Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Écriture


.. Il ne m’a rien dit que je ne savais et surtout, il ne m’a ni fait vraiment mal, ni vraiment fait rire, ne me laissant finalement au final qu’un goût de littérature post-moderne désabusée sur son propre objet au moins autant que sur l’époque.

Deux heures. Deux heures, c’est ce qu’il m’a fallu de temps pour rempoter mes plantes vertes. Je n’avais pas prévu assez de terre, c’est gourmand, le rempotage, j’ai donc du aller en acheter, et encore je me suis retrouvé un peu juste pour ma petite dernière. Il faudra rajouter un peu de terre le mois prochain. Mais bon, voilà qui est fait. J’ai constaté combien les racines étouffaient dans si peu d’espace et j’ai presque peur de ne pas avoir prévu de pot assez grand. Le problème est que désormais se pose la question de la place… Mais pour cette année cela sera suffisant, je pense.
Hier, le temps a été ensoleillé toute la journée mais dans la nuit qui avait précédé il avait beaucoup plus et le vent avait soufflé en rafale. La terre était donc bien humide, et cela m’a vraiment surpris car j’avais évité de trop arroser avant de rempoter pour faciliter le travail. Pour l’une d’entre elles, ça a vraiment été très difficile.
Voilà. C’était ma première mission, aujourd’hui.

Je suis dans le train, je vais au travail. Cela fait longtemps que je n’écris plus trop dans le train. C’est dommage car en réalité, si le transport ne se prête pas vraiment à un travail d’écriture rigoureux, c’est un moment parfait pour le blog. Et pourtant, ces dernières années, j’en ai perdu l’habitude alors que vraiment, s’il est une ville où l’on peut sortir son ordinateur ou son iPad en toute sécurité et sans avoir peur de quoi que ce soit, c’est bien Tôkyô.

Depuis toujours, je souffre d’une réelle difficulté dans ma vie, et je ne suis jamais parvenu à y palier que par une de mes véritables qualités. Ce défaut, c’est un manque cruel de rigueur, d’organisation et de constance dans ce que j’entreprends: rapidement, je me disperse car un flot d’idées me vient, et ça c’est vraiment bien, je veux dire, c’est une autre de mes qualités réelles, mais alors ces idées brouillent ma concentration et alors je me dilue jusqu’à me décourager devant l’ampleur de la tâche qui m’attend et alors que mon esprit commence déjà à regarder ailleurs. C’est un énorme handicap.

Je ne suis parvenu à compenser ce handicap que par une volonté très forte, presque rigide. C’est seulement quand au fond de moi existe cette volonté que je parviens à tenir le cap et à surmonter mon absence d’organisation, mon côté trop spontané et un peu brouillon.
Ainsi, j’aime écrire, mais mon rapport à l’écriture est terriblement affecté par ma personnalité, par ce manque de concentration, de constance qui découlent de cette facilité que j’ai à m’éparpiller.

C’est d’autant plus tragique que cet éparpillement est en réalité, j’en suis maintenant convaincu, ma marque particulière, ce qui me rend unique et peut être même intéressant. Je ne m’intéresse pas à une seule chose, mais à des tonnes de choses, et j’aime les mélanger, m’en imprégner afin d’en faire des objets uniques au sein d’une pensée, la mienne, assez complexe. J’ai lu ainsi un article très sérieux sur Bloomberg au sujet de l’épaisseur des sourcils au Japon et de ce qu’ils veulent dire au sujet de l’activité économique.

Quand c’est moi qui écrit là dessus on me prend plutôt pour un con, mais voilà, je ne suis pas le seul à penser qu’il y a un lien entre des broutilles et les profondeurs de la société, ce que ces broutilles révèlent. Eh bien en le lisant, je me suis mis à rire parce qu’en même temps que je me disais que je n’étais pas si stupide que cela (bien sûr que j’y avais déjà pensé, à cette corrélation, ce sont justement les idiots qui ne savent pas lire ce genre de signes), mais surtout parce que je me suis dit que le journaliste en question, qui se basait sur une étude menée par Shiseidô ©, était complètement à côté de la plaque. Je ne vais pas développer ici, mais je pense que l’épaisseur des sourcils n’est pas un bon indicateur car il s’agit au Japon de la marque de l’influence grandissante de la Corée du Sud et de la Chine où les sourcils se sont épaissis de façon assez spectaculaire depuis 2009/2010. Le Japon sera vraiment en meilleure forme économiquement le jour où le tabou sur la largeur des épaules sera surmonté. Peut être un jour je développerai mais ceux qui me suivent verront de quoi je veux parler. Anyway.

