Minorités 129 | Pourquoi je n’ai pas voté Mélenchon

Paru dans la revue Minorités.org Dimanche 13 mai 2012.
J’ai voté François Hollande. Sans illusion aucune, avec réalisme. J’ai tourné la page du 21 avril 2002 quand, lassé du PS où j’avais milité, séduit par Christiane Taubira, j’avais laissé Lionel Jospin à son état major, à son Loft de la rue Saint Martin, à ses vigiles à oreillettes à leurs conciliabules et leur destin, oubliant qu’il s’agirait en fait aussi un peu de mon, de notre destin. Il m’a fallu me faire à un candidat sélectionné lors d’une primaire où les médias avaient choisi leur poulain, un des leurs, peut être, depuis qu’il s’était entiché d’une journaliste de Paris-Match lui ayant fait suivre un régime amaigrissant draconien dont on ne perçoit déjà plus trop les effets. Un candidat médiatique qui faisait suite à un autre candidat médiatique dont le destin fut stoppé net sous les feux de ceux là même qui l’avaient fabriqué.

J’ai voté avant tout pour sortir le sortant et sa clique ultraconservatrice. En espérant un jeu plus ouvert à la législative. Et parce que la gauche, après tant de défaites en rase campagne avait le droit de faire sa victoire. Une victoire lucide, mais une victoire tout de même. C’est grâce à des gens comme moi que l’on a pu penser au soir du 22 avril que le scrutin restait ouvert, que Hollande était « devant ».

Je m’étais promis de revenir sur la question du Front de Gauche. Minorités est le bon espace car je pense que beaucoup de ses lecteurs et lectrices se sont, au minimum, posés la question d’un vote pour Jean Luc Mélenchon.

Si je devais expliquer de façon simple ce qui m’a retenu de voter, j’utiliserais une métaphore culinaire. Je peux me contenter d’une baguette industrielle si j’ai besoin de manger. Il en va tout autrement de certains plats à l’aspect appétissant mais trop riches en certaines épices que je n’apprécie pas.

Hollande, c’est la baguette industrielle, et Mélenchon, ce ne sont pas les bonnes épices.

Avant lui Jules Guesdes, Guy Mollet, le PCF et Jean-Pierre Chevènement.

Jean Luc Mélenchon est un guesdiste.

Jules Guesdes était l’aile gauche de la SFIO, l’ennemi de Jaurès « trop réformiste » à ses yeux, mais qui vota les crédits de guerre en 1914 au nom de l’ « Union sacrée ».

Guy Mollet était l’aile gauche de la SFIO, ce qui ne l’empêcha pas, devenu premier ministre en 1956 et après une visite en Algérie, d’y envoyer le contingent, d’y couvrir la torture, les déportations et les crimes de masse, d’interdire les célébrations du 14 Juillet, ni participer à la rédaction de la constitution de la Vème République après le coup d’état de Charles De Gaulle.

Jean-Pierre Chevènement était l’aile gauche du PS, ce qui ne l’empêcha pas de pousser le lobby nucléaire avec le PCF et la CGT dès l’élection de 1981, puis d’évoluer vers ce républicanisme franchouillard, laïciste et « souverainiste ».

Les ailes gauche (à distinguer des mouvements révolutionnaires et anarchistes) se sont toujours caractérisées par un radicalisme politique hérité du Jacobinisme, avec sa vision centralisatrice de l’état et une vision totalitaire du rôle et de la place du parti. Un parti qui saurait tout, pour un gouvernement qui ferait tout, et que « le peuple » devrait suivre afin de « se libérer ».

Guesdes a dénoncé la lutte désespérée de Jaurès, la grève générale contre la guerre, car pour Jaurès cette grève devait être le fait du grand syndicat anarchiste de l’époque, la CGT, dans le respect de son indépendance et de ses objectifs propres. Plus tard, quand il fut créé, fidèle à la conception Guesdiste, le PCF mît la main sur la CGT, réduisant le syndicat à n’être qu’une simple courroie de transmission.

Mollet fit de FO, scission anti-communiste de la CGT en 1947, la courroie de transmission de sa SFIO ultra-gauche, sans pour autant y empêcher l’infiltration d’agents de la CIA.

Dans tous les cas, ce courant politique fut simplement ignorant de la question coloniale quand elle commença à se poser, faisant du socialisme une utopie blanche et européenne. Pire, elle se répandit en discours prétendument généreux sur l’apport de l’école de la république et du besoin de culture et de civilisation des populations colonisées supposées arriérées.

