La solitude ne se mesure pas au nombre de gens qu’on connait, elle est dans l’impossibilité que l’on a à remplir le vide de l’existence.
Ben, là, je m’en veux tout plein, elle a belle allure, ma résolution d’écrire tous les jours coûte que coûte. Mais bon, reprise du travail, et c’est quand même assez chargé, et puis retour aux habitudes qu’il va me falloir combattre. Pour la gymnastique, c’est la même chose.
Mon ami Tim a partagé un petit passage à vide sur Facebook, et je lui ai écrit un petit mot où il m’a expliqué où il en était. Tim est un ami du « temps d’avant » même si c’est au « temps de pendant » qu’on a appris à se connaître. J’aime beaucoup Tim, une affection très intime.
Alors ce matin je lui ai écrit alors que je commençais l’écriture de ce billet. Je voulais vous expliquer qu’en réalité j’écrivais un billet sur les violences policières, qu’il était quasiment prêt et qu’il me restait à le corriger ici et là, et puis la rédaction de ma réponse à Tim a été plus longue, et au fil de l’écriture je me suis aperçu que je lui disais très clairement où j’en étais moi-même, et j’ai pensé que je devais mettre ma réponse à Tim en ligne.
C’est pas que ce que je pense de la répression n’est pas important, non. C’est juste que j’ai décidé en décembre de revenir à la source même de ce site, qui est le blog défini comme un journal honnête. C’est à ce petit jeu que je me suis amusé en publiant de brèves notes de Kyôto durant mes congés. C’est à mon avis ce va et viens entre des notes fugitives, l’intime, des passions, de la photo et le politique qui fait ce site un au delà d’un blog.
Dans ma réponse à Tim, je crois que pour la première fois depuis longtemps je me dévoile de façon simple, lucide, sans geindre ni même me plaindre. En fait, je suis presqu’optimiste.
Je l’écris ici, j’envie un peu Cécile Balladino qui a trouvé son joujou – le crochet-, il y a des années, et je la salue, et je l’embrasse amicalement au passage comme une de mes très anciennes lectrices.
Alors voilà…
« Bonjour bonsoir, Tim.
Bon, c’est un truc de notre âge, tu sais, cet espèce de trouble existentiel, on a beau ne pas être des boomers mais des « post boomers » comme je le pense, on n’en reste pas moins de ces générations qui ont vécu leur jeunesse et n’ont pas vraiment appris à gérer l’âge.
Avant, à 40 ans on était vieux, maintenant, on ne sait pas trop alors c’est le corps et le marché du travail qui nous le rappellent. Et puis pour toi ça a été quand même une sale traversée en chemin parce qu’entre les saloperies que tu as chopées et la peur d’y passer, ça a été comme une jeunesse de vieux, et puis avec les trithérapies le retour d’une jeunesse même pas demandée mais qui tombe sur le dos un peu comme une armoire normande, et faut s’y réhabituer.
Alors à 55 ans, t’as quel âge réellement…
Le cancer ça a quand même été la tuile parce que malgré tout tu réussissais à trouver tes marques et comme tu m’as dit tu avais même un travail en ligne de mire.
Gros passage à vide, oui, mais si ça va bien dans le fond, c’est à toi de trouver les ressources en toi. Tu n’appartiens pas à un milieu social à plaindre, met toi ça bien en tête, il te reste du chômage, tu as le capital intellectuel et symbolique que 99% des chômeurs de ton âge ne possèdent pas, tu as tout ce qu’il faut pour trouver ton nouveau joujou.
Tu pourrais utiliser ce temps pour raconter Dustan puisque tu en es un peu l’hagiographe, ou bien mieux encore, ta traversée de cette époque là, parce qu’on a besoin de gens qui la racontent, cette époque où ils ont cru qu’ils allaient mourir, et qui n’avaient même pas 30 ans.
Je traverse la même phase, mais je ne viens pas du même milieu. J’ai toujours douté de moi parce que je suis socialement une incongruité et je me suis fait encore plus incongru, je suis passé par les strates petite bourgeoise, l’imitation, la strate un peu intello et puis finalement une sorte d’aristo fin de race quand en réalité je n’en avais ni les ressources, ni le capital symbolique, ni le capital intellectuel.
Mon ami Maria (que tu dois rencontrer absolument, elle vit à Lisbonne et elle reste l’une des plus grandes danseuses de Bharata-natyam on the planet), c’est un peu la même chose. Je suis miné par le doute quoi que je fasse, des doutes qui correspondent aux possibilités que je me suis moi-même fabriquées, je doute de mon écriture, je doute de ma parole, je doute de mes analyses, je doute de ma vie or, si je veux réellement rentrer en France, et je te le dis franchement, j’en ai ras le bol du Japon, et tout ce qui se passe en France m’appelle à être en France car, et la voilà la contradiction, la situation a besoin de moi, parce que j’ai milité et que j’ai une culture politique supérieure à 90% des gens que j’entends s’exprimer, eh ben je suis coincé ici et si je rentrais en France je serais SDF et RSiste, je crèverais sous un pont, alors je sais que je devrais déployer une énorme force de travail pour me mettre à la hauteur de mes capacités, mais alors il y a le doute et la peur d’être ridicule, une incongruité sociale, tu sais, Jean-Jacques Rousseau dans Les confessions, et je visite des antres d’abattements dont je ne me remets que parce que j’ai suivi une analyse.
