Aucun peuple du monde n’avait demandé, réclamé ni même besoin de l’aide, de l’assistance, du soutien ni du « progrès » de l’Occident. Seul l’Occident, animé par son instinct de survie au sortir de guerres, épidémies et effondrement économique et philosophique, pensait avoir besoin de plier le monde.
Ça y est, Emmanuel Macron a eu son « moment Trudeau ». Il a (enfin) parlé de quelque chose et a décidé de trianguler sur sa gauche lors de son voyage en Algérie et ce faisant a mis les pieds dans le plat d’une histoire qui le dépasse. Je reviendrai aussi dans la fin de ce billet sur son interview à l’Obs et les circonstances atténuantes qu’il attribue à La Manif Pour Tous.
Or, parler de l’Algérie, parler de la colonisation, c’est casse-gueule. Vous me direz, ce n’est même pas son sujet, pour lui c’est un accessoire qui doit faciliter l’obtention contrats de la part de la jolie brochette d’industriels et financiers qui le soutiennent, pour « aller de l’avant ». Si Marine Le Pen l’attaque, cela en fera un de ces marqueurs servant à masquer l’absence de politiques ou d’autres concessions, un peu comme la gestion du mariage pour tout.
En réalité, la première règle est avant tout d’avoir un cadre idéologique solide, ensuite, il ne faut pas hésiter à blesser, si cela est nécessaire. Certainement pas pour le plaisir de blesser, loin de là, mais c’est le prix à payer pour véritablement en finir avec cette plaie béante rivée au fond de notre inconscient national, car en réalité, dire « Algérie », c’est dire « Empire « colonial », c’est ramener la France à une époque qui n’est plus mais qui a forgé sa représentation au point d’en faire « vibrer » jusqu’au candidat de la « France Insoumise », c’est effleurer la question des miettes de cet empire qui durent jusqu’aujourd’hui et appelées « Outre-Mer ». C’est rouvrir cette plaie profonde, la défaite de Dien Bien Phu. Parler de l’Algérie, c’est parler bien au delà de l’Algérie, en réalité, c’est parler de la France, et de ce qui a constitué son histoire ou plutôt ce qui en tient lieu dans l’inconscient public.
En voulant faire du Trudeau, Emmanuel Macron ne pouvait que se prendre les pieds dans le tapis en dessous lequel sont refoulés tous les tabous de notre histoire. Son rétropédalage en urgence sur les réseaux sociaux jettent une certaine lumière sur quelques un d’entre eux.
Je n’échapperai pas ici aux raccourcis, inévitables dans un billet d’actualité qui n’a pas vocation à être un travail universitaire ni même un travail érudit. J’écris ce billet dans l’actualité. Des raccourcis, cela ne veut pas dire des contre-vérités, des mensonges ou des manipulations. Je vais juste essayer de coucher ici un billet qui sera à la fois historique et politique, et qui échappera au piège de la réduction « Trudeau » opérée par Emmanuel Macron sur un sujet autrement plus complexe que sa limitation à « la colonisation » et à « une guerre ». Je pense que la façon dont il a présenté cette question peut même être contre-productive et nous expose à des attaques violentes empêchant le débat réel sur ce qu’a été le colonialisme. Un débat nécessaire.
Pour parler de l’Algérie et de la France, pour parler de la colonisation, je vais remonter très loin dans le temps, dans la très apaisée Europe Chrétienne des 11ème-14ème siècle. Après avoir durant plusieurs centaines d’années tenté de copier Rome, de ressusciter Rome, de retrouver Rome, l’Europe de l’Ouest est entrée dans une nouvelle époque, celle de la Chrétienté d’Europe de l’Ouest. Désormais, la société s’organise à l’échelon local, on défriche les terre, on perce de nouvelles routes, de nouvelles structures politiques se mettent en place et dans cette Europe sans états, sans administrations naissent des principautés, des cités états, des royaumes, des républiques ainsi que quelques structures mieux organisées que d’autres comme le Royaume de France ou le Royaume d’Angleterre, mais même pour ces deux derniers, en leur sein, c’est un enchevêtrements de règles et d’échelons au sein duquel le Roi a finalement très peu de pouvoir. Ce qui unifie réellement cette Europe, c’est son réseau d’églises qui tisse un lien politique, religieux, spirituel, linguistique, culturel et artistique en unifiant de fait ce qui semble si décousu. C’est la chrétienté d’Europe.