La question algérienne

Il n’y a aucun hasard à ce que ce fut un socialiste leader de l’aile gauche de son parti qui déclencha en Algérie une opération qui devait conduire à la mort de près d’un million d’Algériens en enrobant le tout d’un discours sur le progrès et la civilisation. Le PCF lui-même ne défendit pas le droit des peuples à choisir leur propre destin et à lutter pour leur indépendance. Jamais.

Pire, quand il commença à s’opposer à la répression en Algérie, ce fut d’abord pour dénoncer celle dont étaient victimes ses militants français. Il avait agit de même avec le réseau Manouchian durant la guerre.

La honte pour la gauche est que les indépendances furent le fait de la droite derrière le général De Gaulle.

Pour résumer, si je suis très heureux que la culture communiste ait enfin retrouvé une expression politique, il faut avouer que ce n’est pas ma culture politique pour la simple et bonne raison que les immigrés ont toujours été pour elle la cinquième roue du carrosse, cantonné à une place de victime que l’avant garde, dans son extrême générosité, aiderait. Certes, le PCF « défendait les étrangers » en tant qu’ouvriers, un groupe social abstrait limitant l’individu à sa position dans le rapport de classes, mais lors des guerres d’indépendances puis plus tard lors des grandes batailles pour les droits, le PCF cultiva un discours ambigu, paternaliste, parlant en leur nom en évitant de les montrer, surtout quand ils étaient originaires d’Afrique du Nord. À moins qu’ils ne leur envoient des bulldozers comme en 1980, car il y avait « trop ».

Et je ne parle même pas du droit des homosexuels. Ni des liens très étroits avec le lobby du nucléaire qu’il cogère via le comité d’entreprise d’EDF.

Je me souviens d’une affiche du PSU en 1981 : le visage d’un Algérien illustrait la revendication d’égalité des droits des étrangers. Un « Arabe », un crouille, un bicot, un melon… Quel courage, quand partout ailleurs à gauche les incantations « progressistes » étaient invariablement le fait de visages bien blancs. Huguette  Bouchardeau, candidate du PSU en 1981, fut censurée à la télévision pour avoir voulu laisser parler un homosexuel, et invita une autre fois une chaise pour illustrer la situation faite aux immigrés…

Pas un hasard. Le PSU avait été créé durant la guerre d’Algérie, par des socialistes modérés, comme Michel Rocard, Pierre Mendes France ou Alain Savary, mais fermes sur des principes de base, un parti qui au lieu de s’ériger en avant garde, su s’ouvrir aux revendications de la société au point de presque se confondre avec les luttes régionales, les luttes des immigrés, les luttes des femmes, les luttes des homosexuels…

La marque d’une autre culture politique (discours sur les deux cultures, Michel Rocard). Un parti conçu comme un relai politique. L’autogestion, l’autonomie. C’est au patient, local, des militants du PSU que l’on doit le basculement, durable, à gauche, de la Bretagne, pourtant longtemps ultraconservatrice et ultra catholique.

Je suis rentré au Parti Socialiste, comme un peu tout le monde dans ma génération, il n’y avait plus que ça… J’y ai « bien sûr » été rocardien. Je l’ai quitté 10 ans avant Jean-Luc Mélenchon (après l’avoir quitté puis rejoint de nouveau). Et j’y ai été allergique aux ailes gauche de l’époque, de Jean-Pierre Chevènement à Julien Dray.

L’enthousiasme de ceux qui ont suivi l’aventure du Front de Gauche m’a pourtant fait plaisir, mais même si certains mots de son candidat ont touché juste, je reste sceptique. Trop d’ambiguïtés voire des points de désaccord profonds.

Les épices.

La fusion du PCF et d’une aile gauche du PS célèbre les retrouvailles de toutes les familles du Guesdisme.

J’ai toujours été allergique au Guesdisme.

Le discours du Front de Gauche soulève des questions qui doivent être soulevées, débattues. Car au delà de désaccords profonds, la posture, elle, est juste.

En voici quelques uns.

L’erreur de base du Front de Gauche : 1983

Le PCF et l’aile gauche ont fini par imposer à toute la gauche leur lecture de 1983, le « tournant de la rigueur » au point que les socialistes en font une lecture inversée.

1983 serait « la trahison » et toute bonne politique devrait revenir sur les choix opérés à ce moment là. Pour le PS, 1983 marque l’entrée dans l’ère du « réalisme ».

D’un point de vue neutre, ni l’une, ni l’autre lecture n’est judicieuse. C’est d’ailleurs un débat qui n’a pas eu lieu.

1983 était nécessaire, justifié. Tous ceux qui aspirent à gouverner (voilà pourquoi j’établis une distinction entre aile gauche et parti révolutionnaire) en prétendant que « une autre politique est possible » racontent n’importe quoi, et s’apprêtent, dans la plus pure tradition guesdiste, à trahir ceux là même qui espèrent en eux.

