Nous sommes français aussi, et notre parole vaut toutes les autres, elle ne vaut pas plus, mais elle ne vaut assurément pas moins, et notre vécu, pourtant, est relégué au rang de fait divers.
J’en ai fait l’aveu sur Facebook où, ce dit en passant, je ne passe plus guère: je n’ai finalement pas voté pour Emmanuel Macron. Au bureau de vote, je m’apprêtais à glisser le bulletin dans l’enveloppe, et puis j’ai vu que dans la poubelle il n’y avait que des bulletins de Marine Le Pen, et j’ai alors repensé qu’il était simplement arithmétiquement impossible qu’elle gagne, et puis de toute façon, j’avais partagé sur ce blog les seules vraies raisons de voter pour Emmanuel Macron, on ne peut pas estimer que j’ai fait du sabordage, j’ai été très fair-play. Pour tout dire, j’en étais arrivé à me résigner à voter pour lui car la pression était insupportable, en France, c’est comme ça depuis Charlie, j’aurais pu y résister mais loin, c’est extrêmement violent, on se sent isolé. Dans le silence et le calme de l’isoloir, toutefois, en une fraction de seconde, c’est ma raison qui m’a rattrapé, et je n’ai pas glissé le bulletin dans l’enveloppe. Je n’ai rien mis dans l’enveloppe parce que finalement, sur ce qui nous arrive, tellement de choses ont été dites que je n’avais rien à en dire. J’étais un déçu de Macron avant même qu’il ne soit élu…
J’aurais voulu voter pour Emmanuel Macron, pour tout vous dire, non pas celui qui est devenu président, mais l’idée que je m’en étais fait il y a deux ans, quand il a émergé, sorte d’anti-Valls souriant, de premier de la classe tête à claque mais avec qui on aime bien fumer des joints parce qu’il sait être marrant, une sorte de Trudeau, quoi, près à encaisser les coups nécessaires pour desserrer le tour de vis néo-conservateur dans lequel nous nous sommes enfermés, dans ce pays devenu rikiki en rêvant de sa grandeur et d’un « universel » qui n’intéresse que lui, un universel principalement blanc, catholique ou catholique zombie athée, Emmanuel Todd saisit très bien cela.
J’aurais aimé que ce « ni de droite ni de gauche » soit synonyme d’un ras de marée démocratique, que la parole à nouveau se libère, fuse, qu’on arrête enfin d’ostraciser Houria Bouteldja (elle est devenue une sorte de symbole de ce climat délétère anti-démocratique qui s’est installé), mais qu’on l’écoute et qu’on lui réponde comme on devrait pouvoir le faire dans une démocratie. Ce que je veux dire par là, qu’on la respecte et qu’on entende ce qu’elle a à dire, quelque soit l’opinion que l’on a, notamment à gauche. Et qu’ainsi on entende la parole de celles et ceux que l’on proclame français du haut d’un universalisme abstrait, mais qui vivent au quotidien les humiliations d’un racisme structurant l’ensemble des rapports sociaux, incrusté au coeur même de l’état.
Comment expliquer autrement les crimes policiers impunis ou l’effroyable sous-développement économique et éducatifs des « départements d’outre-mer ». Nous sommes français aussi, et notre parole vaut toutes les autres, elle ne vaut pas plus, mais elle ne vaut assurément pas moins, et notre vécu, pourtant, est relégué au rang de fait divers.
Le terme d’indigène nous définit finalement très bien, c’est à cette place que nous sommes relégués, bien que cela soit fait de façon bien plus insidieuse qu’en Algérie. Point de statut, c’est juste « comme ça », et nous devons nous taire.
