Le Fuji vu de l’avion dans un ciel limpide. C’est ca, l’hiver a Tokyo…
Pas envie d’écrire, pourtant il le faut…
A Tôkyô, l’hiver ne ressemble pas à l’hivers de Paris. Ici, le ciel est gai. Je me souviens, quand j’ai quitté Tôkyô il y a trois ans, en février, ça a été la première chose que j’ai ressenti, une fois dans l’avion, alors qu’en plein décollage, comme l’avion prenait de l’altitude, par un hasard incroyable, j’apercevais vers chez moi du hublot. Comme le ciel est clair, limpide, transparent, pensais-je. Et puis l’avion prit son premier virage et j’aperçu le Fuji qui domine tout le Kantô. Les quelques nuages sur le ciel bleu ne semblaient avoir été jetés là que pour souligner la limpidité de l’air. Quand j’arrivai à Paris, c’est la grisaille qui me frappa, et qui me déprima alors que je redécouvrais une ville qui se dérobait à moi, où mes habitudes anciennes enchaînaient mes pas. Je regrettai très vite de ne pas avoir choisi de rester à Lille plus longtemps, chez mon ami Stéphane, ou même à Londres que j’ai réappris à arpenter en étranger familier. Comme il faisait froid, et comme il faisait triste. Quand je suis revenu à Tôkyô, quinze jours plus tard, je retrouvais le même ciel bleu et clair. Accueillant. Il faisait presque chaud.
Lille, fevrier 2007. Temps gris, froid. Hostile…
Le temps est ici très différent, tout en soulignant la même tendance à multiplier les saisons. Mais ce n’est pas tout à fait agencé de la même manière. Si vous voulez du soleil, il faut venir en Janvier. Mais attendez vous quand même à des températures assez fraîches, surtout la nuit. Et si vous préférez la chaleur, définitivement, c’est en été que vous devez visiter le pays. Soyez toutefois prévenu que vous ne verrez le ciel bleu qu’épisodiquement, et prévoyez des tee-shirts de rechange car l’humidité atteint des records, particulièrement durant les trois premières semaines de juillet. En janvier, il fait très très sec et chaque année je vois ma peau développer les lésions qui vont avec et m’obligent à hydrater mes épaules, mes cuisses, mes mollets et mes côtes. Ça gratte, ガサガサ, gasa gasa.
En ce moment, c’est vraiment l’hiver, et nous approchons des jours les plus froids de l’année. Il a neigé sur l’ouest il y a deux jours, et le matin, c’est un froid perçant qui règne. Brrrr…
J’ai un peu regardé les informations, ce matin. Des informations américaines sur MSNBC. Je voulais juste le voir, ce tremblement de terre. Je vous épargnerais le discours sur l’horreur, le désarroi. Il y a des gens payés pour ça qui le font très bien. Les journalistes de MSNBC sont compétents. Je vais me contenter de mettre un lien vers MSF, si vous voulez donner de l’argent. Mais à plus long terme, ça ne résoudra pas le problème de fond qu’Haiti est un pays de hazard, produit de l’esclavage, un pays fier, qui a su se libéré par ses propres moyens, un pays pauvre, l’un des plus pauvre du monde. Et que tout explique pourquoi il y a autant de victimes. Et on peut être assuré qu’une fois les projecteurs éteints et les morts décomptés, on y reconstruira les mêmes maisons vulnérables qui n’attendront que la prochaine secousse pour manifester leur fragilité et la pauvreté de leurs habitants.
Nicolas, chez qui j’etais reste, habite un peu en dehors de Paris. La, c’est la bibliotheque ou un truc comme ca. Des arbres etaient en fleurs…
Non, moi, à chaque fois, le mot tremblement de terre me ramène à moi. J’habite dans le pays le plus dangereux de la terre, mais c’est un peu comme le VIH, c’est invisible. Et pourtant, la minute qui séparera l’avant de l’après retiendra votre attention pour au moins une semaine, déprimera vos bourses pour au moins un an et fera faire faillite à pas mal de compagnies d’assurances. Sur les images que j’ai vu, j’ai vu ces gens sauter en l’air, véritablement hystériques, pleurant, criant, gémissant, ridicules avec leur téléphone portable à la main, marchant vers rien, hagards, avec de vraies gueules de cons, et j’ai pensé qu’un de ces quatres, tiens, là, maintenant, ou plutôt dans une minute, je pourrais devenir l’un d’eux. Et que je n’aurais pas trop à me plaindre car ça voudrait dire que je ne suis pas mort.
