Les grands absents…

L

Samedi dernier sur le quai du métro. J’adore le prendre en photo. Ca le fait rire.
J’ai toujours, depuis mon plus jeune âge, nourri le rêve de vivre un jour au Japon. Le rêve est devenu réalité depuis 10 mois ! Comme le temps passe… Je ne veux pas jouer au bilan à 10 mois de mon départ, mais le temps gris, la proximité des fêtes de fin d’année me font penser à ce qui fut naguère mon quotidien, et à songer à ce qu’il en est aujourd’hui. On appellera cela comme on voudra, c’est tout de même un peu un bilan…
Si je devais résumer ma pensée, le nom de ce post serait le plus adapté : « les grands absents ». Entendez, mes amis. J’ai écrit il y a deux-trois jours un très long message à mon ami Nicolas. Ce long mail m’a fait beaucoup de bien, m’a aidé à y voir plus clair concernant quelques questions, et je me suis apperçu que cela faisait très longtemps que je ne m’étais confié, que je n’avais parlé de moi, de ma vie et de mes interrogations : je suis quelqu’un qui s’interroge beaucoup comme vous devez le savoir… Et j’ai finalement pensé, après avoir ressenti le bien être qui suis la confidence, que ma vie sociale est limitée au travail et à mon ami. Non que mes collègues me déplaisent, au contraire, l’ambiance entre nous est bonne. Il ya a eu un automne assez difficile pourtant, avec un nouveau plan de cours et quelques tensions mais cela est inhétant à toute entreprise et je crois qu’au contraire cela a un peu rapproché l’équipe. NOVA n’est pas la méchante société dépeinte ici où là. Non que mon ami ne me plaise pas : j’y suis attaché, je passe par des étapes variées dans l’échelle des sentiments. Il m’est arrivé de penser que ce serait simple de le tromper, je croise parfois des garçons vraiment mignons. C’est finalement cette extrème simplicité de la trahison qui m’en empêche. Entendez par là que je ne peux m’empêcher de voir le visage de Kaikai, ressentir sa présence. Et je me trouve stupide d’avoir pensé un truc pareil, en même temps que je trouve cela amusant. Je me suis habitué à le voir près de moi, à recevoir ses mails et à leur répondre, à le titiller. Je crois qu’il s’est habitué à mes sautes d’humeur, à mon côté taciturne et pas bavard quand je suis en colère (je n’élève jamais la voix, c’est une habitude que j’ai fini par perdre, je me tais… ).

浜離宮公園 / Parc Hamarikyû.
Mais qu’en est il des « copains ». Avoir gagné un « ami » avec Kaikai, un de plus que ceux que les ans m’ont apporté, c’est énorme. Mais en dehors, personne. D’où une certaine sensation d’enfermement que Kaikai ne m’aide pas à briser. Il est à l’image de nombreux jeunes japonais qui n’a pas d’amis : son père était mûté d’une ville à une autre tous les 2 ans. Fufuoka, Mie, Kôbe, Shizuoka, Nagoya, Tôkyô… Il est gay et n’est pas outé à son travail (c’est quasiement inenvisageable au Japon, dans une entreprise ordinaire). Il habite Chiba, non par choix mais parce que son travail est dans Chiba-ken… Kaikai et la vie sociale, ça fait deux. Bref, c’est souvent à moi que revient l’initiative d’aller dans tel ou tel endroit. Il m’arrive de le ressentir comme un boulet, oui, vraiment. Si j’étais seul, je pourrais… j’irais… c’est un peu ce qu’il m’arrive de penser. C’est une pensée idiote car, c’est bien connu, « c’est toujours de la faute de l’autre ». Je pourrais changer de copain, aussi. Vous comprenez cette idée qui me vient à l’esprit, maintenant.
Bref, c’est à moi, dans ces noubreuses soirées et journées où je suis seul de mettre le nez dehors et de réaliser certains de mes projets, notamment associatifs (non pas créer une association, mais plutôt être volontaire dans une association gay/ prévention VIH)… J’ai besoin de voir de nouvelles têtes, de pouvoir parler un peu de moi. Certains me diront d’aller dans des bars, des clubs, etc… Désolé, j’ai donné dans ma jeunesse, et j’ai depuis longtemps conclus qu’ils sont les pires remèdes contre la solitude, au contraire. Sortir, c’est bien avec du monde. Seul, c’est plutôt triste. Et fréquenter le milieux des gays étrangers de Tôkyô, ça me déprimerait encore plus. Je n’ai pas quitté Paris, Londres à côté, pour retrouver « les mêmes » à 10,000 km… Kaikai et moi sommes à un tournant. Cela fait près de 10 mois que nous nous connaissons. Et nous allons passez les fêtes de fin d’année ensembles, à Kyôto, pendant une semaine. Je doute des fois, ce n’est pas toujours facile pour moi, une relation longue, à l’étranger, mais nous construisons cette relation pas à pas, comme toute relation.
Ce n’est pas à lui de trouver ma place au Japon. C’est à moi de me la faire. Et sa présence à mes côtés est un puissant encouragement.
Depuis un certain temps, et c’est certainement le fruit de sa présence, je m’envisage dans la durée. Il y a quelques jours, par exemple, une élève m’expliquait son budget. Mettre de côté, prévoir ci ou ça. Il y a une semaine, je lisais dans un journal le budget d’une mannequin. Un collègue me parlait de sa façon d’économiser. Je n’ai jamais fait de budget que pour mes vacances au Japon, plus par crainte de me retrouver à court que par prévision. Et encore, je profitais allègrement du système d’avance à la semaine chez Manpower et de ma « facilité de caisse » à la banque. Ici, aucune de ces facilités. Je claque l’argent au fil du mois. En écoutant cette élève, je me suis apperçu que pour mes parents, le « budget » était un produit de la nécessité, de leur pauvreté. Leur situation les empéchait de prévoir l’avenir, si ce n’est pour l’envisager dans un « plus tard », aléatoire, incertain. Bref, ce n’est même pas que je n’ai jamais voulu faire de budget, c’est tout simplement que je n’ai pas appris, et que finalement les seules fois, c’était pour éviter une catastrophe. Jamais pour « devenir ». Depuis quelques temps, cette idée germe en mo et l’autre jour, en écoutant cette femme, ce fut comme une évidence. D’ailleurs, samedi, je disais à Kaikai « quand j’aurais 80 ans »… J’aurais un jour 80 ans. Mince… C’est la première fois de ma vie que je pensais ça. Me voilà mine de rien arrivé à 41 ans. Un conseil, comme ça en passant, si vous n’avez jamais pensé à votre avenir, pensez-y ! Ca a l’air bête, mais si j’y avais pensé plus tôt !!! Enfin, je ne me plains pas, je me suis trouvé un travail sympa, un appartement sympa, un copain adorable dans le pays de mes rêves.