L’église a elle même naguère connu le même phénomène. Peu organisée, persécuté au temps de l’Empire Romain, elle va finir par en prendre les formes, le cadre de pensée et jusqu’à une certaine organisation bureaucratique qui unifiera ses communautés au départ si disparates et divisées. L’église chrétienne d’Europe de l’ouest est ainsi avant tout romaine et latine.
Dans la période qui suit la disparition de Rome, cette église romaine va être amenée à se retransformer encore au contact de populations nouvelles tout en les transformant elle-même en leur transmettant ce qu’elle sait de Rome.
À l’arrivée, l’église du 11ème siècle a bien peu à voir avec celle du 4ème siècle, elle a été totalement remodelée par l’Europe elle-même.
Si pour ma part je trouve ridicule cette expression de « racines » chrétienne tant les influences de l’église elle même sont multiples, en revanche, il est clair que la civilisation d’Europe de l’Ouest entre le 11ème et le 15ème siècle est chrétienne. C’est la chrétienté, à la foi source et produit de l’Europe en gestation, qui va unifier et donner à cette partie du monde une sensibilité qui lui est propre. Les « laïcs » sont ridicules, parfois, dans leur entêtement. Il n’y a aucune honte à avoir construit des cathédrales et avoir déclaré des paix de dieu.
Cette Europe chrétienne a promu une société où les liens entre les hommes sont garantis par Dieu, c’est la fidélité (je préfère ici le terme à féodalité, dont le sens est plus réduit et qui n’est qu’une forme de la fidélité, je ne vais pas débattre ici).
Mariage, lien vassalique, contrat de commerce, on s’en remet à Dieu pour sceller les alliances. Les monarchies sont en quelque sorte des pyramides de liens de fidélités complexes, extrêmement fragiles mais garantis par Dieu sous les auspices de l’église qui étend ici sa domination sur le pouvoir temporel.
Cette civilisation de l’Europe chrétienne atteint son apogée au 13ème siècle. C’est le moment où en France l’innovation s’installe définitivement au nord. Le sud roman où le leg de Rome était encore très important avait longtemps dominé, voilà que La Sorbonne s’impose, on y étudie Aristote. On construit en Ile de France selon de nouveaux principes d’architecture, le « style français » que le 16ème siècle rebaptisera de façon péjorative de style des « Goth », et ce style va progressivement s’imposer dans toute la France du Nord puis vers les Flandres dans l’Empire Germanique. Les Foires de Champagne prospèrent, l’artisanat se développe et progressivement, avec lui la circulation monétaire. Les villes détruisent leurs fortification, la circulation, la migration se développe. Une Europe prospère, traversée de crises sociales ici et là mais portée par une économie et une démographie en fortes croissances.
Deux puissances émergent, le Royaume de France capétien et le Royaume d’Angleterre plantagenet, tous deux partageant une même culture, française latine pour l’une, française normande pour l’autre (désolé pour l’horrible simplification), et ces deux puissances se font la guerre en Flandre ou en Écosse. Le Roi d’Angleterre, en vertu des liens de fidélité, est sujet du roi de France en Aquitaine.
Au début du 14ème siècle, une conjonction de crises va pourtant totalement anéantir la Chrétienté d’Europe.
D’abord, la poussée ottomane va couper la route de l’or et des épices. Car en réalité, bien que faisant des croisades à intervalle épisodique, la Chrétienté d’Europe commerçait avec le monde arabo-musulman, un monde qui la fascinait par sa culture et sa richesse, et Venise s’est enrichit de ce commerce avec le Levant. Or, voilà que ni or ni épices ne vont arriver, et dans une économie en croissance, c’est très problématique: la limitation de la croissance monétaire entraine de fait un renchérissement de l’or et par conséquent une crise économique. On commence donc à couper les monnaies avec de l’argent, avec d’autres métaux pour en avoir plus, l’inflation commence à se répandre. Des pans entiers de la société s’appauvrissent et les premières famines réapparaissent vers 1316-17.
C’est que la forte croissance économique avait entretenu une forte démographie. On était parvenu à nourrir tout le monde en défrichant et en déboisant toute l’Europe, mais désormais, ce modèle est arrivé à son terme.
La crise économique, enfin, provoque du chômage que les corporations de métiers comme les villes repoussent au delà de fortifications qui réapparaissent. Les bidonvilles entourent désormais les cités. Une population sans domicile, fragile, marche sur les routes pour tacher de s’employer où elle peut.
