Mars…

M
Fleur de prunier japonais, 27 février 2022, Parc du Palais Impérial

« Dans la mythologie romaine, Mars est le dieu des guerriers, de la jeunesse et de la violence, dieu de première importance dans la Rome antique en tant que père de Romulus et Remus, fondateur et protecteur de la cité. »

(Wikipedia)

C’était impossible de ne pas commencer par cette sorte d’ironie de nous voir plongés dans nos pires cauchemars de la guerre froide au moment où nous entrons dans le mois de mars.
Les deux-trois ans qui ont suivi le décès de mon père, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que finalement ça avait été mieux qu’il ne voit pas l’effondrement de l’Algérie, les crimes, le retour des militaires, les manifestations du FIS et les institutrices égorgées par des gamins de 15 ans, les bombes, l’assassinat de Boudiaf, les journalistes égorgés par on ne sait trop qui, il était si fier de l’émergence d’une jeune génération instruite, un peu comme si malgré un régime autoritaire, il y avait eu au moins ça, et que c’était là que l’avenir se préparait, et voilà que tout s’effondrait dans une guerre civile qui n’a jamais dit son nom. Oui, je l’ai pensé, c’était mieux qu’il ne voit pas cela, ça aurait été pire que le cancer qui l’a tué.
Maman est morte il y aura trois ans dans quelques semaines, elle n’aura donc pas connu le Covid et la situation ubuesque dans laquelle la pandémie nous a plongés, et elle n’aura pas vu non plus le naufrage de ce qui reste du vingtième siècle quelque part du côté de l’Ukraine. C’est mieux comme ça, finalement. Elle n’aura pas vu non plus ce que le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources ou l’incroyable bulle financière nous réservent. Et plutôt mieux comme ça.
Papa est parti dans un moment d’espoir, et maman est partie dans un moment de stabilité. C’était un beau printemps qui s’ouvrait. Pour papa, je revois le soleil de cette fin d’été et la maison au bord de la Méditerranée, à Alger. Pour maman, je revois ces arbres en fleurs et je continue cette traversée de la campagne sarthoise sous un ciel étoilé.

Trois ans, presque trois ans qu’elle est partie, et entre les deux cette pandémie, et comme si cela ne suffisait pas, voilà les bruits de bottes. Nous nous accrochons aux certitudes du vingtième siècle sans trop vouloir regarder la face hideuse du siècle dans lequel nous sommes rentrés. Nous nous arcboutons sur des certitudes d’un monde qui s’est évanoui mais dont il reste encore la génération qui en est sortie.
C’est une ironie qui m’est venue récemment, quand quelqu’un de ma connaissance partage de la musique techno. J’appelle ça de la musique carbonée, parce qu’il y a de fortes chances qu’elle soit condamnée à disparaitre avec le mode de vie qui l’a vue naître….

Ce conflit, ce sont les derniers espoirs nés de la chute du mur de Berlin qui s’évanouissent pour celles et ceux qui y croyaient encore. Il a fallu faire le dos rond avec le covid, il va falloir faire preuve d’une très grande lucidité quand à ce qui nous attend. D’une très grande lucidité, et d’une très grande modestie aussi. Les américains ont abusé de l’avantage que leur procurait la fin de l’Union Soviétique, ils se sont vus maîtres du monde et puissance globale, et de la même façon que leur anticommunisme a il y a cinquante ans accouché d’un Ben Laden, ils n’ont pas bien mesuré qu’ils se heurteraient à un chef d’état, Vladimir Poutine, convaincu du destin presque messianique de l’état qu’il présidait, ayant passé vingt ans à réorganiser son pays tout en modernisant son armée avant de l’envoyer en Syrie perfectionner les armements autant que la stratégie.
Et voilà qu’en quelques jours est apparu un chantage à l’utilisation de l’arme atomique. Dans l’absolu, le message est que désormais il faudra accepter ses conditions au risque de s’exposer à une guerre totale. Jamais, même du temps de la guerre froide, aucun chef d’état américain ou soviétique n’avait utilisé cette menace. Toujours, l’arme atomique était brandie comme défensive. Là, avant même l’invasion, avoir laisser entendre que la Russie était prête à utiliser l’arme nucléaire en cas de riposte, c’était une façon nouvelle qui n’augure rien de bon quand au monde où nous entrons. On peut imaginer les Indiens ou les Pakistanais envahissant un territoire disputé et menacer d’envoyer une bombe atomique chez l’autre au cas où il voulait l’empêcher…
Pendant 80 ans, ça avait été le contraire. J’envoie une bombe si TU envahis un territoire. Désormais, nous entrons dans un monde où j’envoie une bombe si tu ne me laisses pas envahir.
Pour tout dire, je ne crois pas que Poutine comprenne le monde qu’il est en train de créer. La seule chose qu’il voit, c’est qu’il restaure la dignité de la Russie après trente ans de domination des USA et de l’OTAN. Il ne voit pas que la Russie n’est pas le seul état à avoir des revendications territoriales. Il joue une partie d’échec préparée de longue date, mais je ne crois pas qu’il voie qu’il est le seul à la jouer. Joe Biden est d’une incroyable discrétion, un peu comme si après avoir « prévenu » pendant des semaines, il laissait le monde contempler la justesse de l’avertissement, donnant à Vladimir Poutine le rôle du vilain,. Même la Chine prend ses distances…