Alors comme toi, je vais bien, c’est ça toute l’ironie de la chose. J’ai un boulot stable, je gagne pas des fortunes mais c’est stable et ce n’est que 30 heures par semaine, j’ai du temps. J’ai une trouille bleue de tomber malade car ici ça coûte cher, c’est le rêve macroniste, un minimum est pris en charge et au delà c’est « individualisé », imagine, négocier une aide sociale en japonais… mais ma santé va bien pour le moment.
Au calme au Japon, j’ai développé plein de hobby et j’ai trouvé un équilibre incroyable. Mais la perspective de la soixantaine me déprime totalement car il est inconcevable que je sois vieux au Japon, et puis de toute façon ce n’est pas ce que je veux.
Depuis des années je cherche le moyen de me mettre en danger, je veux dire sortir de ce confort qui me mine dans le fond, mais ici je suis seul, et manquer tout ce qui se passe en France, et être loin de mes amis, de toi, des engueulades qui me feraient tant de bien pour mettre mes idées plus au clair et les rendre plus fortes me manquent à un point… tout comme les bouquins, les librairies, la camaraderie des manifestations, les concerts et l’opéra.
Ben oui, je suis seul. La solitude ne se mesure pas au nombre de gens qu’on connait, elle est dans l’impossibilité que l’on a à remplir le vide de l’existence.
Tout ce que j’entreprends me semble vain, inconsistant. Simplement parce que je ne suis pas là où je veux être, où il faut que je sois et qui se résume à une situation très simple: je n’étais pas aux côtés de ma mère quand elle est partie. J’étais dans le métro, en route pour le travail avec une valise près de moi car je prenais l’avion le soir…
Je ne m’en veux pas, non. Il y a juste que je voudrais remédier à cette situation, rentrer mais je ne sais pas trop comment faire… Ma vie est ici et je n’ai rien là-bas, et dans quelques années je n’aurais plus grand chose ici sans rien même avoir là-bas.
Ça ne me déprime pas, pas encore en tout cas. C’est plutôt comme une équation à résoudre. Et c’est là que le doute est mon pire ennemi car alors je devrais foncer, écrire, foncer, faire et encore foncer, exister…
Comme toi, je vis un coup de blues à la fois ridicule et insupportable car au moment présent ça va bien…
Bon, tu sais quoi, je t’ai livré le fond de ma pensée à un tel point que je vais mettre ce long message sur mon blog parce que je crois qu’il est temps que je le fasse. Ça me fait très plaisir que ce soit en t’écrivant que j’ai fini par être totalement transparent avec moi-même et avec quelqu’un. Comme ça on pourra bavarder avec plus de transparence encore quand on se retrouvera, ne pas te voir cet hiver m’a aussi beaucoup manqué. »
Je vous avais dit que je sortais d’un long entre deux. C’est fait. Je digère ma nouvelle place, de l’autre côté, une place faite de lucidité où je vais devoir foncer car pour tout dire je sais ce que je veux faire pour la première fois de ma vie.
Je sais que je veux habiter à Paris, malgré les prix de dingue. Je suis du 10ème arrondissement, j’y ai passé mes premiers mois, j’y suis retourné à 18 ans, un quartier populaire en diable, mais c’est fini, j’ai choisi, je veux habiter le 14ème, loin de la petite bourgeoisie millenial et intello qui s’habille mal, je veux réinventer l’époque tout près du cimetière du Montparnasse, j’en suis tombé amoureux il y a 4 ans, il y a par là une des plus belles lumières de la Capitale.
Je sais quel boulot je vise, et je dois travailler d’arrache pied pour l’avoir, en fait, je veux qu’on me le propose ce qui veut dire encore plus de travail. C’est dingue, écrire ça, mais j’aime ça, être dingue. C’est un moteur.
Je sais où j’en suis politiquement plus que jamais auparavant, cela se déroule de façon très claire, comme une révolution, je veux dire au vrai sens du terme, quand après un long voyage on revient à ses premières amours mais avec dans les bagages tout ce que l’on a engrangé.
Billet de « je » après des notes de congés rapides et un premier billet d’entrée de jeu politique sur la prochaine victoire de Marine Le Pen et avant un autre billet politique sur la violence.
J’aime mes billets de « je », ils sont la signature de ce blog, ils sont mon rendez-vous avec vous et avec moi-même, et là, ils sont le partage d’un échange avec un ami, ils sont moi exactement comme je l’ai été avec cet ami. Un instant rare.
On est dimanche et je vais maintenant me préparer, je vais aller me promener toute à l’heure.
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