Bref, ce qui est un véritable don devient en réalité mon tombeau.

Seule la volonté peut me permettre de compenser cette dissipation. Quand j’en ai suffisamment, je peux être très bien, très efficace, mais quand la volonté faiblit, alors, c’est toute l’architecture de tout ce que j’entreprends qui s’effrite puis s’écroule avant un enlisement dans les sables de l’abandon en rase campagne… Remarquez, ces périodes brouillonnes ne sont pas inactives, en fait elles sont souvent bien plus créatrices en dedans, elles sont comme des ressourcements. Mais à quoi cela sert-il de se ressourcer s’il n’y a, finalement, pas de source…
Il n’y a rien sans rien, et écrire ne déroge pas.

Ma volonté d’écrire est indissociable de cette passion que j’ai pour raconter, tout et n’importe quoi, que cela soit sérieux ou superficiel. J’écris car je suis fatigué de parler, car je ne veut pas perdre le fil, et surtout parce que l’écriture est un partage de moi, le plus beau, je crois. Et quand je raconte, c’est gratuit, mais je sais aussi qu’il y a un incroyable pouvoir dans l’écriture, que l’écriture blesse comme elle panse, et c’est précisément cela que j’aime dans l’écriture, dans la musique, dans le récit.

J’ai adoré lire la trilogie de Vernon Subutex. Et pourtant, comme tout ce que produit notre époque, tel Amélie Poulain il y a près de vingt ans, Vernon s’est évaporé sitôt le livre refermé, il ne m’a rien dit que je ne savais et surtout, il ne m’a ni fait vraiment mal, ni vraiment fait rire, ne me laissant finalement au final qu’un goût de littérature post-moderne désabusée sur son propre objet au moins autant que sur l’époque. Là où Balzac savait être véritablement cruel jusqu’à la dernière page, nous ne sommes finalement capables que de pirouettes, espérant par là peut être encore sauver ce qui pouvait l’être. Un récit gluant, et puis plus rien.

Je vous ai écrit plusieurs fois que j’écrivais un roman. C’en est un. Et je sais où il va, j’ai écrit la fin. 150 pages d’un de ces naufragés perdus dans les sables d’un travail inachevé, quelle pouasse, être moi.

La volonté a faibli sous le poids de cette non-confiance en moi, j’ai plié l’échine, mon projet littéraire est trop grand pour moi, je ne serai jamais Balzac, et je ne suis même pas Despentes. Voilà ce qui est gravé dans le fond de mon cerveau, l’ambition si haute et la peur d’être moyen. À l’école, je n’étais pas un élève moyen, je préférais les cancres. Je me rappelle de l’un d’entre eux, en sixième et en cinquième, il était boxeur, il était violent, il se bagarrait et tout le monde avait peur de lui. Pas moi.

Moi, je le trouvais doux et gentil, on bavardait des fois, et je crois qu’il avait compris qu’en réalité j’étais timide, que derrière cette timidité je pouvais être drôle. Presque tous les mecs de ma classe me refusaient dans leur équipe de football, en gym, mais lui, non, au contraire, avec deux ou trois autres, les cancres justement, il m’encourageait. Cette confiance qu’il m’accordait, j’essayais de ne pas la décevoir et il m’arrivait de presque bien jouer au foot, moi qui détestait ça.

Voilà, c’est ça, le truc. Seul, ma volonté s’effrite car rien, personne ne m’encourage, ne place la barre plus haut pour ne pas que j’abandonne et que je finisse assis sur l’herbe comme comment ça a fini par arriver à partir de la quatrième, quand il n’a plus été là pour dire aux autres que Madjid aussi avait le droit de jouer.

Ce trait de caractère continue de dominer chez moi. Et comme l’écriture est un exercice solitaire, obligatoirement, et qui demande de continuer, de ne pas arrêter, je me retrouve seul avec moi-même, et face à la difficulté que je dessine moi-même, parce que je suis un mec hyper ambitieux, en fait, pas au sens chiant, je veux dire je ne fais chier personne si ce n’est moi, eh bien je baisse les bras, et finis assis sur l’herbe en lisant un article de Bloomberg sur l’épaisseur des sourcils que j’ai trouvé incroyablement insuffisant et tellement facile. Ben oui, je n’ai ni écrit sur le sujet de manière brillante, ni même écrit cette lavasse d’article…

Beaucoup d’écrivains disent qu’ils ne peuvent pas se passer d’écrire. Moi, si. Aucun problème.

Je deviens fou, c’est tout.