Il fallait prendre des décisions de « rigueur ». Ou alors, comme la Grande-Bretagne en 1975, comme la Grèce en 2009, subir le FMI. C’était aussi simple que cela.

En 1981, tous les gouvernements des pays développés étaient néoconservateurs. Alors que pendant 35 ans les gouvernements de droite ou de gauche, convertis au keynésianisme, pilotaient l’économie pour maintenir le plein emploi (entre 1% et 4% de chômage), les conservateurs inspirés par Milton Friedmann étaient décidé à laisser faire « le marché », et à « casser l’inflation ». Le résultat fut une récession profonde, avec des millions de chômeurs en Grande-Bretagne et aux États Unis. 4 millions en Grande-Bretagne, 15 millions aux USA.

La France fut le seul pays à tenter une relance keynésienne. Il en résulta un déséquilibre en terme d’inflation, de déficit sans pour autant parvenir à baisser le chômage. Le pouvoir d’achat distribué en France s’investissait en biens japonais et allemands importés. Il fallait prendre des décisions.

Dès juin 1981 le PCF, Jean-Pierre Chevènement mais aussi Michel Rocard, proposèrent de dévaluer le Franc d’au moins 20% pour aider les exportations, ce que refusa François Mitterrand : la gauche avait été longtemps accusée de vider les caisses, de dévaluer pour finir par démissionner avant de rendre le pouvoir à la droite. C’est cette « tradition » qui inspira l’expression d’ « expérience socialiste » à la droite et que le président voulait rompre pour « installer la gauche dans la durée ».

Cela n’empêcha pas de dévaluer, en trois fois en deux ans, sous la pression de la spéculation. 20%…

Quand l’inévitabilité de la troisième dévaluation arriva, il y avait deux options.

L’une, prônée par le PCF, Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement, celle à laquelle pense le Front de Gauche aujourd’hui quand il parle de revenir sur les choix de 1983, consistait à sortir du système monétaire européen, à bloquer les prix, à instituer un contrôle strict du change, à relancer encore plus l’économie, et à utiliser les entreprises nationalisées pour reconquérir le marché intérieur (on se souvient d’Edith Cresson qui voulut interdire les importations de magnétoscopes japonais), en instaurant le protectionnisme. Mitterrand hésita longtemps en faveur de cette politique, toute gaullienne derrière la phraséologie marxiste dans laquelle l’enrobaient ses promoteurs.

L’autre était celle de Jacques Delors. Elle consistait en une politique inédite en France, réalisée traditionnellement dans les social-démocraties nordiques. Bloquer les prix et les salaires et réviser ces derniers après la période de blocage en fixant par avance un objectif d’inflation. Instituer un sévère contrôle des changes pour limiter les fuites de devises. Libérer les prix progressivement, rétablir les comptes publics. En attendant que les autres pays développés sortent enfin de la récession dans laquelle ils étaient plongés depuis 1981 et à laquelle la France seule échappait. D’où l’idée de « parenthèse ».

L’objectif était de préserver l’augmentation de 50% des allocations familiales et handicapés, la hausse du pouvoir d’achat du SMIC de 10%, la semaine de 39 heures, la retraite à 60 ans, la 5ème semaine de congés payés, l’impôt sur la fortune, le remboursement de l’IVG et continuer un certain nombre de  réformes.  L’impôt sur la fortune serait légèrement relevé et une sorte de CSG instituée. Il faudrait décider d’arrêter de subventionner les industries ultra déficitaires produites par vingt ans de sous investissement.

C’est en découvrant combien avait coûté la défense du Franc à la banque de France que François Mitterrand opta, à contrecœur, pour cette politique.

En 1984, l’inflation passa sous les 6,5% et le commerce extérieur s’améliora. Aucune avancée de 1981 ne fut remise en cause. Seul le chômage qui s’était stabilisé au temps de la « relance » repartit à la haute du fait des restructurations. J’y reviendrai plus loin.

Pas une « trahison », donc.

Éventuellement, si trahison il y a, elle est dans celle d’avoir promis, dans la plus pure tradition guesdiste qui dominait le PS des années 70, monts et merveilles à l’aide d’un programme dépassé.

Il y eut un point qui gêna Jacques Delors dès le départ, un point fondamental à côté duquel passe toute la gauche de la gauche. Et le PS, bien entendu.

Pour parer aux attaques de la droite, Jacques Attali suggéra à François Mitterrand un tour de passe-passe surprise. En juin 1982, lors d’une interview télévisée, sans en avoir prévenu Jacques Delors alors ministre des finances, le président annonça « une baisse des prélèvements obligatoires  ».

