Un des rares programmes Chii sanpo sur Youtube.
(jeudi 31, vers 13 heures) La nuit dernière, je n’ai pas pu dormir correctement. Je pense que mes yeux se sont ouverts vers cinq heures ou cinq heures et demi, il y avait un fin rayon de lumière qui passait par le vasistas au dessus de moi, faible encore, comme au levé du jour. Et puis je n’ai pu me rendormir. Des idées venues du pays des rêves me tournaient dans la tête. Je ne m’en souviens pas très bien, mais à un moment, j’ai pensé que ça n’avait ni queue ni tête et je suis presque parvenu à me rendormir, mais alors j’ai pensé qu’il allait être l’heure de me lever, mon rythme cardiaque s’est accéléré et ça a été fini. Il était sept heures moins le quart. J’ai pensé, mince…
J’avais chaud, j’ai retiré l’une des deux couettes qui me couvraient. Ne me demandez pas pourquoi j’ai besoin d’être très couvert. Oh, et puis… Tout d’abord, j’aime dormir nu. Je veux dire tout nu. Éventuellement, en hiver, je mets un tee-shirt, mais je n’aime pas trop. J’aime bien ne rien porter du tout. J’aime le contact de ma peau sur les draps, que j’aime bien rêches et que je lave donc souvent pour qu’ils le restent. Nu, dans mon lit, j’ai le sentiment d’être vraiment chez moi, je me roule, me mets en boule, je me mets en travers, je me sens libre. Ça m’a pris je devais avoir quatorze ou quinze ans, j’ai abandonné le pyjama, un jour, et je me suis senti libre. Cette sensation ne m’a pas quitté. Il faudra toutefois que je m’achète ou que je me fasse un pyjama, très ample, pour l’hiver. Il devra être très ample, très très ample.
J’ai donc retiré la deuxième couette, celle qui donne un peu de volume, de poids. C’est un truc étrange, depuis l’enfance, la nuit, j’ai besoin d’une couverture, et bien souvent un simple drap ne me suffit pas. Peut être un reste de ces couvertures que ma mère superposait quand, enfant, j’étais malade. Rhino-pharyngite alternant avec bronchites et crises de foies dues aux antibiotiques et aux doses colossales de lait que l’on me forçait à avaler. Ma mère était partisane de ce qu’elle appelait des « suées » et j’ai donc passé des années blotti dans un lit surchauffé par des couettes, des couvertures et des draps. Aujourd’hui encore, un simple drap et une couverture légère me semblent parfois insuffisants.
C’était trop tard, je me retournais dans mon lit, je me suis mis à transpirer. C’est bon, j’ai pensé. Alors je me suis levé. Couché à une heure et demi, réveillé à cinq heures et levé à sept heures et demi. Pour sur, mon traitement n’aide pas mais je ne pense pas que ce soit l’Atripla. J’ai regardé le vasistas, je l’ai ouvert -c’est en fait une assez grande fenêtre dans le toit. Le soleil, l’air frais du matin et une bonne rassade de radiations ont envahi ma chambre, et j’ai laissé la fenêtre ouverte. J’ai entendu mon purificateur d’air et j’ai pensé à ce moment là que depuis le séisme, je n’avais pas une seule fois ouvert les fenêtres. J’ai enfilé un tee-shirt, un bermuda et je suis descendu.
J’ai arrêté le purificateur, allumé mon iMac et j’ai ouvert la fenêtre. Le soleil, le ciel bleu ont illimité la pièce, et l’air frais ainsi que quelques particules de Césium 137 et quelques particules d’iode 131 sont entrés. J’ai senti mon chez moi revivre et respirer. Un purificateur d’air ne remplacera jamais l’air pur, même l’air pur faiblement radioactif. Sur mon ordinateur, j’ai lancé le tuner et je suis tombé sur le super morning de terebi asahi, trop content de voir les têtes des présentateurs qui ne reviendront pas la semaine prochaine. En effet, le super morning se termine après 18 ans de bons et loyaux services. Je me demande quelle sera la prochaine équipe lamentable qui prendra la relève. La fille avec son garapon me manquera.