Au vrai sens du terme. Je reste au lit le matin pendant une demi-heure à penser à telle ou telle histoire que je complète jour après jour sans jamais la mettre par écrit, ou bien j’écoute tel morceau de musique que je rattache à une histoire, et comme pour moi l’écriture peut être cruelle, méchante, violente, qu’elle peut, qu’elle doit ignorer le pardon, les sorties faciles, les excuses et les rémissions, qu’elle peut être drôle au point de se faire sa propre caricature et que dans tout cela elle a le devoir de piéger des êtres sans jamais hésiter à les tuer, les écraser ou les aimer, il m’arrive dans le métro de fondre en larme sur une histoire que je n’écrirais jamais, ou de m’exploser de rire dans un récit que jamais vous ne lirez.

C’est comme un orgasme tout en sensation cérébrale, il m’arrive d’avoir des frissons tellement je peux être bon, brillant, si si, et puis je rouvre les yeux sur mon échec et je ne suis plus alors qu’un cancre de moi-même, je redeviens le Madjid assis sur l’herbe qui regarde les cancres jouer, et je ne me donne même pas la chance d’être parmi eux, cancre ultime assistant au spectacle d’une époque qui se déroule sans moi même si j’en ressens la tragédie en moi.

Envie de me taire et d’être définitivement un cancre, un raté, un nul, une merde, un rien du tout qui retournera au néant quand ici la terre s’ouvrira et m’avalera comme elle en a avalés près de trente milles il y a 7 ans. Le seul truc bien, dans cet échec de moi-même, c’est que je me sens terriblement banal, ordinaire, bref, exactement comme n’importe lequel de celles et ceux que la mer a englouti le 11 mars 2011.

Ça ne m’effraie pas, d’être assis sur l’herbe à regarder des écrivains de merde passer à la télévision, signer des pétitions « courageuses ». J’ai même dépassé la tristesse de mon échec, de mon néant. Il ne reste de mon image de moi qu’une sorte de mémoire vague, je ne sais plus trop quand je suis mort de moi. Je sais juste que c’est arrivé, les mots ont commencé à se tarir dans ma bouche.

De cette bouche, je ne veux plus entendre sortir que de l’amour, de la tendresse, je crois qu’elle est devenue incapable de quoi que ce soit d’autre. Si je parle politique, je m’entends parler, c’est horrible. Qui suis-je donc… semble me dire une petite voix en moi. La volonté s’est émoussée jusque là. C’est horrible, et c’est bien aussi.

C’est horrible parce que ce n’est pas moi, mais c’est bien aussi parce que, justement, c’est moi. Et c’est moi tel que je suis. Je sais où est Balzac, et je sais où est Madjid. Et je sais aussi que si je meurs dans un séisme, il ne restera de moi que ce site, et que comme je le paie, le nom de domaine puis l’hébergement disparaîtront et tout cela disparaîtra à jamais…
Cette idée m’a effrayé un moment, et puis même cela je m’y suis fait.

J’écris aujourd’hui pour vous raconter tout cela, j’ai commencé l’écriture de ce billet sans trop savoir où cela me mènerait même si j’en avais une petite idée. Je voulais me faire mal, je crois. Parce que l’écriture me manque, parce que comme je vous le disais je deviens fou, je suis habité par des tempêtes et des douleurs qui jamais ne se dissiperont si je ne leur donne pas de formes, elles sont en moi depuis mon enfance, je crois que c’est cela que mon copain le cancre avait compris, on était pareil, je crois que c’est cela que j’ai aimé chez Genet.

Je voulais aujourd’hui aborder le sujet prétentieux de l’écriture pour le vider de sa part d’orgueil, et vous avouer mon impuissance face à moi-même, tel que je suis, et que c’est ce que je suis qui est génial, et que c’est ce que je suis qui est ma propre perte.

Je voulais aujourd’hui contempler l’échec monstrueux de ma propre vie, vous dire à quel point j’en souffre et à quel point je ne sais pas comment je parviendrai à calmer cette douleur profonde qui me torture quand j’ai l’esprit qui regarde si haut et que je vois, que je me constate si bas, si banal.
J’ai envie de pleurer devant tant d’occasions manquées, c’en est pathétique. Ma volonté gît là, devant moi, je suis assis sur l’herbe et je regarde les autres jouer, ils sont complètement nuls, moi, je jouerais mieux qu’eux, ils sont trop nuls. Il n’y a personne, pas même un cancre pour me dire de me remuer.

Je suis un cancre. Et ça fait plus de cinquante ans que ça dure.

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