Sans cette décision de 1982, il était possible de profiter du plan de rigueur pour réformer la fiscalité, les prélèvements sociaux. C’était désormais impossible.

Dès le remaniement ministériel de juin 1982, Nicole Questiau, ministre de la solidarité venue de la CFDT et bien décidée à réformer les prélèvements pour les rendre proportionnels et assis sur tous les revenus, démissionna.

Au passage, le même remaniement consacra la victoire de la Françafrique à travers le limogeage d’un Jean-Pierre Cot, qui voulait conditionner l’aide à la démocratisation.

1982 porte en germe de vrais renoncements, alors que 1983 est avant tout ce que les keynésiens appellent un « ajustement ». Jacques Delors ne put toutefois pas augmenter les impôts comme il souhaitait le faire, mais il dut également tenter de les baisser.

Lors du congrès du PS de 1983, Marie Noëlle Lienemann et Patrice Finel, alors proches de Michel Rocard, présentèrent l’un des derniers textes originaux que ce parti ait connu.

« Du bon usage de la rigueur ».

Les militants venus de la deuxième gauche (PSU, CFDT, associatifs, régionalistes, environnementaux, sociétaux) voulaient profiter de ce moment pour proposer d’autres pistes de transformation sociale. Pour eux, la réforme de la fiscalité devait permettre de redistribuer du revenu dans le bas de l’échelle, la baisse du temps de travail de réduire massivement le chômage sans empêcher les restructurations industrielles. Réactiver la planification de réorienter l’investissement.

Admettre la situation économique ne devait pas être synonyme d’immobilisme. Au contraire elle commandait de multiplier les initiatives, d’ouvrir des d’espaces de libertés et d’autonomie et se tourner vers la société civile. Droits des étrangers, droits des salariés dans les entreprises. La rigueur comme un outil.

Mais désormais, alors que la droite faisait de plus en plus monter la pression en s’alliant au FN à Dreux ou Aulnay Sous Bois, au sein d’associations comme l’UNI, le MIL et Magazine Hebdo, en manifestant pour l’école privée, le mot d’ordre au PS passa de « transformer » à « durer ». Et pour faire plaisir à l’aile gauche, le pouvoir jeta en pâture une loi sur la presse et durcit le texte sur l’école. Deux réformes dont ont peut douter de l’efficacité pour lutter contre le chômage et « changer la vie », mais les ailes gauche aiment les symboles…

Les socialistes, et avec eux toute la gauche, n’ont JAMAIS eu le débat sur le programme de 1981, les décisions de 1982 avalisées sans broncher par le PCF, et 1983, « la rigueur ».

En 1984, la nomination de Laurent Fabius et de Pierre Bérégovoy, l’artisan de la dérégulation de la finance entre 1988 et 1993, ont définitivement refermé toute possibilité de mettre à plat les ambitions que pouvait porter un parti socialiste, résolument décidé à gouverner dans la durée tout en engageant des transformations graduelle autant que profondes. L’hémorragie militante commença.

Le poison du pouvoir

Le résultat est que la seule narration de ces années est celle du PCF, des souverainistes et de la gauche de la gauche. Et de la droite bien sûr (la gauche aurait « vidé les caisses »).

Le PS s’est progressivement vidé de son énergie pour ne devenir qu’un parti installé, en proie aux luttes de pouvoir des différentes factions du militantisme étudiant où les futurs élus, qu’ils viennent du trotskisme ou du MJS, ont tous fait leurs premières dents, se formatant toujours plus au point de transformer tout le parti, tous les élus, en une machine à reproduire le conformisme de la pensée et de l’action politique. Des élus quasiment tous masculins, « blancs » et issus des classes moyennes supérieures, et dont Jean-Luc Mélenchon fait partie.

Une organisation incapable de réfléchir aux questions ouvertes par l’exercice du pouvoir entre 1981 et 1986, quand ce parti, ses militants et certains de ses ministres nourrissaient encore des ambitions.

La lecture de la période par le FdG est donc biaisée. Elle apporte une réponse tout aussi schématique aux problèmes qui se posèrent alors que celle qui, en conduisant l’appareil socialiste à avaler le nouveau consensus libéral en s’appuyant sur « la contrainte », en réalité le choix de baisser les impôts, contenait en germe, assorti aux premiers renoncements sur la sortie du nucléaire ou la soumission à la Françafrique.