Le 20e siècle a démarré entre 1914 et 1918. Il y avait bien eu une sorte de pré-vingtième siècle, la « belle époque », mais qui n’était qu’une utopie irréelle s’étant suicidée dans la boucherie des tranchées. Rien mieux que le vêtement féminin réinventé par Paul Poiret en 1912/1913, les peintures futuristes de Kandinsky ou les audaces des ballets russes et de Stravinski pour comprendre à quel point cette utopie d’un monde nouveau était vivante, riche, et à quel point oui, 1914 a été un suicide, un crime monstrueux orchestré par une bourgeoisie grégaire et stupide bien décidée à ne pas perdre le pouvoir et les fortunes venues du 19e siècle, menacées par les audaces artistiques et plus encore, les progrès du socialisme.
Alors le vingtième siècle est finalement né après guerre, et a eu l’accent américain, l’allure de Charlie Chaplin, des flappers et de la frénésie de consommation née dans les grandes villes américaines des années 20.

L’Ukraine est le théâtre d’un drame qui se rapproche, juste après une pandémie qui a ébranlé les certitudes du « monde global ». Fermeture des frontières, quarantaines, créations de passeports électroniques, limitation de la liberté de circulation. Et voilà que réapparaissent les fermetures d’espaces aériens, et avec le blocage de SWIFT, les prémices de la fin de la globalisation financière. Pire, des économistes avertissent que le gel des avoirs russes en dollars annoncent la fin même du dollar car désormais, avoir du dollar ne constituera plus un placement de sécurité. On devrait donc voir l’or augmenter, et cela annonce de très fortes tendances déflationnistes à plus ou moins brèves échéances…

Impossible pour moi de ne pas regarder cette guerre sous un angle plus global, dans un monde déjà fragilisé par trois ans de pandémies, gouverné par des chefs d’états moyens, dans un monde se dirigeant vers une raréfaction des ressources (et donc enclin à plus de guerres) et d’ores et déjà témoin du réchauffement climatique. Quand à la finance, elle ne survit que grace aux injections monétaires des banques centrales qui ont elles même créé des bulles d’un volume unique dans l’histoire de l’humanité: le montant des crédits dérivés dépasse les trente fois la richesse mondiale…

J’ai photographié ces fleurs et ces boutons dimanche dernier. Mars, c’est certainement une divinité terrible. Mais elle est aussi la divinité qui donnait son nom au premier mois de l’année.
Mars qui rit, malgré les averses
Prépare en secret le printemps
.
Nous vivons une époque troublée, terrible. Une époque qui mérite de la culture plus que celle qui l’a précédée, de l’intelligence, de la politique mais aussi une incroyable modestie. Un peu comme ces premiers boutons et ces premières fleurs de pruniers.
Ma pensée va aux ukrainiens, mais aussi aux russes qui subissent un régime autoritaire les ayant réduit à la résignation, et parmi ces russes, celles et ceux qui bravent la peur et résistent, manifestent….

Voilà, j’ai eu mon bavardage de fatigue sur ce conflit. Bavardage parce que pas très utile, de fatigue parce qu’il est tard.
Au revoir.

Commentaire

  • Coucou Madjid, j’ai adoré ton texte… oui la folie continue…
    Je pense à toi, à nos bonnes années… à tes parents aussi.
    Tout n’est pas perdu, les bons souvenirs restent et d’autres bons peuvent encore surgirent de cette abime dans laquelle le monde s’enterre.
    Bisous M.

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