J’ai éteins pendant que je prenais mon petit déjeuner. J’espère ne pas avoir loupé THE Chii sanpo, celui que j’attends depuis deux semaines : le premier d’après le séisme. Je crois vous avoir déjà parlé de lui. Il s’agit d’un ancien acteur reconverti dans une émission promenade à travers le grand Tôkyô en générale, parfois en région, Chii san. Mes préférés sont ses promenades dans des arrondissements que je connais peu, comme Arakawa ou Kita. Ou encore dans ceux que je connais bien, et où il remarque des endroits que j’aime, un arbre ici, forcement rippana, ou un artisant obligatoirement sasuga. Pour connaitre Tôkyô, quand vous viendrez, branchez vous donc sur Chii sanpo, le matin, sur terebi asahi, entre 9 heures 55 et 10 heures 10. Essayez de retenir le nom de la gare. Enfin, je dis ça, mais si vous ne comprenez pas le japonais, prenez au moins le plaisir de faire ce type de traversée, et essayez ensuite la même chose en descendant dans un quartier, à l’est, vers chez moi. Kiba, Monzen, Morishita, Oshiage… Je suis sûr que regarder un ou deux épisodes vous inspirera un type d’exploration que vous connaissez bien si comme moi vous êtes un flâneur parisien ou un oiseau de nuit : passer le bout de son nez dans une petite ruelle délabrée, entrer dans une cour, regarder des terrains vagues où poussent des fleurs, envier les chats s’étirant au soleil devant la vitrine d’un magasin de biscuits, compter les papillons virevoltant au dessus de ces méga-touffes de plantes vertes et de fleurs qui bordent les rues des quartiers populaires de l’est, et franchir le porche d’un sanctuaire shintô apparemment à l’abandon mais qui de près dévoile un magnifique travail de sculpture sur bois. Je me promenais comme ça à Paris, au hasard sur mon vélo ou à pied, je me régale à Tôkyô. Jun m’a dit une fois qu’il ne connaissait personne qui se baladait comme ça. Je connais certains quartiers de Paris comme ma poche, mais concernant Tôkyô, je pourrais même parfois dessiner la carte… J’adore les quartiers de l’est, bien plus vivant que certains quartiers de Paris, grouillant de végétation, d’oiseaux et d’insectes sonores en été. L’annonce de l’annulation du Sanja-matsuri cette année m’attriste… Taitô sans Sanja, quelle tristesse…
Je n’ai donc pas regardé Chii, ce matin, mais j’ai continué à regarder un dorama de la fin des années 80, l’époque de la bulle spéculative. Autant le Japon fait parfois pauvre par moments, autant à cette époque on sent qu’il y avait de l’argent! L’histoire est nulle, mais je trouve toutefois que les doramas de cette époque avaient encore un scénario. Les feuilletons, de nos jours, ne sont que de très vilaines et très pauvres adaptations de mangas. Pire, la crise économique a fait s’installer un climat pudibond, bigot. Pas un sein, pas une cuisse, pas un baiser. Dans les feuilletons des années 80, on s’embrassait et le taux de dénudé était très comparable à ce qu’on a en France. Pas étonnant que le Japon soit devenu un pays de puceaux et de frustrés qui ne couchent pas (mais lisent des mangas bourrés de trucs pervers). En tout cas, l’histoire de celui là est gentillette. Ça se laisse regarder.