J’ai habité Bonne Nouvelle pendant plus de 20 ans dans cette pièce qui appartenait à ma mère et que j’ai vidé sans appel au cours du mois de janvier pour la quitter définitivement le 6 février. L’acte de vente sera signé le 11 décembre. C’est peut-être un des évènements les plus important de toute mon existance. Je vous expliquerai un jour. En tout cas, désormais, je n’aurai plus aucune raison d’attendre quoi que ce soi de la vie. Je termine ma conversion existentialiste cette semaine.
Comme je l’ai déjà dit, écrit et répété, je n’écris pas ce blog pour parler du Japon, car d’autres le font bien mieux que moi. Ce long mail à Nicolas m’a fait énormément de bien et m’a ramené à ce qui compte, finalement. Moi ! Et puis j’ai des lecteurs qui aiment bien, comme Nicholas au Texas, qui me laisse des messages très gentils.
Ces derniers temps mes sentiments dans le métro se sont inversés. Je me suis senti étranger. Non pas que les Japonais me l’aient fait sentir, cette fois, c’est moi qui me suis senti en trop, pas dans mon élément. Tôkyô offre parfois la triste sensation d’être surpeuplée, bref, qu’est-ce que je suis venu en rajouter une couche ? N’y a t’il pas un côté « voyeur » à venir d’installer comme ça, dans un pays étranger ? De quel droit a t’on imposé au fil de l’histoire, au nom de l’Universalisme des valeurs (l’emballage, au passage hérité de l’islamo-christianisme – je ne site pas le judaïsme car il n’est pas prosélyte) et du Commerce (la vraie motivation), à des peuples qui n’avaient rien demandé à personne d’ouvrir leurs frontières, d’accepter des étrangers… Ne suis-je pas moi même un représentant de ce basculement, de cet expansionnisme qui ne dit pas son nom ? Et la réaction des Japonais à l’égart des « blancs originaires des pays développés » n’est-elle pas de cet ordre, « qu’est-ce que vous venez fout’ chez nous ? » ? Je crois que je vais finir par être indifférent à certaines marques du racisme japonais : s’intéresser à un pays, une civilisation qui n’est pas la sienne n’est-ce pas une certaine forme de racisme. Entendre une ségrégation comme inversée. Pourquoi donc j’aime le Japon ?