Je ne peux pas voter pour une organisation dont je pense qu’elle trahirait ses engagements « radicaux », se divisant avant de démissionner pour laisser à la place à un gouvernement conservateur qui ne se priverait pas de faire avaler des « sacrifices » à une population sonnée par la perte de ses illusions. Le Front Populaire en 1936, le gouvernement travailliste en 1974 en fournissent des exemples. À moins que ce gouvernement ne s’enferme dans une fuite en avant, à savoir une  pseudo « révolution » opérée par le gouvernement. Ce qui n’est pas le socialisme. Mais du totalitarisme. Et cela mérite au minimum d’être annoncé avant.

Quand on fait se soulever les foules, on ne peut pas se permettre n’importe quoi. Or, le programme du Front de Gauche est imprégné d’idéologie développementiste hyper productiviste hérité du gaullisme et des années 60. Avec l’ambigüité du « débat sur les énergies nucléaires » dont la formulation reprend quasiment à la virgule près la formulation des 110 propositions de François Mitterrand et dont on sait, sous la pression conjuguée du lobby nucléaire, du PCF et de la CGT, ce qui advint.

Je n’ai pas quitté le PS il y a plus de 10 ans pour suivre un programme portant des analyses auxquelles je n’ai jamais crues et imprégné du guesdisme dont l’histoire a souvent révélé le vrai visage.

Malgré cela, je comprends que les gens aient suivi Jean-Luc Mélenchon car la gauche a pendant longtemps été prise en otage par l’appareil du PS. Tout semblait bouché. Voir la société et ses élites glisser inexorablement à droite au point de trouver dans le programme du PS des formulations que n’aurait pas reniées Valéry Giscard d’Estaing dans la seconde moitié des années 70 à quelque chose de désespérant. Alors oui, je comprends, mais ne partage pas.

Le copié collé seventies du programme

Je ne partage pas le « SMIC à 1700 euros » parce que « un gouvernement de gauche ça commence par augmenter le SMIC ». Parce qu’une telle mesure va étrangler les artisans, les petits commerçants, les petites entreprises. Le boulanger du coin, le coiffeur. Et que les grandes entreprises ayant déjà délocalisé, cela n’atteindra pas leurs gigantesques profits ni celui de leurs actionnaires.

Je reste fidèle à l’autre gauche. Je pense qu’on peut utiliser autrement les 2500 euros que coûte une personne au SMIC en fiscalisant entièrement la protection sociale, en y mettant une forte progressivité pour couvrir indifféremment les salaires, les profits et les dividendes. Le socialisme, c’est toucher les profits, pas le travail, ce n’est pas augmenter le SMIC. À moins de faire de Georges Pompidou un grand socialiste (j’emprunte la boutade à Alain Lipietz).

Ce serait plutôt supprimer le chômage. D’un coup. Comme on a « cassé l’inflation » quand Thatcher et Reagan, inspirés par Milton Friedmann, ont décrété que c’était la priorité, dans l’intérêt des grandes banques d’affaire et des riches épargnants. Nous, notre intérêt, c’est « casser le chômage ». Et tous les instruments doivent être utilisés. Une profonde réforme fiscale, permettant de redistribuer salaire et temps de travail, le permet. Pas une augmentation du SMIC de 200 malheureux euros qui partiront mangés par l’inflation et l’importation de pacotilles sans avoir changé rien ni aux conditions de vie ni à la vie chère.

En fait, l’argent n’est pas l’étalon de tout. Lancer un programme massif de construction de logements sociaux intra-urbains, abordables, beaux et modernes, tout comme isoler les logements, est bien moins coûteux et plus judicieux que distribuer du SMIC. C’est un moyen de distribuer de l’emploi et du pouvoir d’achat, ou en tout cas, d’en limiter sa baisse à l’horizon de 10 ans, quand les effets du pic énergétique, un grand absent de cette campagne, se feront sentir plus brutalement.

Car il ne faut pas tromper les gens, la désindustrialisation ne fait que commencer. On pourra en limiter certains effets en instituant des protections liées au respect de normes environnementales et sociales exigeantes, mais avec un prix des matières premières destinés à s’envoler inéluctablement, renchérissant autant la production que le transport des marchandises et leur utilisation, c’est tout le modèle industriel lui-même qui est obsolète. Or, tout dans le programme du FdG, pur copié collé du programme du PS des années 70, a des relents développementistes venus des années soixante et de Charles de Gaulle.

Je ne partage pas non plus le discours sur « la loi de 1973 », une belle contradiction. Car d’un côté, on critique à juste titre l’usage du crédit, et de l’autre, on voudrait un gouvernement imprimant autant de monnaie qu’il le voudrait.