(vendredi 1er avril, vers 13 heures trente) Le temps passe vite, je n’ai pas pu terminer mon message, hier. Le matin, j’avais donné une leçon à Marie. L’après-midi, je suis allé à l’école. Il faisait très beau. Le printemps est définitivement là, d’ailleurs, on peut enfin voir des fleurs dans les cerisiers. Mes leçons se sont enchainées, la dernière, celle de mon étudiante Rie, a été intéressante. Elle parle bien (je l’évalue B1 et pense qu’elle pourrait tenter B2), et elle a des amis Français. Sitôt le premier tremblement de terre passé, elle a reçu un email d’un ami Français, a qui elle a dit qu’elle allait bien. Les mais suivants de cet ami se sont avérés, comme ceux d’autres amis, insupportables, m’a t’elle dit. Tout lui disaient de fuir, loin, de quitter le Japon. Rie a très bien résumé son sentiment, et le miens, fuir où? Elle a vite compris que la télévision japonaise couvrait la réalité, mais quand elle a regardé la télévision française, la vision apocalyptique l’a énervée. Elle cherchait de l’information, n’a reçu que du stress et ce qu’elle considère être une forme de manipulation par la peur. Rie a confirmé mes sentiments et ceux de nombreux Français au Japon, pris en étaux entre une famille stressée en France et leur vie, leur quotidien, au Japon. Elle a jugé la réaction de la France, des Français comme une preuve évidente que les Français ne comprennent pas les Japonais. Là encore, la remarque qui fait mal, car moi même, j’ai ressenti cela, avec honte pour mon pays, la France. Les USA ont fait montre d’une plus grande discrétion dans leur gestion de cette catastrophe. Comme je lui ai dit, c’est très vite sur le New York Times que je suis allé chercher mes informations, et moi aussi, par moments, les réactions sur Facebook m’ont énervé car recevoir des messages m’informant qu’il y avait eu un tremblement de terre, que la centrale allait exploser, que les radiations seraient pire que Tchernobyl, avec des gens se répondant les uns après les autres sur mon mur, m’obligeant donc à recevoir ces messages, toujours dans la surenchère, en m’invitant à fuir loin, très loin, « même en Chine les radiations vont venir », incapables de lire mes commentaires leur demandant d’arrêter… Ici, on a tous eu la tête qui allait exploser, en France, personne ne semblait vouloir comprendre. Comme je l’ai dit dans mon premier message sur le sujet, nous sommes nombreux à avoir notre vie ici. Moi, à Tôkyô, j’ai mon journal, vingt ans d’écrits. Je suis venu avec, ici, comprenez vous ce que cela veut dire ? Ma place est ici. Maintenant, cela dit, j’ai également reçu des messages chaleureux, inquiets mais pudiques, parce que ça ne sert à rien de surenchérir. Ceux là m’ont réchauffé le cœur, et j’ai souligné aussi cet aspect à mon élève Rie qui, hélas, n’a reçu que des messages affolés, ajoutant du stress à la confusion du moment.
Le temps hier après-midi s’est couvert, est devenu incroyablement gris. Ce matin aussi était très beau mais tout à l’heure, alors que je prenais le métro, j’ai vu pas mal de nuages. La température est toutefois très douce. Dimanche, nous irons à Koishikawa regarder les cerisiers.
La télévision est désormais redevenue quasiment normale, les publicités font timidement mais sûrement leur retour. Moi, je ne sais si c’est l’effet tremblement de terre, mais depuis quelques jours, je m’asperge généreusement d’Aramis. J’écris ça car il y a deux jours, alors que je bavardais, j’ai senti mon propre parfum, et j’ai pensé que je devais en avoir mis une sacrée rassade! Parfum rétro, que j’aime bien parfois.
J’ai reçu un commentaire de l’îlotière qui avait suivi mon blog après l’article du 14: bonjour!
Dans la presse japonaise, la venue de Nicolas Sarkosy a été une sorte de non-événement. Il a assuré le Japon de la solidarité du G20. La venue d’un ingénieur d’Areva, de la présidente d’Areva sont un peu plus commentées, mais comme éclipsées par l’envoi d’une assistance technique par l’armée américaine.
Ce matin, je vous ai préparé un petit cadeau que je posterai plus tard car je dois terminer.
De Tôkyô,
Madjid
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