Tout le monde me dit la même chose : nous avons tous le sentiment que l’année est passée très vite.
Cela a du être un peu la même chose à New York en 2001 après les attentats. Les gens ont du se retrouver propulser dans une autre dimension et avoir pour l’année 2001 comme un grand trou noir suivi d’un temps ralenti et accéléré à la fois, fait d’horreur, d’urgence et de déclaration de guerre.
Pour nous c’est assez simple. L’année se déroulait exactement comme toutes les autres années. Le ciel lumineux et presque blanc de l’hiver, avec les premières floraisons, camélias, pruniers japonais, cerisiers précoces et pêchers, avait progressivement cédé la place au ciel plus variable de mars. Je me souviens bien un matin, alors que j’étais dans le train, avoir remarqué que l’eau de la rivière Ara, à côté de chez moi, près de l’embouchure, vers la mer, avait changé de couleur et au noir profond de avait succédé une teinte plus bleuâtre : le printemps approchait.
Le séisme d’abord, la fantastique et surprenante chute des températures ensuite, le tsunami et ses 25.000 morts, la catastrophe nucléaire bien sûr, les magasins aux étals vides, les femmes au foyers sillonnant Tôkyô à vélo d’un magasin à l’autre pour trouver quelque chose à manger, la ville plongée dans le noir le soir et enfin, sous un ciel indéfiniment gris, avec des cerisiers à la floraison très courte en retard de deux semaines, tout, tout a fait du mois de mars le début d’une autre année. Nous pensons au début de l’année comme à une année précédente.
Il a fait froid, parfois même très froid jusqu’au mois de mai. Toutes les fleurs ont été en retard, et leur floraison a eu quelque chose d’aberrant, de court et de désordonné. Il a fait froid, mais le ciel s’est lui fait très avare de pluies.Fin mai, d’un seul coup, on ne l’attendait plus, les températures ont commencé à monter, monter, monter et l’humidité s’est, elle, affirmée. La saison des pluies a été incroyablement précoce. Non pas qu’il ait plu spécialement : le tsuyu n’est pas une vraie saison des pluies, plutôt une saison humide, où l’air est terriblement moite. Normalement, cette saison commence en mi juin et s’achève en mi-juillet, on mange alors de l’anguille sensée donner des force car, il faut l’avouer, le tsuyu est épuisant. Cette année, commencé sans transition fin mai, il s’est achevé début juillet. Nous avons alors gouté une dizaine de jours magnifiques, ensoleillés. Mais voilà qu’un typhon nous a frôlé, affolant les cohortes de baba-cool de la terre entière qui, après n’avoir vu pendant des années dans le Japon qu’un pays qu’il est trop c’coul, résument désormais sa géographie qu’ils ignorent par ailleurs superbement à Fukushima, sorte de point de fixation définitif, quand tu dis Fukushima tu as tout dit, et alors la pluie est revenue, et les températures ont chuté, et quand elles ont remonté, nous avons presque eu le sentiment de vivre un retour de tsuyu. L’été n’a donc réellement commencé que début août. On a sorti les éventails, on a essayé d’économiser l’énergie comme on pouvait, mais voilé, il a fait de plus en plus chaud. Et humide. Incroyablement humide, des fois. 35 degrés, très humide. Un midi, après avoir quitté une étudiante à qui je donnais une leçons vers Kyobashi, je me suis presque senti mal, la chaleur m’as asphyxié une ou deux secondes. Les gens rasaient les murs en essayant de coller au peu d’ombre que produisait ce soleil très gobait dans le ciel. Les yeux étaient plissés, la lumière incroyablement violente, le ciel terriblement bleu, mais avec je ne sais quoi de voile blanc. Pas de la pollution, non, l’humidité. Le premier typhon début septembre n’est pas parvenu jusqu’à nous, il a dévasté le Kansai vers Nara et Wakayama. Mais il a drainé avec lui suffisamment de nuages lourd et de pluies pour provoquer une très nette baisse des températures. Celles-ci ont ensuite remonté mais désormais, le soir, elles se sont faites plus douces. Le deuxième typhon qui a, lui, traversé le Kantô en bloquant absolument tout pendant plusieurs heures pile le jour de mon anniversaire, m’obligeant à rester enfermé dans l’école d’abord, à la gare ensuite, et à rentrer tard chez moi après cette interminable traversée de la ville, rallumant les souvenirs encore frais du mois de mars, le deuxième typhon donc, a marqué la fin de l’été, définitivement. Depuis, les soirées sont plus fraiches, de petits épisodes pluvieux alternent avec le beau temps qui généralement caractérise l’automne. Le temps semble redevenu normal. Il fait bon, le ciel bleu a cette teinte plus pâle du ciel d’automne, on voit un peu mieux au loin, la peau, sans pour autant gratter, semble plus sèche. Il était donc temps, ce week end, d’aller faire un petit tour à Kamakura. Dimanche, toutefois, à nous réveiller trop tôt nous avons préféré profiter un peu de la matinée et nous sommes allés au matsuri du quartier de Kiba, dans le grand parc. Parmi les mikoshis, un très beau mikoshi de Tsukuba, la Préfecture du département de Ibaraki, très affecté par le séisme mais aussi par des niveaux élevés de radiations. Partout, ces petits gestes de solidarité d’une population à qui les autorités continuent de dissimuler les faits avec la complicité des médias, mais qui les découvre aussi au fur et à mesure que certaines mesures filtrent, comme des troubles du métabolisme chez des enfants dont les examens sanguins présentent une forte contamination au Césium 134 et 137 ainsi que toutes les évidences d’une contamination à l’iode 131; ou bien l’interdiction à la vente de certains produits de départements pourtant situés à plus de 300 kilomètres. Après le matsuri, où nous ne sommes restés qu’une heure, nous avons marché dans l’arrondissement de Kôtô, puis dans Sumida. J’ai pris pas mal de photographies de maisons dans ces rues toutes perpendiculaires les unes aux autres, selon le vieux schéma urbanistique en vigueur dans la Chine d’il y a 2000 ans et qui fut le modèle du Japon jusqu’il y a 150 ans. Sky Tree domine, massive, le paysage d’où que l’on se trouve dans l’est de la ville, mais plus on approche plus on comprend que l’an prochain, son inauguration annoncera beaucoup de changements à Tôkyô, à commencer par ces quartiers où il semble parfois que le temps s’est arrêté il y a plusieurs décennies. J’ai grandi, enfant, à Épinay sur Seine et derrière la grande avenue, il y avait de ces ruelles simple, vertes, avec des maisons bordées de fleurs qu’il me semble parfois retrouver par là bas. J’espère vraiment que les transformations à venir n’entameront pas cet art de vivre ralenti, si nécessaire pour supporter cette capitale par ailleurs si souvent inhumaine et froide. Nous avons terminé la promenade à Asakusa et mangé des udons.
La promenade à Kamakura, c’est la promenade régénérante. Couvert le matin, le ciel s’est progressivement éclairci. Si j’ai pu admirer beaucoup de fleurs, force est de constater que le dernier typhon, en faisant souffler un vent marin chargé d’iode, a accéléré le vieillissement des feuilles d’érables. Partout, ces feuilles sont comme brulées, et elles tombent par brassées entières. Il n’y aura donc pas de feuilles rouges fin novembre, ou très peu.
Mais cela est une autre histoire et nécessitera un autre billet.
De Tôkyô,
Madjid