Eric, lendemain de la soiree Boost! Quelqu’un avait commis la faute de mettre une bouteille de mousseux au milieu du champagne… Comme je buvais beaucoup, j’ai ete tres mal et me suis ecroule vers 3 h du matin. Je me suis reveille le lendemain chez Eric. Eric est un garcon comme les aiment certains gay, moi compris, un boy next door, tres tendre, gentil comme tout… mais hetero! Photo prise au reveil. 1999
Je suis dans le métro, je vais au travail. Dehors, temps gris et frais. Je suis lancé dans une nouvelle opération de scann de toutes ces photos qui m’accompagnent. Mais ça prend tellement de temps. Et puis,…
Et puis toujours ce sentiment d’occasions manquées, de bonheurs anciens et oubliés, de choses inaccomplies que l’on appelle « nostalgie », et qui vous mettent un bon coup de « mélancolie ». Le passé est une denrée précieuse à manier avec prudence… Sur Facebook, avoir vu des photos anciennes postées par Didier Lestrade m’a redonné l’envie d’affronter encore toute cette pile de négatifs et de planches contacts accumulés au fils des ans. En y pensant, scanner tous ces négatifs et les publier largement est un moyen de m’en libérer car , telle ma mère, j’ai une très forte inclinaison à ne pas dire, ne pas montrer, ne pas partager, et remettre à plus tard. Seul, au Japon, privé de ces amis essentiels qui me racontent si bien et sont, ensembles, comme le reflet de ma propre existence, je me sens seul au fond, et je m’aperçois que petit à petit j’ai remis en route la petite machine à isolement. Il faut dire aussi que les chocs ont été très violents, deux fois au chômage, et à chaque fois, à la suite d’une faillite qui a fait date. NOVA, la plus grosse faillite du Japon. Lehman Brothers, je ne commente même pas.
Je regarde ces photos, je les regarde comme un miroir du temps qui passe /qui a passé, et je comprends à quel point certaines personnes me manquent, et je suis assailli de doutes profonds, et si finalement ma vie n’était pas avant tout une succession de moments où j’ai tout simplement tout foutu en l’air ? Je me revois encore, dans l’avion, alors que les plateaux avaient été débarrassés, allant aux toilettes de ma cabine « business », me regardant dans la glace et me demandant pour la première fois, comme si le temps s’était soudain arrêté juste ce qu’il fallait pour que je puisse enfin réfléchir, « c’est vraiment ça que tu voulais ? Maintenant, tu ne peux plus revenir en arrière », et puis, après avoir regardé encore un peu mon visage d’homme de quarante ans, je m’étais souri à moi-même et j’avais même ri. Je crois que ce départ est la première grande décision que j’ai prise dans ma vie, et au passage, en quittant Bonne Nouvelle, je savais qu’il n’y avait pas de retour à la case départ possible, en tout cas, en aucune façon comparable à 2000, quand je suis revenu de Londres. Maman a vendu Bonne Nouvelle. Dans des moments de déprimes, j’ai bien entendu élaboré des avenirs alternatifs, parfaits bien sûr. À BNPP, mon poste était enfin budgétisé et on m’aurait embauché (ça, c’est sûr à 90%) ; aurais-je accepté ? Si oui, j’aurais pu acheter Bonne Nouvelle à maman. Il y a deux ans, j’aurais demandé ma mutation à Tôkyô, et en ce moment, je travaillerais au-dessus de la gare de Tôkyô (sûr à environ 20%). Le négatif de ce scénario ? Tout d’abord, comme tout le monde à Sofia (l’immeuble BNPP à Barbès), j’aurais été transféré à Saint-Denis dans les nouveaux locaux. Ensuite, la DRH aurait préféré pour Tôkyô un type ayant travaillé à Londres, plus jeune, le genre qui voit Tôkyô comme la salle d’attente avant New York ou le big poste à Londres. Avec mon crédit et des contraintes en ce qui concerne le choix des vacances, j’aurais moins voyagé au Japon. Ce mois-ci, j’aurais appris que bientôt une partie de mon activité allait être transférée en Belgique. Tout cela, bien entendu, pour un travail que je n’aurais, à la base, pas vraiment choisi…
Je m’accroche ici car j’ai décidé d’y venir. Je m’accroche ici car au-delà de tous les agacements qu’il m’arrive de ressentir par moments, j’y vis une sorte de bonheur au quotidien que je ne connaissais pas avant, le Japon est un pays très tranquille et parfois il me semble vivre dans un pays d’enfants. Des enfants gronchons, mais finalement pas bien méchants. Et je vous avoue que ce contact avec la floraison, le vent, la qualité de l’ensoleillement sont des trucs qui ont totalement disparus en France et qui me manqueraient terriblement car je m’y suis habitué. Je suis l’un de ceux qui arpentent les jardins le dimanche, s’extasiant de la beauté des fleurs et de la richesse de leur parfum.
