Hier, j’ai eu 46 ans

(écrit le 21 septembre vers 12:30)
La première fois que je visitai le Japon, c’était il y a 8 ans, en 2003, du 25 août au 24 septembre. Il avait fait très chaud à Paris, et alors que je quittai une France où le redoux commençait enfin à s’installer, je trouvai à Tôkyô une chaleur moite incroyable, une sorte de souffle chaud qui m’avait saisi dès la sortie de l’avion.
Le souvenir de ce premier séjour est tout en vert, tout à vélo, tout en chaleur. Si ce n’est que sur les derniers jours, après mon escapade à Kyôto qui décida de mon envie de venir vivre ici un jour, et alors que j’étais de retour à Tôkyô, un typhon approcha de la capitale, les températures chutèrent brutalement, et il se mît à faire soudainement très frais.
Je me revois, abandonnant mon vélo vers Yotsuya, le dernier soir, sous la pluie…
L’an dernier, Jun et moi fîmes une promenade entre Yoyogi, Akasaka et Gaienmae, et quand nous arrivâmes au restaurant où il avait réservé une table pour mon anniversaire, il pleuvait très fort, je n’avais pas de parapluie, j’en fus tout trempé.
Je suis né avec l’automne, et l’automne est ma saison. À 46 ans, me voici à l’orée de l’automne de ma vie.
On y récolte ce que l’on a semé et, pour tout dire, loin de m’horrifier, cette perspective m’enchante : j’ai beaucoup semé et c’est pour cette raison qu’un site avec beaucoup de place s’imposait.
Beaucoup de gens s’investissent dans une carrière professionnelle où tout repose sur le bon vouloir d’un patron, je n’ai pas fait ce choix. Mon choix a été un choix de vie très risqué, et qui me fait un peu peur pour quand viendra l’hiver, je me dois donc de vivre un bel automne, riche et généreux afin d’aider les rigueurs qui suivront. Comme Simone de Beauvoir, mourir ne me fait pas peur, et vieillir non plus. Seule la signification sociale de la vieillesse revêt un caractère angoissant, mais je pense que vous êtes, comme moi, très nombreux à en avoir peur aussi…
Autant profiter de mes 46 ans, je suis encore suffisamment jeune pour jouir du présent, m’y inscrire, m’y investir.
J’appartiens à la cyber-génération, je suis parmi vous malgré la distance et malgré l’absence, et je prends un bonheur certain à savoir qu’il m’arrive de vous faire rêver, de vous enchanter en partageant des photos, des promenades. Et une certaine malice aussi, à savoir qu’une certaine exaspération vous gagne aussi quand vous lisez un de mes coups de gueules ou une de mes prises de positions pour celle que je considère, en dépit du déni d’une presse qui continue de lui préférer des personnalités insipides mais coutumières de leurs sérails, être taillée dans l’étoffe rare qui fait les hommes d’état et avoir le petit quelque chose qui en fait une femme de gauche particulière, attachante et sincère, Ségolène Royal.
C’est cela, écrire, c’est une magie incroyable.
Je ne vous connais pas, mais je vous connais bien, je vous devine. Connaissez vous Barbara ? Comme je partage ses mots, « Ce fut un soir en septembre, Vous étiez venus m’attendre, Ici même vous en souvenez-vous? À nous regarder sourire, À nous aimer sans rien dire, C’est là que j’ai compris tout à coup, J’avais fini mon voyage, Et j’ai posé mes bagages, Vous étiez venus au rendez-vous, Qu’importe ce qu’on peut en dire, Je tenais à vous le dire, Ce soir je vous remercie de vous, Qu’importe ce qu’on peut en dire, Tant que je pourrai vous dire, Ma plus belle histoire d’amour, C’est vous ».
Écrire, peindre, chanter, c’est beaucoup de solitude, beaucoup de doutes. Bien sûr, il y a ceux qui sont nés dedans, il y a ceux qui s’y sont pris de bonne heure. Dans mon cas, le doute l’a toujours emporté. Il s’est dissipé avec les années. Je ne doute plus, pour tout dire, « j’ai peur, mais j’avance quand même », comme le disait, là encore, Barbara. Barbara, la chanteuse de l’automne. Cette Chanson pour une absente, co-écrite avec William Sheller dans l’album La louve… Je suis de l’automne et je ne doute pas de vous car je vous sais fidèle à nos rendez-vous.
Alors voilà, me voici à l’âge d’or, au Japon, à Tôkyô, avec le sentiment d’avoir un avenir comme jamais je ne l’avais ressenti auparavant. Je sais désormais que vous êtes là, et que tout cela n’est pas vain.