Et puis voilà que le Roi de France Philippe meurt. Il a trois fils. Chacun accède au trône puis meurt. En 1327, la dynastie capétienne s’éteint. Or, le jeune roi d’Angleterre Edouard III Plantagenet, neveu de Philippe par sa soeur, fait valoir son droit à la succession. Celle-ci lui est refusée au nom de la « Loi Salique » qui interdit la succession « par les femmes ». La branche Valois des capétiens arrive sur le trône.
Cette crise de succession va attiser les rivalités entre Edouard et Valois pour aboutir à la guerre de 100 ans, cette fantastique crise de la fidélité et de la féodalité.
La religion n’est pas en reste puisque l’église elle même va entrer en crise. À un moment donné, il y aura trois papes, en Europe, dont l’un d’eux sera protégé par le Roi de France, attestant de la montée en puissance des états, des administration et du pouvoir temporel.
Ces désordres alimentent des discours de prédicateurs religieux mystiques et illuminés qui ici voient la fin des temps, là réclament un retour à l’enseignement originel de l’église.
Au milieu du 14ème siècle, la guerre fait rage entre la France et l’Angleterre, des soldats sans liens de fidélités se vendent au plus offrant et razzient les villes contre de l’argent, les pauvres sont de plus en plus nombreux sur les routes. C’est le moment où la peste arrive. Elle tue deux tiers de la population européenne. 22 millions de français en 1310, 8 millions en 1350. 4 millions d’anglais en 1300, 1 millions en 1350.
L’Europe Chrétienne a vécu.
Les années 1350-1380 sont des années tournant un peu partout. Avec la papauté en Avignon, il est désormais clair que le pouvoir politique est plus fort que le pouvoir religieux. Avec la tenue des premiers états généraux dans les années 1360, avec le début de la fiscalité royale et la mise en place d’une administration ainsi que d’une comptabilité nationale, la France amorce sa transition vers une monarchie moderne fondée non pas sur la fidélité, mais sur la continuité de l’état. Avec la destitution de Richard II Plantagenet et la prise de pouvoir de la maison de Lancastre, l’Angleterre opère sa mue culturelle et nationale. En Italie, enfin, où les cités sont toutes plongées dans une très grande instabilité politique, émergent quelques familles dont l’une d’elle, la famille Medicci, va donner à l’Europe sa nouvelle sensibilité artistique, voire même politique, puisque Le Prince, de Machiavel, a avant tout été écrit pour un Medicci.
Dans les années 1350, Boccacio écrit le Decameron: écrit en langue florentine, destinée à devenir la langue italienne, ce livre, certainement inspiré des contes des Milles et Unes Nuits, explore une sensibilité nouvelle, curieuse, avide de voyage et d’exotisme, individualiste et hédoniste, galante et légère d’où toute sensibilité religieuse est absente.
Et l’Algérie? Ben justement, on y arrive.
Dans cette Europe en transition vers son destin, se remettant d’une série de chocs graves, les problèmes posés par la raréfaction de l’or et l’arrêt de la route des épices continuent de se poser.
On est débarrassé désormais du pouvoir imposant de l’église et quelques monarchies sont désormais puissantes, les cités italiennes sont émancipées et certaines commencent à s’imposer. À venise le commerce, à Florence la finance. Et puis, qui dit diminution du pouvoir d’une église romaine archaïque dit regain de science, et cela tombe bien, car avec l’invasion chrétienne de l’Espagne musulmane, l’Europe met la main sur des dizaine de milliers de livres et traités scientifiques arabes. Médecine, géographie, cartographie, astronomie commencent à irriguer une Europe jusqu’alors maintenue dans l’ignorance.
Et puis, bien avant même Machiavel, l’Europe de l’Ouest va enterrer ces principes moraux chrétiens de l’époque précédente, et Venise et Rome vont littéralement vendre l’Orthodoxe Bizance aux Ottomans, se débarrassant de l’encombrante chrétienté d’Orient. Désormais, seul l’intérêt domine et les principes moraux ne sont plus qu’un vague emballage. Louis XIV reproduira la même stratégie à travers sa diplomatie Ottomane destinée à affaiblir la dynastie Habsbourg.
Les « grandes découvertes » peuvent commencer. On a besoin d’or, d’épices, on va donc aller les chercher par tous les moyens. Jusque là, rien que de très normal, toutes les autres civilisations ont fait cela.
Mais nos monarques et nos princes vont en profiter pour régler un autre problème. C’est qu’on n’efface pas un tel effondrement, on ne reprend pas en main facilement des militaires dont la plupart ne sont que des soudards spécialisés dans la mise à sac, le viol et le pillage. Il suffit de lire les descriptions des guerres d’Italie sous François 1er pour s’en convaincre.
