Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Confessions d’un soir de semaine…


Il y a et il y aura toujours une différence entre la gauche et la droite : à gauche, on est auto-critique. C’est parce que les politiques menées depuis 1981 ont provoqué désillusion et lassitude que le lien qui unit le « peuple de gauche » et ses représentants est ténu, fragile. Un rien peut le casser. Car ce n’est pas gérer que l’on demande à la gauche, c’est faire « autre chose » que la droite. Je vote donc socialiste parce que leur politique est, même de peu, différente, et que leur rapport aux libertés fondamentales n’est pas circonstancié mais qu’il repose sur une véritable conviction. C’est déjà une bonne raison. C’est la seule me soit restée, parfois.

J’ai cessé de rêver à une révolution il y a plus de 20 ans quand le Front National a fait plus de 11% aux élections européennes de 1984. Et je maintiens, pour avoir vécu cette période, que c’est la droite qui a sorti Le Pen de son trou pour précipiter le départ de François Mitterrand, en parlant d’insécurité, en parlant d’immigrés (une régularisation massive avait été lancée en 1981).

Il s’agissait de mettre fin à « l’expérience socialiste », comme ils disaient. Ils hurlaient à la « dictature » à tout bout de champs, voyaient la « bureaucratie » « étouffer l’initiative ». Le modèle de Chirac, à l’époque, c’était Reagan, le libéralisme. Madelin voulait privatiser l’école… C’est à cette époque que la droite a trouvé l’énergie de vaincre, qu’elle a déplacé les débats, se nourrissant des désillusions nées dans la crise, le chômage et des solutions forcément réformistes d’un gouvernement socialiste. Faute d’impréparation et d’inadaptation, d’audace aussi, les socialistes ont renoncé à leurs vieilles recettes (qui avaient marché dans les autres pays sociaux-démocrates jusque dans les années 70, nationalisations et relance par les salaires entre autre) sans pour autant élaborer de nouvelles stratégies. Seul Rocard proposait autre chose : admettre le réformisme pour s’autoriser de nouvelles audaces, comme de nouveaux contre-pouvoirs dans la société et dans les entreprises.

Il a fallu attendre 1995 et la candidature de Lionel Jospin pour avoir enfin un réel discours social-démocrate assumé. Son programme se résumait en 5 points. C’est très peu, mais c’étaient là des points majeurs d’une politique de profonde transformation. Baisse du temps de travail, réforme des institutions -indépendance de la justice, quinquénat…-, nouveaux droits « sociétaux » -parité homme femme, droits des gays…- politique économique d’ »activation des dépenses passives » (notamment pour les aides à l’emploi)… J’ai oublié le 5ème point ! C’est peu, mais cela contrastait avec la vison libérale de Chirac. On notera au passage que Jospin, devenu premier ministre a globalement tenu cette feuille de route malgré les empêchements répétés venant de l’Elysée (indépendance de la justice et réformes institutionelles notamment) et des privatisations. Si Jospin a perdu, c’est que, s’il avait bien validé la « social-démocratisation du programme », il n’avait guère eu le temps de transformer l’outil : le Parti Socialiste lui même! Le spectacle offert par la diffusion de documentaires sur le QG de campagne de 2002 est affligeant.

Mais Jospin avait il en fait réellement envie d’être président ? Je suis arrivé à la conclusion que non. Et c’est presque à son honneur : je suis contre l’élection au suffrage direct ! Mais alors pourquoi y être allé, aussi « honnètement » en 1995, aussi mollement en 2002, et en tire au flanc en 2007 ? Est-ce si honteux, être premier ministre, qui plus est le moins mauvais (le meilleurs?) premier ministre socialiste ? Il était pas mauvais, ce bilan… Pourquoi ne pas avoir poussé Rocard ou Delors, et continué à excercer le pouvoir ?

On reproche à Ségolène son ambition. C’est ce qui me plaît le plus ! Pour gagner face à la droite, il en faut.