On a toujours de bonnes raisons dans un choix difficile. J’aime le Japon, que voulez vous… Ici, Kawagoe, un mini morceau d’Edo, garde intact…
Des fois, ça me prend, je suis dans le métro, et je me mets à réfléchir un peu trop. Il y a une semaine, juste au moment du démarrage, le train s’est arrêté brusquement, déplaçant dans un sens puis dans l’autre, la masse compacte de l’heure de pointe. À partir de shindô 5 (shindo 7, le maximum : on tombe, le béton explose, les maisons vétustes tombent, la population panique et court de façon irrationnelle), tous les trains freineraient automatiquement. Je préfère ne pas imaginer le machin. En fait, en cas de tremblement de terre, ici, voici les points faibles tels que répertoriés par des rapports de l’Agence météorologique commandités par les gouvernements depuis 50 ans :
– si un tremblement de terre intervient la nuit, le bilan pourra être assez limité, de quelques milliers de morts à quelques dizaines, un peu comme à Kôbe.
– En plein jour, les risques sont multiples mais le principal est un très grand incendie comme en 1923, plus particulièrement si le tremblement de terre intervient à midi.
– Beaucoup d’immeubles construits avant 1981 n’ont pas de fondations suffisantes et risquent des dommages graves mettant en danger la vie des habitants, particulièrement aux étages inférieurs.
– Beaucoup de terres ont été gagnées sur la mer et les risques de « liquéfaction » sont importants. Dans ce cas, les bâtiments s’enfoncent, les plus hauts pouvant éventuellement « glisser » sur leurs fondations et tomber. Dans le métro, des portes sont prévues pour limiter l’inondation du réseau, ce qui révèle un autre risque majeur : la mort par noyade des usagers aux heures de pointe.
– Les grands immeubles modernes sont prévus pour résister à un shindô 6 fort, mais rien ne peut prévoir comment les surfaces vitrées résisteront et celles-ci représenteront un des dangers majeur bien après le tremblement de terre, en chutant un peu au hasard des répliques, à un moment où les rues seront pleines d’équipes de sauvetage et de survivants.
– Si la structure résiste dans les grands immeubles, c’est qu’elle est « élastique ». Mais pour celles et ceux qui seront aux étages supérieurs, la violence des ondulations pourra très bien s’apparenter à un mixer dans les bureaux souvent encombrés d’étagères (cependant, beaucoup de tours récentes isolent les locaux de stockages des bureaux eux-mêmes)
– Beaucoup de quartiers de la ville sont littéralement tombés aux oubliettes avec la crise. Si les vieilles maisons construites dans les années 50/60 ont bien du charme, leurs structures en bois, vieillies par l’humidité, ne résisteront pas et s’effondreront rapidement. Or, elles sont généralement habitées par des personnes âgées.
– Dans beaucoup de quartiers du centre, la largeur des rues est telle qu’une voiture y passa à peine. On sait depuis Kôbe que cela ralentira la progression des secours, et en particuliers des pompiers.
Une maison un peu ancienne, vers Monzen. Les quartiers populaires disparaitront a la premiere secousse… Ca me fend le coeur…
Je pourrais continuer, mais chacun sait ici que le tremblement de terre à venir ne sera pas évident. Vous voyez, la catastrophe de Haiti résonne en moi, comme en chaque Japonais, de façon très particulière, et réveille un sujet sur lequel personne ne s’étend tant on a appris à vivre avec. J’ai repensé à ces 6 bouteilles d’eau que je n’ai pas stockées, à ce jean dans un sac, prêt à être emmené, à des plats tout prêts…
Je reste persuadé que ce sont les tremblements de terre et les typhons qui ont donné aux Japonais leur personnalité, cette culture que j’aime : ce caractère buté jusqu’à la caricature, cet œil expert attaché à reproduire les gestes avec précision. Et ce caractère triste, « attendant que la vie se passe ». J’assume le Japon en entier. Entre cerisiers et risque de me retrouver un jour, coincé dans un coin, pas beau à voir. Tout à un prix.
A la memoire des victimes Haitiennes,
De Tôkyô,
Madjid
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