Les paysages urbains sont radicaux. Il n’y a pas la place d’étaler tout : les Japonais aiment l’habitat individuel. Les routes sont donc de véritables empilements de niveaux. Ici, au sud de Kasai, à environ de 2 kilomètres de chez moi. En front de mer ! Après tout, c’est mieux de mettre des autoroutes en zone de risque élevé de tsunami…

J’aime acheter mon pays à la boulangerie Kaiser à Matsuya. Quand j’arrive, les vendeuses préparent ma baguette, elles sont souriantes. J’aime aller chez mon teinturier : elle me complimente sur mon niveau de japonais, elle est souriante. J’aime les jeunes de 渋谷/Shibuya qui se retrouvent en bande, les cheveux gris, la face blanchie sur la peau bronzée. Kaikai les trouve crétins et complètement à côté de la plaque. Moi, je les trouve jeunes, tout simplement. Bizarrement jeunes, mais jeunes. Ils sont absoluement indifférents à la présence des autres, étrangers ou Japonais. Après tout, qu’est-ce que le Japon a de mieux à leur offrir qu’une superficialité totale vantée par une publicité omniprésente et dont ils sont l’illustration extrème, totale. J’aime beaucoup me promener à 渋谷/Shibuya. J’aime la jeunesse de 下北沢/Shimokitazawa. Une jeunesse qui n’a non plus rien à faire des étrangers ou des Japonais et qui se contente de déambuler avec nonchalance dans ce quartier résidentiel et tranquille, qui n’est pas sans rappeler l’est parisien. J’aime le son de cette langue qu’il m’arrive de comprendre désormais dans le métro, ce qui provoque parfois mon sourire. J’obtiens des fois un sourire en retour. Ca a l’air bête, mais comme les Japonais sourient peu dans le métro, ça fait beaucoup de bien. J’aime mes élèves qui me racontent parfois leurs soucis ou leurs joies au hazard d’une « application » (15 à 20 mn de conversation où le professeur s’efface au profit de l’/des étudiant/s. Ils m’en apprennent beaucoup sur le Japon, mais aussi sur la France.


表参道 / Omote Sandô, la décoration de Noêl. Kaikai, très conservateur, n’a pas beaucoup aimé. Pour lui, Noêl, c’est un sapin. Point. Il a fini par convenir que c’était pas mal. J’aime bien Omote-Sandô mais quand même, ce déballage de tout ce que l’Occident offre de luxe, de cher… Kaikai est d’accord. Ici, je ne peux rien m’acheter. Mais on peut s’y ballader, c’est un boulevard, et il n’y a pas les rabateurs bronzés à cheveux long des karaoke.

Je commence à aimer le bruit partout. Normal, je peux m’en reposer dans mon quartier. J’aime bien les lumières de Tôkyô le soir, c’est comme Paris, en plus beau. Je commence à comprendre cette magie dont on m’a parlé à propos de New-York. Il y a des quartiers que j’aime, où j’aime marcher, comme le quartier de 神田/Kanda. Il y a ceux qui rechargent la batterie, comme 渋谷/Shibuya, 原宿/Harajuku. 六本木/Roppongi toujours pas. Et puis il y a ces quartiers où il m’arrive d’aller, comme 門前仲町/Monzennakachô, 吉祥寺/Kichijôji… Ou encore 横浜/Yokohama (mais là, ce n’est plus Tôkyô. C’est immense, Tôkyô.
J’ai recommencé, timidement, à étudier.
J’aime mon quartier, même s’il n’est pas encore à la mode (je ne suis pas encore célèbre, mais quand je le serai, tout le monde voudra habiter par ici ! ;-))
Je vous abandonne après ce long post. Ca m’a fait du bien, écrire, vous écrire. Il est 17h24, je n’ai rien visité. Normal, j’ai le temps…
De Tôkyô,
une petite laine sur le dos,
Suppaiku

Shimokitazawa, fascinante, la gare
Ginza, un fleuriste
Une soirée à El Flamenco pour mon anniversaire

Commentaires

  • toujours aussi juste, même dans les approximations!
    Je voulais juste dire que tout cela me touche toujours.
    merci donc.
    ps: et je dois faire partie des lecteurs de ce blog qui aussi commencent à s’attacher à Kaikai…

  • toujours aussi juste, même dans les approximations!
    Je voulais juste dire que tout cela me touche toujours.
    merci donc.
    ps: et je dois faire partie des lecteurs de ce blog qui aussi commencent à s’attacher à Kaikai…

  • J’ai beaucoup aime ton texte, tres touchant, tres juste, et je viens de le relire ce matin. Il y aurait tant de choses a te dire. Il a de la chance Nicolas de recevoir tes lettres!

  • J’ai beaucoup aime ton texte, tres touchant, tres juste, et je viens de le relire ce matin. Il y aurait tant de choses a te dire. Il a de la chance Nicolas de recevoir tes lettres!

  • Ce blog est vraiment toujours agréable à lire.. voire de plus en plus.
    J’ai toujours cette impression de lire « Tokyo vu de l’intérieur », non pas de l’intérieur de la ville, mais de l’intérieur d’un être humain. Ca change, et ca me change (au sens propre). Bonne continuation!

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