Ce discours émane, à gauche (il a son équivalent à l’extrême droite et dans la droite néogaulliste souverainiste), de ceux qui font une fixation sur « le tournant de 1983 » sans qu’ils s’attardent sur le choix de 1982, à savoir baisser les impôts. Comme si regarder du côté de l’Europe (puisque c’est elle qui est pointée du doigt) était plus important que donner à l’état les moyens de son action…

Cette fascination au sujet de la planche à billet est un mythe récurrent de la gauche réformiste française depuis un siècle quand elle rompt avec la logique révolutionnaire sans en tirer toute les conséquences (c’est une des caractéristiques du Guesdisme).

J’en comprends la logique. Oui, l’état devrait pouvoir emprunter au même taux que les banques auprès des banques centrales. Mais est-ce vraiment THE solution ? Le Japon finance sa dette à environ 1,35 %. Le résultat est loin d’être convainquant : sa dette dépasse 240% et la paupérisation est galopante. Ce qui n’empêche pas Le Monde Diplomatique et des économistes proches du FdG de l’avoir souvent cité en exemple…

Je suis parfaitement conscient que prôner des augmentations d’impôts est très impopulaire. Pourtant, plus que la planche à billet, une politique de gauche passe par un état qui a les moyens de sa politique et cela passe par l’impôt. Pas le chiffon rouge agité sur les revenus des plus riches comme le FdG le fait. Ni donc un faux épouvantail avec la loi de 1973, cette réponse, néolibérale, à la crise du change qui a commencé en 1971 avec la fin de la convertibilité du dollar en or suite, justement, à l’utilisation abusive par les USA de la planche à billet pour financer leur guerre au Vietnam…

Qu’il faille réformer de fond en comble l’architecture financière est une évidence.

Dettes ≠ Thune

Mais là encore, il y a mensonge sur la marchandise. Contrairement au mythe de la gauche radicale, il n’y a pas d’argent, il n’y a que des dettes, et les riches sont ceux qui ont le privilège de pouvoir s’endetter plus que les autres pour s’acheter des châteaux et des voitures de luxe au prix aléatoirement fixé par l’endettement globalisé, mais dont la revente ne rapporterait pas un centime. Donc, réformer dans un sens « rationnel » entraînerait une récession profonde, durable, puisqu’il s’agirait d’organiser un défaut de paiement généralisé sur une dette globale représentant 40 fois la richesse réelle mondiale… Pas de la croissance. Cette récession pourrait bien sûr être compensée par de l’investissement public après une faillite, mais il y aurait plusieurs années d’une profonde instabilité économique, politique, sociale dont nul ne peut calculer les effets.

C’est une hypothèse, et l’envisager exige au minimum d’énoncer la vérité et non entretenir le mythe de la croissance dans le cadre d’une « autre politique » mobilisant des capitaux qui, en réalité, n’existent pas, pour mener un politique développementiste condamnée, en raison des chocs énergétiques à venir, à l’échec.

Je suis enclin à penser qu’il conviendrait d’utiliser la fiscalité tant qu’il en est encore temps pour encourager la création de micro-entreprises individuelles, artisanales, coopératives et en association, et investir dans des structures de soins locales, gratuites et ouvertes sur la ville, pour encourager le télétravail en centres locaux afin de rapprocher le lieu de travail du lieu d’habitation… Nous préparer à devenir une société sobre, en récession puisque cessant sa croissance, mais offrant en échange des améliorations en matière de cadre de vie.

Cette approche nécessite une profonde déconcentration des pouvoirs, une confiance dans le local et l’expérimentation où l’état est réduit au rôle de chef d’orchestre actif qui garantit les financements sans entraver les initiatives. Le FdG a développé une approche centralisée, dirigiste, attribuant à l’état le monopole de la reconversion de l’économie, ce qui est aberrant.

La planche à billet, ce droit à faire de la dette pour réactiver l’économie est une illusion que nourrissent tous ceux qui n’ont pas compris ce qui s’est joué entre 1981 et 1984, qui n’ont pas compris qu’une coalition qui ouvrirait cette boite de Pandore finirait devant la même alternative que la gauche en 1983 et, encore une fois, sans avoir de politique de rechange, car c’est diagnostic qui est faux.

Jusqu’à quand nourrirons nous la désillusion qui conduit les gens à se tourner vers l’extrême droite en décevant les illusions que nous leur servons ?

Je ne partage également pas du tout le jacobinisme du FdG car je ne suis pas républicain : je suis démocrate. La république ne peut être autre chose à mes yeux qu’une organisation politique abolissant l’hérédité des titres : égalité devant la loi, égalité devant l’accès aux fonctions politiques. Point de Roi, ni de Pairs. L’état ouvert à tous.