Les « grandes découvertes » et la « mise en valeur » des nouvelles contrées, ce sont eux qui s’en chargeront. Les Amériques vont être pillées, mises à sac, leurs villes détruites et les morts se compteront par dizaines de millions. Au bas mot, entre 60 et 80 millions de morts en 50 ans pour les seules Amériques, un véritable génocide, un véritable crime contre l’humanité, avec la destruction de tous les peuples, de toutes les civilisations et villes, cités qui s’y trouvaient, puis la réduction en esclavage jusqu’à ce qu’ils meurent des hommes, des femmes et des enfants, afin de sucer jusqu’à la dernière goutte d’argent et d’or. C’est que comme les rois d’Europe, d’Espagne et du Portugal en l’occurence, n’étaient à l’origine pas suffisamment riche, le deal était très simple: nos soudards étaient lâchés, libres à eux d’administrer ces terres comme bon leur semblaient, la « métropole » ne serait pas regardante. Le même principe s’appliquera en 1830 à Alger qui sera mis à sac, pillé, la population délestée de son or et de ses bijoux, les cimetières vidés et retournés à la recherche du moindre carat, pour le plus grand plaisir de l’ancêtre du Baron de Seillière qui s’est partagé le butin avec le roi Louis-Philippe.
Quand les Amériques ont été pillées et détruites, les portugais se sont tournés vers l’Afrique que le pape, devenu une simple girouette départageant les conflits entre puissances, leur avait confiée. Et le même scénario se reproduit. Les cités, les royaumes et les civilisations pourtant riches et florissantes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrales seront détruites, pillées et leurs richesses confisquées, les empires mises à la botte, leurs populations déportées, privées de leurs terres avant que ne commence la déportation vers les Amériques.
Le même scénario se reproduira aux Indes. Une fois colonisées, les populations seront progressivement amenées à ne produire que pour les besoins de la métropole, Angleterre, France voire Portugal et Pays-Bas. Etoffes, blés, coton. Et quand au 18ème siècle il sera moins cher de produire tout cela aux Amériques (esclavage) ou dans les manufactures mécanisées de la métropole, toute l’économie indienne, désorganisée, sa structure sociale totalement chamboulée, sera laissée à elle-même, passant d’une civilisation riche et prospère au 16ème siècle, à ce pays gangrené par la pauvreté et miné par une organisation sociale incohérente désorganisée jusqu’à nos jours.
Que dire de la Chine à qui l’Angleterre a fait la guerre pour lui imposer le commerce et la vente libre de l’opium…
La civilisation qui a vu le jour en Europe au 16ème siècle sur les ruines de la Chrétienté d’Europe, cette civilisation tournée vers le commerce vers l’ouest, littéralement la civilisation occidentale, civilisation par essence totalement mercantile et dont dès le départ l’enrichissement par tous les moyens a primé, cette civilisation qui a donné naissance au capitalisme, est avant tout une civilisation prédatrice.
Elle a transformé tous les aspects du vivant, à commencer par les êtres humains eux même, en commodités, en marchandises. Elle a opéré ainsi sur les 5 continents et jusqu’en son sein. Enclosures dans l’Angleterre pré-industrielle. Travail des enfants dans les mines et les filatures de l’Europe au 19ème siècle. Sacrifice du monde agricole et du monde rural jusque nos jours, où les paysans à bout se suicident chaque année par centaines.
Le sort des hommes, leur origine importe peu.
À la différence prêt que pour justifier une prédation brutale, destructrice, notre civilisation a élaboré des concepts intellectuels qui la rendraient tolérable, inévitable, voire humaine et bénéfique.
Dans son film adapté du roman de Zola « Au Bonheur des dames », deux mondes s’affrontent. Celui de la petite boutique, du tissu solide, robuste, une boutique sombre où le labeur est rude. Et puis celui du grand magasin, avec ses lumières, avec sa frivolité, la tentation, le luxe, les employées salariées, les montagnes de bibelots et de vêtements. Quand à la fin s’impose le grand magasin, la jeune fille, nièce du vieux boutiquier ruiné et également amoureuse du propriétaire du grand magasin rival a ces mots simples que nous entendons, que nous prononçons chaque fois que l’on fait face à une tragédie moderne, « on n’y peut rien, c’est le progrès ».