Son programme me semble bien « calibré » et surtout sa réflexion sur le syndicalisme de masse ne me laisse pas insensible : pas de social-démocratie sans syndicalisme de masse. Parce que face aux entreprises, le syndicalisme est le seul réel contre pouvoir. Dire ça, ce n’est pas du gauchisme, c’est du socialisme de base (n’en déplaise à ceux qui parle de social-democratie en permanence). L’état est alors un arbitre engagé. La social-démocratie, c’est cela. C’est un outil, pas un programme. Et ce qui compte est le résultat. La priorité de la social-démocratie, aujourd’hui, c’est le plein-emploi, la construction européenne et des politiques de régulation financières, énergétiques et d’approvisionnements en eau.

Sans plein-emploi, il ne peut y avoir de syndicalisme de masse, de citoyenneté pleine. Et qu’importe si réussir le plein emploi passe par des « adaptations ». C’est pour cela que je suis partisan depuis longtemps du modèle suédois de flexibilité / sécurité. Le chômage n’est un problème que parce qu’on ne gagne plus d’argent. Si en perdant son emploi on reçoit le même traitement le temps d’en retrouver un nouveau, ce n’est plus un problème. Ainsi les pays scandinaves ont « offert » des années sabbatiques à 100%. La réactivation du marché du travail a été très forte. Parallèlement, les entreprises sont été encouragées à investir par des politiques fiscales ciblées dans de nouveaux secteurs. Au niveau Européen, cela serait l’idéal, mais même en un seul pays, ça marche. Ségolène Royal a énormément cité la Suède comme une référence.

C’est au nom de cette logique que je ne comprends pas bien ce nouveau « contrat première chance ». Travailler n’est pas une chance, c’est une nécessité. Ensuite, c’est un contrat aidé, et je suis contre les aides à l’emploi. 70 milliards d’euros pour toutes les aides, quel gachis ! On ferait mieux de les donner aux chômeurs ! J’aime Ségolène quand elle parle de cibler les aides. Mais là, je ne comprends pas ! Pour tout dire, c’est même du PS que je déteste, le PS de l’époque Bérégovoy.

J’aurais préféré qu’elle reprenne l’idée de Michel Rocard sur la réduction de temps de travail à 32 heures : Sarkosy aurait hurlé, mais face à Rocard, il n’aurait pas fait le poids ! Vous ne vous souvenez plus ? Il faudrait peut être adapter la on est depuis passé à 35 heures mais…

On divise par deux les cotisations de 0 à 32 heures, on quadruple la part de 32 à 39 heures. Coût pour l’entreprise : 0 euros. Mais en revanche, il devient possible d’embaucher 1 personne pour 4 salariés à coût nul pour l’entreprise. La perte de pouvoir d’achat liée au passage à 32 heures serait compensée par l’état pendant une période transitoire, le temps que la baisse du chômage et l’augmentation des rentrées d’impôts et de cotisations qui en résulterait ne permettent de baisser les cotisations des salariés. Par ailleurs, les gains de productivités obtenues permettrait d’augmenter les salaires… La compétitivité des entreprises ne serait pas menacée non plus car ce système reposerait essentiellement sur la négociation…

Quand il développait ce système, Rocard n’avait qu’une préoccupation : comment baisser fortement et rapidement le chômage, de manière quasi mécanique. Car pour lui, à cette époque déjà, c’était il y a 10/12 ans, c’était le chômage qui, en nous repliant chacun sur nous même, nous conduisait à l’égoïsme social et au libéralisme.

Ca y est, on y est.