Des fois, j’ai envie d’en rire tellement cette France néo-conservatrice est ridicule et pathétique dans son racisme « universel », comme quand j’ai regardé ce reportage sur les sandwichs kebbab. Que Robert Ménard veuille les interdire ne m’a guère surpris, c’est sa marque de fabrique, et il a de ce côté la qualité de son incroyable franchise. Il est honnête (et ridicule, et raciste, mais bon, hein, ça, on le sait). Mais de voir le maire socialiste d’Évry, chez Manuel Valls, sortir des excuses bidons pour justifier l’installation d’un magasin de kebbab, au passage un magasin propre de style Mac Donald, devant une salle de théâtre, là, on nage dans le pathétique du vrai racisme, celui de la vieille France plouc, c’est du niveau de ces frontistes qui se sont lachés contre Philippot pour avoir mangé un couscous…
Oui, quand je vous dis que j’espérais l’élection d’Emmanuel Macron, c’eut été un Macron qui aurait cassé ce machin réactionnaire dans lequel on est embourbé, qui aurait aidé à libérer la parole, un Macron qui n’aurait pas nommé un vieux petit bourgeois réactionnaire provincial en caleçon amidonné au ministère de l’intérieur, mais plutôt un mec comme Pierre Joxe, par exemple. En gros, un Emmanuel Macron dont le libéralisme économique aurait été doublé d’un réel libéralisme politique, histoire de rendre à la société ce souffle sans lequel elle étouffe, là, notamment, où vit la jeunesse, de l’autre côté des périphériques, loin des petites bourgeoisies instruites qui pensent avoir inventé le fil à couper le beurre bio grâce à leur Vélib’ et leur doctorat à l’Université de Paris chépakoi.
Et puis au fur et à mesure de la campagne électorale j’ai vu cette illusion d’Emmanuel Macron ouvert et « anglo-saxon » se balladuriser avant de se vallsiser, et depuis son élection il ne reste plus que le président de la bourgeoisie pour la bourgeoisie, anti-social, dirigeant une offensive sans précédent sur les libertés publiques dans un pays qui semble être en phase de franchir une nouvelle offensive idéologique autoritaire en visant non plus seulement les musulmans, là, cela fait un moment que les chiens sont lâchés, mais également toute la (petite) gauche démocratique qui, de Jean-Louis Bianco à Benoît Hamon, de Edwy Plenel à Laurent Joffrin (je vous cite ici ceux qui ne peuvent vraiment pas être taxés de gauchisme), ou d’Edgar Morin à Michel Wieviorka, et à travers eux tous ceux qui n’ont pas cédé au discours islamophobe, laïciste « républicain » et anti-démocratique.
Dès le soir du premier tour, au contraire, Emmanuel Macron s’est révélé être ce qu’il avait toujours été: un produit marketing savamment élaboré. Un usurpateur, à l’image de ces produits industriels vendus comme des produits artisanaux.
Riant au milieux des siens, il était le cynisme de cette bourgeoisie triomphante, il savait fort bien que cette élection était une élection à un tour et que le premier qui arrivait raflerait la mise au second. Qu’il venait d’écraser toute opposition.
Quand Nicolas Sarkosy allait s’éclater au Fouquet’s en compagnie des plus grandes fortunes de France, nous étions presque encore dans le temps de l’innocence, il n’y avait rien de calculé, et certainement pas l’effet dévastateur sur cette image sur l’opinion, il n’avait pas eu l’intelligence de Thatcher, cette leçon de base de Machiavel, la sobriété imposée des début et le glamour pour la fin. Emmanuel Macron, lui, a eu son moment Fouquet’s au soir du premier tour, ses dents rayant le parquet aux côtés de sa femme, sachant pertinemment qu’il aurait tout le loisir, une fois élu, de grimer ce que doit être un président. Car Emmanuel Macron n’est pas président, il ne le sera jamais d’ailleurs, il joue au président. Des fois, je l’imagine en train de discuter avec sa femme, un peu comme à l’époque où il l’a rencontrée dans son club de théâtre, « - T’en pense quoi, on devrait avoir un chat ou un chien? » « - Un chien, chéri, tous les présidents ont un chien! », et une semaine plus tard nous apprenons que le président a adopté un chien.