Le progrès, la modernité, les valeurs universelles, la science, la liberté, l’ouverture, l’occident s’est bardé d’un vocabulaire positif qui lui permettrait d’étendre sa domination et de plier les hommes avec le sourire de celui qui apporte le bonheur avec lui.
Le progrès, ce furent ces petites filles de 4 ou 5 ans qui pouvaient se faufiler sous les métiers à tisser et les machines à filer, 12 heures par jours, au risque d’y perdre un doigt, une main, tout en y ruinant leurs poumons dans les poussières de coton, justes petites sœurs en destinées de leurs lointaines ancêtres sud américaines qui mourraient dans les fonds étroits des mines d’argent.
La modernité, ce sont ces plats surgelés emballés dans des plastiques cancérigènes dont nous neutraliseront les effets avec des médicaments destinés à vaincre les tumeurs mais qui à long terme ne manqueront pas de provoquer des Alzeimer ou de violentes décalcification osseuses, ce sont ces niveaux de pollutions dans nos grandes villes et jusque dans les bidonvilles de cette Afrique naguère détruite et déstructurée et aujourd’hui livrées à la prédation de quelques multinationales contrôlant le cacao, le café, le cuivre, l’uranium et la palme, tous devenues indispensables à notre « bien-être » moderne.
Les « valeurs universelles », ce sont les mines sérieuses et éplorées de nos journalistes et de nos politiques quand il s’agit de parler de la « condition des femmes » dans des pays auxquels nous livrons par ailleurs des armes pour des milliards d’euros.
La science, ce sont nos centrales atomiques, autre produit du « progrès ».
La liberté, c’est cette utopie de plus en plus consumériste, le choix de A plutôt que B et la liberté de licencier, protégée par des caméras de surveillance et une interception de plus en plus légale d’aspects de plus en plus vaste de notre intimité.
L’ouverture, c’est notre droit à des vacances aux quatre coins du monde, et qu’importe si la population locale, « si gentile », plie sous le joug d’une dictature appuyée par nos soins pour garantir le calme de nos vacances comme ce fut le cas pendant trente ans en Tunisie ou en Egypte, c’est notre droit d’importer des objects produits pour trois fois rien dans des conditions abjectes…
On en a agité, des mots.
Ici, au Japon, « l’ouverture » et « la liberté », ça a été en 1863 trois bateaux avec des canons pointés sur la capitale et un ultimatum. Une fois « ouvert », le Japon a du accepter les « valeurs universelles » de l’Occident, c’est à dire que pour les étrangers coupables de crimes, le Japon n’aurait aucun pouvoir de justice, ce serait des juridictions étrangères qui s’en occuperait, et gracieraient. Même de nos jours, régulièrement il y a des histoires de viols de jeunes japonaises par des militaires américains basés à Okinawa. Imaginez le scandale planétaire d’une américaine qui serait violée par un soldat d’un quelconque pays du sud…
Loin de moi l’idée de refuser l’idée d’un mieux humain que l’on appellerait progrès, d’une possibilité d’avoir le choix et la maîtrise de son destin que l’on appellerait liberté, de l’enrichissement qui consiste à échanger et rencontrer selon les principes d’ouverture. Je suis un cosmopolite, je suis un urbain, et le monde urbain est un monde de liberté, d’échange et d’ouverture.
Mais il faut reconnaître que le capitalisme, cette excroissance ultime d’une civilisation qui à son origine s’est développée sur la prédation du monde et du vivant, et dont nous mesurons de nos jours les conséquences en matière de destruction des espèces et des écosystèmes, ce n’est en rien une civilisation marchande comme le fut Athènes, ou Venise, ou Damas, ou Osaka, ou…
D’ailleurs, le capitalisme est-il vraiment une civilisation, ou n’est il pas plutôt l’ultime fossoyeur de la civilisation? Socialisme ou Barbarie, écrivait Castotiadis dans les années 50…
La colonisation de l’Algérie n’a pas été un accident de l’histoire. La relégation des algériens au statut d »indigènes musulmans » de 1871 à 1956 ne doit rien au hasard non plus: après avoir détruit et pillé les Amériques et l’Afrique, l’Occident a élaboré là aussi un vocabulaire positif, une hiérarchisation des « races », de leur « caractères » psychologiques (les asiatiques fourbes, les africains fainéants et lubriques, les arabes sanguins et menteurs, les peuple d’Océanie naturels et naïfs…), de leur aptitude à la civilisation (les africains se tapant ici le zéro pointé), de leurs caractéristiques physiques (les asiatiques « jeunes » aux « yeux bridés », les africains « noirs », les juifs « au long nez sémite »), etc
Il était donc naturel que la république conservatrice des notables menés par ce salopard de Thiers des années 1870, puis des grands affairistes des années 1880 menés par cette ordure raciste de Jules Ferry (1), allait faire de cet ordre racial l’ordre républicain lui-même dans les colonies après les avoir pillées et dépossédé les populations de leurs terres pour les confier à des colons venus de métropole.