Mais quand on donne à la république un ensemble de « valeurs » inscrites dans le marbre, pour toujours, je deviens sceptique. Non pas que je ne me reconnaisse pas dans le triptyque de Liberté, d’Egalité et de Fraternité.

Ce qui à mon sens fait vivre la République, donne un sens à ce triptyque, c’est la Démocratie, et à cet égard, la France est incroyablement loin du compte. Le discours dominant est de dire que la République est inachevée. Mais ce n’est pas la République qui est inachevée, c’est la Démocratie qui a été reléguée à un composant de la république quand en réalité, ce devrait être le contraire : c’est la force de la démocratie qui permet de faire vivre une République. On oublie bien souvent que le Chili de Pinochet devint dans les années 80 une République sans qu’il fut une Démocratie.

Des individus abstraits, et rien d’autre

À cet égard, le FdG ne déroge pas à la règle de la vieille gauche Jacobine, Radicale, Socialiste puis Communiste. Le FdG fait des citoyens des individus abstraits, privés de toute histoire, de tout parcours. Le FdG défend les étrangers, mais est incapable de concevoir une existence, une représentation des étrangers avec leurs propres mots, leurs propres objectifs. Son discours s’offre comme une réponse quand une approche démocratique voudrait qu’il ne soit qu’une chambre d’écho au service d’une société civile active, autonome et où s’exprime bien souvent des approches et revendications contradictoires.

C’est ainsi qu’il fait de la prostitution une délinquance, un mal social à éradiquer. Du foulard une attaque des « valeurs » laïques.

Cette gauche est incapable de sortir, parce que c’est constitutif de son identité, d’une idée du progrès qui voudrait qu’une fois l’exploitation de classe abolie, les religions, la prostitution, la délinquance, les inégalités de sexe s’aboliraient car les humains s’organiseraient harmonieusement et se réconcilieraient avec l’idée qu’elle se fait du progrès.

Guy Mollet ne se reprocha jamais sa politique algérienne tant il était convaincu d’avoir agi pour défendre le progrès et la civilisation contre l’arriération de « masses musulmanes incultes ».

C’est exactement le même principe qui meut le FdG, au grand dam de certains de ses militants qui aimeraient voir ce type de position évoluer, ignorant que cette façon de penser est constitutive de cette famille de la gauche : le parti a raison et ses principes sont supérieurs aux individus. Le FdG est Jacobin, il n’est pas Démocrate.

Il est la vieille gauche.

Il est une autre gauche qui accepte la pluralité, la conflictualité. La « gauche américaine », disait Jean-Pierre Chevènement à l’époque où il parlait comme Jean-Luc Mélenchon. Une famille de la gauche qui n’a pas peur de la démocratie, et par conséquent résolument ouverte au pari multiculturel, qui a compris que l’émancipation des uns sert l’émancipation de tous, et que chacun a le droit de porter les revendications issues de son expérience individuelle au sein d’un groupe de son choix, une gauche qui sait faire le lien entre l’expérience associative et le pouvoir politique.

Oui, à la Bastille, il y avait des drapeaux Algériens, Marocains, Kabyles, et ceux qui les portaient chantaient la Marseillaise, comme ceux qui portaient des drapeaux Bretons, Occitans et Corse. C’est cela, la magie de la Démocratie dans la République. Tous différents, avec notre histoire, nos parcours et réunis par une même constitution, un même projet collectif.

Comme le PCF avant lui, le FdG veut des étrangers abstraits comme il voit des femmes abstraites, des travailleurs abstraits. Le conflit de classe n’occupe pourtant qu’un quart de notre temps. Le reste du temps, nous sommes clivés par notre sexualité, notre rapport au métaphysique, notre consommation d’alcool, notre amour de l’automobile ou de la peinture, et nous vivons avec là d’où nous venons. Il appartient à une famille voulant que le parti embrasse l’ensemble du champ politique et culturel, ne différant qu’aux entournures avec le PS qui, lui aussi, continue de penser qu’il a un point de vue sur tout. Il suffit parfois de lire des prises de positions sur les femmes, l’homosexualité, l’Islam pour voir à quel point ces deux organisations se ressemblent, avec telle ou telle option sur tout. C’est l’apparatchik de service qui s’y colle, les acteurs sont relégués à l’applaudimètre.

Je ne partage pas du tout la vision franco-centrée. Je ne comprends pas pourquoi, quand le FdG proclame partout partager une identité de vue avec d’autres forces politiques en Europe, comme Die Linke en Allemagne, ce parti ne cherche pas à s’en rapprocher voire à fusionner en une organisation transnationale. À défaut de quoi nous avons un discours incantatoire sur « une autre Europe » en forme de coquille vide, alternant avec des propositions qui font de la France un centre du monde à partir duquel tout part, tout est possible alors qu’en réalité le repli national condamne à l’impuissance tant nos sociétés sont aujourd’hui interconnectées.