Emmanuel Macron a ainsi présidé à la mise en image de son intronisation, avant même d’être président, le soir du deuxième tour, en marchant d’une marche interminable dans la Cour du Louvre, manteau noir et Hymne à la Joie mitterrandien, devant un parterre trié sur le volet de supporters. Et puis il y a eu son « moment Obama » quand sa femme, toute de fermeture Éclair zippée dans une de ces robes Vuitton (Groupe LVMH, ISIN FR0000121014) offertes par Delphine Arnault (Groupe Christian Dior, ISIN FR0000130403), est montée à ses côtés.
Toutes ces images ont bien entendu été pensées pour les années à venir, ces trucs à la télévision du genre « les grands moments de la présidence Macron ».
Et puis le président est parti pour aller célébrer sa victoire en privé, loin des caméras, en compagnie du CAC40 (Groupe Euronext ISIN NL0006294274), pendant que la plèbe virtuelle triée sur le volet se les gèlait dans la cour du Louvre en regardant un concert de merde avec des groupes de chiotte dans une ambiance glauque vite délaissée par les caméras de télévision.
Rien n’est sincère, chez lui, tout est emballé. Il m’a presque fait vomir dans cette interview Médiapart, où il atteint le comble du cynisme. Les intellectuels, il les connaît, surtout les intellectuels de gauche, il en a fréquentés, il sait très bien qu’il suffit de les écouter, de leur lâcher un « tout à fait » de circonstance, d’utiliser quelques références littéraires bien placées pour qu’immédiatement leur érection du moment se transforme en « bienveillance » dans l’isoloir.
Ah, la « bienveillance »… Certainement le mot de l’année. Jamais personne ne se serait aventuré à l’utiliser, mais cette année, où nous avons assisté au naufrage et à la mort de milliers de réfugiés que nous nous obstinons à refouler quand on ne les présente pas comme des hordes sauvages d’obsédés sexuels violeurs en propageant n’importe quelle rumeur et en convoquant quelqu’intellectuel algérien pour bien labelliser le propos, une année où le Front National aura atteint un score historique de 34% au second tour quand en réalité, ses idées, propagées à des degrés divers par des Caroline Fourest (la reine des approximation et des fausses nouvelles avec des démentis en bas de page de blogs), Alain Finkelkraut (l’ami de Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement »), Élisabeth Lévy (l’enragée de service qui voit des hijabs partout, même dans ses rêves), Pascal Bruchner (lui, c’est devenu un furieux), Michel Onfray (très très proche de Philippot, maintenant), Joseph Macé-Scaron (le mec qui se dit de gauche mais qui est passé par l’extrème-droite et Le Figaro-Mag, qui a écrit les discours de Fillon), j’en passe et des meilleurs, toutes merveilleusement mises en couverture de magazines qui décorent les kiosques des grandes villes en colportant une peur d’un « complot », d’un « danger », d’un « problème », d’une « invasion » et d’un « péril » musulman, « communautariste » menaçant la « république » et « nos valeurs », bref, exactement les mêmes mots et les mêmes faces de raie du cul que les « théoriciens » des années 30, avec la même complicité « bienveillante » au sommet de l’état, eh bien oui, cette année particulièrement, c’est le mot « bienveillant » qui s’est imposé. C’est d’ailleurs la bienveillance qu’il a à leur égard qui a inspiré le mot de « fainéant » au sujet de grévistes s’opposant à leur licenciement qui « foutent le bordel », c’est la bienveillance qui a inspiré la baisse des APL. C’est connu, les pauvres ne se respectent pas assez, il est toujours bon de leur rappeler les bonnes manières, les manières des « gens de bien » (j’emprunte le jeu de mot à l’historien Henri Guillemin), leur bienveillance à l’égard de leur prochain…
Je hais cette bienveillance, ce nouveau tour de passe-passe lexical destiné à emballer les nouvelles profondeurs de notre abjection.