Avant la colonisation, les algériens mangeaient à leur faim et exportaient du grain, ils étaient largement alphabétisés comme dans tous les pays musulmans où la lecture du Coran dans le texte est impérative (exactement comme chez les protestants).
Jusqu’aux années 40, les disettes étaient fréquentes et en 1962, 85% des algériens étaient analphabètes. Progrès?
Avant la colonisation, les routes et les voies de communication étaient héritées du temps long d’une économie agricole tournée vers le commerce dans les villes du territoire qui en échange fournissaient épices et produits de l’artisanat, avec en plus la spécificité des routes traversant le Sahara, ce vaste océan sec qui irriguait les Afrique de produits et d’échanges culturels.
En 1962, l’Algérie a hérité d’un pays réorganisé pour le seul commerce vers la France, avec des territoires enclavés et surpeuplés d’une population coupée de ses repères après avoir été déplacée et re-deplacée au gré des politiques décidées par « la métropole » et ses représentants en Algérie, les grands colons. Progrès?
Aucun peuple du monde n’avait demandé, réclamé ni même besoin de l’aide, de l’assistance, du soutien ni du « progrès » de l’Occident. Seul l’Occident, animé par son instinct de survie au sortir de guerres, épidémies et effondrement économique et philosophique, pensait avoir besoin de plier le monde. Il aurait pu en être autrement comme ce fut le cas pour toutes les civilisations précédentes, il n’en a rien été.
Cette rage prédatrice n’a trouvé aucune forme, aucune force, aucune autre civilisation pour en limiter la prédation.
Ou plutôt si. Les peuples eux-mêmes ont tenté, et parfois réussi, la reprise en main de leur destin, et parmi eux l’Indochine/ Vietnam, l’Algérie, Cuba.
Pour l’Algérie, cette guerre de 8 ans qui a suivi la défaite en rase campagne du côté de Dien Bien Phu, la blessure reste béante du côté Français bien plus que du côté algérien, et cela contrairement à ce discours officiel qui parle de blessure des deux côtés.
La France, à travers la perte de l’Algérie, a perdu sa force impériale, l’illusion de sa supériorité en tant que civilisation, voire même l’illusion de sa supériorité raciale, puisque cette supériorité si savamment théorisée avait fini par être enseignée à l’école et dans les expositions universelles et autres zoos humains qui mettaient en scène un empire rempli d’exotisme barbare et curieux à la foi, du « vaillant guerrier Maure » à « la négresse à plateaux » qui tous justifiaient l’entreprise civilisatrice de la France éternelle.
Face à une telle histoire qui dépasse, et de loin, le cadre de l’Algérie, les propos d’Emmanuel Macron apparaissent bien creux.
Car s’il y a bien un réel, indéniable et incontestable crime contre l’humanité, c’est de celui de toute l’œuvre de conquête du monde amorcé dans la deuxième moitié du 15ème siècle qu’il s’agit, avec ses populations natives américaines exterminées par dizaines de millions jusqu’à leur quasi-disparition physique, culturelle et humaine, prologue au dépeçage de l’Afrique avec ses vingts millions de déportés, ses millions de victimes des destructions et pillages de villes, de royaumes et d’empire et dont les répercussions se poursuivent jusqu’aujourd’hui dans ces famines dans un continent qui ne parvient pas à panser les plaies de la prédation des 17ème et 18ème siècles. Elle est dans ces massacres à intervalles réguliers qui se sont succédés tout au long du 19ème siècle, et c’est dans ce cadre monstrueux d’une civilisation familière des Pogroms que s’inscrit la destruction industrielle et « scientifique », dans un cadre « moderne » et « rationnel », que s’inscrit l’extermination de 6 millions de juifs, sorte d’apothéose « finale » dans l’horreur d’une civilisation qui n’en était pas à une première.