Pour tout dire, je pense même que ce discours centré sur la France alimente le discours du Front National qu’il compte pourtant combattre. Laurent Chambon montre dans son dernier livre comment les nouvelles extrême droites utilisent un populisme national et social pour capter des couches électorales que jusqu’ici elles ne touchaient pas. Dénonciation des élites, du pouvoir de Bruxelles, de l’Europe, de la main d’œuvre à bas coût et des délocalisations, de la loi de 73, toutes choses qui ruinent le « modèle social français ». Une même référence aux « valeurs de la république » et la même intransigeance laïque.

Loin de moi l’idée de dire qu’il y a une proximité idéologique entre les deux forces, mais le seul argument que la gauche « radicale » a à opposer au discours de Marine Le Pen est de dire qu’elle ment, auquel il est tout aussi aisé à Marine Le Pen de rappelé que Jean-Luc Mélenchon a été ministre à l’époque du traité de Nice et du passage à l’Euro.

Et, bien sûr, l’Europe…

Indépendamment d’une conception totalitaire du parti qui sait tout, c’est certainement ce qui me gêne le plus dans le discours de la gauche radicale, ce doit pointé sur l’Europe conjugué à une incapacité à penser l’Europe autrement en se donnant les moyens, avec d’autres forces politiques et associatives européennes, de la construire autrement. Avec pour résultat l’impuissance à peser quand les événements s’accélèrent : la crise que nous traversons depuis 2007 trouve à gauche un néant politique et idéologique remarquable dans une gauche de la gauche reléguée à une simple contestation et une expression politique copiée sur notre ancien Parti Communiste et l’ancienne aile gauche chevènementiste du Parti Socialiste.

Il est remarquable de constater que pendant ce temps, l’extrême droite, elle, s’européanise et continue sa percée.

Avec le NON en 2005, on allait voir ce qu’on allait voir. Nous avons vu la victoire des droites et la poussée de l’extrême droite partout en Europe, l’incapacité de toute la gauche à imposer une rupture après la mise sous perfusion du système financier, la percée de personnalités issues de la finance dictant aux états des plans d’austérité.

On commente la victoire de la gauche de la gauche grecque, mais quand on y pense, 18% dans un tel carnage économique et social, cela reste encore très peu. Car finalement, la petite gauche grecque est isolée, comme la petite gauche française : repliées sur elles mêmes, elles ne sont en aucune façon l’alternative que leur fusion supranationale ouvrirait.

Mais pour être cette alternative, il faudrait rompre avec tout le discours nationaliste et admettre une diversité réelle, le brassage des traditions politiques différentes et avoir le courage de dire qu’en France, on étouffe de la France et que la solution est dans le vent du large, qu’il s’appelle Europe ou reconnaissance de la place l’Islam tel qu’il est et non tel qu’il devrait être. Il faudrait rompre avec une logique mono culturelle, avec le parti qui sait tout.

Le Front de Gauche me révèle à quel point je suis proche des Verts sur bien des sujets, mais aussi l’incroyable impuissance d’un parti ayant compris les enjeux et le caractère global de leurs solution mais faisant l’impasse sur la lutte de classe, le condamnant, comme le PS, à n’être qu’un parti exprimant des vœux pieux quand du côté du Front de Gauche, la posture frontale donne un poids réel aux arguments, fussent ils sorti du formole.

Le dernier discours d’Éva Joly, « nous les arabes, …» est inconcevable dans la bouche de la gauche guesdiste. Parce qu’il n’est pas porteur de symboles, ni expression d’une « radicalité » mais le simple constat criant d’ankylose de la société française, tous partis confondus, et il représente la seule vraie réponse à apporter au Front National ainsi qu’à ses électeurs. Et il émane d’une femme, qui plus est d’origine étrangère, ayant tenté maladroitement mais avec courage de secouer les oripeaux usés de notre vieille république, avec son 14 juillet et tout son tralala vieille France.

En attendant que nous ayons une force politique lucide, démocratique et européenne comme les Verts mais combative comme le FdG, j’ai voté pour éliminer Nicolas Sarkozy, dès le premier tour.

Je conclurais en m’inspirant du slogan du Parti des Indigènes de la République lors de la manifestation du 8 mai 2012 commémorant les massacres de Sétif, que je ne compte pas sur François Hollande, mais qu’il devra faire avec nous. Et que cela s’applique, aussi, à Jean-Luc Mélenchon et au Front de Gauche. C’est en tout cas le meilleur que je nous souhaite.

Madjid Ben Chikh

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