(suite, écrite plus tard, en soirée) Cette année, particulièrement chaud a été l’été qu’un typhon est aujourd’hui venu clore.
L’école, comme encerclée de vents et de pluies d’une violence inouïe. Les élèves ne sont pas venus. Je suis resté. Coincé. Impossible de sortir. Nous avons fermé l’école vers 18 heures et, avec Tyrel, un des professeurs d’anglais, je suis allé à la gare où les trains ne circulaient toujours pas. Souvenirs de séismes.
Et puis Reka et Yeva, deux collègues travaillant dans l’autre école, sont arrivées. Nous avons attendu jusqu’à ce que le premier train veuille enfin entrer en gare. Il était alors 20 heures 15…
Étrange journée anniversaire, mais quand on vit au Japon, n’est-ce pas cela aussi, le quotidien ? Séismes et typhons font parti de ce pays, ils y ont imprimé une emprunte profonde. C’est terriblement banal. C’était juste terriblement rageant que cela tombe ce jour là.
Ensemble, nous avons acheté des boissons. J’ai bu une bière, et puis une deuxième. Comme cela fait du bien…
Dans le train, nous avons plaisanté, ri de notre école pour laquelle nous éprouvons une certaine lassitude. Moi, j’aimerais tellement travailler plus près de chez moi, et avoir des collègues français avec qui bavarder…
J’écris ces mots, et je me sens tout imbibé d’alcool.
J’ai meublé mon après-midi à ne rien faire, incapable de me concentrer, en répondant à tous ces mots gentils pour mon anniversaire.
Didier m’a écrit un message où il m’annonce que la suite de mon histoire de « la crise » va être publiée. Ça, c’est bien!
Avoir 46 ans est finalement une suite, une continuation. Je n’ai aucun regret concernant ma jeunesse, et pour tout vous dire, je suis désormais plus que jamais en mesure de vous en parler. J’ai connu le bonheur qui s’est glissé entre la victoire de Mitterrand et l’apparition du sida, un moment rare que les jeunes gays ne peuvent imaginer, et que les plus vieux ont décidé d’oublier. C’est de l’histoire désormais, et ce n’est plus de la nostalgie, de mon côté. Le passé est derrière moi, mais désormais bien engagé sur la pente descendante, je contemple mon avenir avec une certaine excitation.
Je suis un homme mûr. Avec mes collègues, tout à l’heure, je m’amusais de boire une bière, et une deuxième, ils ne m’avaient jamais vu boire, car je ne bois quasiment plus. Et je ne traine pas avec eux. J’ai blagué en anglais, puisque cette langue, désormais, imprègne mon quotidien aux côtés du japonais.
Hier, toute ma vie, je ne sais trop pourquoi, m’est revenue en mémoire, et Londres, toujours Londres, y occupe une place à part. J’y ai été heureux d’être homosexuel, Londres fut un turning point.
Tôkyô fut bel et bien ma destination, même si la vie n’y est pas si facile, mais après tout, n’était-ce pas ce dont j’avais besoin, m’inscrire dans l’épreuve, la durée, tenir mon cap, insister. J’ai traversé ici le chômage, deux fois, et je suis toujours là. J’ai du interrompre mon traitement, et j’ai trouvé une solution satisfaisante, seul, et je suis toujours là et, mieux, je suis toujours vivant.
J’ai eu à gérer tant de difficultés, rien ne m’a abattu et, finalement, j’ai continué ma route. À 46 ans, je suis fort, solide. J’ai traversé la solitude, le doute, l’isolement, la misère et tout cela, je l’ai regardé avec lucidité. J’ai 46 ans, est-ce cela, la mâturité?
Et le bonheur, c’est cela ? Être là où on désire être, y faire ce que l’on désire y faire (pour moi, écrire, penser, photographier, mais aussi saisir ce qui m’entoure), cesser de se faire des illusions et se contenter de ce que l’on a : me concernant, je possède énormément. Le pays de mes rêves. On a bien quelques typhons, on a aussi quelques séismes et une saloperie qui suinte du césium. On a aussi Kyôto, les chats qui se languissent dans les rues à Yanaka, les vieilles qui arrosent les plantes vers Iriya, une tour géante qui émerge d’un quartier aux rues entremêlées.
Et j’ai mes lecteurs, impatients de lire la suite…
En créant ce site, je souhaitais revenir plus souvent à mon blog.
Je suis parmi vous, c’est mon anniversaire. Journée pourrie, encore coincé dans le métro après 5 heures d’attente vaine à cause du typhon. Mais c’est ça aussi, la vie, à Tôkyô. Non ?
De Tôkyô,
Madjid


Commentaires

8 réponses à “Hier, j’ai eu 46 ans”

  1. Alors quand c’est votre anniversaire, c’est vous qui faites des cadeaux ? merci !

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Bonjour, Yukiguni!
      Oui, c’est un peu mon cadeau d’anniversaire, vous offrir ce relooking! Ça a été un peu difficile à mettre en place, je n’en suis que plus content! J’espère que ça vous plait, et j’attends vos commentaires qui me font toujours très plaisir.
      Amitié,
      Madjid

  2. merci Madjid pour ce nouveau site (belle présentation, sobre, élégante) et pour cet article qui sont de beaux cadeaux (au fait mon anniversaire est aussi en septembre !).
    Cela fait maintenant 6 mois que je vous lis. Passionnée de Japon, c’est en cherchant frénétiquement à connaître la situation après le 11 mars que j’étais tombée sur votre blog. Depuis je continue à suivre sur d’autres sites la catastrophe en cours – mais ici j’ai découvert un univers, une écriture, une personnalité qui m’ont touchée, parfois amusée et parfois agacée aussi (ah, la malice !). C’est une expérience étrange d’entrer dans une telle proximité tout en étant si éloignés (dans tous les sens du terme). Je ne trouve pas votre site narcissique, je le trouve généreux. Il m’ouvre des horizons et me nourrit. Et je suis heureuse que mes commentaires vous fassent plaisir en retour.
    amitiés

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup, Yukiguni.

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