Je vous écris cela, tout cela car, je ne suis pas militant, et j’avais envie de confier mes doutes. Ségolène pourrait gagner si… Mais je ne vois pas le « si »… Je doute qu’elle gagne malgré un programme correct. Je doute qu’elle gagne malgré la visible mobilisation. Je doute qu’elle gagne malgré la relative correction des autres candidats de gauche à son égard qui lui épargnent du social-traitre pour se concentrer sur la droite et la bourgeoisie triomphante. Je doute qu’elle gagne malgré sa progressive transformation physique : elle fait présidente, maintenant, elle en a le coffre, la solidité. Je doute qu’elle gagne malgré ses audaces, ses drapeaux et ses camps encadrés, malgré le fait que des millions se disent « pourquoi pas, pourvu que les gamins qui naitront demain aillent dans de meilleurs écoles, que leurs parents aient un travail et que celui-ci soit bien rémunéré, pourquoi pas pourvu qu’on ait investi massivement là où il faut, alors ce drapeau, pourquoi pas, ce n’est pas si important que cela, c’est juste son côté kitsch, et puis de toute façon, Le Pen, qui l’utilise si souvent, dans son coeur, en déchire le rouge, se torche avec le blanc pour ne garder que le bleu!).

Je doute qu’elle gagne parce que je la sens très proche de gagner. Car le PS reste à ré-inventer avec les ruines que la gauche laissera dans ces élections, qu’elle soit victorieuse ou perdante. Car le syndicalisme français n’est plus qu’une coquille vide rongée par 30 années de chômage de masse et de mort du communisme « réel ». Car la société française est une société fatiguée d’elle même, qui ne se supporte plus comme elle est.

Parce qu’un rien peut briser ce si léger capital de sympathie, cette petite bulle de tendresse qui nous lie à elle, nous qui la portons depuis plus d’un an dans ce combat contre une droite qui tient les journaux, la télévision, la radio. Contre des médias qui pointent ces moindres travers pour mieux encenser les qualités de Sarkosy. Ils ont tellement peur que les grands groupes multinationaux, les Vivendi, les Suez, les LVMH, les Pinaud-Printemps et autres Bouygues leurs coupent les crédits de la publicité s’ils ne protègent pas leur Nicolas chéri. Le Monde est devenu le roi de ces nouveaux torchons de campagne.

Nous sommes nombreux je pense, au fond de nous, à savoir que Ségolène Royal est un miracle. Parce qu’après le 21 avril 2002 et pire, le plébicite de Chirac en mai, qu’après le déchirement du PS au référendum de mai 2005, on en prenait pour 10 ans au moins. Si Fabius avait gagné la primaire, le PS explosait. Si DSK gagnait, Fabius recommençait ses petits jeux… Ségolène seule disjonctait cette mécanique de la polarisation. Elle est portée par des adhérents jeunes qu’il faudra former mais qui sont à la meilleur école qui soit, celle des tracts, des affiches et des arguments de campagne. Eux seuls peuvent balayer ces traines savates des années Cresson-Bérégovoy (fallait être culotté, comme Eric Besson, pour adhérer au PS à cette époque, quand le PS faisait une vraie politique de droite).

Ségolène est un miracle. Alors je doute. Et comme je ne suis pas de droite, je vous confie mon doute. Parce que je n’aime pas ce contrat débile pour les jeunes. Que je me dis que c’est pas si grave MAIS…

Nous avons en nous tous la crainte de voir déferler sur nous cette vague portée par les fonds de pensions, la haute finance, ces grands bourgeois qui se délocalisent pour mieux habiter dans une de ces îles artificielles de Dubai, cette vague qui nous appauvrira, qui n’aura rien à faire de nos vies quand le soleil sera trop chaud, l’air irrespirable et l’eau trop chère pour nous permettre de survivre. Ils nous laisseront mourir sur la planète qu’ils auront épuisée comme leurs ancètres les riches du XIXème siècle laissaient crever les enfants au fond des mines et comme on laisse aujourd’hui des continents entiers aller à la dérive. Dans une indifférence totale.

Ce sont les luttes sociales passées qui ont amélioré nos vies, fait nos sécurités sociales, nos congés payés et tous ces « avantages acquis » que le libéralisme veut désormais nous reprendre.

Alors je doute car nous doutons. Mais nous tiendrons.

Vivement le 22…

De Tôkyô

Suppaiku

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