Marie Le Guen, pourtant habituellement amical, de « bien me tenir ». Le conseil venait de Jean-Marie lui-même. Mon activité à la commission lui était remontée, et visiblement, je faisais beaucoup de vagues.
J’assistai à la réunion, sage comme une image. Yvette Roudy disait exactement ce que je pensais, notamment sur la difficulté de militer pour le droit des femmes en Algérie du fait du terrorisme, et du besoin, peut être, d’accueillir en France certains militants directement menacés. C’était une revendication du RCD : obtenir des visas de quelques mois pour pouvoir venir « se reposer en France », sortir de l’hystérie là-bas, et retourner militer.
En matière d’hystérie, ma tante Daouia m’avait rapporté avoir vu un policier se faire tuer à bout portant par un type en gandoura, et tout le monde se cacher ou se mettre à plat ventre. En plein Alger.
La réunion suivante, je reçu l’appareil PS en pleine figure. Le fait d’avoir joué le jeu dans la réunion avec Yvette Roudy n’y avait rien fait.
Je pouvais bien créer une section « intellectuelle », à la Sorbonne, ça ne posait pas de problème. Mais avoir une vision, des idées politiques et commencer à agir pour les réaliser fut une autre affaire. Dans cette commission où les Algériens étaient des invités, où j’étais le seul Français d’origine Algérienne, j’avais agi comme j’agis toujours. Sans me cacher, en parlant d’égal à égal, pensant que le fait de ne pas rechercher le pouvoir suffirait à calmer les craintes éventuelles.
Choisir
Alors que je m’apprêtais à prendre la parole, Jocelyne Berdu, alors présidente de cette commission, m’interrompit.
« Madjid, tu dois choisir : est-ce que tu t’exprimes en tant que militant socialiste ou en tant que représentant d’une organisation politique étrangère? ». Je fus extrêmement surpris et choqué, je lui répondis que je parlais en tant que socialiste. Elle me signifia qu’alors, je devrais me conformer à la ligne du Parti qu’elle ne pourrait plus tolérer mes prises de positions, qu’il fallait choisir entre la France et l’Algérie.
J’y ai repensé il y a peu de temps, quand Marine Le Pen a critiqué la double nationalité. J’y repense à chaque fois que je les entends critiquer le voile et parler de laïcité ou de république.
Je n’y suis pas retourné. À cette époque, je donnais un coup de main à AMAL, association homosexuelle communautaire maghrébine. Et j’ai laissé tomber le PS. J’ai vu les videurs à oreillettes à « L’atelier de campagne », le « loft », de Jospin en 2002, et je n’ai pas voté pour cet appareil que j’avais vu briser des gens des années durant, qui m’avait pris comme d’autres pour un bouffon. Un appareil où les homosexuels, condamnés au non-dit, sont cantonnés à HES quand ils se visibilisent. Où la deuxième génération doit obéir aux représentations que l’appareil s’en fait, mais ne peut que très rarement afficher des vues indépendantes que lui auraient suggéré son vécu sous peine d’avoir à « choisir ».
J’ai choisi. Je n’ai pas fait de « carrière » car je ne voulais pas en faire, et en tout cas pas comme eux.
Ma conclusion
Tout d’abord ces trotskistes qui sont un des éléments centraux de ce récit. Que l’on ne s’y trompe pas, ils ont rompu avec le trotskisme depuis longtemps déjà, et ce n’est pas le trotskisme que je leur reproche. Je leur reproche d’avoir importé dans le parti les mœurs du syndicalisme étudiant, de considérer les militants comme de la chair à coller les affiches et à accepter leur domination.
D’avoir une immense culture politique qui ne leur a servi à rien d’autre que prendre et garder le pouvoir. D’avoir perdu toutes les élections présidentielles depuis qu’ils ont le contrôle de ce qui est devenu un appareil totalitaire, coupé des banlieues qu’ils n’aiment que lorsqu’ils ont peuvent les instrumentaliser, coupé de l’immigration qu’ils aiment représenter et façonner à leur image invariablement blanche, coupé des pauvres qu’ils regardent depuis leur jeunesse comme on regarde les poissons dans un aquarium tout en prétendant les défendre, mais en faisant tout, surtout, pour que ces pauvres, surtout les basanés, ne s’organisent pas eux-mêmes et ne pensent par eux-mêmes.
Ils ont abandonné le trotskisme pour n’en garder que le plus détestable trait : l’esprit d’appareil, l’esprit totalitaire de contrôle. Ils ont renvoyé ce parti aux scores nationaux de la SFIO et aux pratiques bureaucratiques de leur syndicat de prédilection, Force Ouvrière. Ils se sont répartis le gâteau en excluant les militants, et en se cooptant mutuellement.
Ensuite, ce parti lui-même, et ses dinosaures qui, tout soucieux de garder le pouvoir, on eux aussi concouru à renvoyer le PS à ce qu’il était avant Mitterrand : un parti de notables de province, vieux, avec des homosexuels invisibles et de gentils Mohammed, et des femmes qui, les bouches s’ouvrent, acceptent en silence depuis des années que l’un des possibles présidentiables se tienne avec elles comme on ne le permettrait à aucun autre homme. Un parti coupé de la société civile qui brandit le mariage homosexuel comme preuve de sa modernité quand pendant des années il a refusé jusqu’au PACS, quand il n’arrête pas depuis des années de parler des efforts à faire pour réaliser la parité sans avoir fait aucun effort réel pour la réaliser.
Ce n’est pas un hasard si le PS perd les présidentielles. C’est un parti détestable où on ne s’interroge pas pour savoir pourquoi les nouveaux adhérents ne restent pas. Un parti qui a vu partir de réels talents, comme récemment encore Pierre Larrouturou.
Je ne m’illusionne nullement sur EELV ou le PG. À d’autres de raconter.
Je suis simplement un socialiste qu’une clique bureaucratique a dépossédé, comme beaucoup d’autres comme moi, de son parti et à qui il ne reste que l’écriture pour tenter d’aider de faire du monde un endroit meilleur.