Mais la présence de mes amis auprès de moi est quelque chose qui me manque vraiment. Je me promenais beaucoup avec mes amis. Avec Alain et Nicolas, en particulier. Je les ai invités plus d’une fois dans ces longues randonnées à travers Paris. Le 16e, par exemple, y seraient il allés sans moi ? La rue Mallet Stievens et la villa Le Corbusier, mais aussi toutes ces rues aux façades néo-gothiques qui donnent un visage aux rues « des Thibault », ce couple de bourgeois en décapotables qui s’arrêtent et font leurs courses, une pomme de terre, 10 haricots verts et une carotte, sans sourire à la vendeuse, et en changeant d’avis trois fois avec toute la nonchalance des riches, les promenades vers nul-part le dimanche après-midi, que ce soit le septième ou le quatorzième, en partageant mes longues déambulations avec eux, Paris s’empreint de leur visage, et la ville me manque à travers leur absence. Les soirées chez Nicolas, parmesan et olives, vin rosé, Alain à la gare du Nord de passage à Paris, Freddie que je retrouve en bas de chez moi, ou dans le douzième avant d’aller dans ce café qui passe FashionTV en boucle (le Fashion café, comme nous l’appelions), les anniversaires de joelle avec une foule toujours plus grande et toutes les retrouvailles avec celles et ceux que l’on n’a pas vu depuis longtemps, les confidences que l’on se fait, les doutes que l’on partage, la politique, et toutes les manifestations, la section Montesquieu, et les Spont’Ex, et les soirées à Pelleport avec Julien, les soirées chez « les filles »… La terrasse de Stéphane dans le vingtième, les après-midi à rien faire, et les petits matins. Ce n’est pas un manque car ces souvenirs sont encore très présents. Non, c’est le sentiment que la suite se construit sans moi. Ce que je contemple dans mes scans est un monde qui n’est plus. Araki a raison de dire qu’une photo est comme un cadavre. J’exhume des cimetières entiers…
Quand j’écris que la machine à m’isoler s’est remise en route, ce n’est pas tant que cela soit de ma volonté. Le Japon est un pays où l’on est, comme biologiquement, étranger. Ce n’est pas moi qui pense ainsi, ce sont eux, endoctrinés depuis l’enfance à penser ainsi. Il faut avouer que de ce côté-là, il n’y a peut-être que la France et les Etats-Unis où l’on considère, en gros, qu’être national, c’est adhérer aux principes qui fondent une Nation définie comme expression de la Volonté Générale –non une race, une ethnie ou une religion- incarnée par une constitution –ni un dieu, ni un roi. Le Japon, comme beaucoup d’autres pays, ne se définit pas ainsi par son devenir ni son être ensemble, mais par ses origines et le destin de son roi, erronément appelé « Empereur ». L’extrème-droite, quoi… Un des exemples les plus grotesques est le président Péruvien Fujimori, d’origine japonaise, mais, hispanophone, parlant mieux anglais qu’il ne parle japonais. Après avoir fuit le Pérou, il a trouvé refuge au Japon où il a trouvé une nationalité de rechange. En revanche, les descendants de Coréens déportés au Japon dès les années 20 pour servir de main d’œuvre bon marché, même à la troisième génération, doivent faire face à de longues démarches pour devenir ce qu’ils sont pourtant déjà par les faits, Japonais. Leurs parents, eux même, sont allés à l’école japonaise, ne parlent souvent pas coréen, mais ils sont toujours considérés Coréens.
Alors, un étranger « classique »… Tous les jours, j’ai droit au spectacle lamentable de celles et ceux qui ne veulent pas s’asseoir à côté de moi dans le métro. Les propriétaires ne louent que rarement aux étrangers, cette pratique ayant été encore récemment dénoncée par un ministre (dans la précédente administration conservatrice, en plus, car certains commencent à redouter les effets à moyen terme d’un pays finalement aussi antipathique au moment où la Chine et les autres états de la région se livrent à des opérations de charme auprès des entreprises étrangères…). Je me sens bien ici, mais la chaleur de l’amitié, résolument, me manque. J’ai rencontré Jun, et cela fait beaucoup pour donner du sens.
Scanner mes photos fait ressurgir un passé qui, pour toujours, appartient au passé. Et éclaire d’une lumière très crue ce qui me manque ici.
C’est un choix que j’ai fait, sans bien maîtriser toutes les conséquences, mais c’est un choix qui est désormais derrière moi. Je suis décidé à m’y tenir. Je sais aussi que je ne serais pas plus heureux en France, et peut-être même… Parce que ce n’est pas le lieu où je suis qui compte, mais ce que j’y fais.
Scanner mes photos me fait bien penser, finalement…
Je m’aperçois que le passé est ainsi encore vivant en moi, et que c’est formidable; il m’arrive ainsi très facilement de reconstituer très aisément une journée en ne voyant qu’une seule photo, qu’un groupe de photos. Ca me donne envie d’écrire des mémoires, le genre littéraire de l’âge démocratique. Les mémoires de Beauvoir m’ont aidé à traverser d’importants moments, dans ma vie. Notamment cette Force de l’âge qui reste à mes yeux un des monuments de la littérature au XXe siècle, une somme.
Exhumer. Cela doit bien pouvoir s’exprimer avec des mots sans que cela ne soit de la psychanalyse, non ? Et la littérature, que peut-elle ? Et un roman, au XXIe siècle, qu’est-ce que c’est ?
Ce ne sont pas les années 80, qu’il faut, là encore, exhumer. C’est l’ensemble du 2e millénaire qu’il nous faut avaler pour essayer d’en saisir les dynamiques. Dans le grand livre d’image de l’humanité, avec ses fresques, ses peintures et ses photos, ses films aussi, au delà de l’aspect souvenir personnel, il y a dans mes modestes photos la preuve que j’appartiens, la preuve que mes amis, que tout ce que j’ai pu voir, côtoyer et observer, appartient à l’histoire de l’humanité. Je regarde les peintures des autres, les photos des autres avec un plaisir tel que j’espère très modestement contribuer au plaisir des autres, à votre plaisir, et créer un moment nouveau, un instant de vie. Faire du vivant avec ce temps irréversiblement mort.
Je regrette une chose. Au milieu de toutes ces photos, alors que je me trimbalais partout avec mon appareil, je n’ai jamais photographié Jacques Cristinet.
Je dédie ce post à la mémoire de Jacques, que ma distraction privera à jamais de cet éphémère passage dans votre vie.
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