Ce n’est plus la démocratie, c’est une sorte de dictature rampante, faite de pression médiatique orientant l’opinion à plus plus penser qu’en noir et blanc. Tout ce qui ne colle pas à la doxa doit être éliminé. Qu’importe que l’on soit « de gauche » ou « de droite » ou « du centre », « pour la poursuite de l’intégration européenne » ou « contre l’Europe de la commission », pourvu que le problème soit « la menace que le communautarisme fait peser sur la société française ». Un consensus qui a applaudi au départ de Phillipot du FN, salué par Natacha Polony et Michel Onfray, un consensus qui célèbre en Jean-Luc Mélenchon « un grand républicain » en lui demandant toutefois de se séparer des « communautaristes » de la France Insoumise.
Comme le souligne Emmanuel Todd, Emmanuel Macron n’a été que la projection, que le désir et que l’illusion que l’on a fabriqué. La réalité est beaucoup plus simple. Emmanuel Macron est un conservateur de son temps, à l’image de Rodolphe Thiers, un conservateur qui tente de rassembler le camps bourgeois autours de sa révolution conservatrice « post-moderne », faite d’hédonisme (quitte à décevoir les conservateurs catholiques) et de dérégulations (quitte à un peu froisser les conservateurs socialistes), avec une attitude « bienveillante » à l’égard des jeunes des cités « qui veulent créer leurs entreprises » (quitte à effrayer Natacha Polony, Michel Onfray et Jean-Luc Mélenchon).
Je n’ai pas voté Emmanuel Macron au deuxième tour car j’ai senti monter au fur et à mesure de sa campagne la même tentation conservatrice qui avait inspiré François Hollande. Et je sais pertinemment que ce climat conduit inéluctablement à un renforcement de l’extrême-droite, puisque cette politique en est le prémisse et en promeut l’idéologie.
On aurait tort de sous estimer le risque de l’extrême-droite tout comme on aurait tort de sous estimer la durabilité de la politique d’Emmanuel Macron, car finalement, bien qu’en opposition, ces deux tendances politiques participent d’une même vision. La république.
Il n’y aura de réel changement que dans la constitution d’un front démocratique qui placera la question raciale au centre car c’est là qu’est le noeud de cette république qui s’est construite autours de l’empire, par l’empire et avec l’empire et qui n’a pas rompu, malgré la décolonisation, avec les pratiques de l’empire. Une république qui dès le départ s’est affirmée comme bourgeoise, autoritaire, et qui n’a consenti ces libertés qui nous sont chères qu’au fil des luttes, parfois sanglantes, qui les ont arrachées. Des libertés qu’elle tente aujourd’hui de nous reprendre une par une en enveloppant son discours de novlangue (de « bienveillance » à « politiquement correct » en passant par« le vieux monde », une expression pompée comme beaucoup d’autres sur le programme du New Labour de 1997) et en laissant le monopole de toute critique à des penseurs réactionnaires (Polony, Zemmour, Fourest, Onfray, Bruckner…) pendant qu’elle tente de se définir comme le seul progrès possible face à une extrême-droite que sa politique alimente et une gauche qui partage avec l’extrême-droite le même horizon républicain et franchouillard.
La gauche renaitra de sa capacité à se fédérer dans sa diversité, autours de la question raciale et dans une vision renouvelée, en rupture totale avec la vision impériale de la république.
Toute autre restructuration de la gauche sera vouée à l’échec car en définitive, toute autre redéfinition de la gauche qui ferait l’impasse sur le caractère centrale de la question raciale reviendrait à valider l’idéologie dominante qui perpétue l’empire français sous sa forme « post-impériale ».
C’est, enfin, uniquement à cette condition, en se libérant de son corset nationaliste et post-impérial, en définissant un projet réellement démocratique, que la gauche pourra avoir, sereinement, car débarrassée de toute pourriture souverainiste cocardière et chauvine, un débat sur l’opportunité ou nom de quitter une Union Européenne qui, on le constate amèrement chaque jour un peu plus, se construit bien plus à l’avantage du capitalisme qu’à l’avantage des peuples qui la compose.
On est bien loin d’Emmanuel Macron, vous me direz. Oui. C’est exactement pour cela que je n’ai, in fine, pas voté pour lui au deuxième tour.
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