Replacer cette colonisation de l’Algérie dans un cadre plus vaste de la civilisation qui l’a vu naître, une civilisation dont tous les scientifiques s’accordent à dire qu’elle est en train de basculer inexorablement vers sa propre destruction par la destruction de tout le vivant, bref, la placer dans le cadre d’une critique du capitalisme lui-même, et dans la perspective d’un socialisme réinventé qui cesserait de se penser dans sa part purement occidentale mais bien plus largement dans la perspective d’un mouvement destiné à rendre aux peuple la maîtrise de leur propre destin, c’est sortir des discours catégoriels qui ressurgissent, comme cela a été le cas après la déclaration d’Emmanuel Macron.
Par discours catégoriels, entendons les pieds noirs, les harkis, les anciens combattants qui chaque fois que le sujet surgit protestent et se plaignent.
La plupart des pieds noirs, les harkis, les anciens combattants ont autant été victime de l’histoire de cette prédation que les Algériens. Il y a juste qu’ils en ont été, de façon objective, les instruments.
La plupart n’en ont tiré aucun réel profit, la dernière génération en a tiré un réel arrachement.
Et si finalement les sentiments des hommes doivent être respectés, il n’en demeure pas moins que quand des Algériens de l’Étoile Nord-Africaine dans les années 1920 pointaient du doigt les inégalités, bien peu de pieds noirs se mobilisaient à leurs côtés.
Camus dépeint la Kabylie, autrefois rude mais prospère, avec ses famines et sa pauvreté, son analphabétisme, mais Camus jamais ne s’est insurgé contre cela, parce que finalement, cela aurait été reconnaître que, d’une certaine façon, il en avait bénéficié. C’est cela qui le fera passer à côté de l’histoire en ne devenant pas l’Algérien qu’il aurait pu devenir, et en s’accrochant à cette Algérie française inégalitaire, analphabète, avec ses ghettos à Algériens et son économie strictement tournée vers les besoins d’une métropole lointaine mais militairement présente, et où les « indigènes musulmans », privés de travail et de droits civiques sur leurs propre sol, devaient émigrer pour assurer leur subsistance et celle des leurs, s’entassant dans des chambres insalubres à 6, à 7 ou à 8, coupés d’une population française qui ne les connaissaient que par les clichés véhiculés par les livres d’histoires écrits par le réactionnaire nationaliste Ernest Lavisse pour l’éducation nationale « républicaine » d’un Jules Ferry raciste et affairiste encore encensé de nos jours.
Ce ne sont pas des excuses dont les peuples opprimés ont besoin, c’est d’une reconnaissance de la légitimité de leur lutte pour leur propre émancipation, c’est une reconnaissance de leur histoire, des dommages qui ont été causés et qui sont irréversibles, c’est cette reconnaissance qui seule peut les amener à recommencer à se sentir non seulement dignes, beaux, porteurs de valeur, de culture et de civilisation.
Il n’y aura jamais réparation possible pour les dizaines de millions de natifs américains exterminés et véritablement victime d’un crime contre l’humanité, crime inaugural de l’âge capitaliste qui en a commis tant d’autres.
Mais ce qu’il peut y avoir, c’est retrouver légalité de notre condition dans cette économie prédatrice qui n’obéit qu’à la recherche du profit, au sacrifice de tout autre considération, humanité, culture ou nature.
C’est sous cet angle que je n’en veux à personne, c’est sous cet angle que je comprends ma présence en France et que je m’accepte en tant que Français, mais que je regarde aussi ceux qui sont de l’autre côté, que je me refuse à voir comme des victimes, ce qui m’impose la responsabilité de reconnaître la légitimité de leur lutte, ainsi que la possibilité que leur lutte puisse limiter mes propres privilèges, celui, par exemple, de boire mon café et manger du chocolat comme s’ils s’agissait d’un dû quand ces produits sont parti prenante d’un système de domination social, économique et « racial » qui impose la monoculture à des populations tout en les forçant à importer leur propre subsistance.
Emmanuel Macron a fait son coup à la Trudeau, du cool, et il se déploie depuis en rétropédalage pour « apaiser ». Le même jour, on a eu cette interview au sujet de La Manif pour Tous, au sujet de tous ces anti-mariage pour tous qui se seraient sentis humiliés et que là encore il tente d’ »apaiser ».
Et finalement, le même pataquès que pour l’Algérie, où il ne maîtrise pas le sujet et où il se vautre en méprisant toutes celles et tous ceux qui, comme moi, ont vécu cette expression d’homophobie à travers les insultes, des injures, les paraboles bibliques à deux balles comme des insultes personnelles.
Nous, les homosexuels, n’avons retiré de droit à personne en gagnant l’accès à l’égalité devant le mariage, mais dans cette débauche d’insultes qui s’est étalée dans les rues et les discours de la réaction, c’est comme une forme d’innocence que nous avons perdu. Ce qui aurait dû être de la joie aura pour toujours le goût amer du mépris qu’une minorité organisée, coachée aux USA à l’école du Tea Party, a imprimé à cette loi, sous l’œil complice d’un gouvernement qui a l’utilisée pour nous utiliser, nous, les homosexuels, comme un marqueur politique destiné à dissimuler des renoncements et retournements politiques, économiques et sociaux auxquels n’est pas étranger celui qui était alors conseiller auprès du President delà république, Emmanuel Macron. Pink washing.
À vouloir se concilier tout le monde, on insulte tout le monde. Emmanuel Macron fait preuve d’un amateurisme incroyable sur des sujets sensibles, et à défaut d’être clair dans son projet, il utilise l’ »apaisement », une sorte de populisme inversé qui est aussi une forme de populisme puisque personne ne lui demandait ses propos sur La Manif Pour Tous, et que son fort rétropédalage sur l’Algérie montre qu’il ne maîtrisait pas son sujet.
Or, face à un Front National aussi fort et dominant la campagne en position centrale, ce n’est pas lui qui portera les pots cassés s’il y en avait, mais celles et ceux qui tentent de développer en France un antiracisme politique qui sorte le racisme d’une question morale (le racisme, c’est pas gentil, les racistes sont des fachos) pour en faire une question politique, c’est à dire enracinée dans les structures mêmes de la société, même si ça fait mal, exactement comme ACT UP il y a trente ans, quand les premiers militants new yorkais démontraient que la passivité politique devant l’épidémie s’expliquait au premier lieu par ses victimes: african americans, hispano, africains, homosexuels, prostitués et toxicomanes. C’est sur ce constat que s’est formée une coalition politique, qu’un activisme fort et intransigeant est né et que les populations concernées ont pu sortir de leur torpeur, se battre et marquer des points.
Que ce débat sur l’Algérie continue sur sa lancée actuelle, et ce sont les militants qui paieront les frais de l’opération Trudeau d’un type qui n’a jamais distribué un tract de sa vie, comme le disait ironiquement Michel Rocard à son sujet peu de temps avant de mourir.
Mes propos au sujet du colonialisme, des pillages commis par notre civilisation à l’échelle planétaire, cette genèse prédatrice du capitalisme et qui lui est concomitante comme le démontrent les paysages dévastés du Canada de Trudeau le « cool » où les forages pétroliers se sont multiplier pour sucer jusqu’à la dernière goute d’hydrocarbures, peut-être cela ne vous aura pas plu.
Mais c’était le but. Chacun est à sa place sans être un « coupable », restitué simplement comme un sujet historique, avec une fonction sociale. Et sur cette base, alors, on peut sortir des passions pour bâtir une égalité réelle, une égalité politique, un respect réciproque, et se tourner vers l’avenir pour forger ensemble un projet politique qui ambitionne autre chose que continuer la même chose avec du saupoudrage de déclarations cool. Un réel projet de liberté, c’est à dire un projet qui restitue leur pleine dignités aux individus et aux peuples du monde. En un mot, sortir de cette société prédatrice qui a mis le monde à sa botte en le détruisant et qui le conduit à sa perte si rien ne vient en changer la course.
En seront nous capables? Je ne sais pas. Je ne fais que donner mon point de vue. Mais en prenant le temps d’écrire cet article, j’ai tenté de sortir du clinquant concernant le sujet grave du colonialisme et le l’esclavage pour les remettre en perspective bref, j’ai été honnête avec vous. Et j’espère que dans ce flot de mots que je vous remercie d’avoir fait l’effort de lire, j’aurai semé quelques idées qui le moment venu nous aideront à sortir de cette société véritablement prédatrice qu’est la société capitaliste. Parce que chacun d’entre vous, tout comme tous les autres, et les milliards de celles et ceux qui vivent dans ces pays blessés, et tout comme moi, nous le valons. Et celles et ceux qui nous suivent dans les générations à venir, le valent encore plus.
(1) « Mais il y a une autre forme de colonisation, c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont, ou bien un excédent de capitaux, ou bien un excédent de produits. (…) Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avantageux. (…) Dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché.(…) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures (…) parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.(…).
Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. » Jules Ferry, intervention à la Chambre, 1883.
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